Cartographie génétique de la pathologie osseuse

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Introduction :

Les maladies osseuses constitutionnelles forment un groupe hétérogène de maladies souvent responsables d’insuffisance staturale associée ou non à des déformations.

L’identification d’un grand nombre de gènes à leur origine permet maintenant d’en aborder les mécanismes physiopathogéniques.

Ces gènes sont impliqués soit dans la matrice cartilagineuse ou osseuse, soit dans la prolifération cellulaire, soit dans la différenciation terminale du chondrocyte dans la zone de croissance.

L’identification de ces gènes a été conduite grâce à plusieurs stratégies :

– mise en évidence de gènes candidats suspectés sur les données histopathologiques du cartilage ;

– localisation de la maladie par étude de liaison avec des marqueurs génétiques anonymes sur une région donnée, puis recherche de gène candidat par sa fonction dans la région.

Nous aborderons successivement les anomalies du collagène, les récepteurs de croissance fibroblastique, les anomalies d’une autre protéine de la matrice cartilagineuse (COMP) et d’un transporteur du sulfate (DTDST).

Puis nous présenterons un tableau récapitulatif des gènes identifiés à ce jour.

Anomalies du collagène :

Collagène de type I et ostéogenèse imparfaite :

L’ostéogenèse imparfaite est une affection transmise sur un mode autosomique dominant qui se caractérise par une fragilité osseuse responsable de fractures à répétition et d’une insuffisance staturale de gravité variable.

Cartographie génétique de la pathologie osseuse

Plusieurs phénotypes sont décrits en fonction de l’association à des sclérotiques bleutées, à une dentinogenèse imparfaite et de la sévérité de la fragilité : forme létale avec fractures multiples chez le foetus, aspect de côtes en « bambou » et absence d’ossification de la base du crâne, forme modérée avec fractures en nombre limité.

Le risque de transmission à la descendance pour un individu atteint est de 50 % et il existe en général une homogénéité intrafamiliale.

Lorsqu’il s’agit d’un premier cas dans une famille, c’est alors un événement accidentel apparu chez le cas index en rapport avec la survenue d’une néomutation.

L’observation de mosaïques germinales chez l’un des parents impose cependant un conseil génétique prudent.

Le collagène de type I est le constituant essentiel de la matrice osseuse et est codé par deux gènes COL1A1 et COL1A2.

Le collagène de type I est un hétérotrimère constitué de deux chaînes á1 et d’une chaîne á2 enroulées en triple hélice et qui résulte du clivage enzymatique des extrémités amino- et carboxyterminales du procollagène.

La région carboxyterminale est responsable de l’enroulement de la triple hélice qui est constituée d’une succession de 333 triplets Gly-X-Y.

La glycine occupe le centre de l’hélice et toute substitution la concernant conduit à une déstabilisation de la protéine et à une fragilité de la trame collagène du tissu osseux.

Les gènes COL1A1 et COL1A2 codant respectivement pour les chaînes á1 et á2 sont localisés sur les chromosomes 17 et 7.

Plus de 100 mutations dans l’un ou l’autre de ces gènes ont déjà été identifiées dans des formes d’ostéogenèse imparfaite.

Ces mutations sont réparties tout le long des gènes :

– grands réarrangements conduisant à une dégradation de la triple hélice et responsables de formes létales d’ostéogenèse imparfaite ;

– mutations d’épissage (substitutions ou délétions) dont les conséquences cliniques sont variables en fonction de la proximité de l’extrémité 3’ du gène ;

– mutations ponctuelles touchant la glycine ; les conséquences dépendent de :

– la position de la mutation dans les chaînes á1 ou la chaîne á2 ; – la nature de l’acide aminé qui substitue la glycine ;

– la nature de l’environnement en acides aminés qui entoure la glycine.

Les mutations situées dans la partie C-terminale sont généralement associées à des phénotypes sévères alors que les mutations de la région N-terminale sont associées à des phénotypes modérés.

Collagène de type II et chondrodysplasies :

Le collagène de type II est un homodimère abondant de la matrice cartilagineuse.

Le gène COL2A1 a été localisé en 12q13 et des mutations dans ce gène ont été rapportées en association avec des phénotypes variés :

– dysplasie spondyloépiphysaire, transmise sur un mode autosomique dominant et caractérisée par une platyspondylie, une dysplasie épiphysaire, un défaut d’ossification des branches ischiopubiennes et une insuffisance staturale sévère ;

– achondrogenèse de type II, nanisme létal caractérisé par des os très courts et un défaut d’ossification des corps vertébraux ;

– dysplasie de Kniest, nanisme sévère caractérisé par de grosses épiphyses des genoux, une absence de développement des épiphyses fémorales supérieures, une myopie sévère, parfois une surdité et une dysmorphie faciale ;

– dysplasie de Stickler, caractérisée par une dysplasie polyépiphysaire, une myopie, une surdité et un syndrome de Pierre Robin.

Les mutations en cause sont très variées et touchent tous les exons sans qu’il soit possible d’établir des corrélations génotype-phénotype.

Cependant, le syndrome de Stickler semble plutôt lié à des mutations entraînant l’apparition d’un codon stop et donc à un raccourcissement de la protéine alors que dans les autres affections une mutation faux sens transformant une glycine en sérine est souvent identifiée.

Comme dans l’ostéogenèse imparfaite, la glycine joue un rôle important dans la stabilité de la triple hélice et toute anomalie la concernant rend la protéine fragile.

Autres collagènes :

Des mutations dans les collagènes IX, X et XI ont été identifiées dans différentes chondrodysplasies :

– collagène X et dysplasie métaphysaire de Schmid ;

– collagène XI et dysplasie spondyloépiphysaire ;

– collagène IX et dysplasie polyépiphysaire.

Récepteurs de facteurs de croissance fibroblastiques :

L’achondroplasie est transmise sur un mode autosomique dominant et se caractérise par un nanisme rhizomélique avec hyperlordose lombaire, main courte en « trident », arcature des membres inférieurs et par une macrocéphalie avec racine du nez aplatie.

Radiologiquement, les os sont courts, les métaphyses larges, la hauteur du bassin est réduite et les toits du cotyle horizontaux, les distances des dernières vertèbres lombaires sont réduites et les pédicules courts.

L’âge paternel élevé et le caractère sporadique de l’affection sont en faveur de mutations récentes qui représentent 90 % des cas d’achondroplasie.

Une étude de liaison a permis de localiser le gène à l’origine de l’achondroplasie en 4p16 et, parmi les gènes de la région, le gène FGFR3 (fibroblast growth factor receptor 3) paraissait un bon gène candidat en raison de son expression dans les chondrocytes et également parce qu’une stimulation excessive des chondrocytes b-FGF semble entraîner l’inhibition de la différenciation terminale du chondrocyte.

Une même mutation dans le domaine transmembranaire au codon 380 (transition G-A) conduisant à la substitution d’une glycine en arginine a été identifiée chez tous les achondroplases étudiés à ce jour.

L’hypochondroplasie est une affection voisine caractérisée par une micromélie plus modérée et des signes radiologiques proches (diaphyses trapues, doigts courts, col du fémur court, diminution des distances interpédiculaires) et une mutation dans le domaine tyrosine kinase (codon 540) du gène FGFR3 a été retrouvée chez certains hypochondroplases, mais il semble exister une hétérogénéité génétique.

Des mutations de FGFR3 ont également été identifiées dans le nanisme thanatophore, caractérisé par une micromélie extrême, une étroitesse du thorax, une macrocéphalie majeure avec parfois crâne en « trèfle » et anomalies cérébrales et radiologiquement par des diaphyses courtes, des métaphyses larges, des côtes courtes et élargies, une platyspondylie.

Des mutations dans la région extracellulaire et dans la région tyrosine kinase du gène FGFR3 y ont été identifiées.

Des mutations dans le gène FGFR2 (10q26) ont ensuite été rapportées dans la maladie de Crouzon, le syndrome de Pfeiffer et d’Apert alors que des mutations de FGFR1 (8p11) sont responsables du syndrome de Pfeiffer.

Enfin, dans certaines formes de craniosténose (Crouzon avec acanthosis nigricans…), des mutations dans FGFR3 ont également été identifiées.

COMP (« cartilage oligomeric matrix protein ») et pseudoachondroplasie :

La pseudoachondroplasie est transmise sur un mode autosomique dominant et est caractérisée par une micromélie, une brièveté de la main et une incurvation en varus des membres inférieurs avec radiologiquement une dysplasie épiphysaire marquée et des limites métaphysaires irrégulières.

Des études de liaison ont permis la localisation de la maladie en 19p12-13.1 puis des mutations dans le gène COMP (délétion ou substitution) ont été identifiées chez les patients.

Une mutation du gène COMP a également été identifiée dans la dysplasie polyépiphysaire de Fairbanks, caractérisée par un défaut de croissance des épiphyses, des mains courtes et des anomalies de la tête fémorale, suggérant que, pseudochondroplasie et dysplasie polyépiphysaire de Fairbanks sont alléliques.

COMP est composée de plusieurs domaines calmoduline-like et EGF-like mais sa fonction n’est pas encore bien définie.

DTDST, transporteur de sulfate exprimé dans le cartilage :

Le nanisme diastrophique est caractérisé par une insuffisance staturale, des pieds bots, une hypoplasie du premier métacarpien, une déformation du poignet et des kystes des pavillons de l’oreille.

L’évolution est marquée par une scoliose évolutive, un défaut de croissance de la tête fémorale et une insuffisance staturale.

En 1990, une localisation en 5q est mise en évidence et, en 1994, un gène codant pour un transporteur de sulfate est identifié.

La protéine DTDST est particulièrement abondante dans le cartilage.

Des mutations ponctuelles conduisant à des codons stop ou à une mutation d’épissage sont retrouvées chez des patients affectés de dysplasie diastrophique.

Curieusement, des mutations dans ce même gène ont ensuite été identifiées dans deux affections létales très différentes, l’achondrogenèse de type Ib et l’atélostéogenèse de type II ou dysplasie de de la Chapelle.

L’analyse rétrospective montre cependant qu’il s’agit d’un même spectre d’anomalies de gravité variable. La découverte de ces gènes ouvre de nouvelles perspectives dans la compréhension des mécanismes de croissance et de différenciation osseuse, en objectivant l’intervention de protéines de structure, de récepteurs de croissance fibroblastique, d’enzymes ou de facteurs de transcription.

Elle illustre aussi l’hétérogénéité génétique et l’hétérogénéité allélique observées dans ces affections. En effet, un même gène peut être associé à des phénotypes très différents (famille des FGFR, gène DTSDT, gène COMP)et unmêmephénotype peut être associé à des mutations dans des gènes différents (hypochondroplasie, ostéogenèse imparfaite, Crouzon…).

Enfin, il faut souligner que, dans la majorité de ces affections, le diagnostic positif reste clinique et radiologique, et que le diagnostic moléculaire ne fait que confirmer un diagnostic déjà fortement suspecté.

Ce diagnostic moléculaire offre maintenant parfois la possibilité d’un diagnostic prénatal qui ne facilite pas toujours le conseil génétique lorsque ces affections ne sont ni létales ni associées à un retard mental.

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