Cellule cancéreuse

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• Les cellules cancéreuses ont 2 caractéristiques : elles se divisent sans être soumises aux contrôles normaux de la croissance cellulaire et sont capables d’envahir des tissus normalement réservés à d’autres cellules.
• La transformation cancéreuse résulte de lésions génétiques multiples sur des gènes régulant la croissance et la différenciation cellulaire : les proto-oncogènes normaux qui vont subir des mutations activatrices dans les cellules cancéreuses, les transformant ainsi en oncogènes (capables notamment d’entraîner une division cellulaire inappropriée) et les anti-oncogènes, ou plutôt gènes suppresseurs de tumeurs, détruits ou non fonctionnels dans les cellules cancéreuses. Le cancer est essentiellement une maladie des gènes.
• La plupart des oncogènes codent pour des protéines impliquées dans la transmission du signal mitotique induit par les facteurs de croissance de la membrane jusqu’au noyau. Ces facteurs fréquemment produits en excès par les cellules cancéreuses vont parfois jouer des rôles multiples : facteur de survie (antiapoptotique), facteur mitogénique, de motilité ou angiogénique.

Cellule cancéreuseLes lésions des oncogènes et des gènes suppresseurs de tumeur affectent l’interaction des cellules tumorales avec leur environnement normal et permettent leur dissémination dans l’organisme, en altérant la structure ou la fonction des molécules d’adhésion cellulaire, en induisant la production de facteurs de motilité et d’enzymes capables de détruire la matrice extracellulaire. Ces altérations permettent aux cellules tumorales de coloniser et de se diviser dans les tissus où elles ne résident pas normalement.

Phénotype et clonalité des cellules cancéreuses :

Quel que soit leur tissu d’origine, les cellules cancéreuses présentent des anomalies phénotypiques et fonctionnelles communes. La taille de la cellule cancéreuse et de son noyau est fréquemment augmentée par rapport à la cellule normale et varie au sein de la population cellulaire tumorale (anisocytose, anisocaryose). Elle conserve souvent une morphologie arrondie comme les cellules en mitose. Son noyau présente une chromatine irrégulière et la proportion des cellules en mitose (index mitotique) est augmentée. Sur le plan fonctionnel, les cellules cancéreuses présentent des altérations de l’expression ou de la fonction de molécules d’adhésion à la matrice extracellulaire, une réorganisation du cytosquelette d’actine du cortex cellulaire, une motilité accrue, une augmentation de la production de facteurs de croissance, d’activateurs du plasminogène et d’enzymes capables de dégrader les composants de la matrice. Les principales anomalies fonctionnelles des cellules cancéreuses portent cependant sur leurs capacités de croissance et de division : elles peuvent se diviser en présence de très faibles concentrations de facteurs de croissance et ont perdu la capacité d’arrêter de se diviser lorsque la densité cellulaire est élevée et que les cellules sont en contact les unes avec les autres (perte de l’inhibition de contact). Elles sont capables de se diviser sans attache avec une surface solide (perte de la dépendance d’ancrage) et peuvent pousser dans des milieux semisolides tels que l’agar mou. Enfin, elles sont capables d’un nombre illimité de divisions cellulaires sans subir le phénomène de sénescence (immortalisation) et d’induire des tumeurs après injection chez des animaux susceptibles (souris athymiques). Bien que le terme « transformation » ne désigne stricto sensu que la modification transmissible à la descendance des propriétés d’une cellule eucaryote, dans le cas des cellules animales en culture, le terme « transformation » est fréquemment utilisé pour désigner l’acquisition de propriétés analogues à celles des cellules cancéreuses. On classe les cancers selon le tissu et le type cellulaire dont ils proviennent. On distingue ainsi les carcinomes (tumeurs malignes issues de cellules épithéliales) qui sont les cancers les plus fréquents de l’adulte ; les sarcomes (cancers provenant des cellules du tissu conjonctif, spécialisé ou non) ; les tumeurs du système hématopoïétique (leucémies ou lymphomes) ; les tumeurs du système nerveux central ; les tumeurs embryonnaires… Dans ces différents types cellulaires, les voies de contrôle de la différenciation et de la croissance cellulaire utilisent souvent des mécanismes moléculaires communs. La cancérisation de la cellule est la conséquence de mutations de gènes codant pour des protéines impliquées dans ces différentes voies de régulation. Les cancers correspondent le plus souvent à la prolifération d’un clone cellulaire dérivant d’une seule cellule anormale. Cela a pu être démontré chez les femmes par l’analyse de l’origine paternelle ou maternelle du chromosome X inactivé dans les cellules tumorales qui montre que toutes les cellules tumorales ont le même chromosome X inactivé. Cela a pu être confirmé plus finement par l’analyse de la séquence nucléotidique des sites de translocations chromosomiques spécifiques, telles que la t(9,22) dans la leucémie myéloïde chronique (LMC), qui sont toujours identiques dans une même tumeur chez un individu, mais le plus souvent différentes dans deux tumeurs de même histologie chez deux individus différents. Ces observations démontrent l’origine clonale de la plupart des cancers. Il existe cependant quelques exceptions et certaines proliférations cellulaires tumorales, notamment des lymphomes de sujets immunodéprimés, peuvent comporter une population cellulaire polyclonale ou oligoclonale.

Anomalies génétiques des cellules cancéreuses :

MUTATIONS DE L’ADN NÉCESSAIRES POUR LA TRANSFORMATION CANCÉREUSE :

Des mutations de l’ADN de la cellule sont à l’origine de la majorité des cancers. Il existe une corrélation entre le potentiel mutagène pour l’ADN de produits chimiques (méthylcholanthrène, 2-naphtylamine) et leur potentiel carcinogène. Il est cependant rare qu’une seule mutation soit suffisante pour entraîner la transformation maligne. En général, plusieurs mutations dans des gènes différents sont requises pour l’acquisition d’un phénotype cancéreux. On estime ainsi qu’il faut entre 3 et 7 mutations indépendantes pour transformer une cellule normale en cellule cancéreuse. La nécessité de plusieurs mutations indépendantes pour la transformation d’une cellule explique le délai souvent long (plusieurs années) entre l’exposition à un carcinogène et l’apparition d’un cancer. Au cours de cet intervalle, les cellules initialement mutées acquièrent des mutations supplémentaires dans d’autres gènes qui contribuent à la transformation cancéreuse. Chez les individus non exposés à des carcinogènes, la transformation maligne survient au hasard et provient de plusieurs mutations aléatoires dans une même cellule, qui mettent des années à se constituer. De ce fait, l’incidence de la plupart des cancers augmente de manière exponentielle avec l’âge. Chez les individus porteurs d’une mutation constitutionnelle de certains gènes, notamment de gènes suppresseurs de tumeurs tels que p53, APC ou BRCA-1 (v. infra), les cancers surviennent plus précocement, une première « étape » dans le processus de transformation cancéreuse ayant été franchie dans toutes les cellules somatiques de l’individu. Le développement d’un cancer peut également être favorisé par des facteurs qui n’induisent pas de mutation de l’ADN mais stimulent la prolifération cellulaire ou bloquent la différenciation. Ces produits non mutagènes sont appelés promoteurs tumoraux. Dans un premier temps, l’exposition a un carcinogène induit une première lésion génétique latente. Cette étape est parfois appelée initiation tumorale. La lésion génétique ainsi induite permet la transformation cancéreuse à la faveur soit de l’acquisition d’anomalies génétiques supplémentaires telles que celles décrites ci-dessus, soit après exposition répétée à ces promoteurs tumoraux qui vont stimuler la division cellulaire ou bloquer le processus normal de différenciation. Comme exemple de promoteurs tumoraux, on peut citer les esters de phorbol qui agissent en activant la protéine kinase C. Les corrélations épidémiologiques entre les antécédents gynéco obstétricaux d’une patiente (âge des premières règles, de la première grossesse, de la ménopause) et le risque relatif de cancer du sein suggèrent que les hormones sexuelles, notamment les œstrogènes, jouent un rôle de promoteur tumoral pour certains cancers du sein. Au total, le processus de transformation cancéreuse est la conséquence de l’accumulation de mutations de l’ADN pour la plupart des tumeurs humaines et animales.

GENES IMPLIQUÉS DANS LA TRANSFORMATION MALIGNE :

La progression tumorale correspond à un phénomène dynamique qui, à chaque étape, sélectionne une cellule ayant acquis un avantage de croissance (soit une activation de la multiplication cellulaire, soit une inhibition de la mort cellulaire). Notre organisme est composé d’environ 5 x 1012 cellules réparties dans plus de 200 types cellulaires différents. Leur multiplication et leur durée de vie sont rigoureusement contrôlées : certaines cellules, telles les cellules nerveuses, ne nécessitent pas un renouvellement constant, d’autres, telles les cellules sanguines, sont perpétuellement en cours de division. Le contrôle de la croissance cellulaire résulte d’un équilibre permanent entre facteurs stimulateurs et facteurs inhibiteurs de la croissance cellulaire. Au cours de la vie cellulaire, l’ADN est soumis à des agressions qui peuvent résulter d’erreurs de la machinerie cellulaire de réplication ou d’agents extérieurs comme les agents génotoxiques carcinogènes mentionnés ci-dessus. De façon générale, ces altérations de l’ADN sont immédiatement réparées par des mécanismes spécialisés. Cependant, dans de rares cas, la réparation ne se fait pas ou mal, et une mutation génique apparaît. Si cette mutation atteint et modifie la structure d’un gène codant pour un facteur qui contrôle la prolifération cellulaire ou le phénomène de mort cellulaire (apoptose), la cellule peut acquérir un avantage de croissance à l’origine d’une expansion clonale. La description de gènes impliqués dans la transformation maligne a permis d’élaborer une théorie unifiée concernant les mécanismes moléculaires mis en jeu dans la genèse d’une tumeur. Deux grandes catégories de gènes peuvent ainsi être distinguées : les gènes dont les produits contribuent à stimuler la prolifération cellulaire et ceux dont le produit réprime la prolifération cellulaire. Les premiers gènes sont appelés en général oncogènes et les seconds anti-oncogènes ou plutôt gènes suppresseurs de tumeur.

  1. Oncogènes :

Si l’on exclut certains oncogènes viraux (notamment de virus à ADN), les oncogènes sont le plus souvent des gènes cellulaires mutés. Le terme proto-oncogène désigne le gène cellulaire normal, qui est muté en oncogène dans une cellule tumorale, favorisant ainsi la transformation cancéreuse de la cellule. La mutation d’un oncogène rend en général le gène « hyperactif » et ces mutations sont généralement dominantes. Les oncogènes ont été découverts initialement dans des rétrovirus responsables de tumeurs animales. Le premier rétrovirus ainsi individualisé est un virus du poulet, le virus de sarcome de Rous. Il contient un gène appelé v-src, qui n’est pas indispensable à la réplication virale mais qui a été prélevé accidentellement par le virus dans une cellule hôte antérieure. Le gène viral v-src possède ainsi un homologue cellulaire normal, désigné c-src et qui est présent dans le génome de la plupart des vertébrés. Le gène cellulaire c-src code pour une protéine membranaire qui intervient dans la transduction du signal mitotique. Les modifications qualitatives du gène src chez le virus provoquent une activation anormale de la protéine, expliquant ses capacités transformantes. On s’est secondairement rendu compte que beaucoup de tumeurs humaines, non induites par un virus, présentaient des mutations activatrices du proto-oncogène c-src qui le transforment en un oncogène. D’autres oncogènes contenus dans des rétrovirus responsables de sarcomes ou de leucémies chez les oiseaux ou les mammifères ont été individualisés. Ces oncogènes viraux (v-onc) possèdent un homologue cellulaire (c-onc), qui est muté dans certaines tumeurs humaines non liées à des rétrovirus. Ces oncogènes sont très souvent impliqués dans la transmission d’un signal de prolifération cellulaire du milieu extracellulaire jusqu’au noyau (fig. 1) : ce sont des gènes codant pour des facteurs de croissance ou cytokines (v-sis, homologue de la chaîne B du platelet derived growth factor, PDGF), des récepteurs de cytokines (v-erb-B1, v-kit, v-fms), des tyrosine kinases du feuillet interne de la membrane plasmique (v-src), intracytosoliques (v-fes), des sérine thréonine kinases (v-raf), des protéines fixant le guanosine triphosphate (GTP) (H-ras), des facteurs régulateurs de la transcription (v-fos, v-jun, v-rel), des récepteurs d’hormone liposoluble (v-erbA). Tous les oncogènes n’ont cependant pas été identifiés dans des rétrovirus. D’autres oncogènes, et donc d’autres proto-oncogènes, ont été identifiés dans les tumeurs humaines par transfection de lignées de fibroblastes immortalisées NIH 3T3 par de l’ADN provenant de lignées tumorales. Au total, près d’une centaine d’oncogènes ont désormais été identifiés. Les mutations observées dans les proto-oncogènes modifient la séquence des acides aminés de la protéine en modifiant ses propriétés fonctionnelles, lui conférant une activité permanente et non régulable par les processus normaux de contrôle. Les rétrovirus peuvent également activer un proto-oncogène en s’insérant à proximité de ses séquences régulatrices, conduisant ainsi à sa surexpression : on parle alors de mutagenèse insertionnelle. En fait, différents mécanismes d’activation d’un oncogène cellulaire peuvent être observés.

  • La mutation ponctuelle a pour exemple classique la mutation des codons 12, 13 ou 61 du gène H-ras, qui empêche son produit protéique d’hydrolyser le GTP, lui conférant ainsi une activité biologique permanente.
  • Lors de la délétion d’une partie de la séquence codante, le gène c-erbB1 code pour le récepteur de l’epidermal growth factor (EGF) ; dans certaines tumeurs, on observe une délétion de la partie extracellulaire capable de fixer EGF et des mutations dans sa portion intracytoplasmique conférant à la protéine une activité tyrosine kinase permanente.
  • La translocation chromosomique va réunir dans une protéine de fusion le produit d’un gène activement transcrit et une partie des séquences codantes de l’oncogène, conduisant à la synthèse d’une protéine hyperactive ; un exemple de ce type de fusion est la protéine bcr-abl, produit de la translocation t(9,22) de la leucémie myéloïde chronique.
  • Parfois, la translocation va simplement mettre l’oncogène sous la dépendance du promoteur d’un gène activement transcrit, comme le gène des chaînes lourdes des immunoglobulines pour la t(8,14) des lymphomes de Burkitt.
  • L’amplification génique est décrite pour les gènes N-myc dans le neuroblastome.
  • L’insertion d’un élément génétique mobile (tel qu’un rétrovirus) à proximité du proto-oncogène entraîne l’activation de la transcription du gène. Le gène codant pour le fibroblast growth factor 3 (FGF-3) est ainsi activé par le mouse mammary tumour virus chez la souris conduisant à l’apparition de tumeurs mammaires. Les mutations des oncogènes ne surviennent pas isolément dans les tumeurs et très souvent, la mutation de plusieurs oncogènes est synergique pour l’acquisition d’un phénotype cancéreux. Ce phénomène est connu sous le nom de coopération des oncogènes.
  1. Anti-oncogènes ou gènes suppresseurs de tumeurs :

Certaines mutations vont inactiver des gènes dont le produit est impliqué dans le blocage de l’entrée dans le cycle cellulaire : on parle parfois à leur propos d’antioncogènes, mais le terme gène suppresseur de tumeur est généralement préféré. Beaucoup de gènes suppresseurs de tumeurs ont été identifiés grâce à l’étude des syndromes de prédisposition héréditaire aux cancers. C’est le cas du gène du rétinoblastome (Rb), premier gène suppresseur de tumeur identifié (1984) grâce à l’étude des familles atteintes de formes héréditaires de rétinoblastome. Dans la forme héréditaire de cette maladie, les individus atteints présentent souvent plusieurs tumeurs tandis que les formes sporadiques de rétinoblastome sont en général des tumeurs uniques. Le gène Rb a pu être identifié dans une région du chromosome 13 touchée par une délétion chez les individus atteints dans certaines de ces familles.On a pu montrer que dans les cellules de rétinoblastome, les 2 copies du gène sont inactivées, une 2e mutation ayant inactivé le gène Rb sur l’autre chromosome dans la cellule tumorale. La probabilité de survenue de cette 2e mutation est donc élevée dans ces cellules présentant toutes une mutation du 1er gène Rb, et plusieurs tumeurs peuvent ainsi survenir dans les cellules rétiniennes des 2 yeux ; en revanche chez les individus dépourvus de mutation de Rb constitutionnelle, le risque de survenue d’une mutation sur chacun des 2 gènes Rb dans la même cellule est très faible, expliquant ainsi la rareté de cette affection en dehors des formes familiales. La perte du gène Rb joue un rôle important dans des tumeurs plus fréquentes que le rétinoblastome. Les 2 copies du gène sont fréquemment altérées dans les cancers du poumon, du sein, de la vessie, les sarcomes. La protéine Rb, lorsqu’elle est déphosphorylée, inhibe la transcription de certains gènes, permettant l’entrée dans le cycle cellulaire. Lorsque les 2 copies du gène sont perdues ou lorsque la protéine Rb est phosphorylée (v. infra), il n’empêche plus la transcription et permet ainsi à la cellule d’accomplir une nouvelle division. Depuis la description initiale du gène Rb comme modèle de gène suppresseur de tumeur, de nombreux autres gènes suppresseurs de tumeurs ont été identifiés dans les tumeurs humaines : APC et DCC dans les tumeurs coliques, WT1 dans les tumeurs de Wilms, BRCA-1 et 2 dans les adénocarcinomes du sein, p53 dans une large variété de cancers. La protéine p53 est mutée dans une large variété de cancers humains. Une des fonctions de p53 est d’induire la production d’une protéine p21/WAF1 inhibitrice des kinases dépendantes des cyclines qui permettent à la cellule de passer le point de contrôle G1 du cycle cellulaire ; p53 est induite en réponse à des altérations de l’ADN et permet à la cellule d’arrêter sa progression dans le cycle, de réparer les lésions de l’ADN ou, si celles-ci sont irréparables, d’entraîner l’apoptose de la cellule altérée. Les mutations de p53 permettent à la cellule à la fois de se diviser et d’acquérir des mutations supplémentaires sur d’autres gènes. Les mutations constitutionnelles de p53 sont responsables d’un syndrome de prédisposition génétique aux cancers appelé syndrome de Li-Fraumeni. D’autres gènes suppresseurs de tumeurs sont mutés chez des sujets porteurs de prédispositions héréditaires au cancer. La polypose colique adénomateuse familiale résulte d’une mutation somatique d’un gène appelé APC ; les gènes de réparation msh-2 et mlh-1 sont altérés dans les cancers coliques familiaux non polyposiques, le gène WT1 dans les tumeurs de Wilms familiales. Certains gènes suppresseurs de tumeurs, comme p53 ou Rb, sont inactivés par d’autres mécanismes que des mutations inactivatrices. Les virus oncogènes à ADN, tels que les papillomavirus (impliqués dans les cancers du col de l’utérus) ou le virus polyome contiennent des protéines virales (protéines E6 et E7 de papillomavirus, antigène T et t de polyome) qui se fixent aux protéines p53 et à Rb bloquant ainsi leur fonction. Le virus peut ainsi utiliser à son profit les protéines cellulaires de réplication de l’ADN de l’hôte pour se répliquer. Dans certaines cellules, ces virus oncogènes à ADN vont s’in¬tégrer à l’ADN cellulaire et les protéines virales sont produites en permanence, bloquant ainsi en permanence la fonction des protéines Rb et p53 et favorisant la division cellulaire. À la différence des rétrovirus, ces protéines oncogènes des virus à ADN n’ont pas d’équivalent cellulaire et sont indispensables à la réplication virale.

  1. Modèle du carcinome colique :

Plusieurs mutations de proto-oncogènes ou de gènes suppresseurs de tumeurs sont donc requises pour la transformation d’une cellule normale en cellule cancéreuse. La genèse des anomalies moléculaires, de l’épithélium normal, à l’adénome puis à l’adénocarcinome a été particulièrement bien étudiée dans les cancers recto-coliques. La plupart des cellules d’adénocarcinome colique acquièrent au cours de leur transformation cancéreuse des mutations sur des gènes précis : le gène suppresseur de tumeur APC est perdu souvent avant l’apparition de l’adénome, l’oncogène K-ras est muté et le gène suppresseur de tumeur DCC est perdu au cours de la dédifférenciation de l’adénome ; puis une perte du gène p53 est observée lorsque le carcinome devient invasif. L’ordre de survenue de ces mutations peut probablement varier selon les tumeurs. Au-delà, la cellule tumorale acquiert des anomalies génétiques supplémentaires variables d’une tumeur à l’autre, à la faveur de l’instabilité génétique provoquée par la perte de p53. Chez les individus porteurs de mutations somatiques du gène APC et présentant une polypose adénomateuse familiale, toutes les cellules somatiques de l’individu et notamment les cellules épithéliales du colon ont franchi une 1re étape dans le processus de carcinogenèse, qui se produit donc avec une fréquence beaucoup plus élevée que dans la population générale et à un âge plus précoce.

  1. Défaut de réparation de l’ADN :

D’une manière générale, tout phénomène biologique qui augmente le taux de mutation de l’ADN augmente le risque de développer un cancer. On a identifié ainsi plusieurs syndromes de prédisposition au cancer qui résultent d’altération des systèmes de réparation de l’ADN. Le xeroderma pigmentosum est un syndrome dans lequel les individus, le plus souvent des enfants, présentent une anomalie d’un gène codant pour une des protéines impliquées dans la réparation des lésions de l’ADN dues aux ultraviolets et vont présenter des cancers cutanés multiples dans les 2 premières décennies de la vie. Les cancers héréditaires du côlon non polyposiques sont également liés à des altérations des gènes (msh-2, mlh-1) d’un système de réparation de l’ADN (réparation des mésappariements de l’ADN). L’inactivation de ce système entraîne l’apparition d’une instabilité génétique qui favorise l’accumulation progressive de mutations. L’instabilité génétique observée dans ce syndrome prédispose aux cancers du côlon et à d’autres cancers (endomètre, voies biliaires, estomac) à un âge précoce. D’autres mutations de gènes impliqués dans la réparation et la réplication de l’ADN sont responsables de maladies génétiques augmentant le risque de cancers comme le gène ATM dans l’ataxie télangiectasie. Chez les eucaryotes supérieurs, dont l’homme, la majorité des cellules sont en G0 où elles exercent leurs fonctions spécialisées. L’entrée d’une cellule dans le cycle cellulaire requiert la présence de facteurs de croissance dans le milieu extracellulaire et de l’ancrage de la cellule à la matrice extracellulaire par l’intermédiaire de molécules d’adhésion. Les cellules cancéreuses produisent fréquemment ces facteurs de croissance en excès, ou présentent une activation permanente de leurs récepteurs et des voies de transduction du signal en aval. Les facteurs de croissance sont des petites protéines de signalisation extracellulaire (cytokines) actives à très faibles concentrations (10-9 à 10-10 mmol) qui vont induire l’entrée de la cellule en phase S et parfois moduler la différenciation, la fonction et (ou) la migration des cellules cibles exprimant leurs récepteurs spécifiques. Ils agissent selon un mécanisme paracrine, parfois autocrine et, plus rarement, endocrine. Plus d’une centaine de facteurs de croissance ont désormais été identifiés. Leur nom provient des circonstances de leur découverte ou de leur fonction EGF et PDGF. Certains agissent sur une très grande variété de cellules (EGF, PDGF), d’autres sur une population cellulaire très limitée (interleukine 2, érythropoïétine). Certains facteurs de croissance, comme le TGF P (transforming growth factor (3) exercent des effets biologiques opposés (effet prolifératif ou antiprolifératif) dans des types cellulaires différents. Plusieurs de ces facteurs de croissance sont des proto¬oncogènes qui vont contribuer à l’acquisition d’un phénotype cancéreux lorsqu’ils sont produits en excès (PDGF, EGF, macrophage colony stimulating factor ou M-CSF) en agissant souvent selon un mécanisme autocrine (fig. 1). Ces facteurs de croissance interagissent avec la portion extracellulaire des récepteurs transmembranaires spécifiques présents à la surface de la cellule, parfois constitués d’une ou plusieurs chaînes différentes. Dans leur portion intracellulaire, ces récepteurs, après interaction avec leur ligand, exercent une activité enzymatique variable, tyrosine kinase (récepteur de l’EGF ou du PDGF), sérine thréonine kinase (récepteur du TGF ), ou interagissent avec des protéines G ancrées dans le feuillet interne de la membrane plasmique. D’autres récepteurs sont dépourvus d’activité enzymatique intrinsèque, mais s’associent à des protéines cytosoliques qui vont transmettre directement le signal ; c’est le cas de récepteurs d’interleukines (IL2, IL4, IL6), qui interagissent avec des kinases (janus kinases ou Jak) qui vont phosphoryler et activer directement des facteurs de transcription. Les récepteurs tyrosine kinases se « dimérisent » après interaction avec leur ligand, permettant ainsi une autophosphorylation de tyrosine dans leur portion intracytoplasmique; les récepteurs ainsi phosphorylés interagissent alors avec d’autres protéines cytosoliques, qui activent la protéine ras, qui active elle-même d’autres kinases intracytoplasmiques (c-raf). Par une cascade de phosphorylations, le signal induit par le facteur de croissance est transmis jusqu’au noyau induisant ainsi la transcription de certains gènes et permettant l’entrée dans le cycle cellulaire. Les facteurs de croissance induisent l’expression de 2 grandes classes de gènes, des gènes à réponse précoce (dont les proto-oncogènes c-fos et c-jun) et des gènes à réponse retardée, qui sont activement transcrits au-delà d’une heure après l’exposition de la cellule au facteur de croissance. Parmi ces derniers figurent les protéines de la machinerie de contrôle du cycle cellulaire, c’est-à-dire les cyclines, et les protéines kinases dépendant des cyclines qui permettent aux cellules de passer le point de restriction de fin de G1 et d’entrer en phase S. La protéine Rb joue un rôle important dans ce phénomène : dans la cellule en G0, Rb se lie sous sa forme déphosphorylée à des protéines régulatrices de la transcription qu’elle inactive. Après exposition à un facteur de croissance, Rb va être phosphorylée, libérant ainsi ces facteurs régulateurs de la transcription, permettant ainsi l’induction de la transcription de gènes tardifs. Ainsi, 2 phénomènes biologiques aussi différents que l’inactivation fonctionnelle de Rb par mutation des 2 copies du gène et l’activation permanente d’une voie de signalisation d’un facteur de croissance ont des conséquences assez similaires sur l’entrée d’une cellule dans le cycle cellulaire. Les facteurs de croissance, les récepteurs de facteurs de croissance ou les protéines cellulaires qu’ils activent en cascade sont des proto-oncogènes fréquemment mutés (c-erbB-1, c-ras, c-raf), surexprimés (c-erbB-2), amplifiés (c-erbB-2) dans les cellules cancéreuses induisant ainsi une activation permanente des voies de transduction du signal indépendamment de la présence du ligand (fig. 1). De ce fait, les cellules cancéreuses ont une moindre dépendance aux facteurs de croissance que les cellules normales. La perte de l’inhibition de contact résulte en fait d’une compétition entre les cellules poussant à haute densité pour l’utilisation des facteurs de croissance présents en faible quantité en culture. Les cellules cancéreuses affranchies de cette dépendance peuvent continuer à se diviser même en présence de très faibles concentrations de ces facteurs de croissance dans le milieu de culture.

Apoptose :

Le terme d’apoptose désigne un processus actif de mort cellulaire programmée, au cours duquel la cellule procède, par l’activation d’enzymes intracellulaires notamment, à une destruction de son ADN et de certaines protéines conduisant à sa propre mort. L’apoptose est un processus essentiel pour l’homéostasie de l’individu, intervenant dans des processus aussi divers que l’embryogenèse, la destruction des lymphocytes T autoréactifs, la destruction des cellules en sénescence, des cellules infectées par des virus, des cellules porteuses de mutations de l’ADN. Sur le plan morphologique, l’apoptose se traduit par une diminution de la taille de la cellule et de son noyau, qui se fragmente. L’ADN cellulaire est clivé en fragments multiples de 200 paires de bases correspondant à la longueur du brin d’ADN nucléosomique. Ce processus de dégradation des composants intracellulaires est exécuté en partie par une catégorie d’enzymes particulières appelées caspases dont on connaît désormais plus d’une dizaine de membres. L’entrée en apoptose et l’activation de ces caspases est également sous le contrôle d’une famille de protéines intracellulaires situées dans les membranes d’organites intracellulaires dont les mitochondries, les protéines de la famille bcl-2 ; certaines de ces protéines induisent l’apoptose, d’autres l’inhibent. Plusieurs types de signaux entraînent la cellule à s’engager dans un processus d’apoptose. Des protéines solubles ou transmembranaires (tumour necrosis factor alpha, TNF; ligand de Fas, TRAIL) interagissent avec des récepteurs spécifiques à la surface de la cellule cible (« récepteurs de mort ») qui activent la cascade des caspases dans la cellule. Leur mode d’action est ainsi très voisin de celui des facteurs de croissance et ils peuvent d’ailleurs parfois (TNF ) agir comme des facteurs de croissance et non pas d’apoptose pour certains types cellulaires. La privation de facteurs de croissance entraîne l’apoptose de certains types cellulaires notamment de cellules du système hématopoïétique. Les lésions irréparables de l’ADN, causées par des agents mutagènes comme les radiations ionisantes ou les agents cytotoxiques utilisés en chimiothérapie anticancéreuse entraînent l’apoptose. La protéine p53 normale intervient dans ce phénomène. Les cellules cancéreuses présentent fréquemment une altération des voies d’induction ou d’inhibition de l’apoptose. La tumeur pour laquelle une altération des voies de l’apoptose a été la mieux documentée est le lymphome folliculaire, une tumeur maligne du lymphocyte B, caractérisé par la translocation chromosomique spécifique t(14,18) : cette translocation juxtapose le gène antiapoptotique bcl-2 avec les séquences régulatrices d’un gène des immunoglobulines, entraînant ainsi une surexpression de bcl-2 dans le clone cellulaire tumoral. Cette translocation confère au clone tumoral une survie prolongée. Cela a pu être démontré dans des lignées cellulaires où la surexpression de l’oncogène c-myc permet à la cellule d’entrer en cycle mais la conduit en apoptose. La surexpression de bcl-2 avec c-myc dans la même lignée permet à la cellule d’échapper à l’apoptose et lui confère un phénotype cancéreux. Une surexpression de bcl-2 ou d’autres protéines antiapoptotiques de la même famille a désormais été observée dans d’autres types de cancers notamment des carcinomes. Cette surexpression est parfois associée à une agressivité clinique particulière de la tumeur.

Dissémination tumorale :

L’une des caractéristiques de la cellule tumorale est sa capacité à envahir des régions de l’organisme où elle ne devrait pas se retrouver. La capacité à disséminer dans des tissus adjacents est la première étape conduisant à l’apparition de métastases (fig. 2). La cellule cancéreuse, par exemple d’origine épithéliale, a ainsi la capacité de s’affranchir de ses interactions avec les cellules normales environnantes, détruire la membrane basale sous-jacente, progresser à travers le tissu conjonctif, franchir la paroi du vaisseau lymphatique ou sanguin, migrer dans la circulation lymphatique ou sanguine, franchir la paroi du capillaire dans une autre région de l’organisme, pour s’établir, survivre et croître dans ce nouvel environnement. Cette succession d’étapes limitantes nécessite l’acquisition par la cellule cancéreuse de nouvelles propriétés. La perte de l’adhésion des cellules tumorales aux cellules normales adjacentes peut résulter de plusieurs mécanismes par exemple la perte de l’expression de molécules d’adhésion intercellulaire, comme la cadhérine E, ou l’inactivation fonctionnelle de ces molécules d’adhésion après exposition à des cytokines telles que certains membres de la famille des FGF. Dans les lignées cellulaires dans lesquelles l’expression de la cadhérine E est perdue, la transfection par la cadhérine E permet de renverser le phénotype métastatique, cette molécule d’adhésion se comportant donc comme un gène suppresseur de tumeur. L’étape suivante dans la dissémination métastatique est la dégradation des composants de la matrice extracellulaire pour permettre la progression de la cellule tumorale dans le tissu conjonctif environnant, c’est-à-dire la membrane basale, le chorion sous-jacent et la paroi des vaisseaux sanguins ou lymphatiques. Plusieurs familles d’enzymes impliquées physiologiquement dans le remodelage du tissu conjonctif jouent un rôle essentiel dans la dégradation des protéines fibreuses, des protéoglycanes et des glycoprotéines de la matrice extracellulaire : les héparanes, les sérine, asparatyl et cystéine-protéases, et les métalloprotéases (matrix metalloproteinase, MMP). La cellule tumorale utilise les MMP pour remodeler le tissu extracellulaire environnant, mais à la différence des cellules normales, ce processus s’associe à une motilité accrue de la cellule tumorale, lui permettant de progresser dans les tissus et de les coloniser. Pour progresser dans le tissu conjonctif, les cellules tumorales produisent divers facteurs de motilité, des cytokines (FGF1 et FGF2, IL6, TGF …), des composants solubles de la matrice extracellulaire (fibronectine, laminine, thrombospondine…) qui vont jouer un rôle parfois opposé selon qu’ils sont sous forme soluble circulante ou insérés dans la matrice conjonctive. Seule la minorité des cellules tumorales qui franchit la paroi vasculaire et qui migre par la circulation sanguine se fixe dans un tissu à distance et forme une métastase. Dans la circulation, les cellules tumorales interagissent avec des plaquettes par l’intermédiaire de molécules d’adhésion (de la famille des intégrines notamment). Pour sortir du flux sanguin, les amas de cellules tumorales et de plaquettes interagissent avec des molécules d’adhésion situées au niveau des capillaires de l’organe cible selon des mécanismes probablement voisins de ceux mis en jeu pour l’extravasation des leucocytes. L’amas de cellules tumorales et de plaquettes induit la production de médiateurs locaux permettant une rétraction des cellules endothéliales et l’exposition de la membrane basale. La cellule tumorale pénètre la matrice conjonctive de l’organe cible en utilisant les facteurs de motilité et les MMP, induit une néo vascularisation avant de proliférer pour donner une métastase. La relative spécificité des organes sièges de métastases pour un type de cancer donné est encore mal comprise. Il est certain que cette spécificité résulte en partie de phénomènes mécaniques: les organes qui sont des points de passage obligés du flux sanguin pour certains organes (poumon, foie) sont plus fréquemment le siège de métastase. Cependant, d’autres paramètres interviennent probablement : des molécules d’adhésion avec des cellules tumorales spécifiques des cellules endothéliales d’un organe donné ont été décrites dans certains modèles. En outre, il est probable que l’environnement tissulaire normal de l’organe touché (composants de la matrice, facteurs de croissance produits in situ) favorise le développement de tel ou tel type cellulaire dans un site métastatique donné. Enfin, l’un des paramètres essentiels influençant la croissance tumorale est la capacité d’une cellule tumorale à susciter le développement d’une néo vascularisation tumorale et, en particulier, la différenciation et la croissance de cellules endothéliales. Ce processus, dénommé angiogenèse, est indispensable à la croissance tumorale au delà d’un volume de quelques millimètres cubes de tumeur dans de nombreux modèles expérimentaux. La croissance tumorale est en effet limitée au-delà de ce volume par la disponibilité en nutriments et en oxygène des cellules tumorales. La capacité d’une tumeur à susciter une néovascularisation semble indispensable au développement de la tumeur, à la fois localement et au site des métastases. On a ainsi pu décrire dans certaines tumeurs (carcinomes in situ du col de l’utérus) in vivo, un état « prévasculaire », au cours duquel un petit amas de cellules tumorales est présent mais ne peut se développer au delà d’un certain volume, et une phase « vasculaire » où la tumeur développe une néovascularisation et peut croître et éventuellement disséminer. Des mécanismes similaires sont mis en jeu pour le démarrage de la croissance de métastases « dormantes » dans des modèles animaux et peut être chez l’homme. Le passage d’une phase prévasculaire à une phase vasculaire est lié à la production, le plus souvent par les cellules tumorales elles-mêmes, de facteurs de croissance des cellules endothéliales, appelés facteurs angiogéniques. Ces facteurs de croissance sont des cytokines qui sont parfois également des facteurs de croissance autocrines pour les cellules tumorales elles-mêmes. Parmi ces facteurs on peut citer, le vascular endothelial growth factor ou VEGF, l’angiogénine, les FGF1, 2 et 4, le TGF , l’hepatocyte growth factor ou HGF. Ces cytokines produites par les cellules tumorales exercent ainsi fréquemment des propriétés biologiques multiples et interviennent à des étapes différentes de la progression tumorale, modulant aussi bien la croissance de la cellule, que sa motilité et sa capacité à induire une néovascularisation. La compréhension des mécanismes biologiques de la dissémination tumorale permet désormais d’envisager des stratégies autres que les traitements cytotoxiques pour le traitement des tumeurs disséminées. Actuellement, des facteurs inhibiteurs des métalloprotéase, et de l’angiogenèse sont en expérimentation clinique.

Incidence pronostique :

La meilleure compréhension des mécanismes biologiques de la cancérogenèse et notamment des altérations génétiques des cellules tumorales a conduit à de nouvelles classifications des tumeurs humaines. Certaines maladies néoplasiques sont désormais identifiées sur la base d’une altération génétique spécifique (translocation) autant que sur l’analyse cytologique ou histologique classique : c’est le cas de la leucémie myéloïde chronique et de la t(9,22), des sarcomes d’Ewing et de la t(11, 22) et ses variantes, des lymphomes du manteau et de la t(11,14). Cette nosologie moléculaire des maladies a parfois permis d’individualiser des groupes de patients avec un pronostic complètement différent d’autres patients porteurs de maladies voisines ou similaires sur des bases cytologiques histologiques ou phénotypiques : les lymphomes du manteau caractérisés par leur t(11,14) ont un pronostic moins bon que les patients porteurs d’autres lymphomes diffus B à petites cellules, les leucémies aiguës non lymphoblastiques de l’enfant avec t(9,22) ou une translocation en 11q23 sont associées à un pronostic défavorable. En outre au sein d’un même groupe de maladies néo¬plasiques, par exemple les adénocarcinomes du sein, l’altération de l’expression d’un gène spécifique est corrélée à un pronostic particulier, souvent moins bon. C’est le cas pour les mutations inactivatrices de gènes suppresseurs de tumeur (p53 ou Rb pour des cancers du sein, lymphomes, leucémies) pour la surexpression de proto-oncogènes codant pour des tyrosine kinases récepteurs de facteurs de croissance (c-erbB2, dans les cancers du sein dans certains sarcomes), pour l’amplification de proto-oncogènes codant pour des facteurs de transcription (N-myc dans le neuroblastome), pour la production in vivo de facteurs de croissance (VEGF, IL6). Ces paramètres biologiques ne sont pas pour la plupart étudiés en routine à l’heure actuelle. La présence de ces anomalies moléculaires semble cependant influencer la réponse à certains traitement antinéoplasiques (efficacité des cytotoxiques) et il est donc possible qu’ils soient plus largement utilisés dans les années à venir. En outre, le développement de traitements spécifiques dirigés contre ces oncogènes (par exemple, un anticorps monoclonal anti-erb-B2) nécessitera probablement une analyse systématique de sa sur expression. Enfin, la mise à disposition d’outils tels que les puces à ADN, permettant l’analyse de milliers de gènes dans une tumeur donnée et ainsi une analyse étendue des anomalies génétiques de milliers de tumeurs, va probablement bouleverser dans les années à venir à la fois la classification nosologique de ces maladies et conduire à identifier des sous-groupes pronostiques et thérapeutiques encore insoupçonnés actuellement.

Conclusion :

  • Les proto-oncogènes sont des gènes normaux qui vont subir des mutations activatrices dans les cellules cancéreuses, les transformant ainsi en oncogènes capables d’induire une division cellulaire incontrôlée.
  • Ils codent souvent pour des protéines impliquées dans la transmission du signal mitogénique de la membrane plasmique au noyau. Leur mutation induit généralement leur activation permanente, rendant les cellules moins dépendantes aux facteurs de croissance exogènes pour l’entrée en mitose.
  • Les gènes suppresseurs de tumeurs ont pour rôle physiologique de freiner la division cellulaire, lorsque la cellule n’est pas dans une situation adéquate (manque de facteur de croissance, mutations de l’ADN). Leur destruction permet à la cellule cancéreuse d’entrer en division, d’accumuler des anomalies génétiques supplémentaires ou d’échapper aux signaux entraînant l’apoptose.
  • La surexpression de protéines anti-apoptotiques est l’un des mécanismes moléculaires conduisant à la cancérogenèse dans certains modèles.
  • La transformation d’une cellule normale en cellule cancéreuse fait intervenir plusieurs des mutations consécutives de gènes suppresseurs de tumeurs et d’oncogènes. Chez la plupart des individus, ces altérations génétiques de la cellule tumorale sont acquises. Cependant, dans certains syndromes de cancers familiaux, les individus atteints présentent une mutation somatique qui inactive un gène, généralement un gène suppresseur de tumeur. Les individus affectés présentent ainsi une incidence accrue de certaines tumeurs qui surviennent en outre à un âge précoce.
  • Les facteurs de croissance sont fréquemment produits en excès par les cellules cancéreuses. Ils interviennent à plusieurs étapes dans la progression du cancer, agissant comme facteur anti-apoptotique, facteur de croissance, facteur de motilité cellulaire ou comme facteurs angiogéniques.
  • La dissémination des cellules tumorales, à travers la membrane basale, dans le tissu conjonctif, à travers la paroi des vaisseaux et dans les sites métastatiques fait intervenir l’altération de la structure ou de la fonction des molécules d’adhésion à leur surface, la production d’enzymes capables de détruire les fibres et les glycoprotéines de la matrice, la production en excès de cytokines agissant comme des facteurs de motilité, la production de néovaisseaux capables de vasculariser la tumeur primaire ou la métastase en croissance.
  • La caractérisation des anomalies moléculaires des cellules cancéreuses permet la mise en place d’une nouvelle classification de ces maladies reposant sur des critères moléculaires. Certaines anomalies génétiques constituent en outre un facteur pronostique pour certaines affections néoplasiques.

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