Cancer du rectum

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Cancer du rectum
Épidémiologie :

Le cancer du rectum représente un tiers des cancers colorectaux, soit près de 10 000 nouveaux cas par an en France.

La responsabilité de l’environnement est suggérée par les études épidémiologiques.

Un apport calorique important et une vie sédentaire ont un rôle favorisant ; alors qu’à l’inverse la consommation de fibres a un rôle protecteur.

Anatomie pathologique :

Les cancers du rectum se développent 3 fois sur 4 à partir d’une lésion bénigne : l’adénome.

Ce sont, en règle, des adénocarcinomes dans leur forme typique : lieberkühnien plus ou moins différenciés (80 %) ; dans leur forme atypique : colloïde muqueux.

A – Tumeur :

L’histoire naturelle des cancers du rectum explique leur aspect macroscopique : au début, le cancer à la forme du polype qui lui a donné naissance, il est bourgeonnant.

Puis, le centre de la tumeur se nécrose et s’ulcère, la lésion devient ulcéro-bourgeonnante.

Ensuite, pour les mêmes raisons, la lésion devient ulcérée.

De ce fait, il y a un parallélisme entre l’aspect macroscopique et l’extension, pariétale et ganglionnaire : les lésions bourgeonnantes sont généralement des lésions débutantes et les lésions ulcérées des lésions évoluées.

B – Extension tumorale :

1- Extension locale :

Elle se fait en profondeur à travers la paroi rectale : la musculeuse est envahie, puis la graisse périrectale puis les organes de voisinage ; en avant, l’appareil urogénital et en arrière, le sacrum.

2- Extension lymphatique :

Elle intéresse en premier les ganglions périrectaux présents dans la graisse du mésorectum le long du pédicule mésentérique inférieur.

Cet ensemble, constitué par le rectum et le mésorectum, doit être enlevé par l’exérèse chirurgicale.

3- Extension métastatique :

Elle est d’abord hépatique du fait du retour veineux portal.

Elle peut être ensuite pulmonaire, osseuse…

C – Classification :

Les décisions thérapeutiques et le pronostic de la maladie dépendent de l’évolution de la lésion.

De multiples classifications histopronostiques sont utilisées, les plus habituelles sont la classification de Dukes et la classification TNM.

Elles sont basées sur l’examen de la pièce opératoire et en aucun cas sur les biopsies préopératoires.

Le bilan d’extension préopératoire, par l’imagerie, essaie de préjuger de cette classification.

La classification distingue essentiellement les cancers limités à la paroi rectale, ceux qui la traversent pour envahir les tissus périrectaux, ceux qui s’accompagnent de métastases ganglionnaires ou de métastases à distance.

Diagnostic :

Le cancer du rectum est le seul cancer digestif qui ait fréquemment une symptomatologie précoce.

Il s’agit des rectorragies isolées.

Elles sont secondaires à la nécrose et à l’ulcération de la tumeur.

Schématiquement, les manifestations cliniques du cancer du rectum correspondent à des stades évolutifs successifs.

A – Signes cliniques :

1- Rectorragies isolées :

Les rectorragies du cancer du rectum sont volontiers peu abondantes, accompagnant les selles.

Toutefois, ces caractéristiques cliniques n’ont aucune importance diagnostique.

Aucune ne permet d’éliminer un cancer ; si bien que devant toute rectorragie, un examen clinique et endoscopique s’impose.

2- Syndrome rectal :

Il est lié au volume de la tumeur et à son développement dans la lumière du rectum : rectorragie, écoulements glaireux, impression de plénitude rectale, de corps étranger, faux besoins.

3- Tumeur évoluée :

Si le malade n’a pas prêté attention à la symptomatologie précédente, ou si elle manque, des symptômes liés à l’évolution tumorale apparaîtront.

B – Examen clinique :

Le toucher rectal est un examen essentiel.

Il est réalisé vessie vide en faisant pousser le malade, soit en décubitus dorsal jambe fléchie, soit en décubitus latéral.

Il perçoit une tumeur irrégulière et dure, indolore, saignant au contact.

Elle peut être bourgeonnante, ulcéro-bourgeonnante ou ulcérée. Devant une masse de ce type, le diagnostic de cancer est vraisemblable.

Il doit être confirmé par une biopsie endoscopique.

Un toucher rectal normal ne permet pas d’éliminer un cancer (car il peut être situé plus haut) si bien que dans tous les cas le bilan doit être complété par une endoscopie.

L’examen clinique est par ailleurs généralement normal.

Il recherche une adénopathie sus-claviculaire (Troisier), et une hépatomégalie métastatique (foie dur, nodulaire).

C – Examens complémentaires à visée diagnostique :

L’endoscopie (rectoscopie au tube rigide et coloscopie) permet de voir la tumeur qui est caractéristique (irrégulière, dure, saignant au contact) et surtout de la biopsier.

Elle permet également de préciser son siège par rapport à la marge de l’anus ce qui conditionne les indications chirurgicales. Les localisations multiples, à la fois rectale et colique, sont relativement fréquentes (5 % des cas).

Un cancer du côlon doit donc être recherché systématiquement par coloscopie.

En raison de la valeur diagnostique de l’endoscope, le lavement baryté est généralement inutile.

Le dosage de l’antigène carcino-embryonnaire (ACE) n’est pas fait dans un but diagnostique car sa sensibilité est médiocre.

D – Bilan d’extension :

1- Régional :

L’extension de la tumeur à travers la paroi rectale jusqu’à la graisse périrectale et aux organes pelviens conditionne le choix du traitement et le pronostic.

Il est donc essentiel d’évaluer cette extension.

  • Le toucher rectal est utile en particulier lorsque la tumeur est évoluée et fixée. Toutefois, sa valeur dépend trop de l’expérience de l’examinateur.

Le toucher vaginal évalue l’état de la cloison recto-vaginale.

  • L’échographie endorectale est le meilleur examen.

Sa sensibilité est de 80 %.

Elle est meilleure pour les lésions superficielles que pour les lésions évoluées. Elle apprécie avec plus de sécurité l’envahissement à travers la paroi rectale que l’envahissement des ganglions du mésorectum.

  • Le scanner et l’urographie intraveineuse sont inutiles, sauf dans quelques cas de tumeurs évoluées.
  • L’imagerie par résonance magnétique (IRM) n’est pas utilisée car elle n’est pas supérieure à l’échographie endorectale.

2- À distance :

L’examen clinique a recherché une adénopathie sus-claviculaire et un foie métastatique.

Il est complété par :

  • une échographie hépatique qui recherche des métastases (nodules hypoéchogènes, images en cocarde).

Le scanner n’est utilisé que si l’échographie n’est pas de bonne qualité ;

  • la radiographie thoracique qui recherche des métastases pulmonaires.

En cas de difficulté, elle peut être complétée par un scanner.

E – Diagnostic différentiel :

Le problème essentiel est de ne pas négliger des signes minimes, tels que des rectorragies, ou de se contenter d’un toucher rectal normal.

Toute rectorragie nécessite une rectoscopie.

Toute tumeur nécessite une biopsie.

La biopsie élimine facilement d’autres lésions, telles que : ulcère solitaire du rectum, carcinoïde, tumeur épidermoïde du canal anal…

Elle ne permet pas toujours de différencier un cancer du rectum d’une tumeur bénigne, notamment villeuse, dégénérée mais non invasive (muscularis mucosae pas franchie).

Un examen et des macrobiopsies sous anesthésie générale peuvent être nécessaires.

Évolution :

Lorsque le diagnostic n’a pas été fait au moment de l’apparition des rectorragies ou du syndrome rectal, des symptômes liés à l’évolution tumorale apparaîtront : altération de l’état général avec asthénie, amaigrissement et anorexie ; sténose de la lumière digestive à l’origine de troubles du transit et plus rarement d’occlusion intestinale ; métastase hépatique, qui peut être le premier symptôme ; exceptionnellement signe d’envahissement pelvien : douleur sciatique, abcès périrectal, fistulisation recto-vaginale, etc.

Il s’agit en règle de la complication d’un cancer déjà connu.

Formes cliniques :

La symptomatologie décrite dans « les signes cliniques » est celle des cancers de l’ampoule rectale.

Les cancers de la partie supérieure du rectum ont une symptomatologie proche de celle des cancers du côlon.

À ce niveau, la lumière digestive, comme celle du côlon, est étroite.

La tumeur la sténose entraînant des troubles du transit : constipation, diarrhée, alternance des deux ; une occlusion intestinale (par obstruction , de type colique).

Cette zone échappe au toucher rectal.

Principes du traitement :

Le cancer du rectum est un adénocarcinome, c’est-à-dire une tumeur résistante à la radiothérapie et à la chimiothérapie.

Son traitement est donc chirurgical.

Toutefois, la radiothérapie est un traitement adjuvant à la chirurgie.

Le traitement du cancer du rectum a considérablement évolué au cours des dernières années : en particulier l’anus artificiel qui était utilisé dans environ 80 % des cas, ne l’est plus que dans 40 à 20 % selon les séries.

Le traitement est complexe.

Il doit faire l’objet d’une concertation multidisciplinaire.

Le traitement est lourd et comporte des séquelles.

Le patient doit en être informé (anus artificiel, risque de séquelles urogénitales).

A – Méthodes :

1- Traitement chirurgical :

Plusieurs techniques sont proposées :

  • la résection rectale partielle avec anastomose colorectale (ou résection antérieure) ;
  • la résection rectale totale avec anastomose colo-anale ;
  • l’amputation abdomino-périnéale du rectum qui comporte une résection du rectum, de l’anus et de l’appareil sphinctérien, suivie de colostomie iliaque gauche ;
  • la colostomie peut être définitive pour une tumeur inextirpable ou provisoire pour protéger une anastomose (surtout colo-anale).

2- Traitement local :

Il consiste à détruire la tumeur par voie naturelle (transnasale).

Diverses modalités peuvent être effectuées : celles qui pratiquent l’exérèse de la lésion (et de la paroi rectale où elle s’implante) permettent d’évaluer par des coupes histologiques sériées l’extension en profondeur.

Les tumeurs limitées à la muqueuse, bien différenciées, sont celles qui ont le risque d’extension lymphatique le plus faible.

3- Radiothérapie :

Elle consiste à administrer 40 grays en plusieurs champs, étalés dans le temps (2 à 4 semaines).

La radiothérapie préopératoire est plus efficace et comporte moins de risque que la radiothérapie postopératoire. Elle permet de réduire la fréquence des récidives locales de 50 % ; l’amélioration de la survie n’est pas retrouvée dans toutes les séries.

4- Chimiothérapie :

La chimiothérapie adjuvante postopératoire (qui a fait la preuve de son intérêt dans le traitement des cancers du côlon Dukes C) n’a pas été suffisamment évaluée dans le traitement des cancers du rectum.

Son utilité n’est donc pas formellement prouvée.

B – Indications :

1- De la technique chirurgicale :

Elles dépendent du siège de la lésion :

  • les tumeurs situées de 15 à 7 cm de la marge de l’anus (tiers supérieur et tiers moyen du rectum) relèvent d’une résection rectale suivie d’anastomose colo-rectale ou coloanale ;
  • les tumeurs situées au-dessous de 4 cm, c’est-à-dire celles qui envahissent le canal anal, relèvent d’une chirurgie mutilante : amputation abdomino-périnéale ;
  • les tumeurs situées entre les deux (tiers inférieur du rectum) relèvent habituellement d’une exérèse mutilante : amputation abdomino-périnéale. Une exérèse conservatrice est possible (anastomose colo-anale) mais en cours d’évaluation.

2- De la radiothérapie :

Elles dépendent de l’extension régionale : Un envahissement de la graisse périrectale et (ou) des ganglions périrectaux expose à un risque élevé de récidive et justifie une radiothérapie adjuvante préopératoire.

3- Du traitement local :

Elles dépendent de l’état général du patient et de l’évolution de la lésion.

Une tumeur peu évoluée, supposée Dukes A, chez un sujet à risque opératoire élevé, relève d’un traitement local.

4- En cas de tumeur métastasée (Dukes D) :

  • En cas de métastase hépatique sans dissémination extra-hépatique, une exérèse chirurgicale est souhaitable, si le nombre de métastases le permet (< 4).
  • En cas de métastase inaccessible à une résection, le traitement est palliatif.

Il relève de la chimiothérapie palliative. Le 5 FU associé à l’acide folinique comme pour les lésions coliques peut retarder la survenue des symptômes. L’exérèse de la lésion primitive est souhaitable mais ne devrait pas comporter d’anus artificiel.

C – Résultats :

1- Résultats à long terme :

Après exérèse, les chances de guérison sont pour l’ensemble des patients de l’ordre de 50 %.

Elles varient selon le stade histologique : Dukes A : 90 %, Dukes B : 60 %, Dukes C : 40 %.

Le taux de récidives pelvienne est d’environ 25 %.

Elles entraînent des douleurs intenses par envahissement du plexus sacré.

Leur prévention relève de la radiothérapie adjuvante et de l’amélioration de la qualité de l’exérèse chirurgicale.

L’extension néoplasique est longtemps localisée au mésorectum ; c’est-à-dire à la graisse qui entoure le rectum, elle-même limitée par le fascia recti.

L’ablation totale du mésorectum pourrait réduire les récidives pelviennes à 10 % voire 5 %.

2- Séquelles :

L’anus artificiel est une infirmité dont la gravité a diminué avec les progrès de l’appareillage des colostomies.

La réinsertion des patients est facilitée par les soins d’infirmières spécialisées (stomathérapeute) et par l’entraide des associations de stomisés.

La chirurgie traditionnelle ne se soucie pas de l’innervation pelvienne, si bien que les troubles sexuels sont fréquents (plus de 50 % des cas).

Le patient doit en être informé.

Des travaux récents font penser que l’on peut préserver l’innervation urogénitale et éviter les séquelles sexuelles sans compromettre la qualité de l’exérèse carcinologique.

3- Surveillance postopératoire :

Les cancers du rectum, avec ceux du côlon, ont la particularité d’être les cancers digestifs qu’il est le plus justifié de surveiller attentivement après exérèse chirurgicale car les récidives peuvent être traitées de façon efficace.

D – Surveillance :

1- Coloscopie :

Un patient qui a présenté un cancer du rectum peut avoir une seconde localisation colique (5 % des cas).

Pour cette raison, une surveillance coloscopique est indispensable. Elle est faite à 1 an, 3 ans puis tous les 5 ans.

2- Antigène carcino-embryonnaire :

Après exérèse, le taux d’ACE se normalise en 3 mois si la résection est complète.

La réapparition d’une élévation correspond dans 95 % des cas à une récidive (sensibilité), et 80 % des récidives s’accompagnent d’une augmentation de l’ACE (spécificité).

Il est recommandé de doser l’ACE tous les 3 mois, ce qui permet le diagnostic de récidive pelvienne plusieurs mois avant la symptomatologie clinique.

Toutefois, il n’est pas évident que cela permette de guérir plus de patients et la surveillance de l’ACE est remise en question.

3- Échographie hépatique :

Elle est réalisée tous les 3 à 6 mois pendant 3 ans, puis tous les ans pendant 2 ans.

Elle permet la recherche de métastases hépatiques, mode de récidive le plus fréquent. Une exérèse est souhaitable chaque fois qu’il y a moins de 4 métastases.

L’exérèse assure des chances de guérison (30 % de patients en vie à 5 ans).

4- Radiographie pulmonaire :

Elle est faite tous les ans pendant 5 ans.

Elle permet de rechercher une métastase pulmonaire isolée qui peut, comme les métastases hépatiques, justifier une exérèse chirurgicale.

5- Échographie endorectale :

Elle permet de rechercher une récidive locale.

Elle est toutefois en cours d’évaluation.

La surveillance doit être particulièrement attentive au cours des 2 premières années, car dans ce délai sont apparues 80 % des récidives.

Prévention :

La prévention des cancers du rectum est théoriquement possible grâce à la détection et à l’exérèse des adénomes.

L’hémocult détecte la présence de sang dans les selles mais les faux positifs de cette technique (sang d’origine alimentaire), et les faux négatifs sont fréquents. Son usage se limite aux campagnes de dépistage.

La coloscopie est réservée à la prévention des sujets et des malades à risque.

1- Sujets à risque :

On distingue trois niveaux de risque :

  • le risque moyen est celui de la population générale.

Il devient important à partir de 50 ans ; l’incidence double alors à chaque décennie.

Le dépistage est fait par l’hémocult ;

  • les sujets à risque élevé (risque multiplié par 4 par rapport à la population générale).

Ce sont les sujets qui ont un antécédent personnel de cancer colo-rectal ; un apparenté au premier degré atteint ; une coloscopie doit être faite tous les cinq ans ;

  • les sujets à risque très élevé.

Il s’agit de la polypose rectocolite familiale ; du cancer colique familial sans polypose (HNPCC ou syndrome de Linch) ; il est suspecté en présence de trois critères dits critères d’Amsterdam : 3 parents atteints, 2 générations successives, un avant 50 ans.

Dans ces deux cas, la recherche du gène muté permet de reconnaître les sujets qui ont hérité du risque, ce qui justifie une coloscopie tous les deux ans.

2- Maladies à risque :

Les maladies inflammatoires favorisent le développement d’un cancer.

C’est particulièrement le cas de la rectocolite hémorragique après 10 ans d’évolution.

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