Arcs branchiaux : aspects normaux et pathologiques

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Arcs branchiaux : aspects normaux et pathologiques
Introduction :

Les arcs branchiaux forment des structures embryonnaires transitoires fondamentales pour la morphogenèse de la région cervicofaciale.

Au cours du développement de l’embryon humain, le plan corporel se met en place pendant la troisième semaine du développement lors des mouvements de gastrulation et de neurulation.

L’embryon prend alors une forme plane dont l’axe est occupé par le mésoderme axial (notochorde et son extrémité céphalique ou plaque préchordale) et le tube neural.

De part et d’autre des structures axiales, se dispose le mésoderme paraxial : somites, unités métamériques préfigurant la métamérie corporelle et mésoderme céphalique qui prolonge cranialement les somites et reste sous forme insegmentée.

L’embryon est limité ventralement par l’endoderme et dorsalement par l’ectoderme de surface.

Après la fermeture du tube neural, des cellules issues de la partie dorsale du tube s’individualisent.

Elles forment la crête neurale dont les cellules migrent et se différencient pour donner naissance à des dérivés multiples.

Au niveau céphalique, les cellules issues de la crête neurale migrent précocement et se mélangent avec les cellules du mésoderme céphalique.

Il se forme alors des unités métamériques, ou arcs branchiaux, limités en superficie par l’ectoderme de surface, en profondeur par l’endoderme et contenant un tissu mésenchymateux provenant des cellules de la crête neurale et des cellules mésodermiques.

Les arcs branchiaux se forment progressivement selon un gradient céphalocaudal et réalisent des unités métamériques séparées par des zones de jonction entre ectoderme et endoderme sans interposition de mésoderme.

Ainsi, à ce stade du développement, chaque arc branchial est parfaitement séparé des arcs sus- et sous-jacents.

On peut donc considérer chaque arc branchial comme un compartiment dont l’évolution est autonome.

Notre travail est divisé en quatre parties : dans un premier temps, nous présentons l’embryologie descriptive classique de la région branchiale dans l’espèce humaine ; la deuxième partie traite des données plus récentes obtenues grâce à l’embryologie expérimentale ; nous traitons de quelques aspects pathologiques pouvant illustrer notre propos ; enfin, nous présentons l’approche génétique humaine d’un syndrome particulier qui a conduit à identifier un gène contrôlant le développement de ces structures.

Embryologie descriptive classique de la région branchiale dans l’espèce humaine :

A – MISE EN PLACE DE LA RÉGION :

Vers le 30e jour de développement (quand l’embryon humain possède 21 à 29 paires de somites), les arcs branchiaux commencent à s’individualiser sous la forme de renflements externes séparés par des fentes.

Le nombre d’arcs branchiaux décrits chez l’embryon humain varie.

La grande majorité des auteurs s’accordent pour en décrire quatre parfaitement identifiables, les cinquième et sixième sont qualifiés de rudimentaires.

D’autres auteurs, au contraire, en décrivent cinq avec un classement qui peut paraître des plus curieux.

Ainsi, si les quatre premiers sont numérotés de 1 à 4, le cinquième reçoit le numéro 6.

Cette numérotation est basée sur le fait que l’artère du cinquième arc branchial régresse et, par suite, ces auteurs ont considéré qu’il en était de même pour l’ensemble des structures de l’arc.

En fait, la comparaison entre espèces montre que les trois premiers arcs sont parfaitement identifiables alors que les suivants sont plus ou moins confluents.

Ainsi, nous proposons de décrire quatre arcs branchiaux, les trois premiers et un arc caudal résultant de la fusion d’un nombre indéterminé de prosegments.

Chaque arc est séparé de l’arc voisin par une fente superficielle ou ectodermique.

Il y a donc quatre arcs branchiaux et trois fentes ectodermiques.

Au niveau de l’endoderme, on décrit six poches endodermiques.

Les trois premières correspondent exactement aux fentes ectodermiques.

À ce niveau, endoderme et ectoderme fusionnent pour former une membrane appelée membrane obturatrice.

Chez les vertébrés aquatiques, ces membranes se rompent pour permettre le passage de l’eau et forment ainsi les branchies.

Chez l’homme, les membranes obturatrices évoluent secondairement, l’ectoderme et l’endoderme se séparent par délamination, permettant le passage et la migration du mésoderme.

À partir du 32e jour embryonnaire, le deuxième arc branchial grandit plus que les troisième et quatrième, si bien qu’il recouvre ces dernières structures.

Cette croissance est telle que l’ectoderme du deuxième arc vient au contact de celui de la région postbranchiale et fusionne.

Il se forme ainsi une cavité close limitée par de l’ectoderme, le sinus cervical.

Normalement, ce sinus disparaît par résorption de son ectoderme et ne laisse aucun dérivé.

Les arcs branchiaux sont des structures paires qui grandissent vers la région ventrale, où ils se rejoignent sur la ligne médiane lors de la délimitation.

Chez la souris, le premier arc commence à se différencier au neuvième jour embryonnaire (E9), soit lorsque l’embryon possède entre 13 et 20 paires de somites. Les deux arcs entrent en contact sur la ligne médiane à E9,5 (soit entre 21 et 29 somites).

La fusion entre ces deux structures est complète à E11. Si on marque les cellules épithéliales des arcs branchiaux grâce à un colorant vital, on peut suivre leur devenir et déterminer le mode de fusion des deux ébauches.

Ceci a été réalisé pour le premier arc branchial.

Après le premier contact entre les deux épithéliums, ceux-ci fusionnent, délimitant un tissu épithélial interne et un tissu externe.

Progressivement, le tissu externe est repoussé par le mésoderme qui s’insinue entre les deux épithéliums.

Les cellules épithéliales gardent leur caractère épithélial et ne se transforment jamais en cellules mésenchymateuses.

De plus, il n’est jamais observé de mort cellulaire programmée (apoptôse) lors de ce processus de fusion.

Ces caractères opposent les mécanismes de fusion contribuant à la formation du premier arc branchial et ceux qui conduisent à la formation du palais secondaire où il est observé une apoptôse et une transformation épithéliomésenchymateuse.

Un tel résultat est renforcé par la mise en évidence d’une régulation moléculaire différente régissant ces deux processus.

La protéine sécrétée transforming growth factor b3 (TGFb3) est indispensable à la fusion des processus palatins alors qu’elle n’est pas nécessaire pour la fusion des ébauches du premier arc branchial.

Au niveau des berges délimitant la première fente ectodermique et durant la cinquième semaine du développement, apparaissent six zones de prolifération ou colliculi de His.

Trois se développent aux dépens du premier arc et les trois autres aux dépens du deuxième. Ces colliculi grandissent et forment le pavillon de l’oreille.

En fait, le devenir de chacune de ces zones n’a jamais été étudié systématiquement.

Toutefois, on admet, classiquement, que le premier colliculus donne naissance au tragus, le deuxième à l’hélix, le troisième à la fossette naviculaire, le quatrième à l’anthélix, le cinquième à la conque et le sixième à l’antitragus.

Le conduit auditif externe se forme par invagination de l’ectoderme de surface qui migre pour rejoindre l’endoderme du récessus tubotympanique.

L’oreille moyenne se forme à partir de la troisième semaine du développement avec l’apparition du récessus tubotympanique issu de la première fente endodermique.

Cette invagination grandit progressivement, vient au contact de l’ectoderme du conduit auditif externe pour former le futur tympan, et englobe les condensations mésenchymateuses issues des premier et deuxième arcs branchiaux qui donneront naissance aux osselets.

Il faut noter que le récessus tubotympanique, lors de sa séparation de l’ectoderme de surface, incorpore une portion de l’ectoderme de surface qui adhère au niveau de la membrane obturatrice.

L’endoderme contient alors une zone d’ectoderme qui aura la potentialité de donner naissance à un épithélium de type épidermique.

Cette particularité embryologique rendrait compte, pour certains auteurs, de l’origine de kystes épidermoïdes (cholestéatomes) de l’oreille moyenne.

B – DEVENIR DES CELLULES DES ARCS BRANCHIAUX :

Il faut distinguer les dérivés de chacun des feuillets élémentaires.

Nous analysons d’abord les dérivés endodermiques.

1- Cellules endodermiques :

La première poche endodermique donne naissance à l’épithélium qui recouvre l’oreille moyenne et à l’épithélium de la trompe d’Eustache dans sa partie latérale, et aux cellules folliculaires de la thyroïde pour sa partie médiane.

La deuxième poche endodermique donne naissance au tissu épithélial de l’amygdale palatine.

Les lymphocytes des amygdales proviennent de la moelle osseuse.

La troisième poche endodermique donne naissance au tissu épithélial du thymus qui prolifère, se détache de la poche endodermique et migre jusqu’au niveau du médiastin antérosupérieur.

D’autres cellules contribuent à la formation du thymus : les lymphocytes thymiques, comme toutes les cellules hématopoïétiques, proviennent de la moelle osseuse (ou du foie et de la rate pendant la période foetale), les cellules myoïdes proviennent de la plaque préchordale.

Il y a encore des discussions quant à l’origine des corpuscules de Hassall.

Certains auteurs leur attribuent une origine ectodermique.

De plus, la troisième poche endodermique donne naissance à l’épithélium glandulaire des parathyroïdes inférieures.

Ces ébauches tissulaires se détachent de l’endoderme et migrent avec le thymus pour rejoindre leur position définitive. La quatrième poche endodermique donne naissance à l’épithélium glandulaire des parathyroïdes supérieures.

Certains auteurs classiques décrivent un épaississement endodermique situé caudalement par rapport à la quatrième poche qu’ils dénomment cinquième poche endodermique.

Le tissu ainsi formé, ou corps ultimobranchial, se détache de l’endoderme et migre dans le rudiment thyroïdien où il donne naissance aux cellules sécrétant de la calcitonine (cellules C).

Une telle origine exclusivement endodermique a été réfutée chez les oiseaux par Nicole Le Douarin et son groupe, après réalisation de chimères caille-poulet.

Si on transplante de la crête neurale rhombencéphalique de caille dans un poulet, on peut montrer que ces cellules donnent naissance aux cellules C de la thyroïde.

Ainsi, il est fort probable que le corps ultimobranchial humain reçoit une contribution importante de la crête neurale mais une origine endodermique ne peut être exclue par les expériences précédemment citées.

2- Cellules du mésoderme céphalique :

Les cellules du mésoderme céphalique insegmenté donnent naissance à des cellules endothéliales et à des fibres musculaires striées squelettiques.

Il est intéressant de noter que le muscle est une structure composite dont les fibres musculaires striées proviennent du mésoderme céphalique alors que les tissus conjonctifs formant l’endomysium, le périmysium et l’épimysium proviennent de la crête neurale.

De plus, la forme du muscle dépend non de l’origine embryonnaire de ses fibres mais d’informations positionnelles contenues dans les cellules de la crête neurale.

À notre connaissance, il n’y a pas eu d’étude méthodologiquement correcte qui analyse la participation de chaque arc branchial à la constitution des muscles cervicofaciaux chez les mammifères.

Par analogie avec les segments corporels, on peut toutefois admettre que chaque arc branchial constitue un segment métamérique qui est innervé par la même branche nerveuse. Une telle propriété est parfaitement établie pour les fibres musculaires issues des somites.

Chaque contingent musculaire issu du même somite est innervé par le même nerf spinal.

Dans ces cas, on peut proposer que les muscles innervés par un même nerf moteur crânien dérivent du même arc branchial (les muscles innervés par le trijumeau dérivent du premier arc, ceux innervés par le facial du deuxième, ceux innervés par le IX du troisième et ceux innervés par le X du quatrième au sixième).

Ainsi, le premier arc branchial donne naissance aux fibres musculaires striées squelettiques des muscles temporal, masséter, ptérygoïdiens, mylohyoïdien, ventre antérieur du digastrique, péristaphylin externe et muscle du marteau.

Le deuxième arc fournit les fibres musculaires striées squelettiques des muscles faciaux, du ventre postérieur du digastrique, du stylohyoïdien et du muscle de l’étrier.

Le troisième arc donne naissance au muscle stylopharyngien et peut-être aux muscles de la partie supérieure des constricteurs du pharynx.

Les arcs 4 à 6 participent à la formation des muscles constricteurs du pharynx (portion inférieure), cricothyroïdiens et les muscles intrinsèques du larynx.

Malgré les différences interspécifiques, une cartographie du mésoderme céphalique de l’oiseau a montré une régionalisation similaire pour ces fibres musculaires.

Ainsi, notre approximation nous paraît être très probable chez le mammifère.

Par ailleurs, les cellules mésodermiques des arcs branchiaux donnent naissance aux cellules endothéliales des artères des arcs aortiques.

Il nous paraît important de préciser que les cellules mésodermiques ne donnent pas naissance aux cellules musculaires de la média qui dérivent des cellules issues des crêtes neurales.

Classiquement, on admet que les cellules endothéliales du premier arc aortique forment une partie de l’artère maxillaire, celles du deuxième arc l’artère stapédienne, celles du troisième arc l’artère carotide interne et l’artère carotide commune, celles du quatrième arc donnent naissance, à gauche, à une portion de l’aorte thoracique et, à droite, à une portion de l’artère sous-clavière.

Enfin, les cellules du cinquième arc aortique donnent naissance au canal artériel.

3- Cellules issues de la crête neurale :

Il nous paraît intéressant de faire remarquer à nos lecteurs que les dérivés squelettiques issus des cellules de la crête neurale ont été déterminés par sections d’embryons humains d’âges successifs et tentative de suivi de la mise en place des ébauches.

Il s’agit donc de résultats hautement spéculatifs.

Il est particulièrement troublant de constater que ces dérivés sont en tout point identiques à ceux décrits par les auteurs de la fin des années 1940, quand aucune technique de marquage cellulaire n’existait chez les vertébrés supérieurs.

Aussi, nous invitons nos lecteurs à la plus grande prudence quant à ces résultats.

Les données récentes n’apportent pas d’éléments formels. Les études du devenir à long terme de structures embryonnaires peuvent être réalisées chez les poissons, les amphibiens et les oiseaux.

L’étude chez les mammifères demeure très difficile, voire impossible.

Or, le squelette des régions branchiales est très différemment organisé chez les poissons, amphibiens et oiseaux et nous ne pouvons résumer que par homologie (caractères communs à des espèces qui les ont hérités de leur ancêtre commun) et analogie (caractères communs à des espèces mais que ne présentait pas leur ancêtre commun).

Ainsi, l’origine de certains os se déduit de l’origine d’une structure osseuse dont on pense qu’elle représente l’ancêtre de la nouvelle structure.

Quoi qu’il en soit, ces cartographies sont utiles et donnent des renseignements importants dans le domaine du développement.

Elles s’apparentent donc plus à des portulans qu’à de véritables cartes très précises.

Toutefois, leur utilisation permet d’affirmer certaines grandes règles du développement ; mais leur lecture ne doit pas être trop littérale.

Aussi, il nous paraît essentiel de rester descriptif devant un syndrome plutôt que de le classer dans un grand cadre nosologique (comme syndrome du premier arc) qui pourrait s’avérer faux à la longue.

Les cellules peuplant le premier arc donnent naissance au cartilage de Meckel qui forme secondairement la portion latérale du maxillaire supérieur, l’alisphénoïde, l’enclume, la mandibule, le marteau, le zygoma, l’écaille de l’os temporal.

Les cellules du deuxième arc forment le cartilage de Reichert qui produit l’étrier, l’apophyse styloïde, le ligament stylohyoïdien, les petites cornes et le bord supérieur de l’os hyoïde.

Les cellules du troisième arc forment les grandes cornes et le bord inférieur de l’os hyoïde.

Les cellules des arcs 4-6 forment les cartilages du larynx.

4- Cellules de l’ectoderme de surface :

Elles se différencient en kératinocytes qui donneront les cellules épithéliales de la peau du cou.

Il faut toutefois noter que le deuxième arc branchial se développe considérablement et recouvre les arcs suivants, déterminant un sinus épithélial qui est destiné à se combler si bien que le revêtement superficiel des arcs 3 à 6 est en fait assuré par les cellules qui primitivement recouvraient le deuxième arc.

Embryologie expérimentale :

Il s’agit de mieux comprendre le développement des arcs branchiaux par les apports de l’embryologie expérimentale.

A – MIGRATION DES CELLULES DE LA CRÊTE NEURALE :

Pour pouvoir étudier l’origine des cellules de la crête neurale qui peuplent un arc branchial, ou pour analyser leur devenir, il faut pouvoir disposer d’un marqueur cellulaire qui permette de suivre une population initiale.

Ce marqueur, pour pouvoir être utilisé, doit être stable au cours de divisions mitotiques. Une telle approche expérimentale n’est bien sûr pas possible chez l’homme et doit être développée chez l’animal.

On dispose d’un tel marqueur chez les oiseaux par la construction de chimères interspécifiques entre caille et poulet.

En effet, il existe un anticorps monoclonal (QCPN) qui reconnaît sélectivement les noyaux des cellules de caille mais pas ceux de poulet.

Ainsi, il est possible de suivre le devenir de cellules de caille transplantées à la place de leurs homologues de poulet. De tels renseignements sont utilisés chez l’homme du fait des homologies du développement des espèces vertébrées.

Nous insistons sur le fait que les approches classiques développées dans l’espèce humaine qui font appel à la description morphologique et à la tentative de suivi d’une population cellulaire en pratiquant des études microscopiques sur des embryons d’âges différents sont actuellement obsolètes et leurs résultats doivent être considérés avec la plus grande circonspection.

Le rhombencéphale est transitoirement segmenté au cours du développement en huit métamères ou rhombomères (R).

On pourrait penser que la segmentation des arcs est la conséquence de celle, plus précoce, du tube neural dont les cellules de crête neurale migrent.

En réalité, les mutants de souris chez lesquels la segmentation des rhombomères est anormale ont des arcs branchiaux bien individualisés, ce qui montre que la segmentation des arcs branchiaux s’opère indépendamment de celle du tube neural.

Néanmoins, les cellules de crête neurale issues de certains rhombomères migrent dans des arcs branchiaux bien définis.

De plus, certains syndromes malformatifs de la face et du cou sont associés à des anomalies de fonctionnement du système nerveux central, suggérant une liaison génétique entre arcs branchiaux et rhombomères.

Le premier arc branchial reçoit des cellules de la crête neurale issues des niveaux mésencéphaliques, R1, R2 et à un moindre degré R3.

Le deuxième arc reçoit des cellules provenant des niveaux de R3 (contribution faible), R4 et R5 (contribution faible).

Le troisième arc reçoit quelques cellules provenant du niveau de R5, une majorité de cellules provenant de R6 et quelques cellules de R7.

Enfin, les arcs 4 à 6 reçoivent des cellules de R6, R7 et R8.

La conclusion de ces études est qu’il n’existe pas de correspondance stricte entre niveaux rhombomériques et arcs branchiaux. Par exemple, les cellules issues de R6 peuplent le troisième arc mais aussi les arcs 4 à 6.

Toutefois, il existe une régionalisation si bien que R3, par exemple, ne peuple que les arcs branchiaux 1 et 2.

Les mécanismes qui assurent que les cellules de crête neurale migrent vers un arc branchial particulier commencent à être compris.

Par exemple, les cellules de crête neurale qui migrent dans les arcs branchiaux 3 et 4 expriment à leur surface un sous-ensemble spécifique de récepteurs de la famille Eph.

Les cellules de crête neurale et celles du mésoderme de l’arc 2 expriment à leur surface un ligand pour ces récepteurs Eph.

L’interaction entre ligand et récepteur résulte en des effets répulsifs qui empêchent les cellules de crête neurale de migrer hors d’une voie définie.

B – CONTRÔLE GÉNÉTIQUE DE LA SPÉCIFICITÉ DE DÉVELOPPEMENT DE CHAQUE ARC BRANCHIAL :

Bien que les types cellulaires générés soient communs, la forme des dérivés diffère d’un arc à l’autre.

L’expression d’un code moléculaire spécifique de chaque arc préfigure ces différences.

De nombreux gènes, qu’ils codent pour des facteurs de transcription (protéines capables de se lier à l’acide désoxyribonucléique [ADN] et de moduler la transcription génique), des protéines transmembranaires, sécrétées ou cytoplasmiques, sont exprimés dans un sous-ensemble de rhombomères.

Une partie d’entre eux continue à s’exprimer dans les cellules de crête neurale qui migrent de chaque rhombomère et par la suite dans les arcs branchiaux.

Certaines expériences d’inactivation chez la souris montrent que leur expression, même dans les cas où elle ne concerne que les précurseurs des cellules de crête neurale et ne persiste pas dans leurs dérivés migrants, peut constituer une empreinte à long terme.

Les gènes Hox sont une plaque tournante de la spécification des arcs branchiaux.

Ces facteurs de transcription forment une famille de 39 membres.

Ils font partie de la famille plus grande des gènes à homéoboîte.

L’homéoboîte est une séquence de 180 paires de bases qui code pour un motif de 60 acides aminés, l’homéodomaine, qui se fixe a l’ADN.

Ces gènes sont extrêmement conservés au cours de l’évolution bien que leur nombre augmente. Ils existent dans toutes les espèces, des éponges à l’homme.

Chez les insectes, où ils ont été initialement identifiés, leur mutation cause des transformations d’un segment du corps en un autre (mutation dite homéotique).

On appelle gènes homologues des gènes de différentes espèces dont la structure est proche, suggérant leur origine à partir d’un gène ancestral commun.

Les gènes Hox sont regroupés sur les chromosomes où ils sont ordonnés de telle manière que plus un gène est en aval du complexe, plus il a une expression corporelle antérieure.

Chez les vertébrés, plusieurs duplications successives du complexe ancestral ont donné naissance à quatre complexes, A à D.

Les gènes appartenant à des complexes différents mais ayant une localisation homologue sur le complexe sont appelés paralogues.

Ces gènes paralogues dérivent d’un gène ancestral commun et peuvent avoir des propriétés similaires (expliquant le phénomène de redondance, c’est-à-dire que l’absence d’un gène peut être compensée totalement ou partiellement par son paralogue).

Ces gènes sont exprimés dans les différents feuillets, mésoderme, endoderme, ectoderme (surface et neurectoderme), avec des limites rostrales différentes.

C’est toujours dans le neurectoderme que l’expression est la plus rostrale.

Elle coïncide ou est suivie au maximum par un segment plus postérieurement par l’expression dans la crête neurale et l’ectoderme de surface, et un nombre variable de segments plus postérieurement dans le mésoderme.

Dans le rhombencéphale, la plupart des gènes s’expriment en échelle avec une limite rostrale nette tous les deux segments.

Ainsi, les gènes du groupe 4 s’expriment jusqu’au rhombomère 7 (R7) inclus, ceux du groupe 3 jusqu’à R5 et ceux du groupe 2 jusqu’à R3.

Cette règle de parité est ignorée par Hoxa-2 qui s’exprime jusqu’à R2 et par les paralogues du groupe 1. Hoxa-1 et b-1 s’expriment jusqu’à R4.

Les gènes paralogues ont souvent le même domaine d’expression et pourraient être redondants.

Ainsi, la crête qui peuple l’arc branchial 4, qui dérive majoritairement de R7/8, exprime les gènes des groupes 1 à 4, la crête de R6, qui colonise l’arc branchial 3, ceux des groupes 1 à 3, celle de R4, qui migre dans l’arc branchial 2, les groupes 1 et 2.

La crête de l’arc branchial 1, dérivée de R1, R2 et du mésencéphale, n’exprime pas de gène Hox.

Chez l’homme, il existe de nombreuses malformations de la région cervicofaciale qui rappellent le phénotype de certains mutants des gènes Hox de souris.

Dans certains de ces mutants murins obtenus par recombinaison homologue, des délétions de structures ou d’organes dérivés d’un arc branchial particulier sont observées.

Les souris dont le gène Hoxa-3 est inactivé, sont athymiques, n’ont pas de parathyroïdes et leur corps ultimobranchial ne fusionne pas avec leur thyroïde.

Ils ont de plus des malformations faciales concernant les dérivés du troisième arc.

Leur phénotype rappelle le syndrome de Di George.

L’effet de cette mutation est exacerbé lorsque Hoxb-3 ou Hoxd-3 sont aussi inactivés.

Hoxa-3 est le seul de ces paralogues à être exprimé dans l’endoderme qui donne naissance à ces glandes et il a été montré qu’il régulait l’expression de certains gènes dans l’endoderme.

Au contraire, les autres paralogues sont exprimés dans la crête neurale qui contribue aussi à ces glandes ainsi que dans le mésoderme qui les entoure.

Lorsque Hoxb-3 ou/et Hoxd-3 sont seuls mutés, le thymus, la thyroïde et les parathyroïde sont normaux.

Les mutations des gènes Hoxa-1 et Hoxb-1 affectent les dérivés neuraux de la crête neurale.

Hoxa-1 et Hoxb-1 ont une action synergique lors de la formation des nerfs VII et XI. De plus, bien que le deuxième arc branchial se forme dans ces doubles mutants, il involue peu après sa formation.

De manière remarquable, ces gènes ne sont pas exprimés dans la crête neurale mais dans ses précurseurs rhombencéphaliques uniquement.

Plus rarement, l’effet des mutations des gènes Hox est du même type que celui obtenu pour les gènes homologues de drosophile.

Ce sont des mutations dites homéotiques où une structure est transformée en la structure homologue située dans le segment immédiatement antérieur.

Par exemple, lorsque le gène Hoxa-2 est inactivé, le squelette du deuxième arc branchial (petite aile de l’os hyoïde, apophyse styloïde et étrier) est transformé en une partie du squelette du premier arc réalisant une duplication en « miroir » (écaille du temporal, apophyse ptérygoïde, marteau, enclume, anneau tympanique, cartilage de Meckel).

Au contraire, l’expression ectopique du gène Hoxa-1 induit des transformations postériorisantes du rhombomère 2 et de certains de ses dérivés.

Les gènes Hox ne sont pas les seuls gènes à homéoboîte à définir l’identité des arcs en fonction de leur position le long de l’axe antéropostérieur.

Par exemple, Otx2 est exprimé dans le tube neural mésencéphalique.

Sa mutation entraîne des troncations rostrales et, en ce qui concerne la crête neurale, des anomalies des squelettes mandibulaire et maxillaire.

L’expression des gènes Hox dans les cellules de crête neurale est fixée avant le stade de migration.

Lorsque des rhombomères sont déplacés le long de l’axe antéropostérieur chez le poulet, ils maintiennent leur code moléculaire initial.

Il en résulte des expressions ectopiques des gènes Hox et des malformations.

Par exemple, lorsque les rhombomères à l’origine de la crête neurale du deuxième arc branchial, sont transplantés de telle façon que leurs cellules migrent dans le premier arc, le squelette de cet arc, comprenant le cartilage de Meckel et la partie distale de l’os hyoïde, ne se forme pas.

À l’opposé, des duplications de la partie proximale du premier arc similaires à celles observées pour le mutant du gène Hoxa-2 sont obtenues lorsque la crête du premier arc est amenée à migrer dans le deuxième arc.

Ces expériences montrent que les cellules mésodermiques, ectodermiques et endodermiques des arcs branchiaux n’influencent pas l’identité antéropostérieure des cellules de la crête neurale.

De plus, ces expériences de transplantation ont montré que les cellules de crête neurale n’induisent pas les autres cellules de l’arc à changer de code Hox.

Suite

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