Aphasie (Suite)

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Aphasie (Suite)
Étiologies des aphasies :

Sauf précision contraire, les indications topographiques données dans ce chapitre s’appliquent à des lésions de l’hémisphère gauche.

 

A – APHASIES D’ORIGINE VASCULAIRE :

Une étude prospective a trouvé, sur 881 accidents vasculaires cérébraux aigus, 38 % d’aphasies (9/10 par lésion gauche, 1/10 par lésion droite), dont la moitié d’aphasies sévères.

La gravité de l’aphasie était corrélée à l’âge et à l’importance des autres signes neurologiques.

Le pronostic était fonction à la fois de la gravité de l’aphasie et du tableau neurologique général, et 95 % des aphasiques avaient atteint un plateau dans la récupération en 6 semaines.

Inversement, l’aphasie était en elle-même un facteur de gravité de l’accident vasculaire, puisque la mortalité atteignait 31 % chez les aphasiques contre 18 % en moyenne sur l’ensemble de la série.

1- Infarctus cérébraux :

Dans l’hémisphère gauche, les structures anatomiques nécessaires au fonctionnement de la boucle audiphonatoire sont situées dans le territoire sylvien.

Des zones plus périphériques mais néanmoins indispensables à l’accomplissement des fonctions linguistiques sont vascularisées, soit par d’autres branches de la carotide (cérébrale antérieure, choroïdienne antérieure), soit par la cérébrale postérieure. Le type d’aphasie observé au cours d’un infarctus hémisphérique gauche sera donc étroitement lié au territoire vasculaire.

* Artère sylvienne :

C’est la plus grosse branche de la carotide interne, et la plus fréquemment affectée dans les accidents ischémiques.

Elle irrigue la plus grande partie du cortex de la convexité hémisphérique.

Son territoire sous-cortical comprend le putamen, la partie latérale du pallidum, une partie du noyau caudé, le claustrum et les capsules externe et extrême, la partie supérieure de la capsule interne, ainsi qu’une large étendue de substance blanche latéroventriculaire.

Le tronc de l’artère sylvienne donne naissance aux artères lenticulostriées, qui vont irriguer le territoire sous-cortical.

Ensuite, la sylvienne se divise, le plus souvent, en deux branches : la branche supérieure donne les artères à destinée frontale, rolandique et pariétale antérieure, et porte souvent les lenticulostriées externes.

Pour cette raison, l’occlusion de la branche supérieure à son origine entraîne un infarctus non seulement superficiel antérieur mais aussi profond, capsulolenticulaire.

La branche inférieure vascularise le cortex temporal et pariétal postérieur.

L’infarctus sylvien total gauche, dû à une occlusion du tronc de la sylvienne ou de la terminaison carotidienne, s’accompagne d’une aphasie globale.

Les infarctus sylviens profonds étendus donnent des syndromes aphasiques variés affectant de façon prédominante l’expression orale (supra « Aphasies sous-corticales »).

Les petits infarctus profonds correspondent le plus souvent à des lacunes.

Moins de 10 % donnent lieu à une aphasie.

Dans ces cas, il s’agirait en fait d’infarctus emboliques, comme semblent l’attester la présence fréquente d’une source embolique et les dimensions de la lésion au scanner, dépassant 15 mm de diamètre.

Les occlusions de la branche corticale supérieure donnent lieu à des infarctus sus-sylviens.

Ces lésions, même si elles intéressent l’aire de Broca, donnent rarement une aphasie durable.

En revanche, lorsque les lenticulostriées externes naissent de la branche de bifurcation supérieure, l’infarctus est cortico-sous-cortical.

Le tableau est celui d’une hémiplégie droite à prédominance brachiofaciale, associée à des troubles sensitifs de même topographie et à une aphasie de Broca.

Les occlusions de la branche inférieure, épargnant les artères à destinée rolandique, ne donnent pas d’hémiplégie mais une aphasie de Wernicke.

Celle-ci peut être dissociée, avec des troubles prédominants de la compréhension orale (ramollissement temporopli courbe) ou du langage écrit (ramollissement pariéto-pli courbe).

Les embolies cruoriques, qui rendent compte de 15 à 30 % des infarctus, peuvent donner des aspects sémiologiques particuliers.

Du fait de leur aptitude à se déliter spontanément et à migrer en aval de l’occlusion initiale, elles sont souvent responsables de lésions du territoire sylvien postérieur.

Un tableau d’aphasie de Wernicke précédée d’une hémiplégie régressive ou d’aphasie globale aiguë est particulièrement évocateur.

Chez le sujet âgé, la proportion d’aphasies de Wernicke d’origine vasculaire est plus élevée que chez le sujet jeune.

Classiquement attribué à une modification de l’organisation fonctionnelle des aires du langage liée à l’âge, ce fait serait dû, en réalité, à une surreprésentation des infarctus postérieurs dans cette population.

* Artère cérébrale antérieure :

Elle vascularise deux structures importantes pour le langage : la tête du noyau caudé, par sa branche profonde (l’artère de Heubner), et l’aire motrice supplémentaire.

Les infarctus de l’artère cérébrale antérieure se traduisent typiquement par une hémiplégie à prédominance crurale, un grasping, souvent des troubles sphinctériens.

Lorsque la lésion est gauche, il s’y associe une aphasie transcorticale motrice par atteinte de l’aire motrice supplémentaire ou de la substance blanche sous-jacente, voire une aphasie transcorticale mixte en cas d’extension postérieure de l’infarctus.

La préservation de la répétition peut aller jusqu’à l’écholalie.

En outre, les infarctus atteignant la partie antérieure du gyrus cingulaire (territoire de l’artère péricalleuse) donnent un mutisme, qui peut régresser totalement ou évoluer sous forme d’aphasie transcorticale motrice.

* Artère choroïdienne antérieure :

Bien qu’étant la plus petite des branches terminales de la carotide interne, elle vascularise un territoire d’une grande importance fonctionnelle : le bras postérieur de la capsule interne (et la pointe pallidale adjacente).

L’infarctus résultant de son occlusion donne une hémiplégie, pouvant s’associer à une hémianesthésie et à une hémianopsie classiquement sans aphasie.

En fait, l’occlusion de l’artère choroïdienne antérieure gauche peut donner une aphasie de type « sous-cortical », avec diminution de la fluence verbale et difficulté dans le langage élaboré.

* Infarctus des territoires de jonction des branches de la carotide interne gauche :

Ils épargnent les aires périsylviennes du langage.

Dans 75 % des cas, ils surviennent en aval d’une occlusion ou d’une sténose serrée de la carotide interne, associée à un facteur supplémentaire de baisse de la pression de perfusion : polyglobulie, hypotension, cardiopathie.

Les infarctus de jonction antérieurs donnent une aphasie transcorticale motrice ou un manque du mot isolé.

Dans les accidents de jonction postérieurs, l’aphasie est le plus souvent transcorticale sensorielle, parfois de type Wernicke avec des troubles de la répétition et un jargon.

L’aphasie transcorticale mixte aiguë est rare (1/300 accidents vasculaires cérébraux [AVC]) mais hautement évocatrice d’une occlusion carotidienne.

* Artère cérébrale postérieure :

L’infarctus du territoire superficiel (cortex occipital et temporal inférieur) de l’artère cérébrale postérieure gauche peut donner une aphasie transcorticale sensorielle aiguë.

L’évolution se fait vers la régression en moins de 3 mois, avec parfois persistance d’une anomie.

Le territoire profond inclut une partie du mésencéphale et le thalamus.

À l’exception des lacunes du noyau ventro-postéro-latéral responsables du syndrome de Déjerine et Roussy, tous les types d’infarctus thalamique peuvent causer une aphasie, y compris parfois les lésions droites au début.

L’aphasie est constante au cours des infarctus tubérothalamiques gauches, fréquente dans les infarctus paramédians, mais le pulvinar peut aussi être intéressé.

Devant une aphasie aiguë d’allure vasculaire, la topographie thalamique de l’accident peut être suggérée par l’association de troubles de la vigilance, de la mémoire ou du comportement, plus inhabituels dans les accidents carotidiens.

* Infarctus sous-corticaux :

La moitié des infarctus sous-corticaux de l’hémisphère gauche supérieurs à 15 mm de diamètre sont responsables d’aphasie.

Contrairement aux lacunes, ces infarctus sont le plus souvent (deux cas sur trois) de mécanisme embolique, et la présence de signes « corticaux » tels que l’aphasie est un des principaux arguments cliniques du diagnostic différentiel.

2- Aphasies transitoires :

Plus d’un tiers des accidents ischémiques transitoires (AIT) comportent un trouble du langage, mais toutes les aphasies transitoires ne correspondent pas à des AIT.

Le principal diagnostic différentiel est l’aura migraineuse.

La confusion est d’autant plus facile qu’une céphalée peut accompagner ou précéder un AIT dans 30 % des cas, et que d’authentiques migraines peuvent se limiter à l’aura, celle-ci comportant un trouble du langage dans 16 % des cas.

En fait, le déroulement des symptômes permet de reconnaître l’aura migraineuse.

Les symptômes s’installent progressivement, en plusieurs minutes (contre moins de 2 minutes dans un AIT), et comportent presque toujours des prodromes visuels.

L’aphasie transitoire peut aussi correspondre à un phénomène critique (voir « Épilepsie et aphasie »).

Enfin, elle peut révéler un hématome sousdural , une tumeur ou une hypoglycémie.

3- Accidents vasculaires cérébraux hémorragiques :

Les hémorragies représentent 18 % de l’ensemble des AVC.

Les hématomes profonds de l’hypertension atteignent soit les noyaux gris, soit le thalamus, donnant des tableaux aphasiques en rapport avec la localisation.

Les hématomes lobaires frontaux et temporopariétaux donnent respectivement une aphasie dynamique ou une aphasie de Wernicke.

Sous réserve des complications précoces liées à l’effet de masse, le pronostic fonctionnel de l’aphasie après hématome intracérébral est nettement meilleur que celui des infarctus.

La survenue d’une aphasie au cours d’une hémorragie méningée oriente vers le diagnostic d’anévrisme sylvien gauche.

Le trouble du langage peut être dû à l’épanchement sanguin dans la vallée sylvienne, ou bien à un infarctus sylvien compliquant un spasme artériel.

Il faut signaler la possibilité d’aphasies transitoires en rapport avec des malformations artérielles ou artérioveineuses n’ayant pas saigné, soit par migration embolique à partir d’un anévrisme partiellement thrombosé, soit par hémodétournement lors d’une fistule artérioveineuse à haut débit.

Enfin, les thromboses veineuses corticales peuvent, lorsqu’elles affectent l’hémisphère gauche, donner une aphasie associée à d’autres signes cliniques (épilepsie, fièvre, infarctus hémorragique).

B – TUMEURS :

Les tumeurs malignes sont les plus génératrices d’aphasie (gliomes, métastases, lymphomes).

Chez le sujet âgé (> 65 ans), l’aphasie est, avec la céphalée et la confusion mentale, l’un des trois principaux symptômes révélateurs des tumeurs cérébrales.

Elle est le plus souvent progressive sur 2 à 3 semaines, mais elle peut aussi être soudaine ou paroxystique.

Le trouble du langage le plus fréquent est le manque du mot.

Sa valeur localisatrice n’est pas absolue, l’aphasie anomique pouvant être en rapport avec une hypertension intracrânienne, même en l’absence de lésion focale des aires du langage.

En cas de tumeur hémisphérique gauche, l’anomie évolue vers une aphasie plus spécifique : aphasie dynamique au cours des tumeurs frontales, aphasie de Wernicke dans les tumeurs temporales ou temporopariétales.

L’aphasie de Broca et l’aphasie de conduction ne sont jamais observées (Lecours et Lhermitte, 1979), sauf circonstances exceptionnelles : une aphasie de Broca attribuée à un oligodendrogliome est survenue dans le contexte particulier d’une récidive postchirurgicale.

C – APHASIES DE CAUSE INFECTIEUSE ET INFLAMMATOIRE :

– L’abcès temporal gauche est une cause rare, mais importante à connaître, d’aphasie.

Il faut l’évoquer en présence d’une aphasie rapidement progressive avec des céphalées.

La fièvre est inconstante.

Les agents pouvant être responsables d’aphasie sont trop nombreux pour pouvoir être énumérés dans le cadre de cet article, mais les étiologies infectieuses ou parasitaires doivent figurer systématiquement au rang des diagnostics possibles en cas de lésion intracrânienne responsable d’aphasie.

– L’aphasie représente 12 % des complications neurologiques du sida.

Elle peut être causée par tous les types de lésions cérébrales : infections (encéphalites virales, toxoplasmose, mycoses), lymphomes, accidents vasculaires.

L’aphasie est minime au cours de l’encéphalite à virus d’immunodéficience humaine (VIH), marquée seulement par une baisse de la fluidité verbale.

– L’encéphalite herpétique, qui comporte une aphasie dans 75 % des cas, est une considération diagnostique majeure en cas d’aphasie associée à une fièvre et à des crises d’épilepsie.

– L’aphasie est exceptionnelle dans la sclérose en plaques, de l’ordre de 1 % des cas.

Elle survient volontiers dans un tableau évocateur de tumeur et s’accompagne fréquemment d’une épilepsie focale.

Elle peut prendre la forme d’une aphasie de conduction.

La dysarthrie paroxystique, évoluant par accès de 15 à 20 secondes répétés plusieurs fois dans la même journée et souvent associés à une ataxie, est pathognomonique de cette affection.

– Une aphasie peut également survenir au cours d’affections inflammatoires générales à détermination cérébrale, par l’intermédiaire d’une vascularite, de troubles de la coagulation ou de lésions démyélinisantes spécifiques (neurolupus, syndrome des antiphospholipides, syndrome de Gougerot-Sjögren, angiopathie cérébrale gigantocellulaire, thyroïdite de Hashimoto).

D – APHASIE ET ÉPILEPSIE (EN DEHORS DU SYNDROME DE LANDAU-KLEFFNER) :

Les troubles de la parole survenant au cours des crises sont de trois catégories : vocalisations indifférenciées (bruits continus ou discontinus, à type de cris, grognements, sifflements, râles), lambeaux de langage normal (mots ou phrases identifiables) stéréotypés ou non, ou langage anormal : arrêt de la parole, dysarthrie, aphasie, ou langage « indifférencié ».

Une aphasie de type variable peut également s’observer dans la période post-critique.

La suspension de la parole peut survenir lors d’absences de type « petit mal » ou de crises partielles.

Associée à des vocalisations élémentaires ou à des activités de langage répétitives (compter), elle évoque des crises de l’aire motrice supplémentaire.

L’aphasie post-critique et les crises aphasiques évoquent un foyer épileptogène temporal gauche.

Les crises comportant des lambeaux de langage normal proviennent du lobe temporal droit.

Le déroulement des crises aphasiques lui-même n’est pas aléatoire. Kanemoto et Janz ont étudié le déroulement de l’aura épileptique chez 143 patients faisant des crises partielles complexes dont 24 avaient des crises aphasiques.

Dans tous les cas, l’aphasie survenait en fin d’aura précédée le plus souvent de sensations de déjà vu ou de déjà vécu ou de troubles du cours de la pensée (accélération de la pensée, pensée forcée), elles-mêmes précédées de sensations plus élémentaires (malaise épigastrique, hallucinations gustatives).

Le type d’aphasie varie en fonction du phénomène qui l’a précédé.

Les troubles de la compréhension prédominent lorsque l’aphasie est précédée d’un trouble du cours de la pensée, les paraphasies sont plus souvent isolées quand l’aphasie fait suite à une sensation de déjà vu.

Le déroulement de ces phénomènes reflète la propagation des décharges épileptiques au sein du système limbique suivant des circuits bien définis.

Il convient enfin de mentionner la possibilité d’états de mal partiels aphasiques, pouvant réaliser une aphasie isolée durant plusieurs heures.

E – APHASIES POSTTRAUMATIQUES :

Les aphasies dues à des plaies craniocérébrales ne diffèrent des aphasies vasculaires que par la constance des lésions corticales.

En revanche, les aphasies après des traumatismes crâniens fermés (TCF) constituent une catégorie à part.

Dans ce cas, les lésions sont des contusions liées à la brusque décélération du crâne et au mouvement relatif de la masse cérébrale à l’intérieur de celui-ci.

Les pôles frontaux, ainsi que les pôles et la convexité temporale en sont le siège préférentiel. Des hématomes extracérébraux ou plus rarement intracérébraux peuvent survenir, se comportant comme des processus expansifs.

L’incidence de l’aphasie après un TCF varie selon la gravité de celuici. De l’ordre de 2 % sur un ensemble de TCF « tout-venant », elle atteint 30 % si l’on ne considère que les TCF avec coma, et 46 % pour les TCF avec coma de plus de 24 heures.

L’aphasie la plus fréquente est l’aphasie anomique.

Le 2e type est l’aphasie de Wernicke.

L’aphasie globale est plus rare.

L’aphasie de Broca semble exceptionnelle.

La suspension initiale complète de l’expression orale, plus fréquente chez l’enfant que chez l’adulte, est souvent associée à un hématome des noyaux gris. Son pronostic est favorable.

La qualité de la récupération dépend de la gravité initiale de l’aphasie.

L’anomie est la séquelle la plus fréquente, mais il peut persister une aphasie de Wernicke définitive.

Il faut insister sur la fréquence des troubles résiduels du langage élaboré et en particulier du discours, qui sont à l’origine, malgré une bonne restauration des capacités linguistiques élémentaires (dénomination, compréhension, répétition), de troubles durables de la communication susceptibles de compromettre la réinsertion socioprofessionnelle.

F – DÉMENCES :

1- Maladie d’Alzheimer :

Les troubles du langage sont présents dans un tiers des cas dès le début de la maladie, mais cette proportion pourrait être plus élevée si on y inclut les cas d’aphasie progressive qui se révèlent être des maladies d’Alzheimer.

Les troubles de la compréhension verbale et l’anomie sont d’aggravation plus rapide dans les formes à début précoce que dans les formes à début tardif.

Les troubles du langage oral évoluent en trois stades (Huff, 1990).

Le premier est caractérisé par une baisse de la fluence verbale et un manque du mot accompagné de paraphasies sémantiques.

Ces perturbations se rapprochent du tableau d’aphasie amnésique.

Le deuxième stade est marqué par une accentuation de ces symptômes (manque du mot, circonlocutions, persévérations, paraphasies sémantiques et verbales, néologismes) et l’apparition de troubles de la compréhension verbale, mais la répétition reste préservée.

Les troubles lexicosémantiques contrastent avec une relative intégrité de la syntaxe et de la phonologie.

Le tableau se rapproche alors de l’aphasie transcorticale sensorielle.

Au troisième stade, toutes les capacités linguistiques sont affectées, comme dans une aphasie globale, mais le respect de certaines capacités de répétition peut laisser persister des phénomènes d’écholalie.

Cette règle générale connaît des exceptions, avec par exemple la survenue précoce de troubles phonémiques et phonétiques corrélés à une prédominance périsylvienne gauche inhabituelle de l’atrophie corticale.

Les troubles de l’écriture peuvent aussi être décrits en trois stades évolutifs (Platel et al, 1991).

Le premier comporte des erreurs dites de « régularisation » : erreurs phonologiquement plausibles à l’écriture sous dictée de mots irréguliers (exemple : femme ® fame) (Rapcsak et al, 1989).

Le deuxième est caractérisé par une prépondérance d’erreurs non phonologiquement plausibles touchant les mots irréguliers et les non-mots.

Ces erreurs résultent de l’atteinte de processus centraux, mais également de processus plus périphériques tels que le buffer graphémique et le système de conversion allographique.

Le troisième stade est dominé par des troubles de la réalisation graphique s’apparentant à une agraphie apraxique.

Le trouble de la lecture le plus caractéristique de la maladie d’Alzheimer est, dans un premier temps, celui de « dyslexie de surface » (utilisation préférentielle de la voie lexicale).

Lorsque la compréhension écrite est en même temps altérée, ce tableau évoque une stratégie de lecture par voie lexicale non sémantique (3e voie).

Ultérieurement apparaît une lecture du type alexie lexicale correspondant au recours exclusif à la voie phonologique, avec des erreurs de régularisation des mots irréguliers.

Cette description schématique des troubles du langage dans la maladie d’Alzheimer montre l’importance des perturbations lexicosémantiques.

En utilisant conjointement des épreuves d’écriture sous dictée de mots réguliers, irréguliers et de logatomes, et des tâches de décision à partir de mots et d’images faisant appel à un traitement phonologique, lexical ou sémantique, Lambert et al (1991) ont montré que la perte ou la difficulté d’accès aux représentations orthographiques des mots est indépendante des capacités de traitement lexical et sémantique impliquées dans d’autres modalités.

Ainsi, le trouble lexicosémantique de l’écriture dans la maladie d’Alzheimer serait spécifique à cette modalité.

Il semble en exister deux grands types.

Le premier est un déficit d’accès au lexique s’apparentant au manque du mot observé chez les aphasiques (Grober et al, 1985).

Ce déficit d’accès explique la variabilité des performances pour un item donné et le fait que les patients soient aidés par des indices lors de la dénomination telle que la clef phonémique.

Le second type de perturbations réalise une « perte du concept » due à une atteinte de la mémoire sémantique.

Celle-ci toucherait plus spécifiquement l’organisation des attributs spécifiques qui permettent de distinguer des concepts lexicaux différents au sein de catégories sémantiques larges (Warrington, 1975).

Les informations concernant ces dernières seraient au contraire préservées.

Il en résulte en dénomination des réponses superordonnées ou évoquant des items appartenant à la même catégorie sémantique.

La constance des erreurs lors d’essais successifs ou quel que soit le mode d’entrée lexical vient supporter l’hypothèse d’une perte des informations lexicosémantiques.

Ce type de trouble, lorsqu’il survient isolément, correspond à la démence sémantique.

2- Démence vasculaire :

Dans la démence multi-infarctus, les troubles du langage varient naturellement selon la topographie des lésions ischémiques.

L’existence d’une aphasie dans le tableau clinique d’un accident vasculaire cérébral est un facteur de probabilité accrue d’évolution vers une démence vasculaire.

Lorsque les lésions respectent les aires du langage (maladie de Binswanger, états lacunaires) les troubles consistent en une réduction de la complexité des phrases et les perturbations lexicosémantiques sont moins marquées que dans la maladie d’Alzheimer.

La dénomination est préservée et la baisse de la fluidité verbale est à rapprocher d’un ralentissement plus global.

Les troubles de la parole sont fréquents, s’intégrant dans un syndrome pseudobulbaire.

3- Démences « sous-corticales » :

Les altérations du langage dépendent avant tout des troubles moteurs ou cognitifs associés, en particulier les troubles de la parole, le ralentissement idéomoteur et les éléments frontaux.

Ils expliquent la baisse de la fluence verbale, qui est particulièrement nette dans la paralysie supranucléaire progressive.

Dans la chorée de Huntington apparaissent successivement une perte de l’initiative verbale, un raccourcissement et une simplification de la structure syntaxique des phrases, des troubles de l’écriture liés à l’incoordination motrice, des erreurs de type visuel en dénomination, enfin des troubles de la compréhension d’intensité proportionnelle à la détérioration intellectuelle.

La démence à corps de Lewy peut comporter des troubles cognitifs de type « cortical » analogues à ceux de la maladie d’Alzheimer, y compris une aphasie.

La différenciation clinique repose sur l’intensité plus nette du syndrome « fronto-sous-cortical » associé, sur les fluctuations spontanées et sur les signes extrapyramidaux.

En dehors de toute démence, la maladie de Parkinson peut donner des « troubles cognitifs mineurs », comportant une baisse de la fluence verbale qui, lorsqu’elle est associée à des troubles de l’articulation et de la voix, amoindrit les capacités de communication.

Une véritable aphasie au cours d’un syndrome extrapyramidal doit faire évoquer une démence à corps de Lewy, ou toute autre étiologie.

Après chirurgie fonctionnelle, les aphasies transitoires succèdent plus volontiers aux interventions pallidales que sous-thalamiques.

4- Démences frontotemporales :

Elles comportent un appauvrissement progressif du contenu informatif du langage avec des persévérations idéiques et formelles, contrastant avec une conservation des aspects phonémiques et syntaxiques.

La dégénérescence corticobasale peut débuter comme une aphasie progressive non fluente si elle affecte de façon prédominante l’hémisphère gauche.

Certaines aphasies progressives peuvent aussi marquer le stade initial d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA) avec démence, voire d’une maladie de Creutzfeldt-Jakob.

5- Atrophies corticales focales :

Ce sont des affections dégénératives se manifestant par un trouble cognitif d’évolution progressive, longtemps isolé, mais pouvant finir par un état démentiel, en rapport avec une atrophie cérébrale localisée. L’histologie est variable (lésions de maladie de Pick, de maladie d’Alzheimer ou non spécifiques).

Les atrophies focales s’intègrent à un ensemble plus vaste (« complexe de Pick ») qui inclut en outre les démences frontotemporales et la dégénérescence corticobasale et dont la caractéristique commune est l’existence d’anomalies de la protéine tau.

Cliniquement, les atrophies focales progressives peuvent prendre la forme d’une apraxie, d’une amnésie, de troubles visuels ou d’une aphasie, qui seule retiendra notre attention ici.

L’aphasie progressive comprend trois aspects cliniques :

– le premier fut décrit par Mesulam en 1982 : aphasie non fluente, avec au premier plan un manque du mot, puis dans un second temps des troubles phonémiques et syntaxiques, sans troubles lexicosémantiques, une compréhension normale et une conservation prolongée de l’autonomie ;

– le deuxième, également appelé anarthrie progressive, est aussi une aphasie progressive non fluente, mais avec un syndrome de désintégration phonétique associé à un agrammatisme et à une apraxie buccofaciale.

Le langage écrit est longtemps préservé. Des troubles frontaux apparaissent ultérieurement ;

– le troisième, qui est la forme fluente de l’aphasie progressive, est également appelé « démence sémantique » et associe une anomie, des troubles de la compréhension verbale, une dyslexie, une agraphie de surface et une réduction de la fluence catégorielle, contrastant avec une préservation de la compréhension en langage conversationnel, de la syntaxe, de la phonologie, des capacités non verbales et de la mémoire épisodique.

Ce trouble est proche de l’aphasie transcorticale sensorielle de la maladie d’Alzheimer, mais dans ce dernier cas, la mémoire épisodique est toujours affectée.

Dans la démence sémantique, la perte des concepts est non seulement longtemps isolée, mais sélective, épargnant une série de connaissances pragmatiques nécessaires à la vie quotidienne d’où une conservation parfois surprenante de l’autonomie.

La dissociation est telle que certains de ces patients ont pu être pris pour des hystériques au début de leur maladie.

G – LANGAGE DES SCHIZOPHRÈNES :

Le délire schizophrénique se traduit par une incohérence verbale marquée par des néologismes, un discours abstrait, une abondance de formules énigmatiques, des métaphores obscures, associée à des troubles du débit verbal.

Deux formes particulières de schizophasie méritent d’être individualisées.

Dans la glossomanie, le discours est fait de mots du lexique, mais choisis non en fonction d’une finalité de communication, mais de caractéristiques intrinsèques sans valeur signifiante : glossomanie formelle (tous les mots, par exemple, commencent par la même lettre), glossomanie sémantique (utilisation systématique de mots appartenant tous au même champ sémantique).

La rareté des paraphasies, la disponibilité lexicale, le maniement correct de la syntaxe, et parfois, l’analyse faite par le sujet lui-même de ses productions verbales, distinguent ce trouble d’une véritable aphasie.

Dans la glossolalie, le discours est un monologue néologique incompréhensible, semblable à une nouvelle langue inventée par le sujet, caractérisée par la surreprésentation d’un petit nombre de phonèmes, un débit accéléré, une modification des accents et de la mélodie.

La glossomanie et la glossolalie sont des phénomènes temporaires, n’affectant que quelques patients.

Plus généralement, on insiste actuellement sur les altérations du langage liés aux troubles de la pensée formelle, présents chez un grand nombre de patients.

Les tests sémantiques révèlent une désinhibition des associations sémantiques, en d’autres termes une « hyperactivation » entre les concepts reliés sémantiquement.

Cette désinhibition des associations peut se traduire par des effets d’hyperamorçage sémantique.

Aphasie et neuropsychologie cognitive :

Depuis les années 1980, la psychologie cognitive a considérablement influencé la pratique clinique et thérapeutique de la neuropsychologie.

La psychologie cognitive repose sur la notion fondamentale que toute fonction peut être décomposée en un certain nombre de processus autonomes.

Son objectif est d’élucider l’architecture de ces processus et de décrire les liens qu’ils entretiennent entre eux.

Pour y parvenir, elle cherche à identifier les diverses opérations mentales requises lors de l’accomplissement d’une tâche (enfoncer un clou par exemple).

Ces opérations mentales sont considérées comme autant de processus de traitement des informations (celles-ci correspondant par exemple aux représentations perceptives et aux représentations d’action dans l’exemple du clou).

Les modèles théoriques utilisés en psychologie cognitive sont de deux types : les modèles sériels, décrivant les processus comme des interactions entre différents modules placés à la suite les uns des autres, et les modèles connexionnistes dans lesquels le traitement est distribué de façon parallèle entre de nombreuses unités disposées en couches.

Ces derniers (qui sont d’ailleurs appelés « réseaux de neurones ») ont l’avantage de présenter une analogie de structure avec le système nerveux, et de se prêter aux analyses et aux simulations de dysfonctionnements conçues par les théoriciens de l’intelligence artificielle.

L’objectif de la neuropsychologie cognitive est de mettre à l’épreuve de la pathologie ces modèles de traitement de l’information élaborés par la psychologie cognitive et issus de l’étude de sujets sains.

La mise en évidence d’une double dissociation (perturbation d’un processus A + préservation d’un processus B chez un patient et déficit inverse chez un autre) permet en principe d’établir l’indépendance fonctionnelle (« modularité ») entre les processus A et B.

Le langage est ainsi représenté comme un système lexical qui peut rendre compte des différentes opérations mentales effectuées par un sujet pour accomplir une activité linguistique.

Les modèles varient également dans leur degré de spécification en fonction de la fenêtre d’analyse : traitement du mot isolé, traitement de la phrase, traitement du discours.

En neuropsychologie, et particulièrement dans le domaine de l’aphasie, la taxonomie clinique et la neuropsychologie cognitive sont complémentaires car elles servent, encore aujourd’hui, des objectifs différents.

Indispensable à la connaissance des maladies, la référence anatomique n’est pas nécessaire à la compréhension des mécanismes mentaux de la cognition normale, et les correspondances entre les syndromes décrits par ces deux approches sont rares.

On peut espérer que les correspondances déjà entrevues entre la nouvelle sémiologie cognitive et les lésions cérébrales grâce à l’imagerie fonctionnelle deviendront de plus en plus précises et contribueront à un profond renouvellement de la neuropsychologie clinique.

Nous restreindrons ici notre propos au traitement du mot isolé en production orale (dénomination et répétition) et en compréhension.

Nous exposerons dans un premier temps l’architecture générale du système lexical suivant un modèle cognitif sériel.

Nous décrirons ensuite les étapes de traitement et les syndromes cognitifs observés en pathologie pour la dénomination, la répétition et la compréhension.

Enfin, nous donnerons un exemple de l’approche connexionniste avec la compréhension orale.

Le langage écrit (lecture et écriture) sera abordé dans la section suivante.

A – ARCHITECTURE DU SYSTÈME LEXICAL :

La modélisation de la production et de la reconnaissance des mots isolés constitue le système lexical.

La description de ses principales composantes s’appuiera de façon prioritaire sur le modèle de Patterson, 1986 ou sur celui de l’équipe de Caramazza (Rapp et Caramazza, 1991 ; Hillis et Caramazza, 1994 ; voir également Segui et Ferrand, 2000 ; Seron et Van der Linden 2000b pour revues).

Le système lexical comporte les composantes suivantes.

1- Représentations de différentes natures (sémantique, phonologique, orthographique, perceptive) :

Elles sont assimilées à des connaissances stockées à long terme et schématisées sous la forme de systèmes ou de lexiques).

La plupart des modèles distinguent les lexiques recrutés dans la reconnaissance de ceux impliqués dans la production, mais cette différenciation lexique d’entrée versus lexique de sortie est parfois controversée (Valdois et de Partz pour revue).

Les lexiques d’entrée assurent la reconnaissance d’une forme linguistique indépendamment de sa signification et permettent d’effectuer une tâche de décision lexicale qui consiste à distinguer les mots connus (déjà inscrits dans le lexique) de non-mots : lexique phonologique d’entrée pour les mots entendus et lexique orthographique d’entrée pour les mots vus.

Les lexiques de sortie sont les lieux des récupération des formes cibles : lexique phonologique de sortie pour la production orale (évocation spontanée, dénomination d’images, lecture à haute voix, répétition) et lexique orthographique pour la production écrite (évocation spontanée, dénomination écrite, épellation orale).

2- Mécanismes de conversion :

Ils mettent en correspondance et transforment des informations acousticophonologiques en informations phonologiques (répétition), des informations acousticophonologiques en informations graphémiques (correspondance phonème-graphème en écriture sous dictée) ou des informations graphémiques en informations phonologiques (correspondance graphème-phonème en lecture à haute voix).

Ces mécanismes opèrent sur des unités sous-lexicales (phonèmes, graphèmes, syllabes).

3- Mécanismes de mémoire tampon (« buffers ») :

Ils assurent le maintien à court terme d’informations. phonologiques (mémoire tampon phonologique) ou d’informations graphémiques (mémoire tampon graphémique).

4- Composants plus « périphériques » :

Ils sont également décrits : mécanismes perceptifs visuels et auditifs ainsi que mécanismes impliqués dans la production orale (activation des programmes articulatoires et exécution neuromusculaire) et dans la production écrite (conversion allographique, activation des programmes moteurs graphiques, exécution neuromusculaire).

5- Composants moins spécifiques :

Outre ces processus exclusivement verbaux, les modèles font parfois figurer des composants moins spécifiquement linguistiques.

Il s’agit par exemple du système de représentations structurales visuelles qui permet la reconnaissance d’un objet en tant qu’objet familier, recruté lors de l’identification d’images.

Cette architecture rend compte également des connexions entre les différents mécanismes, qui sont matérialisées par des flèches.

Aussi est-il possible de suivre sur le modèle les différentes étapes du cheminement cognitif accompli lors de toute tâche verbale (répétition, dénomination, évocation lexicale, compréhension orale ou écrite, lecture à haute voix, copie…).

Ce type de modélisation suppose que le langage fait appel à deux types de traitement : un traitement lexical avec activation des représentations lexicales quand il s’agit de mots connus et un traitement qui procède par analyse et mise en correspondance d’unités sous-lexicales pour des non-mots ou des mots nouveaux.

Un des postulats fondamentaux des modèles cognitifs sériels est que le traitement de l’information s’effectue de façon unidirectionnelle : le passage à une étape suivante suppose que le traitement de l’étape précédente soit terminé.

Les modèles dits en « cascade » introduisent la notion d’un recouvrement temporel partiel entre deux étapes de traitement.

B – DÉNOMINATION :

1- Étapes :

Six étapes peuvent être distinguées au cours de la dénomination d’images ou d’objets :

– analyse visuelle (incluant l’analyse de la forme, de la couleur, le groupement perceptif) ;

– activation de la représentation structurale perceptive visuelle (relative à la connaissance de la forme d’un objet et permettant l’identification du percept comme objet réel).

Ces deux premières étapes, qui constituent des traitements non linguistiques, ne seront pas développées dans cette section (voir Boucart, Hénaff et Belin pour information) ;

– activation des propriétés sémantiques dans le système sémantique ;

– activation de la représentation phonologique adéquate dans le lexique phonologique de sortie ;

– maintien de cette représentation dans la mémoire tampon phonologique ;

– activation des programmes articulatoires dans des systèmes de programmation et d’exécution articulatoire liées à la commande et à la coordination neuromusculaire des mouvements bucco-pharyngo-laryngés.

Certains cas de la pathologie, qui restent cependant exceptionnels, suggèrent une alternative à cette voie lexicosémantique classique avec la possibilité de dénommer par une voie directe reliant le système des représentations structurales au lexique phonologique de sortie : il s’agit de patients qui dénomment correctement malgré des performances médiocres à des tâches de compréhension concernant les mêmes items.

Le lexique sémantique ou système sémantique est impliqué dans l’extraction du sens des mots et dans la formulation conceptuelle.

Il concerne les propriétés sémantiques qui lient les concepts aux mots, c’est-à-dire leur appartenance catégorielle et leurs attributs spécifiques fonctionnels et physiques (exemple : « cerise » = [végétal] + [fruit] + [rouge] + [sucré] + [lisse]).

Chaque concept est donc représenté sous la forme d’un faisceau de traits sémantiques pouvant être communs au moins partiellement à un autre concept.

Par exemple, les traits [végétal] + [fruit] + [sucré] sont partagés par la cerise et la framboise.

Ce type d’organisation postule par ailleurs que l’activation d’un concept va se diffuser aux concepts voisins.

Dans les conceptions les plus couramment acceptées en neuropsychologie, le système sémantique serait une étape de traitement commune à différents types de stimuli (mots ou objets).

De plus, il est considéré comme une composante centrale commune aux différentes modalités d’entrée et de sortie de l’information (mot entendu ou lu, production orale ou écrite).

Cette théorie amodale (soutenue par Caramazza et al ou Humphreys et al) s’oppose à d’autres propositions (Warrington et Shallice ; Shallice) qui envisagent l’existence de systèmes sémantiques spécifiques et différents pour les objets et les mots (Hannequin pour revue).

Dans le lexique phonologique, les représentations phonologiques correspondent à la forme sonore abstraite d’une unité lexicale et contiennent des informations sur l’identité des phonèmes, sur la structure syllabique et sur l’accent ou « stress » (voir Béland, Peretz, Baum et Valdois pour une description détaillée des différents paliers de la représentation phonologique).

Bock et Levelt ont suggéré l’existence d’un niveau lexical intermédiaire entre système sémantique et lexèmes (représentations phonologiques).

Cette étape des Lemmas coderait l’item lexical cible sur le plan sémantique et sur le plan de ses propriétés syntaxiques (catégorie grammaticale, genre).

Des arguments allant plutôt à l’encontre de cette distinction lemmas versus lexèmes ont été exposés par Caramazza.

L’accès aux représentations est décrit en termes d’activation.

Chaque représentation possède un niveau d’activation de base qui va être modifié par les stimulations.

Ainsi, après stimulation, le seuil d’activation de la représentation se trouve momentanément abaissé et celle-ci est plus rapidement accessible.

La mémoire tampon phonologique se trouve impliquée dans toute tâche de production orale, y compris la répétition et la lecture à haute voix.

Le caractère séquentiel de la production orale nécessite la reconstruction de la représentation phonologique avec la prise en compte de l’information segmentale (phonèmes) et métrique (nombre de syllabes, structure de la syllabe et structure accentuelle) en vue de la récupération du geste articulatoire.

En conséquence, l’information phonologique issue du lexique phonologique doit être maintenue en mémoire à court terme durant les opérations de planification.

2- Pathologie :

Le dysfonctionnement de chacune de ces étapes de dénomination orale occasionne des perturbations différentes (voir Lambert, pour revue).

Les dysfonctionnements des deux premières étapes (analyse visuelle et système de représentation structurale) donnent lieu à des tableaux d’agnosie visuelle.

* Perturbation du système sémantique :

Elle engendre des absences de réponse et des erreurs sémantiques.

Le patient a des difficultés dans toutes les tâches nécessitant un traitement sémantique (dessin d’un objet non dénommé, associations suivant un lien fonctionnel à partir d’images ou de mots, questionnaires testant les connaissances sémantiques, et tout particulièrement les attributs spécifiques).

La dénomination écrite et la dénomination orale donnent lieu aux mêmes erreurs.

Suivant les patients, le déficit peut affecter les représentations sémantiques dans leur ensemble ou être spécifique de certaines catégories sémantiques : de nombreuses dissociations ont été rapportées, mais l’atteinte des objets animés semble être plus fréquente que celle des objets inanimés.

Ce niveau de perturbation peut donc provoquer les tableaux d’aphasie anomique avec perte du sens des mots et constitue vraisemblablement la principale cause des perturbations linguistiques de la démence sémantique.

Il est également incriminé dans des aphasies globales en association à d’autres niveaux de perturbation.

La distinction entre un déficit sémantique central et un défaut d’accès aux représentations sémantiques a fait l’objet de nombreux débats.

Selon Warrington et Shallice ou Shallice, la dégradation des représentations (trouble sémantique central) serait caractérisée par :

– la constance des erreurs à différents temps d’examen ;

– un effet marqué de la fréquence lexicale ;

– la disparition de l’effet d’amorçage sémantique ;

– de meilleures performances pour le traitement d’informations superordonnées par rapport aux attributs spécifiques ;

– l’absence d’amélioration par un rythme de présentation plus lent. Un défaut d’accès (ou état réfractaire) serait caractérisé par un tableau en miroir du précédent.

La pertinence de ces critères a été vigoureusement contestée (Rapp et Caramazza), mais reste soutenue par Warrington et Cipolotti.

Dans le cadre théorique d’un modèle postulant un système sémantique amodal, l’hypothèse d’un déficit d’accès aux représentations sémantiques peut être posée lorsque le traitement sémantique est perturbé à partir d’une modalité d’entrée, mais conservé à partir des autres modalités.

* Déficit d’accès au lexique phonologique de sortie :

Lors d’un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie, la représentation phonologique est inaccessible et le patient montre des absences de réponse souvent facilitées par l’ébauche orale, sans aucune difficulté de compréhension ou de traitement sémantique concernant les mots non dénommés.

Des erreurs sémantiques peuvent également être observées et sont expliquées de la façon suivante : lorsque la représentation phonologique de l’item cible n’est pas disponible, une autre représentation phonologique partageant des traits sémantiques communs serait activée par défaut.

Des dissociations ont été rapportées : noms propres versus noms communs ou noms versus verbes.

Un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie n’affecte pas (ou peu) la répétition et la lecture à haute voix.

Le mot entendu en vue de sa répétition apporte une source directe d’activation (lexique phonologique d’entrée vers le lexique phonologique de sortie).

La lecture à haute voix bénéficie également d’une activation supplémentaire directe à partir du lexique orthographique d’entrée.

De plus, la répétition et la lecture à haute voix peuvent être réalisées par le biais de stratégies phonologiques.

À ce niveau, un dysfonctionnement n’a pas de répercussion sur la production écrite et un certain nombre de cas montrant une dissociation entre la perturbation de la dénomination orale avec une relative préservation de la dénomination écrite ont été publiés.

Ce défaut d’accès à la forme phonologique des mots est sans doute présent dans de nombreux types d’aphasie (aphasie anomique, aphasie de Broca…).

* Dégradation des représentations phonologiques elles-mêmes ou récupération partielle :

Elle pourrait se traduire selon Butterworth par la production de néologismes ou de paraphasies phonémiques.

Ces erreurs se caractériseraient alors par une grande constance d’occurrence (erreurs identiques observées à différents temps sur les mêmes items).

* Situation de « blocage de réponse » :

Elle se réfère à une impossibilité de production du mot alors que le stimulus a été correctement adressé dans le lexique phonologique de sortie.

Ce cas de figure est illustré par le comportement d’un patient qui, en cas d’absence de réponse, pouvait décrire le lien d’homophonie de deux items.

Ainsi lors de la présentation de l’image d’une « fraise » (outil de fraisage) il disait : « je ne peux pas trouver le mot mais cela a à voir avec un fruit ? »

* Perturbation des étapes de planification phonologique au niveau de la mémoire tampon phonologique :

Elle entraîne des paraphasies phonémiques qui surviennent dans toute tâche de production orale (dénomination, répétition et lecture à haute voix) de mots et de non-mots.

Les erreurs phonologiques auraient ainsi deux sources (dégradation des représentations dans le lexique phonologique de sortie et défaut de planification).

Certains travaux ont tenté de différencier ces deux déficits (Nickels pour revue).

Les conduites d’approches successives, devenant correctes, sont le signe que les représentations phonologiques ne sont pas dégradées et qu’elles sont utilisées lors des autocorrections.

La possibilité de réaliser correctement des tâches de jugements de rimes ou d’homophonie reposant sur une phonologie « silencieuse » est également un argument en faveur de la préservation des représentations lexicales phonologiques.

En revanche, une réalisation défectueuse ne constitue pas un élément d’interprétation fiable dans la mesure où la difficulté peut aussi être liée à une impossibilité à maintenir l’information à court terme en vue de son traitement.

Alors que dans le cas d’une difficulté de planification, des performances similaires sont attendues aux tâches de dénomination, de répétition et de lecture à haute voix, la dénomination devrait être plus perturbée que les autres tâches dans le cas d’un déficit touchant la représentation phonologique.

Par ailleurs, un effet de longueur est classiquement évoqué pour un déficit postlexical.

Dans la mesure où la mémoire tampon phonologique est très liée au mécanisme de planification, plus un item cible est long, plus la demande en maintien à court terme va être importante et plus le risque d’erreur s’accroît.

Ceci est particulièrement manifeste pour les non-mots.

Les mots peuvent être moins touchés car ils offrent la possibilité de procédures de rafraîchissement par le biais des représentations phonologiques (intactes dans ce cas de déficit postlexical).

Toutefois, les propositions de distinction suivant des effets de fréquence (présents dans un déficit lexical) et de longueur (présents dans un déficit postlexical) semblent insuffisamment justifiées selon Nickels.

C – RÉPÉTITION :

1- Étapes :

La répétition suppose tout d’abord la mise en jeu de mécanismes d’analyse acoustique qui traitent le stimulus auditif dans ses composantes acoustiques et phonétiques.

Au-delà de cette étape, plusieurs possibilités sont envisagées :

– voie lexicosémantique : activation du lexique phonologique d’entrée, du système sémantique, récupération de la forme phonologique dans le lexique phonologique de sortie, maintien à court terme et planification phonologique ;

– voie lexicale directe : activation du lexique phonologique de sortie à partir du lexique phonologique d’entrée sans passer par le système sémantique.

Dans ce cas, le patient répète sans comprendre ;

– voie phonologique utilisant un mécanisme de conversion acousticophonologique.

Cette dernière voie a été envisagée pour rendre compte de la possibilité de répéter les non-mots n’ayant pas de représentation phonologique stockée.

La répétition partage un certain nombre de mécanismes avec la production orale et la compréhension orale.

2- Pathologie :

Un déficit de l’analyse acoustique retentit sur le traitement des mots et des non-mots entendus en vue de leur répétition, de leur écriture sous dictée (avec soit des absences de réponse, soit des substitutions par des items proches partageant un certain nombre de phonèmes : cadeau ® gâteau, cadeau ® râteau) ou de leur compréhension.

Ce déficit est également appelé surdité au son des mots.

Les perturbations des voies lexicales peuvent résulter de différents niveaux de localisation : lexique phonologique d’entrée, système sémantique, lexique phonologique de sortie.

Dans ce cas, la répétition de mots et de non-mots serait possible par le biais de la voie phonologique.

La perturbation de la voie phonologique entraîne un effet de lexicalité avec une atteinte de la répétition des non-mots n’ayant pas de représentation stockée, mais une préservation de la répétition des mots.

Un déficit de la mémoire tampon phonologique altère la répétition de mots et de non-mots.

Le trouble de la répétition est classiquement considéré comme le noyau sémiologique de l’aphasie de conduction.

Celle-ci a été « revisitée » par Shallice et Warrington (voir aussi Kohn pour revue), qui en ont distingué deux types.

Dans le premier, de type « répétition », les patients ont des difficultés à répéter des listes de mots mais non les mots isolés, et ne produisent pas d’erreurs phonologiques.

Shallice et Warrington attribuent ce trouble à un déficit de mémoire à court terme.

Le second, l’aphasie de conduction de type « reproduction », qui serait la « véritable » aphasie de conduction, s’applique à des patients qui ont du mal à répéter des mots isolés.

Cette difficulté se traduit par des erreurs phonologiques et est plus importante pour les mots longs.

Elle est observée non seulement en répétition, mais également en expression orale spontanée, en dénomination orale ou en lecture à haute voix.

Cette forme peut aussi être associée (mais non due) à un trouble de mémoire à court terme.

L’interprétation cognitive en serait un déficit affectant la planification des unités phonologiques au niveau de la mémoire tampon phonologique en vue de leur réalisation articulatoire.

Cette interprétation va dans le sens des études récentes qui tendent à considérer davantage l’aphasie de conduction comme le résultat d’un trouble phonologique (paraphasies phonémiques) plutôt que comme un trouble de la répétition.

Le tableau de dysphasie profonde a pour caractéristiques principales des troubles de répétition (erreurs sémantiques, effet de concrétude lors de la répétition de mots et effet de lexicalité

– difficultés plus importantes pour les non-mots).

Il montre souvent l’association de perturbations en production orale (erreurs phonémiques et erreurs sémantiques), et d’un déficit de la mémoire verbale à court terme.

Du point de vue des modèles cognitifs, la dysphasie profonde suppose plusieurs déficits associés : déficit d’accès aux informations sémantiques à partir du lexique phonologique d’entrée, déficit de la répétition en rapport avec une perturbation de la voie acousticophonémique et déficit de la mémoire verbale à court terme.

D – COMPRÉHENSION :

1- Étapes :

Selon Ellis, Franklin et Crerar, la compréhension orale repose sur trois mécanismes :

– identification des sons de parole au niveau du système d’analyse auditive ;

– activation des items lexicaux dans le lexique phonologique d’entrée, ce qui permet à ce stade de différencier un percept familier (mot ayant une représentation stockée à long terme dans le lexique) d’un percept nouveau (non-mot ou mot inconnu) ;

– activation de la signification des mots dans le système sémantique.

Cette organisation séquentielle unidirectionnelle (de bas en haut), très hiérarchisée, suppose que l’accès à un niveau supérieur nécessite l’intégrité du niveau immédiatement inférieur.

Dans une publication ultérieure, les auteurs incluent l’existence de relations bidirectionnelles entre lexique phonologique et système sémantique.

2- Pathologie :

Différents syndromes cognitifs concernant la perception d’un mot entendu ont été décrits (voir également Lambert et Nespoulous pour revue).

* Surdité au son des mots :

Elle résulte de la perturbation du système d’analyse auditive des sons verbaux et correspond, dans la terminologie classique, au syndrome de surdité verbale pure décrit par Lichtheim.

Elle se manifeste par de nombreuses erreurs lors d’épreuves de répétition ou d’écriture sous dictée et lors de tâches de discrimination et d’identification phonémique.

La compréhension est améliorée par la lecture labiale ou la connaissance du thème de la conversation.

Cette perturbation peut également être présente dans d’autres syndromes aphasiques comme l’aphasie de Wernicke.

* Surdité à la forme des mots :

Elle résulte d’un trouble d’activation de la représentation phonologique au niveau du lexique phonologique d’entrée.

Les épreuves de discrimination de phonèmes sont correctes en raison de la fonctionnalité du système d’analyse auditive.

Le patient échoue à des épreuves de décision lexicale en modalité auditive alors qu’il réussit en modalité écrite.

Des erreurs entre mots phonologiquement proches sont observées lors des tentatives de répétition.

Ce syndrome cognitif, qui n’a jamais été observé de façon pure, n’a pas été repris dans la classification d’Ellis et Young.

* Surdité au sens des mots :

Ele a pour origine un déficit d’accès au système sémantique.

Le patient réussit les épreuves de discrimination phonémique et de décision lexicale, ce qui indique que les deux premiers niveaux sont fonctionnels.

La compréhension des mots entendus est altérée alors que la répétition est possible.

De plus, la préservation de la compréhension écrite permet d’exclure la perturbation du système de traitement sémantique lui-même.

Les perturbations peuvent affecter plus spécifiquement les mots abstraits.

* Atteinte du système sémantique :

Elle correspond à une dégradation des représentations sémantiques.

Ce dernier syndrome ne constitue pas un trouble de compréhension spécifique à la modalité auditive car la compréhension est défectueuse quelle que soit la modalité de présentation.

Des troubles sont également présents en production orale ou écrite.

E – MODÈLES CONNEXIONNISTES :

Les modèles connexionnistes diffèrent des modèles cognitifs sur le plan du sens des activations et de leur étendue.

Leur application à la compréhension orale est bien implantée en neuropsychologie (modèle Trace de McClelland et Elman, 1986).

Nous prendrons pour exemple le modèle de Martin et Saffran.

1- Compréhension :

L’architecture globale du modèle de Martin et Saffran comporte plusieurs niveaux d’unités (de type phonologique, lexical et sémantique) connectés entre eux par des processus d’activation bidirectionnels (« feedforward » et « feed-back »).

Ses caractéristiques fondamentales sont les suivantes :

– les activations des différents niveaux se recouvrent partiellement sur le plan temporel ou peuvent s’effectuer de façon simultanée ;

– les processus « feedforward » propagent l’activation aux items cibles et aux items proches d’une même couche d’unités (candidats potentiels), alors que les processus « feed-back » servent à stabiliser l’activation des items cibles à partir d’informations provenant des niveaux inférieurs ou supérieurs.

Les auteurs insistent sur le décours temporel de la propagation des activations d’un niveau de représentation à un autre et sur le caractère très éphémère des activations au niveau phonologique.

2- Pathologie :

Cette modélisation a conduit à des interprétations différentes de celles proposées dans le cadre de modèles cognitifs sériels.

La dysphasie profonde s’explique ici en termes de déclin anormalement rapide de l’activation phonologique.

L’occurrence d’erreurs sémantiques suggère que le niveau des représentations sémantiques a été activé et qu’il ne s’agit pas d’un trouble de propagation d’activation.

L’effacement pathologique des indices phonologiques empêche la poursuite des activations en boucle unissant cibles phonologiques et sémantiques et ne permet plus de guider le choix entre les représentations sémantiques activées (cible et candidats potentiels).

Cette section consacrée à l’approche cognitive de l’aphasie a exposé l’architecture générale des processus mentaux requis par la production et la reconnaissance des mots.

Les dysfonctionnements des divers stades de traitement de l’information ont suscité un certain nombre d’hypothèses qui, pour la plupart, ont été validées par des cas relativement purs.

L’apport original de l’interprétation cognitive est de montrer que sous des aspects extérieurs similaires, les troubles peuvent avoir des origines différentes.

C’est le cas du manque du mot, des erreurs sémantiques ou des erreurs phonémiques.

Cette approche constitue une base théorique incontestable à la rééducation.

Toutefois, une de ses limites réside dans sa totale dépendance vis-à-vis du modèle théorique sur lequel elle s’appuie, ce que nous venons d’illustrer avec l’exemple de la dysphasie profonde.

On peut espérer que de nouveaux développements sauront mieux rendre compte de toute la dynamique du langage en intégrant les interactions avec d’autres fonctions comme par exemple l’attention, certains composants mnésiques ou encore, les fonctions exécutives.

Suite

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