Classification des épilepsies : actuelle et future

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Classification des épilepsies : actuelle et future
Introduction :

Les termes « crise épileptique » et « épilepsie » ne sont pas synonymes et la survenue d’une crise ne signifie pas nécessairement le début d’une épilepsie.

Les études épidémiologiques ont contribué d’une manière importante à faire distinguer des crises provoquées (comme les crises fébriles), des crises isolées mais non provoquées qui peuvent être le début d’une épilepsie mais ne le sont pas forcément (tant dans le sens épidémiologique du terme que pour les cliniciens), et l’épilepsie (crises non provoquées qui se répètent chez le même individu).

En outre, l’épilepsie elle-même n’est pas une seule entité mais correspond à un ensemble d’affections diverses.

L’approche syndromique reconnaît ces distinctions et cette diversité et organise toutes ces possibilités dans une classification unique permettant de distinguer les crises n’amenant pas à porter un diagnostic d’« épilepsie » et permettant d’identifier des formes spécifiques ou quasi spécifiques de l’affection.

Dans ce chapitre, nous abordons l’histoire et le développement de la classification des épilepsies, la classification actuelle, l’emploi et l’importance de la classification, ses problèmes, et les développements qui sont en cours.

Histoire et développement :

Avant le concept de syndrome, l’épilepsie était généralement considérée comme une seule affection pouvant se présenter avec des caractéristiques variables.

Les symptômes et surtout la nature de la crise constituaient les éléments pris en considération pour porter un diagnostic et instituer un traitement.

Un syndrome, en théorie, est un ensemble cohérent identifié par une constellation de plusieurs éléments : les crises, bien sûr, ainsi que l’âge du patient lors des premières crises, le (les) types(s) des crises, les anomalies électroencéphalographiques (EEG), l’étiologie, les circonstances des crises, et parfois d’autres détails.

Prise isolément, chacune des ces caractéristiques n’a pas de grande signification.

Ensemble, elles réalisent un tableau spécifique ou quasi spécifique dont l’identification peut aider à l’évaluation et à la prise en charge d’un patient.

La neuropédiatrie française est à l’origine de l’approche syndromique.

La première version officielle de la Classification internationale des épilepsies et des syndromes épileptiques a été publiée en 1970 dans Epilepsia, la revue de la Ligue internationale contre l’épilepsie (LICE).

Cette classification a été réalisée dans le contexte d’un désir exprimé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’avoir un langage commun pour décrire les phénomènes épileptiques et d’avoir un système diagnostique standardisé et utilisé universellement.

L’intérêt et les efforts déployés afin de mieux individualiser les syndromes ont continué à se développer. En 1985, une révision de cette classification a été publiée suivie en 1989 d’une nouvelle classification, beaucoup plus détaillée.

Actuellement, en 2003, la Commission de classification et terminologie travaille à une nouvelle révision qui comprendra non seulement les syndromes mais aussi les crises (qui avaient déjà fait l’objet d’une classification propre) et les étiologies (partiellement décrites en 1993) reliant les trois dans un système multidimensionnel sous la forme d’un schéma diagnostique flexible remplaçant une classification fixe et rigide.

Cette nouvelle approche a bénéficié de plusieurs années d’expérience et des commentaires des investigateurs du monde entier.

Cependant, il reste actuellement beaucoup de controverses à résoudre avant que ce nouveau schéma ne soit acceptable et accepté.

À ce jour, la classification de 1989 n’a pas été remplacée.

Classification actuelle :

La classification actuelle de 1989 a une structure hiérarchisée avec plusieurs niveaux.

À un premier niveau sont séparés, souvent en fonction du type de crises, les groupes de syndromes partiels, généralisés, et indéterminés.

Le deuxième niveau est celui de l’étiologie idiopathique, cryptogénique, et symptomatique.

Au-delà de l’étiologie s’individualisent les syndromes spécifiques.

Les épilepsies de l’enfance et de l’adolescence sont peut-être les mieux individualisées parce que des formes très diverses et très distinctes de l’épilepsie ont alors leur début.

Mais, la plupart des syndromes débutant chez l’adulte ne se prêtent pas à un découpage semblable.

Chez les enfants, entre 30 et 50 % des épilepsies appartiennent aux groupes idiopathiques soit partiels, soit généralisés.

Les syndromes idiopathiques sont, d’après ce que nous comprenons aujourd’hui, des formes d’épilepsie dues à une cause génétique dont le seul effet semble être l’épilepsie elle-même, épilepsie sui generis.

Elles sont caractérisées par plusieurs éléments dont surtout des anomalies à l’électroencéphalogramme (EEG) très spécifiques et l’âge de la survenue des crises qui diffèrent selon le syndrome.

Les exemples les plus fréquents de ces syndromes sont « l’épilepsie bénigne de l’enfant à pointes centrotemporales ou “rolandique” » (syndrome idiopathique partiel) et « l’épilepsie-absences de l’enfant » (syndrome idiopathique généralisé).

La plupart de ces syndromes ont un pronostic bénin, tout au moins du point de vue des crises, avec une efficacité habituelle des médicaments disponibles et une tendance à disparaître après quelques années.

C’est surtout vrai pour l’épilepsie rolandique.

On trouve chez les bébés et les très jeunes enfants des groupes de syndromes pour les épilepsies généralisés dont l’étiologie est soit cryptogénique ou symptomatique, soit uniquement symptomatique.

Les syndromes les mieux connus de ces groupes sont les syndromes de West (ou spasmes infantiles) et de Lennox-Gastaut.

Il existe un autre groupe de syndromes indéterminés et assez rares qui ont à la fois des caractéristiques partielles et généralisées comme les syndromes de Landau-Kleffner et de Dravet (épilepsie myoclonique sévère du nourrisson).

Ensemble, ces groupes de syndromes comprennent environ 10 % des épilepsies nouvellement diagnostiquées chez les enfants.

Ils évoluent souvent vers des épilepsies à crises sévères et pharmacorésistantes.

Dans ces cas, le développement de l’individu peut être sévèrement et globalement compromis.

On évoque, pour plusieurs de ces syndromes, un processus progressif impliquant une interaction entre le niveau de développement du cerveau, la cause des crises, les crises ellesmêmes, et dans certains cas la(les) région(s) cérébrale(s) atteinte(s).

On retrouve le concept d’une encéphalopathie épileptique proposé dans la nouvelle version de la classification mais déjà accepté dans la littérature.

Le clinicien ou le chercheur qui souhaite obtenir des définitions et des descriptions riches et très détaillées des syndromes spécifiques chez les enfants et les adolescents pourra les trouver dans les pages du « Guide Bleu » (un terme commode, quotidiennement utilisé par les épileptologues pour l’ouvrage

Les Syndromes épileptiques de l’enfant et de l’adolescent dont la couverture est bleue).

À part les syndromes mentionnés ci-dessus, la plupart des autres épilepsies sont partielles et d’une étiologie soit cryptogénique soit symptomatique, ou elles sont indéterminées.

Cela entraîne des problèmes quant à l’approche syndromique que nous aborderons ultérieurement dans ce chapitre.

Syndromes dans la population générale :

L’approche syndromique a été développée dans des centres spécialisés et a été fondée sur des informations recueillies auprès de patients peu représentatifs de l’ensemble des individus atteints des mêmes formes d’épilepsie dans la population générale.

Pour être acceptée dans le monde de la neurologie, il faut premièrement que la classification soit utilisable et valide hors des centres spécialisés, dans des situations plus quotidiennes, et deuxièmement qu’on puisse dépister les syndromes dès le début du trouble ou peu après.

Faute de quoi, le diagnostic syndromique n’est une aide ni dans l’évaluation ni dans le traitement initial du patient.

Pire encore, on court le risque de ne porter le diagnostic d’un certain syndrome que chez les patients dont l’évolution a été conforme à ce que l’on attendait de ce syndrome.

Cela contournerait les règles scientifiques et annulerait l’utilité de l’approche syndromique en la réduisant à un processus circulaire.

Il existe actuellement une centaine d’études ayant utilisé la classification internationale.

La plus grande de ces études est italienne et inclut 8 570 patients.

Cette étude transversale donne une idée de la diversité des patients existant dans une population et pas uniquement ceux vus dans les centres spécialisés.

Cependant, on trouve, comme dans la plupart des autres études, à la fois des patients nouvellement diagnostiqués et des patients dont la maladie était connue depuis plus ou moins longtemps.

Par conséquent, de tels groupes ont tendance à surévaluer excessivement les patients dont la prise en charge est la plus compliquée et l’évolution est la moins favorable.

A – UTILISATION LORS DU PREMIER DIAGNOSTIC :

Récemment, des études ont été centrées sur des cohortes prospectives de patients nouvellement diagnostiqués analysant la distribution des syndromes lors du premier diagnostic.

Les deux études françaises comprenaient des patients âgés de plus de 1 mois n’ayant eu qu’une seule crise, ou ayant déjà une épilepsie (deux crises non provoquées séparées au moins de 1 jour).

Les autres études se sont limitées aux enfants et aux adolescents ayant eu au moins deux crises.

Ces études ont clairement démontré que, quel que soit l’âge du sujet, on peut effectivement employer l’approche syndromique et identifier un syndrome épileptique pour la majorité des patients nouvellement diagnostiqués.

La variation des distributions des syndromes entre les études peut s’expliquer par des différences méthodologiques dans l’identification les patients, dans les critères retenus pour diagnostiquer certains syndromes peu spécifiques ainsi que par des différences réelles entre les diverses populations chez lesquelles les études ont été effectuées.

L’étude CAROLE (Coordination Active du Réseau Observatoire Longitudinal de l’Épilepsie) a fourni la distribution des syndromes selon l’âge des patients montrant des différences considérables entre les enfants, les adolescents, les jeunes adultes (âge 15-24 ans) et les adultes.

L’étude CAROLE a démontré qu’on peut identifier certains syndromes même chez les individus n’ayant eu qu’une seule crise.

Ces patients n’ont pas encore rempli le critère minimum de deux crises pour recevoir l’étiquette « épilepsie ».

Pourtant, puisqu’une épilepsie commence toujours avec une première crise, il est donc raisonnable et même important d’essayer de dépister sa forme à partir de sa première manifestation.

Les différences de distribution des syndromes identifiés lors d’une première crise et dans les épilepsies nouvellement diagnostiquées permettent d’avoir un aperçu de l’histoire naturelle des syndromes spécifiques.

Cette étude a donc comblé une lacune de la littérature médicale puisque les études distinctes portaient soit sur les crises uniques soit sur l’épilepsie nouvellement diagnostiquée.

B – VALIDITÉ DU DIAGNOSTIC :

Le fait d’avoir porté un diagnostic ne signifie en rien sa validité.

Actuellement, il n’y pas de référence absolue pour juger de la validité des diagnostics syndromiques.

Par conséquent, il est nécessaire de considérer d’autres informations comme par exemple l’accord entre plusieurs experts qui peut être excellent ou la stabilité des diagnostics initiaux au fil du temps.

En ce qui concerne cette stabilité, on peut tirer les conclusions suivantes surtout pour les enfants.

– Chez un certain nombre d’enfants (environ 5 %), le syndrome initial évolue vers un autre syndrome ; par exemple, un syndrome de West lors du premier diagnostic peut évoluer souvent soit vers un syndrome de Lennox-Gastaut soit vers une épilepsie partielle.

Dans ce cas, le diagnostic initial de West n’est pas infirmé, mais la forme de l’épilepsie a changé.

La progression d’un syndrome idiopathique généralisé vers un autre (par exemple, épilepsieabsences de l’enfant vers épilepsie myoclonique juvénile) peut se produire chez certains individus.

Cela représente pourtant un phénomène différent de l’évolution associée aux encéphalopathies épileptiques mentionnée ci-dessus.

– Les diagnostics des syndromes de l’enfance idiopathiques (par exemple, l’épilepsie absence de l’enfant ou l’épilepsie bénigne avec pointes centrotemporales) ainsi que généralisés mais non idiopathiques (syndromes de West ou de Lennox-Gastaut) ne sont que rarement infirmés probablement parce que les critères sont très spécifiques et qu’il est difficile de se tromper.

Les syndromes partiels non idiopathiques rattachés à une localisation cérébrale (frontale, temporale, pariétale, occipitale) sont un peu moins sûrs, surtout dans les cas où le diagnostic spécifique ne repose que sur un foyer constaté sur un seul tracé EEG.

Pour environ 10 % de ces cas, le diagnostic initial n’est pas maintenu en raison de nouvelles informations acquises au fil des années.

– Les cas où le diagnostic est le plus susceptible d’être infirmé sont précisément ceux où le diagnostic initial a été incomplet ou imprécis.

Avec le temps, les cas non classés et les syndromes partiels mais mal focalisés se répartissent dans des classements plus « spécifiques ».

Le plus souvent, les épilepsies initialement non classées s’avéreront plus tard être des épilepsies partielles cryptogéniques.

Les syndromes partiels qui sont mal compris et donc initialement mal identifiés soulèvent des problèmes abordés ci-dessous.

Importance et utilité de l’approche syndromique :

En oncologie, il est convenu que le traitement et le pronostic d’un cancer sont largement déterminés par le type spécifique du cancer.

En théorie, l’identification du syndrome peut contribuer d’une manière importante à la prise en charge du patient atteint d’épilepsie dans la mesure où le succès d’un traitement spécifique dépend du syndrome spécifique.

De plus, l’identification d’un phénotype (syndrome) spécifique et homogène peut aider à comprendre les causes du trouble.

Par conséquent, l’évaluation des patients a pour objectif de dépister leur syndrome spécifique.

A – ÉVALUATION DES NOUVEAUX PATIENTS :

En complément d’une description détaillée des crises et de leurs circonstances de survenue, des antécédents du patient et de l’examen neurologique, l’EEG est l’outil indispensable pour l’évaluation des individus soupçonnés d’avoir eu une crise, mais surtout pour arriver à un diagnostic syndromique.

De ce fait, son usage dans les pays développés est presque universel.

L’utilisation répandue de la neuro-imagerie, surtout l’imagerie par résonance magnétique (IRM), dans les pays développés, a beaucoup changé l’évaluation des individus présentant des crises.

Elle peut faire découvrir des lésions jusque-là inconnues aboutissant dans certains cas à une action importante et immédiate (par exemple, une intervention chirurgicale pour une tumeur).

L’imagerie peut également révéler d’autres anomalies susceptibles de modifier le diagnostic, la prise en charge, et le pronostic. Pourtant, avoir la possibilité de faire une neuro-imagerie n’implique pas sa nécessité dans tous les cas.

De plus, il faut mettre en balance avec ses bénéfices ses quelques risques (par exemple les sédatifs pour les enfants très jeunes) et les coûts qui incombent à ce genre d’examen.

Pouvoir identifier certains syndromes spécifiques peut contribuer à cette équation.

En fait, des indications récentes venant des États- Unis pour l’évaluation de l’enfant présentant une première crise non provoquée suggèrent aux cliniciens de s’en tenir aux informations cliniques et à l’EEG pour identifier les individus présentant une épilepsie idiopathique.

Chez la plupart de ces enfants, on peut renoncer à l’imagerie.

Il est évident qu’aux États-Unis ainsi qu’en France cette attitude a déjà été partiellement adoptée.

B – MISE EN ROUTE D’UN TRAITEMENT :

Autrefois, presque tous les patients qui présentaient même une crise unique provoquée ou non provoquée étaient traités souvent pendant plusieurs années.

Cette pratique a nettement changé en grande partie à cause des effets toxiques qui peuvent se produire chez un nombre important de patients.

On décourage maintenant le traitement des crises fébriles.

Chez les enfants, on n’insiste plus sur la prise d’un médicament après une première crise non provoquée.

Chez les adultes, on doit prendre en compte la question du permis de conduire, les besoins et les exigences du travail, les risques tératologiques pendant la grossesse, ainsi que d’autres considérations.

La décision, après une première crise chez les adultes, s’appuie assez souvent sur des raisons sociales plutôt que médicales.

Il est habituel d’instituer un traitement chez les sujets ayant une épilepsie (au moins deux crises non provoquées séparées de plus de 24 heures).

Il existe pourtant certains syndromes et certaines situations, surtout chez les enfants, où on hésite à prescrire d’emblée un traitement.

Dans l’étude effectuée par le groupe hollandais, des médicaments n’ont pas été donnés dès le premier diagnostic chez 30 % des patients de la cohorte.

Après 12 mois, 20 % de la cohorte était toujours sans traitement.

Des résultats semblables ont été obtenus dans l’étude américaine où 20 % des sujets n’ont pas été traités lors du premier diagnostic.

Enfin, l’étude française CAROLE a également montré des attitudes thérapeutiques variables bien que la préférence française soit de traiter plus souvent (environ 90 %) que dans ces autres pays.

C’est dans l’épilepsie bénigne de l’enfant avec pointes centrotemporales que la prescription immédiate d’un médicament est, initialement, la moins fréquente (50 % aux États-Unis et 66 % en France).

C – CHOIX DU MÉDICAMENT :

L’identification d’un syndrome spécifique peut guider le choix du médicament.

Par exemple, il a été montré que les médicaments comme la carbamazépine et la phénytoïne peuvent exacerber les absences et les crises myocloniques.

Il est donc préférable d’éviter ces médicaments lorsqu’on a diagnostiqué un syndrome dans lequel de telles crises sont possibles, même s’il n’y en a pas encore eu chez un patient donné.

On préfère prescrire du valproate, et on attend une préférence semblable pour la lamotrigine, les deux ayant un large spectre d’efficacité.

Pour cette raison, ils seront choisis dans les syndromes se manifestant par des crises de plusieurs types et aussi lorsque le diagnostic syndromique n’est pas clair. Des études épidémiologiques ont montré que ces principes étaient bien établis dans la pratique médicale courante.

Pour les syndromes qui appartiennent aux « encéphalopathies épileptiques » il est possible que le traitement efficace et immédiat puisse améliorer l’évolution en interrompant le processus sousjacent responsable des crises et qui, avec les crises, est nuisible au cerveau immature.

On espère que cela permettra un développement du cerveau plus normal et par conséquent, un développement général de l’enfant moins perturbé.

L’exemple le mieux connu est l’usage de l’adrenocorticotrophic hormone (ACTH) (qui n’est pas un médicament antiépileptique) pour le syndrome de West bien qu’aujourd’hui la pratique en Europe et au Canada favorise le vigabatrin.

En revanche, il est établi que dans certains syndromes, certains médicaments peuvent aggraver les crises.

Par exemple, on pense que la lamotrigine peut aggraver l’épilepsie myoclonique sévère du nourrisson.

Avant 1992, il y n’avait qu’un assez faible choix de médicaments disponibles pour le traitement de l’épilepsie.

Ces dernières années, on a assisté à une prolifération de médicaments antiépileptiques.

La prise de conscience et la compréhension accrues de la spécificité de certains médicaments pour certaines formes de crises, certaines combinaisons de crises, certains syndromes spécifiques et certaines combinaisons de troubles neurologiques (par exemple, la migraine et l’épilepsie), les préoccupations concernant les réactions adverses et le désir d’éviter autant que possible la polythérapie ont accru la difficulté des décisions que doivent prendre les cliniciens, cherchant à optimiser les bénéfices et à minimiser les risques.

Ainsi, individualiser des syndromes épileptiques peut faciliter la tâche des épileptologues, des neurologistes et des médecins en général.

Problèmes :

Quoiqu’elle paraisse très convenable et raisonnable, l’approche syndromique n’est pas acceptée universellement.

D’abord, elle exige de la part du clinicien un bilan diagnostique poussé et sophistiqué.

Il est peu probable que cette approche puisse être faite dans tous les milieux et surtout dans les pays en voie de développement.

C’est peut-être une inquiétude partiellement justifiée, mais cela ne diminue en aucune façon la validité de l’approche syndromique.

On peut en dire autant de n’importe quel aspect de la médecine spécialisée.

Cette préoccupation mise à part, la classification et l’approche syndromique elles-mêmes ont plusieurs faiblesses.

L’organisation hiérarchisée, même taxonomique, dissimule des points assez arbitraires, et la hiérarchie n’est pas aussi scientifique que ce que l’on voudrait, pour plusieurs raisons.

A – MANQUE DE LIMITES NOSOLOGIQUES SCIENTIFIQUES :

Pour la majorité des syndromes acceptés comme très spécifiques, les définitions reposent sur les constatations cliniques faites chez des patients soignés dans des centres spécialisés.

Les limites sont souvent floues et fondées sur des observations quelquefois arbitraires et non reproductibles.

Enfin, il y a toujours la question de l’identification de tous les cas ayant un syndrome donné lors du premier diagnostic et pas uniquement dans les cas ayant, après plusieurs années, confirmé les attentes pour l’évolution du syndrome.

Par conséquent, l’acceptation et l’emploi général de la classification sont entravés par la perception qu’elle n’est pas très scientifique.

Ces critiques sont peut-être partiellement méritées.

Il est pourtant difficile de nier l’existence de la plupart des syndromes idiopathiques, non idiopathiques généralisés et indéterminés avec des signes généralisés et partiels chez les enfants et les adolescents.

Il est probable qu’on peut attribuer une partie de cette résistance envers la classification à une peur des choses nouvelles et à un refus d’abandonner les vieilles habitudes.

B – MANQUE DE SPÉCIFICITÉ DE CERTAINS CLASSEMENTS :

Certains patients ont une forme d’épilepsie très précise, d’autres ont une forme moins précise, et d’autres sont inclassables.

Pour les épilepsies commençant chez l’adulte, les syndromes idiopathiques et tous les syndromes généralisés mais non idiopathiques étant rares, 90 % des cas appartiennent aux autres catégories.

De plus, environ 50 % des enfants ont aussi un syndrome plus ou moins précis ou imprécis.

C – NON CLASSIFIÉ OU NON CLASSABLE :

Les épilepsies indéterminées sans signes partiels ou généralisés comprennent les cas dans lesquels la nature de l’épilepsie est difficile à saisir en dépit de tous les efforts ainsi que les cas pour lesquels les examens diagnostiques sont insuffisants (par exemple, aucun EEG).

C’est donc un groupe hétérogène qui varie d’une population à une autre. Par exemple, dans la « National General Practitioners’ Study of Epilepsy », 37 % des cas d’épilepsie étaient essentiellement non classés.

En revanche, dans l’étude française, CAROLE, où 99,5 % des sujets ont eu un EEG et 77,5 % ont eu une imagerie cérébrale, 17 % seulement de tous les cas restaient non classés.

Une étude australienne de 300 patients présentant une première crise (et dont 100 % ont eu un EEG et 92 % une imagerie cérébrale) est parvenue à classifier 81 % des cas lors de la première crise.

D – ÉPILEPSIES PARTIELLES NON IDIOPATHIQUES :

Sur le plan de l’étiologie, elles sont considérées comme étant soit cryptogéniques soit symptomatiques.

Au-delà de l’étiologie, il y a quelques syndromes partiels très spécifiques qui n’expliquent que peu de cas (le syndrome de Rasmussen, par exemple).

Actuellement, la plupart des syndromes partiels cryptogéniques et symptomatiques sont nommés, selon le lobe cérébral présumé, comme responsables de leurs manifestations critiques.

Dans l’actuel projet de classification seraient distinguées des épilepsies du système limbique et les épilepsies néocorticales.

Pour le clinicien ainsi que pour le patient, la localisation d’une épilepsie partielle peut être importante dans la mesure où les manifestations des crises (sévérité, durée, fréquence, heure habituelle de survenue) peuvent être différentes en fonction de la région du cerveau atteinte.

Pour le chirurgien, il y a des considérations différentes selon la localisation d’une lésion ou d’une région fonctionnellement anormale.

Toutefois, pour les épilepsies partielles soit cryptogéniques soit symptomatiques, il n’est pas évident que la localisation d’une lésion ou d’une région d’activité anormale constitue un aspect essentiel de la forme de l’épilepsie telles les causes, les mécanismes génétiques et neurophysiologiques ainsi que la tendance à être pharmacorésistante.

Par exemple, pourquoi une épilepsie liée à une tumeur dans le lobe frontal seraitelle différente dans un sens biologique d’une épilepsie liée à la même tumeur située dans le lobe pariétal ?

Est-ce que cela représente deux formes distinctes d’épilepsie ?

En outre, il reste à voir si une épilepsie néocorticale d’une étiologie cryptogénique dans le lobe frontal représente grâce à sa localisation un trouble essentiellement différent d’une épilepsie semblable, mais dont le foyer est situé dans une autre partie du cortex.

Ces questions demeurent actuellement sans réponse.

Les épilepsies partielles cryptogéniques et symptomatiques, ainsi que les épilepsies indéterminées représentent un groupe très important non seulement par leur fréquence mais aussi parce que on y trouve le plus d’épilepsies pharmacorésistantes, telle que l’épilepsie médiotemporale avec une sclérose hippocampique.

C’est un syndrome difficile à dépister lors du diagnostic initial. Bien qu’environ 60 % des adultes opérés aient eu leur première crise pendant l’enfance, les premières années du trouble ont été souvent marquées par des périodes assez longues sans crises.

De plus, il est probable que leur diagnostic n’était pas évident d’emblée.

La sclérose hippocampique n’est que rarement apparente lors du début de l’épilepsie et peu d’enfants opérés ont une sclérose hippocampique.

Il convient encore de souligner l’hétérogénéité des épilepsies partielles cryptogéniques et symptomatiques.

Le manque de spécificité de nos diagnostics n’est qu’une mesure de notre ignorance.

Les éléments pouvant permettre d’individualiser avec précision ces formes d’épilepsies ne sont pas encore connus.

E – ÉTIOLOGIE :

Les termes choisis pour indiquer l’étiologie correspondent probablement moins à la réalité qu’on ne le souhaiterait.

Dans la classification de 1989, le terme « cryptogénique » signifie probablement « symptomatique mais dont la cause n’est pas encore identifiée ».

Or, il y a peut-être parmi les syndromes cryptogéniques des syndromes idiopathiques non encore reconnus.

Il existe également une controverse sur la véritable signification des termes « idiopathique » et « cryptogénique » due aux découvertes récentes dans le domaine des bases génétiques et neurophysiologiques des désordres épileptiques.

Pour le moment, il serait sage de considérer que le mot « cryptogénique » signifie seulement incertitude, cause non identifiée.

Outre ces questions de sémantique, un reproche bien plus grave peut être fait à la classification de 1989, celui d’avoir rassemblé sous l’étiquette « symptomatique » des faits extrêmement différents.

Les épidémiologistes ont établi une liste des facteurs de risque pour le développement de crises épileptiques, selon une dichotomie.

Il y a des crises provoquées, survenant en relation temporelle étroite avec une agression aiguë, cérébrale ou systémique, comme une affection métabolique, une intoxication, une infection, un accident vasculaire cérébral, un traumatisme crânien.

Ces crises, pouvant être uniques, et ne survenant que pendant la phase active de l’agression, ne sont évidemment pas des épilepsies, mais figurent sans détail dans les syndromes spéciaux de la classification syndromique. D’autres crises ne sont pas provoquées et ont tendance à se répéter, constituant donc une épilepsie.

Elles sont réparties en deux grands groupes : crises en rapport avec une lésion cérébrale non évolutive (séquelle d’infection, de traumatisme, ou d’accident vasculaire cérébral) et crises en rapport avec une affection évolutive (tumeur à évolution lente, infection, parasitose, maladies dégénératives ou métaboliques).

Il est bien évident que les causes des crises ont au moins autant d’importance que leurs formes, en ce qui concerne la prise en charge des patients.

Futur :

Presque tous les aspects de la classification actuelle, et même son objectif, sont controversés.

Devrait-elle être un outil commode pour aider les cliniciens dans la prise en charge de leurs patients et pour faciliter la communication entre les médecins (généralistes, neurologues, épileptologues, et neurochirurgiens) : un outil pragmatique pour les jardiniers ?

Ou devrait-elle être un dépôt organisé de toutes les informations scientifiques concernant les causes et les mécanismes physiopathologiques, génétiques, immunologiques, et neurophysiologiques impliqués dans les épilepsies : un schéma pour les botanistes scientifiques mais qui n’a peut-être pas beaucoup d’utilité dans la pratique quotidienne ?

En théorie, puisque la médecine moderne est censée être fondée sur la science, il n’y pas de conflit entre ces deux buts pourtant il semble que leur rapprochement ne se réalisera que dans le futur. Plusieurs changements sont en cours.

Dans la classification actuelle, un fossé infranchissable sépare les épilepsies partielles des épilepsies généralisées.

Cette distinction est considérée comme trop rigide, et la possibilité d’un continuum est envisagée.

La signification du mot « cryptogénique » devient de plus en plus incertaine.

On considère de plus près la relation entre les épilepsies idiopathiques généralisées et les épilepsies cryptogéniques généralisées leur cherchant des points communs.

C’est une reprise d’idées formulées il y a plus de trente ans.

Dans cette optique, on réexamine les syndromes enfermés sous l’étiquette d’épilepsies indéterminées avec des signes généralisés et partiels.

Par exemple, l’épilepsie sévère myoclonique du nourrisson semble avoir des points communs avec les syndromes idiopathiques généralisés.

Des défauts portant sur le même gène, SCNA1, ont été trouvés à la fois chez des patients présentant des crises fébriles et dans les familles atteintes du syndrome d’« épilepsie généralisée avec crises fébriles plus ».

Cependant, il reste à déterminer si des défauts du gène SCNA1 sont spécifiques à ces syndromes ou sont retrouvés dans d’autres formes d’épilepsie.

Une relation entre l’épilepsie bénigne à pointes centrotemporales, syndrome évoluant toujours favorablement, et le syndrome de Landau-Kleffner, grave du fait d’habituelles séquelles neuropsychologiques est envisagée en raison de certaines similarités des anomalies EEG et parce que les enfants souffrant d’une épilepsie rolandique peuvent avoir des troubles du langage.

On propose même que l’épilepsie rolandique et le syndrome de Landau-Kleffner représentent deux extrêmes d’un spectre.

Est-ce que ces constatations indiquent un lien entre les deux syndromes ou, alternativement, est-ce que les troubles linguistiques sont la marque de n’importe quel dérangement dans ou près des multiples aires corticales intervenant dans la production du langage ?

Plus généralement, le terme « idiopathique » se rapportant à l’étiologie et le terme « bénin » au pronostic, les associer dans une même dénomination n’est peut-être ni très pertinent, ni très scientifique.

Certaines similarités phénotypiques et découvertes génétiques suggèrent que les syndromes idiopathiques généralisés de l’adolescence sont un seul syndrome avec une expression phénotypique variable.

Bien qu’il reste beaucoup à faire pour vérifier cette hypothèse, c’est un des premiers exemples de l’application des méthodes modernes de la génétique aux problèmes de la définition des syndromes.

Ainsi, nous sommes au seuil de démonter l’ancien système et de le reconstruire à la lumière des informations des dernières années pour le rendre plus flexible et utile.

Il y a pourtant un piège qu’il faut éviter à tout prix.

L’ancienne classification surtout les parties s’adressant aux syndromes des enfants et des adolescents représente les résultats d’observations de cliniciens très doués.

Leurs recherches ont résisté pour la plupart aux épreuves du temps.

Les phénomènes qu’ils ont identifiés, décrits et précisés au fil des années semblent être réels dans un sens objectif même s’il existe encore des détails à préciser et des changements à effectuer.

Il semble que la plupart des syndromes les plus distincts et les plus reconnaissables grâce à ces méthodes aient été identifiés.

La prochaine tâche sera de distinguer et de reconnaître les véritables syndromes pour lesquels les différences sont beaucoup plus subtiles, surtout parmi les syndromes partiels non idiopathiques, ainsi que parmi les syndromes idiopathiques généralisés qui ne sont pas davantage différenciés.

Il se peut que ces différences ne soient pas évidentes pour le clinicien en fonction de la sémiologie des crises et des anomalies EEG spécifiques ou d’autres éléments faciles à observer.

Plusieurs de ces différences s’individualiseront au niveau des réseaux neuronaux, des gènes et des mécanismes neurophysiologiques.

L’ancienne méthode utilisée pour identifier les syndromes n’est ni systématique ni scientifique. Sa validité ne repose que sur la qualité de l’observateur, son expertise, et sa perspicacité.

Cela suffisait et était convenable dans un premier temps, mais ne l’est plus maintenant.

Du fait de notre connaissance accrue des contributions génétiques, de la relation complexe entre les génotypes et les phénotypes, des effets et des interactions du milieu, et des interactions avec le cerveau immature, nous avons besoin d’une approche plus exacte qui puisse englober tous ces niveaux d’information.

En effet, il est temps d’adopter une approche scientifique, ce qui exigera tout d’abord une définition rigoureuse et significative du terme « syndrome » dans le contexte de l’épilepsie.

Il n’en existe pas encore à l’heure actuelle. Idéalement, un syndrome devrait représenter une véritable entité biologique, quelque chose de cohérent à un niveau fondamental.

Sans savoir exactement ce qu’un syndrome constitue, il reste difficile de déterminer si un certain phénomène représente un syndrome ou si deux phénomènes représentent le même syndrome, ou deux syndromes distincts.

De plus, nous avons besoin de méthodes objectives et scientifiques pour évaluer un ensemble de preuves et déterminer s’il justifie ou non l’existence d’un syndrome distinct.

Il n’est pas étonnant que des chercheurs français aient déjà considéré ce point.

Par exemple, Loiseau et al ont utilisé la taxonomie numérique (une des premières tentatives statistiques des biologistes évolutionnistes) pour proposer un tri dans les épilepsies myocloniques et dans les épilepsiesabsences.

Kaminska et al ont plus récemment utilisé l’analyse de correspondance pour distinguer les syndromes de Doose et de Lennox-Gastaut.

Ces travaux sont des exemples fascinants et remarquables de l’application aux problèmes de l’épilepsie des techniques statistiques développées dans d’autres spécialités.

Elles permettent d’entrevoir les possibilités de ces techniques.

Parce que les exigences de l’épilepsie sont très particulières, il faudra avoir recours à des moyens autres que les méthodes statistiques pour résoudre ces problèmes.

De même, sans une définition du terme « syndrome », il est difficile de préciser davantage les caractéristiques d’une telle méthodologie.

Conclusions :

L’idée essentielle de syndrome est d’une importance infinie.

L’introduction de ce concept a changé la prise en charge des patients parce que l’identification du syndrome peut influencer l’évaluation et le traitement et fournir des informations quant à son devenir probable.

En outre, avoir des syndromes spécifiques facilite la recherche étiologique et thérapeutique.

La classification actuelle, développée principalement pour les épilepsies chez les enfants et les adolescents, s’est déjà montrée valide, utilisable et utile chez ces patients. Pourtant les épilepsies de la moitié des enfants et de la plus grande majorité des adultes ne se prêtent pas à un découpage syndromique aussi net.

Même les syndromes considérés comme très spécifiques chez les jeunes ne s’y prêtent pas toujours.

Jusqu’ici, l’approche syndromique était largement fondée sur l’avis d’experts et fonctionnait sans avoir de définition rigoureuse d’un « syndrome » et sans méthodes scientifiques pour en déterminer l’existence.

Il est temps d’adopter un nouveau paradigme dans lequel la recherche sur les syndromes suivra une ligne scientifique avec des méthodes rigoureuses, ce qui permettra d’incorporer les informations concernant de nouveaux domaines scientifiques pour mieux caractériser les causes spécifiques et les mécanismes des épilepsies.

Cela remplacera l’ancienne qui a certainement établi la discipline mais qui, finalement, était plutôt descriptive et a privilégié les données phénoménologiques.

À long terme, une nouvelle approche pourrait un jour permettre de prévenir et de guérir des épilepsies qu’aujourd’hui nous ne pouvons que traiter avec un taux de réussite trop souvent insatisfaisant.

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