Colchicine en dermatologie

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Histoire de la colchicine : poison ou médicament ?

Colchicine en dermatologieLa traversée des siècles de la colchicine, médicament « vieux comme le monde », suscita longtemps autant d’enthousiasme que de désapprobation selon les vertus reconnues à cette drogue : poison fétiche de l’empoisonneuse Médée utilisant le colchique, ou médicament royal de l’accès goutteux reconnu dès le Ve siècle de notre ère.

Au cours du temps, différentes substances aux propriétés fort éloignées ont été confondues.

Dioscoride, médecin et botaniste grec, dans son traité

La matière médicale, distinguait dès 77 après JC, le petit colchique comestible et le bulbe sauvage.

Celui-ci, encore appelé colchicos ou colchique, poussant en Colchide, ancien pays d’Asie au sud du Caucase, était dangereux.

Il correspondait à notre colchicum autumnale, aux vertus thérapeutiques et toxiques.

Le petit colchique, aux propriétés nutritionnelles et aphrodisiaques, poussait en Afrique ; il n’avait pas de vertu thérapeutique mais était utilisé en art culinaire chez les Égyptiens et les Grecs.

Les propriétés thérapeutiques de colchicum autumnale, individualisées par la médecine byzantine, furent mises à profit par Jacques le Psychriste en 400 après JC : il guérissait les inflammations brûlantes des pieds avec le colchicos.

Plus tard, Avicenne, médecin et philosophe iranien du Xe siècle, désignait le colchique d’automne comme « la panacée des articulations » et reconnaissait les deux variétés de plante.

Les Humanistes de la Renaissance remettront en cause les données acquises, rendant au colchique son statut de poison pour plusieurs siècles avec proscription par la Faculté du XVIe au XIXe siècle.

Dès lors, il prospère en cachette en tant qu’amulette ou arcane et ne sera réhabilité que vers 1764 par von Stoerk, médecin viennois.

En 1820, deux chimistes français, Pelletier et Caventou, isolaient du colchique cette plante bizarre qui fleurit en novembre, une substance alcaloïde dont la configuration biochimique tricyclique complète ne sera reconnue qu’en 1955 par Corrodi et Hardegger.

Geiger et Hesse l’individualisaient comme la colchicine en 1833.

En 1857, Oberlin isolait une colchicéine, puis en 1861, Hubbler isolait un isomère de cette dernière.

Il faudra attendre 1884 pour que Laborde et Houdé obtiennent, de façon reproductible, de la colchicine cristallisée.

Notions de chimie moléculaire :

Actuellement obtenue par synthèse chimique ou plus souvent encore par extraction à partir du colchicum autumnale et de la gloriosa superba, la colchicine est un alcaloïde qui possède plusieurs isomères.

L’activité biologique de la colchicine tient dans son cycle C.

Des analogues de la colchicine sont obtenus en substituant un ou plusieurs radicaux, conférant une efficacité comparable et une toxicité moindre : la désacétylcolchicine, la désacétyl-méthyl-colchicine, l’acide triméthyl-colchicinique, le colchicoside.

Pharmacologie :

A – PHARMACOCINÉTIQUE :

Les connaissances de la pharmacocinétique et du métabolisme de la colchicine sont assez récentes, liées à l’avènement des techniques radio-immunologiques.

Après prise unique de 1 mg par voie orale, l’absorption par le tractus digestif, probablement au niveau du jéjunum et de l’iléon, est rapide, mais la fraction de dose absorbée varie largement d’un patient à l’autre, entre 24 et 88 %, aussi bien chez les volontaires sains que chez les sujets âgés.

La variabilité interindividuelle dans l’absorption est la première source de modulation de la réponse thérapeutique.

Elle peut s’expliquer par les interactions de la colchicine avec les microtubules du cytosquelette des entérocytes, et par l’apparition des effets secondaires digestifs (nausées, vomissements, diarrhées).

Cette variabilité de biodisponibilité dépend également de la pureté de la matière première utilisée pour la confection des comprimés.

Le pic sérique apparaît entre 30 et 90 minutes.

La cinétique d’absorption est d’ordre 0 avec une vitesse proportionnelle à la dose.

La demi-vie de distribution est brève, comprise entre 1 et 2,7 heures et le volume de distribution est élevé (7 à 10 L/kg), suggérant que la colchicine est largement distribuée dans les tissus.

La fixation protéique est de l’ordre de 50 %, principalement sur l’albumine.

Les érythrocytes sont capables de stocker la colchicine, et les leucocytes représentent un microcompartiment profond de cette molécule, siège de ses propriétés biologiques anti-inflammatoires.

En effet, la colchicine s’accumule lentement dans les polynucléaires et les cellules mononucléées (pic à la 48e heure) et s’élimine lentement (demi-vie d’élimination d’environ 16 heures), l’ensemble étant corrélé avec la cinétique des effets pharmacodynamiques.

Le foie, le coeur, la rate, le rein mais aussi le cerveau constituent des sites d’accumulation de la colchicine dont la demi-vie d’élimination totale est de 14 à 30 heures.

Lors des traitements au long cours, la molécule est capable de franchir les barrières foetoplacentaire et hématoencéphalique et se retrouve dans le lait maternel.

Les études de pharmacocinétique en doses multiples par voie orale (1 mg/j pendant 15 jours) ont montré que l’état d’équilibre est atteint en 8 jours, avec des concentrations plasmatiques entre 0,7 à 1,4 ng/mL en conformité avec les valeurs des demi-vies d’élimination.

Son métabolisme est principalement hépatique, par déméthylation oxydative par la voie des cytochromes P-450 avec possibilités d’interactions médicamenteuses.

L’élimination des métabolites inactifs est essentiellement biliaire (74 %), avec possible réabsorption intestinale par un cycle entérohépatique.

La clairance rénale de la molécule est faible, représentant entre 10 et 20 % de l’élimination totale de cette molécule.

B – PHARMACOLOGIE CLINIQUE :

1- Interactions colchicine-protéines modulant sa pharmacocinétique :

Les interactions de la colchicine avec deux types de protéines, la tubuline et la P-glycoprotéine (P-gP), sont des phénomènes essentiels à l’origine des relations pharmacodynamiques spécifiques à cette molécule.

La tubuline, protéine ubiquitaire constituant principal des microtubules, joue un rôle fondamental dans le transport et la division cellulaire.

L’activité pharmacologique de la colchicine est liée à sa capacité de liaison équimoléculaire à la tubuline, inhibant ainsi sa polymérisation.

Les caractéristiques pharmacologiques de cette liaison se reflètent dans les lenteurs des cinétiques de disparition des concentrations et des effets biologiques de la molécule.

Les interactions de la colchicine avec la P-gP ont d’autres implications.

En effet, la P-gP, protéine membranaire de 170 000 Da, peut lier différentes molécules (colchicine, anticancéreux) et les expulser hors de la cellule.

Ceci permet de créer une barrière à la pénétration intracellulaire de ces molécules et une résistance au traitement.

Chez le sujet sain, cette protéine se répartit sur de nombreux épithéliums, modulant les propriétés d’absorption, de distribution et d’élimination des ligands, participant au phénomène de résistance pléiotrope ou multidrug resistance.

Sous l’influence d’inhibiteurs ou de compétiteurs, l’activité de la P-gP peut être modulée, à l’origine d’une accumulation intracellulaire du médicament, avec augmentation associée de l’activité pharmacologique ou toxique.

2- Origines des surdosages :

Il n’existe pas de relations directes entre les concentrations plasmatiques et les effets biologiques, mais plutôt avec les concentrations intraleucocytaires.

Cependant, la mesure des concentrations plasmatiques au cours des traitements est utile dans deux situations : la mise en évidence d’une faible absorption ou la détection d’un risque de toxicité.

La zone thérapeutique de la colchicine fluctue entre 0,3 et 2,5 ng/mL, le prélèvement pour le dosage étant effectué au moins 8 heures après la dernière prise, l’idéal étant de prélever juste avant la prise suivante.

Une modification de la clairance au niveau d’une des voies d’élimination de la colchicine, foie ou rein, est un facteur de risque de surdosage.

Ainsi, le risque d’accumulation est important lorsque la clairance de la créatinine est inférieure à 50 mL/min.

Mais les variations du métabolisme hépatique ont un effet plus significatif sur l’accumulation, le risque se situant à deux niveaux : aptitude métabolique du foie et capacité d’élimination biliaire.

Aussi il nous semble que l’insuffisance hépatocellulaire et l’insuffisance rénale chronique constituent deux contre-indications à l’utilisation de cette molécule. De plus, des interactions médicamenteuses peuvent perturber l’élimination de la colchicine.

Elles concernent plus particulièrement la ciclosporine et l’érythromycine, par un mécanisme double : inhibition de la P-gP et compétition métabolique avec le cytochrome P-450 de la sous-famille 3A.

L’âge apparaît comme facteur de risque de surdosage par diminution de la clairance corporelle totale et du volume de distribution.

Toxicité et effets secondaires :

Ils sont peu fréquents en cas d’utilisation correcte de la molécule, et représentent, à un degré d’intensité moindre, les signes de l’intoxication aiguë. Les incidents graves, les décès imputés à la colchicine sont le plus souvent consécutifs à un surdosage.

A – EFFETS SECONDAIRES DIGESTIFS :

Les plus fréquents, touchant huit patients traités sur dix, les symptômes digestifs sont le plus souvent mineurs mais gênants : diarrhée dans un premier temps, puis nausées, vomissements et douleurs abdominales.

Ce dernier symptôme constitue un signal d’alarme, précédant l’intoxication.

Stéatorrhée, malabsorption et déficit enzymatique intestinal ont été rapportés après prise chronique.

Ils sont la conséquence directe de la toxicité de la colchicine sur les cellules de la muqueuse digestive.

B – EFFETS SECONDAIRES NEUROMUSCULAIRES :

Fréquents et souvent méconnus, ils surviennent après un traitement au long cours à posologie adaptée (6 mois) ou lors d’une intoxication aiguë.

Les symptômes sont stéréotypés, en partie régressifs à l’arrêt du traitement, avec faiblesse musculaire proximale marquée, discrets troubles sensitifs distaux, aréflexie ostéotendineuse et augmentation franche des enzymes musculaires.

Les explorations fonctionnelles confirment une myopathie proximale, de type histologique vacuolaire, associée à une polyneuropathie axonale.

Un certain degré d’insuffisance rénale constituerait un facteur de risque.

C – EFFETS SECONDAIRES HÉMATOLOGIQUES :

Ils sont le plus souvent précédés par les effets secondaires digestifs et/ou neuromusculaires.

Les risques principaux sont l’agranulocytose, les modifications de la formule sanguine ou la thrombopénie. Le risque de survenue d’anémie aplastique après utilisation prolongée est faible.

Cependant, la prudence reste de rigueur lors de l’utilisation concomitante de médicaments potentiellement aplasiants : chimiothérapie, immunosuppresseurs, phénylbutazone…

D – EFFETS SECONDAIRES CUTANÉS :

Des réactions allergiques de type urticaire sont signalées, de fréquence faible.

L’alopécie, effet classique après intoxication, peut survenir à titre exceptionnel lors d’un traitement chronique.

E – EFFETS SUR LA REPRODUCTION :

Les effets de la colchicine sur la spermatogenèse, la fécondité masculine et féminine et la tératogénicité de la molécule sont diversement appréciés.

Azoospermie, perturbation des performances fonctionnelles des spermatozoïdes réversibles ont été décrites.

Aux doses usuelles, la colchicine n’a pas d’impact sur l’ovulation féminine.

La molécule qui franchit la barrière foetoplacentaire n’entraîne pas de malformation foetale congénitale.

L’utilisation pédiatrique de la colchicine est possible, sans risque sur la croissance et le développement des fonctions de reproduction.

F – INTOXICATION AIGUË :

Volontaire ou accidentelle, par posologie mal adaptée au terrain, l’intoxication par la colchicine se traduit par une atteinte polyviscérale mettant en jeu le pronostic vital du fait de l’absence de thérapeutique spécifique.

Le tableau clinique est marqué initialement par les signes digestifs présents dès les 6 premières heures : diarrhées profuses, douleurs abdominales, vomissements itératifs à l’origine d’une hypovolémie.

La défaillance multiviscérale apparaît secondairement avec hypothermie, insuffisance médullaire, coagulation intravasculaire disséminée, acidose métabolique et troubles hydroélectrolytiques, et convulsions.

Un sepsis à point de départ digestif peut se greffer, de même qu’un choc cardiogénique de sombre pronostic, en relation avec la toxicité cardiaque directe de la colchicine, majeure dans les 36 à 54 premières heures.

La prise en charge de ces intoxications est symptomatique associée depuis peu, dans des centres spécialisés, à une immunotoxicothérapie par administration d’anticorps anticolchicine spécifiques.

Mécanismes d’action biologiques :

La majorité des propriétés de la colchicine sont liées à sa capacité à bloquer l’assemblage de la tubuline aux microtubules, en équilibre dynamique perpétuel.

Ceux-ci sont les constituants universels des cellules, hormis les globules rouges. Ils participent au fonctionnement et à la division cellulaire, à l’origine de l’action antimitotique de la colchicine.

L’inhibition de la tubuline est la base des propriétés biologiques de cette molécule : modifications de la forme et de l’ultrastructure cellulaires ; modification de la structure des mitochondries ; inhibition de la formation du fuseau et perturbation de la distribution des chromosomes dans la division cellulaire ; inhibition de la mobilité des récepteurs de surface des leucocytes et des macrophages ; inhibition de la pinocytose ; inhibition ou diminution des mouvements des cellules, des lysosomes et des granules de sécrétion, réduisant ainsi leur dégranulation et leur libération de facteurs chémotactiques ; inhibition de la synthèse du collagène et stimulation des collagénases ; augmentation de l’adénosine monophosphate (AMP) cyclique ; inhibition de la sécrétion plaquettaire ; stimulation de la sécrétion des prostaglandines.

L’ensemble conduit à une diminution de la mobilité et du chimiotactisme des polynucléaires, des monocytes et donc de la phagocytose ; inhibition de la réaction d’Arthus ; inhibition de la libération d’histamine par les mastocytes conférant à la molécule ses propriétés anti-inflammatoires mises à profit dans le traitement de la crise aiguë de goutte.

D’autres propriétés biologiques de la colchicine sont connues, indépendantes des interactions avec la tubuline : inhibition du transport axonal, modification de la morphologie des synapses, inhibition de la neurotransmission ; inhibition de la synthèse d’acide désoxyribonucléique (ADN) ; diminution de la prolifération lymphoblastique et des cellules non lymphoïdes en présence de mitogènes ; inhibition de la fusion cellulaire ; diminution de l’agrégation plaquettaire par modification des flux calciques ; modification de la mobilité et de la fluidité membranaire ; propriétés immunorégulatrice, par restauration du déficit de la fonction T suppressive, et immunosuppressive.

Indications de la colchicine en dermatologie :

L’analyse du Vidalt 2003 permet au dermatologue la prescription de colchicine dans le respect de l’autorisation de mise sur le marché seulement pour la prise en charge de la maladie de Behçet.

Les indications de ce médicament sont en effet limitées à la crise aiguë de goutte et à sa prophylaxie chez le goutteux chronique lors du démarrage d’un traitement hypo-uricémiant, aux autres affections articulaires microcristallines que l’on peut étendre aux poussées inflammatoires de calcinose des dermatomyosites et/ou des sclérodermies, à la maladie périodique avec effet préventif sur le développement d’une amylose et à la maladie de Behçet.

Les usages de la colchicine en dermatologie sont malgré tout nombreux et seront développés ultérieurement.

Pour la maladie de Behçet, le bénéfice de la colchicine est diversement apprécié.

Cette affection multisystémique chronique évolue par poussées et combine des aphtes des muqueuses orale et/ou génitale, des atteintes cutanées inflammatoires (nouures, papulopustules, lésions de vascularite), des manifestations inflammatoires oculaires au pronostic fonctionnel parfois sévère, des atteintes articulaires et des atteintes vasculitiques systémiques.

L’usage de la colchicine dans cette affection est motivé par les multiples manifestations de la maladie mais en réalité, la seule étude contrôlée colchicine (1,5 mg/j pendant 6 mois) versus placebo n’a pas montré de différence significative entre les deux groupes de 14 patients.

Une différence non significative se dessinait en faveur de la colchicine pour les arthralgies et les lésions cutanées de vascularite autres que les aphtes.

La littérature foisonne de publications d’études thérapeutiques ouvertes, et de cas cliniques où la colchicine est utilisée seule ou en association rendant une évaluation précise difficile.

En revanche, des études biologiques ont évalué les modifications constatées dans la maladie de Behçet sous traitement par colchicine, confirmant son action antiinflammatoire utile dans la maladie.

Il est cependant important de savoir recourir aux immunosuppresseurs dans les formes les plus sévères de la maladie, en connaissance de leur supériorité sur la colchicine, notamment lors d’atteinte oculaire.

En pratique, un consensus se dégage sur l’intérêt de la colchicine dans les atteintes cutanées de type érythème noueux et dans les arthralgies.

Dans les atteintes encore peu sévères de la maladie, en particulier ophtalmologiques, la colchicine peut être encore un médicament de choix pour son rapport efficacité/toxicité.

Usages de la colchicine en dermatologie :

A – COLCHICINE ET VASCULARITE CUTANÉE :

L’utilisation de la colchicine dans la vascularite remonte à la fin des années 1970.

Elle repose sur son effet de diminution de la chimiotaxie des polynucléaires neutrophiles, sur le bloquage de l’adhésion des leucocytes et sur la stabilisation des membranes lysosomiales.

Le bénéfice est diversement apprécié. Il est jugé favorablement dans les analyses rétrospectives monocentriques publiées par Callen : dans une série de 13 patients à la posologie de 1,2 mg/j, il constate neuf réponses complètes, trois réponses partielles permettant de réduire les doses de corticostéroïdes utilisées, avec sept rechutes à l’arrêt de la colchicine, sensibles à la reprise du traitement.

La littérature foisonne d’observations ponctuelles extrêmement favorables à la colchicine, mais une étude contrôlée prospective randomisée, colchicine 1 mg/j versus émollients, chez 41 patients, n’objective pas d’effet thérapeutique significatif.

Cependant, devant la diversité étiologique et l’hétérogénéité des situations cliniques de vascularite cutanée chronique, on peut se demander s’il n’existe pas certains sous-groupes de patients plus particulièrement susceptibles de bénéficier de ce traitement.

En pratique, le meilleur argument actuel pour son emploi en première intention devant une vascularite de sévérité clinique modérée est son caractère peu toxique comparativement aux corticoïdes et immunosuppresseurs.

Ainsi, ce traitement mérite d’être proposé dans la périartérite noueuse cutanée pure.

B – COLCHICINE ET VASCULARITE URTICARIENNE :

Les corticoïdes sont considérés comme le traitement de choix de cette affection parfois associés aux immunosuppresseurs, aux antipaludéens de synthèse, aux antihistaminiques ou aux antiinflammatoires non stéroïdiens.

Mais des observations ponctuelles rapportent le bénéfice de la colchicine dans cette indication.

Dans le cas de vascularite urticarienne hypocomplémentémique, le bénéfice peut se manifester sans correction de l’hypocomplémentémie.

Par ailleurs, une étude prospective dans l’urticaire retardée à la pression, randomisée contre placebo, de durée très brève (8 jours de traitement à 1 mg/j) n’a pas révélé de bénéfice thérapeutique.

C – COLCHICINE ET DERMATOSES NEUTROPHILIQUES :

Hormis pour l’erythema elevatum diutinum, les corticoïdes sont les traitements usuels des dermatoses neutrophiliques englobant le syndrome de Sweet, le pyoderma gangrenosum. mais également la pustulose sous-cornée de type pemphigus à immunoglobulines (Ig) A.

Dans ces différentes dermatoses, plusieurs écrits relatent un bénéfice thérapeutique obtenu avec la colchicine utilisée d’emblée, ou lors d’échec ou d’intolérance au traitement conventionnel.

Cette alternative justifierait une évaluation précise à la faveur d’essai thérapeutique, d’autant plus que les pathologies associées à ces dermatoses neutrophiliques sont parfois des contreindications à la corticothérapie.

D – COLCHICINE, SCLÉROSE ET FIBROSE :

Dans la sclérodermie systémique ou localisée, aucune thérapeutique spécifique n’a réputation d’être constamment efficace ou bénéfique.

Les cibles de ces thérapeutiques répondent à diverses données connues sur la physiopathologie de la maladie : rôle de l’endothélium vasculaire, des cellules mononucléées, des fibroblastes et du collagène.

La colchicine, utilisée depuis 1967, bloquerait la synthèse du collagène et augmenterait sa dégradation par l’activité accrue de la collagénase.

La littérature lui accorde encore une place parmi les traitements spécifiques de la maladie, malgré des résultats contradictoires.

Seul un essai thérapeutique ouvert rapporte un effet favorable du traitement.

Depuis, en l’absence d’études prospectives randomisées, on ne lui accorde qu’une place marginale dans la prise en charge des symptômes cutanés de la maladie.

De plus, certains proposent la colchicine pour son action antiinflammatoire, devant les manifestations associées aux calcinoses diffuses rencontrées dans l’évolution de la dermatomyosite, notamment chez l’enfant.

Par ailleurs le bénéfice de la colchicine est rapporté dans l’anétodermie primitive.

Sur la même hypothèse physiopathologique, l’emploi de la colchicine dans les pathologies fibromateuses semble raisonnable : chéloïdes, maladie de Dupuytren, maladie de La Peyronie.

Mais les résultats prometteurs initiaux n’ont pour l’instant pas été confirmés par des études prospectives randomisées.

E – COLCHICINE ET PSORIASIS :

L’action inhibitrice de la colchicine sur le chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles offrait des perspectives séduisantes pour le traitement du psoriasis. Son usage en application topique, à la fin des années 1950, s’était vu limité par une mauvaise tolérance locale.

Cette mauvaise tolérance clinique est confirmée par l’équipe de Saurat à Genève qui a proposé l’utilisation d’un gel de colchicine à 1 % sur des kératoses actiniques du scalp.

Une efficacité rapide (1 mois) est constatée, avec irritation et inflammation locales acceptables pour les patients dans le cadre du traitement de kératoses actiniques.

Utilisée par voie générale, la colchicine n’apparaît pas comme un traitement majeur du psoriasis dans ses formes cutanées et/ou articulaires.

En effet les résultats favorables présentés lors d’études ouvertes n’ont pas été confirmés par des études comparatives randomisées.

De plus, les méta-analyses faites par le groupe Cochrane sur la colchicine dans la prise en charge du rhumatisme psoriasique donnent à cette drogue une place de deuxième ordre avec des preuves à faire dans cette indication.

Dans les formes pustuleuses généralisées de la maladie, le bénéfice de la colchicine affirmé en ouvert devrait être validé par des études randomisées.

En effet, les résultats favorables présentés en étude ouverte dans la pustulose palmoplantaire n’ont pas été confirmés dans l’étude contrôlée de Thestrup-Pedersen et al utilisant 1,5 mg quotidien de colchicine.

F – COLCHICINE ET DERMATOSES BULLEUSES :

L’utilisation de la colchicine dans certaines dermatoses bulleuses auto-immunes intervient toujours comme traitement adjuvant : corticoïdes, immunosuppresseurs, sulfapyridine, dapsone. Ainsi elle a été utilisée dans la dermatite herpétiforme, la dermatose à IgA linéaire de l’adulte et de l’enfant, le lupus bulleux et l’épidermolyse bulleuse acquise.

Son indication dans cette dernière, réputée pour sa résistance aux traitements, devra être évaluée, Cunningham rapportant quatre succès sur 14 patients.

La distinction entre les formes chroniques et les formes inflammatoires de la maladie pourrait être utile pour préjuger de l’efficacité d’une telle thérapeutique.

Le mode d’action de la colchicine au cours de l’épidermolyse bulleuse acquise reste inconnu, et les hypothèses nombreuses : action inhibitrice sur la synthèse des autoanticorps et la sécrétion des Ig ; action modulatrice sur certaines fonctions des polynucléaires neutrophiles (chimiotactisme, dégranulation lysosomiale, adhésivité des leucocytes) ; action modulatrice sur certaines fonctions lymphocytaires (diminution de l’expression de l’human leukocyte antigen (HLA) DR et de la présentation antigénique) ; action modulatrice sur la synthèse et la dégradation du collagène avec modifications possibles de l’antigénicité du collagène VII.

G – AUTRES USAGES DE LA COLCHICINE EN DERMATOLOGIE :

Par analogie avec l’aphtose bipolaire de la maladie de Behçet, la colchicine est utilisée dans la prise en charge de l’aphtose buccale récidivante. Non curative, elle nécessite un traitement d’entretien.

Sa faible toxicité la place devant les corticoïdes et le thalidomide.

Dans une étude ouverte rétrospective menée chez 54 patients atteints d’aphtose buccale récidivante, Fontes et al retrouvent une efficacité préventive à 3 mois chez 63 % des patients, avec maintien à long terme chez 37 % d’entre eux.

De même, son action anti-inflammatoire est mise à profit dans le traitement de l’érythème noueux et des réactions de type 2 de la lèpre (érythème noueux lépreux).

Une étude contrôlée montre que le bénéfice de la colchicine se limite aux formes modérées d’érythème noueux lépreux.

Découverte fortuitement, l’efficacité de la colchicine dans le traitement des douleurs abdominales des porphyries hépatiques mérite d’être connue.

La colchicine a démontré un effet d’inhibition expérimentale de l’induction de porphyrie dans des modèles de culture d’hépatocytes embryonnaires de poulet et in vivo chez le rat.

La colchicine agirait en inhibant l’induction de l’acide delta-amino-lévulinique synthétase et l’accumulation des porphyrines.

Il nous paraît intéressant de signaler l’expérience favorable de la colchicine dans la pachydermopériostose, même s’il ne s’agit que d’un cas clinique, les possibilités thérapeutiques étant limitées dans cette affection.

Par ailleurs, Ambrosone rapporte une observation clinique d’amylose primitive cutanée systémique évoluant favorablement avec un traitement associant colchicine, prednisone et melphalan.

Pour être complet, nous mentionnerons la proposition faite par des auteurs iraniens d’utiliser la colchicine dans le traitement de l’acné.

Ayant observé une amélioration de l’acné chez des patients recevant de la colchicine pour une maladie de Behçet ou une fièvre méditerranéenne, ils présentent des résultats favorables chez 22 patients présentant une acné de sévérité très hétérogène, traités par 1 mg/j pendant 2 mois.

Malheureusement, ces résultats ne seront pas confirmés par Schepsis et al qui ont traité 12 patients atteints d’acné sévère, nodulokystique ou conglobata.

Conclusion :

Les utilisations de la colchicine en dermatologie sont multiples, mais s’appuient principalement sur la publication d’études cliniques ouvertes ou sur des convictions.

Les connaissances récentes acquises sur sa pharmacologie et ses propriétés multiples, notamment antiinflammatoires, justifient de maintenir l’intérêt que l’on porte à cette drogue millénaire.

Mais l’évaluation plus objective de ses indications dermatologiques reste à faire, son avantage étant sa relativement bonne tolérance.

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