Aphasie (Suite)

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Aphasie de l’enfant :

Aphasie (Suite)L’aphasie de l’enfant est « un trouble du langage consécutif à une atteinte objective du système nerveux central et survenant chez un sujet ayant déjà acquis un certain niveau de connaissance verbale », c’est-à-dire l’âge d’acquisition des premières phrases, estimé en moyenne à 2 ans.

Un trouble du langage plus précoce entre dans la catégorie des « dysphasies de développement ».

Le diagnostic d’aphasie chez l’enfant exclut aussi les troubles de la communication liés à un déficit sensoriel ou intellectuel, à un autisme ou à une psychose, et les troubles de la parole comme le bégaiement.

Un mutisme peut être délicat à interpréter, car il peut représenter la phase initiale d’une aphasie aiguë.

A – SÉMIOLOGIE :

Les progrès des connaissances du développement du langage de l’enfant et l’analyse plus fine des troubles d’expression et de compréhension ont montré que la sémiologie est moins éloignée qu’on ne le croyait autrefois de celle de l’adulte, avec cependant une meilleure récupération dont les mécanismes restent hypothétiques.

Dans 85 % des cas, les troubles expressifs prédominent sur les troubles de compréhension et la réduction peut aller jusqu’au mutisme à la phase initiale.

En fait, certains mutismes, posttraumatiques notamment, sont dus à une inhibition psychologique qu’il faut savoir lever pour mettre en évidence la sémiologie proprement aphasique.

La syntaxe serait plus incorrecte que simplifiée.

Dans ce domaine, il est très important de comparer avec l’expression de l’enfant du même âge, tout en sachant qu’il existe une grande variabilité dans le développement normal.

Les troubles articulatoires seraient fréquents, sans toutefois de stéréotypies ni de persévérations motrices, mais les études donnent des résultats contradictoires.

Les aphasies sensorielles sont, comme chez l’adulte, marquées par des troubles de la compréhension, une articulation et une syntaxe conservées et des paraphasies.

Contrairement à ce qui est observé chez l’adulte, il semble exister, avant l’âge de 8 ans, une corrélation inverse entre l’abondance des paraphasies et la fluidité du débit verbal. L’influence de l’âge de survenue de l’aphasie sur l’intensité des troubles de la compréhension est débattue.

En revanche, quand ils sont importants à la phase aiguë, ces troubles semblent de pronostic défavorable.

Toutes les autres formes classiques d’aphasie de l’adulte (aphasies transcorticales motrice et sensorielle, aphasie de conduction) ont également été décrites chez l’enfant, avec des localisations lésionnelles analogues, suggérant une spécialisation précoce des aires cérébrales du langage.

Les troubles de la lecture peuvent être importants et durables.

Ils peuvent impliquer l’analyse graphémique, le décodage et la compréhension.

Quant aux capacités d’écriture, elles n’ont donné lieu à aucune étude détaillée.

Cependant, Alajouanine et Lhermitte et Hécaen ont rapporté que le langage écrit était plus perturbé que le langage oral et que ces difficultés avaient tendance à persister, pouvant jouer un rôle important dans l’échec scolaire ultérieur de ces enfants.

B – ÉTIOLOGIES :

Les traumatismes crâniens sont la première cause d’aphasie chez l’enfant.

L’aphasie succède souvent à un coma initial suivi d’une phase de mutisme akinétique.

Le pronostic est lié à la gravité des lésions plus encore qu’à l’âge.

Les accidents vasculaires (dus à des troubles de la coagulation, des malformations vasculaires ou des cardiopathies emboligènes) donnent des aphasies identiques à celles des adultes ayant des lésions de même topographie.

Même si ces aphasies vasculaires de l’enfant sont moins bénignes qu’on ne l’avait supposé autrefois, leur évolution est comparativement plus favorable que chez l’adulte.

Les infections bactériennes génératrices d’aphasie sont devenues rares chez l’enfant.

En revanche, l’encéphalite herpétique est une cause d’aphasie sensorielle pouvant laisser de lourdes séquelles.

Les tumeurs, plus souvent localisées à la fosse postérieure qu’aux hémisphères cérébraux, sont une cause d’aphasie beaucoup plus rare que chez l’adulte.

Elles donnent surtout lieu à une anomie.

C – PRONOSTIC ET RÉCUPÉRATION :

Le pronostic est nettement plus favorable que chez l’adulte, mais 25 à 50 % des enfants aphasiques auraient encore des troubles du langage 1 an après le début.

Une épilepsie est un élément défavorable. D’autre part, les lésions diffuses et/ou bilatérales (souvent d’étiologie infectieuse) sont de mauvais pronostic.

Lenneberg a esquissé une évolution en fonction de l’âge d’acquisition de la lésion.

De 18 mois à 3 ans, on observe une reprise de l’acquisition du langage après une brève période de mutisme dont le caractère aphasique n’est pas démontré.

Cette reprise se fait selon le schéma du développement normal : lallations, mots isolés, holophrases, mais à un rythme accéléré.

Entre 3 et 4 ans, les troubles aphasiques sont rapidement résorbés.

De 4 à 10 ans, le tableau d’aphasie de l’enfant typique (expression réduite, mais troubles de compréhension modérés) se résorbe plus lentement, sans que la vitesse de récupération soit clairement influencée par l’âge au moment de la lésion.

D – « PRIX DE LA RÉCUPÉRATION » :

Lenneberg a considéré la plasticité cérébrale comme le facteur expliquant la meilleure récupération de l’enfant.

Cette plasticité a pour conséquence le transfert des capacités de langage, que les aires initialement prévues sont devenues incapables d’assumer, vers l’hémisphère contralatéral ou vers d’autres aires du même hémisphère.

Un effet pervers de ce mécanisme serait d’empêcher les aires nouvellement investies de fonctions linguistiques d’accomplir leur spécialisation dans des processus non verbaux, expliquant ainsi une partie des difficultés scolaires que rencontrent les enfants aphasiques en cours de récupération dans de multiples domaines cognitifs autres que le langage.

Une autre explication pour ces difficultés serait la présence de lésions présentes initialement au niveau de ces mêmes aires « vicariantes », mais passées inaperçues en raison de leur relative discrétion par rapport à l’aphasie.

Les conséquences de ces lésions sur les capacités cognitives non verbales deviendraient apparentes à la reprise d’une activité nécessitant une mobilisation de l’ensemble du fonctionnement cérébral.

E – SYNDROME DE LANDAU-KLEFFNER :

Le syndrome de Landau-Kleffner (SLK) associe une aphasie acquise et des anomalies paroxystiques à l’électroencéphalogramme (EEG), ainsi qu’une épilepsie dans 70 % des cas.

Les deux tiers des patients sont des garçons. Le début se fait dans 80 % des cas entre 3 et 8 ans, dans 45 % des cas par une aphasie, dans 16 % des cas par une épilepsie et dans 17 % par les deux simultanément.

L’aphasie débute par des troubles de la compréhension orale, pouvant être pris pour une surdité, puis comporte des paraphasies et des erreurs phonémiques, une inattention et une agnosie auditives.

Il peut s’y associer une hyperkinésie.

Dans les cas les plus précoces (10 %), l’aphasie peut se présenter comme un retard de langage.

Les tests montrent une préservation des capacités non verbales.

Les crises d’épilepsie, quand elles surviennent, peuvent évoquer une épilepsie à paroxysmes rolandiques, ou se présenter sous la forme de clignements, de déviation du regard, de petits automatismes moteurs ou de chute de la tête, suivis ou non d’une généralisation secondaire.

L’EEG est un élément essentiel du diagnostic.

Il montre, sur une activité de fond normale, des pointes et pointes-ondes de grande amplitude à 2 Hz de topographie variable dans l’espace et dans le temps, mais à prédominance temporale (50 % des cas) ou temporo-occipitale (un tiers des cas).

Ces anomalies sont bilatérales, mais il a été montré par des tests pharmacologiques que le point de départ est unilatéral avec une diffusion contralatérale.

Les anomalies sont accentuées au cours du sommeil lent, où elles peuvent prendre l’aspect d’un état de mal.

Les signes EEG sont les plus fréquents entre 3 et 5 ans, et disparaissent toujours au plus tard après 15 ans. L’imagerie morphologique (scanner et IRM) est normale.

Les mesures de débit sanguin et de métabolisme cérébral peuvent montrer des zones d’hypo- ou d’hypermétabolisme correspondant aux foyers EEG.

Les anomalies métaboliques sont purement corticales, sans altérations au niveau du thalamus.

La magnétoencéphalographie et les enregistrements par électrodes corticales ont démontré que le maximum des anomalies paroxystiques se situe à la partie postérieure de la face dorsale de la première circonvolution temporale, en arrière du gyrus de Heschl.

L’évolution des troubles du langage est d’autant plus sévère que le début est précoce, pouvant aboutir à un tableau proche d’une surdi-mutité.

À l’inverse, l’épilepsie est peu invalidante et régresse toujours totalement avant l’âge de 15 ans.

La normalisation de l’aphasie suit celle des tracés EEG.

Cependant, 10 % des enfants gardent une aphasie grave, et 40 % des difficultés suffisantes pour compromettre leur insertion scolaire et sociale ultérieure.

Le diagnostic différentiel comporte l’autisme et les retards globaux de développement (dans lesquels les troubles cognitifs sont plus diffus), les retards mentaux symptomatiques (dans lesquels il existe des anomalies cliniques et en imagerie), les épilepsies bénignes de l’enfant (où il n’y a pas de troubles du langage), et les aphasies de développement (où manquent les signes EEG).

Le SLK est aujourd’hui considéré comme une forme clinique du syndrome de pointes-ondes continues du sommeil lent (POCS).

L’activité épileptique persistante bilatérale empêcherait, au niveau d’un cortex temporal encore immature, la formation des réseaux neuronaux nécessaires à l’acquisition du langage, sans possibilité de compensation par le cortex contralatéral (contrairement aux aphasies lésionnelles, dont la récupération est bien meilleure chez l’enfant).

L’épilepsie, lorsqu’elle existe, répond en général favorablement à un traitement par benzodiazépines, associées ou non à du valproate.

Le traitement à visée étiologique varie selon la gravité des troubles du langage.

Lorsque ces derniers sont sévères ou durables, la corticothérapie est recommandée.

Des succès ont été obtenus par la chirurgie (transsections sous-piales intracorticales multiples) et par les immunoglobulines intraveineuses.

F – PRISE EN CHARGE DES ENFANTS APHASIQUES :

Dans les cas d’aphasie de l’enfant comme dans ceux de syndrome de Landau-Kleffner, une prise en charge pluridisciplinaire est souhaitable.

Un bilan orthophonique est nécessaire, même dans les cas où le langage est cliniquement satisfaisant.

En effet, des troubles linguistiques discrets (de discrimination phonémique notamment) peuvent ne se révéler handicapants que plus tard, au moment de l’acquisition du langage écrit.

Les troubles plus importants nécessitent naturellement une rééducation.

Elle doit s’accompagner d’un examen psychologique pour évaluer la composante psychoaffective du mutisme ou des troubles du comportement.

Lors de la prise en charge de ces enfants, il est sage d’éviter de formuler trop tôt un pronostic, celui-ci étant incertain en l’état actuel des connaissances.

Rééducation des troubles du langage :

La bibliographie concernant la rééducation des troubles du langage est désormais importante et nous renvoyons le lecteur à des ouvrages récents (Azouvi et al, Eustache et al, Seron et Van Der Linden).

A – RÉCUPÉRATION SPONTANÉE :

La restauration des mécanismes du langage dépend de multiples facteurs qui viennent peser sur la récupération spontanée et l’efficacité des techniques thérapeutiques.

1- Mécanismes neurophysiologiques :

Ils incluent la levée du diaschisis et les phénomènes de plasticité cérébrale et de vicariance.

Des travaux récents utilisant les techniques d’imagerie fonctionnelle (TEP et IRMf) ont ainsi confirmé le rôle tantôt de régions intrahémisphériques gauches, tantôt de l’hémisphère droit dans la récupération de certaines fonctions linguistiques.

De plus, ils ont montré que la rééducation, même à distance de la survenue de la lésion cérébrale pouvait améliorer les performances déficitaires et modifier la réorganisation cérébrale (patients suivis en thérapie mélodique et rythmée, alexie phonologique rééduquée 25 ans après un accident vasculaire).

2- Facteurs liés à la lésion :

La taille de la lésion est le facteur prédictif de récupération le plus important.

L’étiologie est mentionnée avec une influence plus positive lors de traumatismes crâniens que de lésions vasculaires.

Aucun résultat généralisable n’apparaît en ce qui concerne le site de la lésion, ni le tableau clinique.

3- Variables individuelles :

Les données concernant l’âge sont parfois contradictoires, mais la présence d’affections associées au cours du vieillissement pèse sur les capacités de récupération.

La préférence manuelle semble avoir un impact, avec un avantage pour les gauchers (en raison d’une organisation fonctionnelle cérébrale moins asymétrique que chez les droitiers).

Le niveau d’éducation aurait surtout une influence dans le profil du tableau aphasique. Les effets liés au sexe et au multilinguisme restent peu démonstratifs.

La motivation et les facteurs psychosociaux qui sont vraisemblablement très importants ont été peu étudiés.

B – STRATÉGIES DE RÉÉDUCATION :

Trois grandes orientations peuvent être distinguées.

1- Approche empirique :

L’intervention est basée sur la stimulation et/ou le réapprentissage et s’appuie essentiellement sur des faits sémiologiques.

Cette démarche intuitive a inspiré durant des décennies les premières techniques de rééducation.

Si elle manque de justification théorique, elle s’avère néanmoins souvent efficace et peut être rapidement mise en place chez des patients pour lesquels un diagnostic de type cognitif paraît difficilement envisageable.

2- Approche cognitive :

Ce type d’intervention, qui s’est développé depuis la fin des années 1980, montre beaucoup plus de rigueur théorique, tant dans l’évaluation et l’interprétation des troubles que dans la délimitation des objectifs de rééducation et des techniques choisies.

Son principal inconvénient réside dans la longueur des analyses devant conduire au diagnostic cognitif, lequel consiste à faire des hypothèses sur les mécanismes cognitifs lésés et préservés par rapport à un modèle de fonctionnement du sujet sain.

Cependant, cette étape de diagnostic est tout à fait indispensable pour la mise en place de la thérapie.

Cette approche peut être envisagée même pour des patients souffrant d’atteintes cognitives multiples (perturbation de la voie phonologique de lecture + déficit d’accès au lexique phonologique de sortie…).

Dans ce cas, plusieurs objectifs sont fixés et le thérapeute choisira d’y répondre dans le cadre d’interventions soit successives, soit simultanées.

3- Approche pragmatique (ou écologique) :

Elle est centrée sur la communication.

L’objectif de la thérapie n’est pas la production de messages linguistiques normaux ou corrects du point de vue formel, mais l’utilisation optimale de toutes les capacités résiduelles de communication (mimiques, gestes, dessins).

Un des premiers exemples est la PACE (Promotion Aphasic’s Communicative Efficiency) mise au point par Davis et Wilcox qui utilise diverses formes de communication non verbale et tient compte des paramètres de la conversation spontanée avec le respect de tours de parole pour susciter des échanges dans une situation de communication naturelle.

Cette thérapie est applicable à divers moments de la prise en charge.

Au stade initial, elle est intéressante pour la mise en place de tableaux de communications.

Elle est de règle quand les essais de restauration des fonctions linguistiques s’avèrent infructueux.

Elle a pour avantage de favoriser les échanges dans des situations moins arbitraires que celle de l’examen orthophonique et sans doute de favoriser les transferts dans la vie quotidienne, mais l’étendue de la communication reste limitée.

La rééducation en groupe, entre aphasiques ou avec des membres de l’entourage, s’inscrit également dans ce type d’intervention.

C – MISE EN OEUVRE DE LA RÉÉDUCATION :

Les stratégies concernent les procédés mis en place en vue de l’amélioration des performances ; il s’agit de restauration, de réorganisation d’une fonction ou d’utilisation de stratégies palliatives.

1- Restauration :

Cette stratégie vise à rétablir une conduite linguistique selon son mode de fonctionnement antérieur à la lésion cérébrale.

Ce rétablissement peut s’appuyer sur des techniques de réapprentissage ou de facilitation.

* Réapprentissage :

Il s’applique aux perturbations résultant d’une dégradation des représentations ou des procédures.

Il est utilisé par exemple dans le cas d’agraphie lexicale où le patient garde la possibilité d’écrire en utilisant la voie phonologique de transposition phonème-graphème, mais présente une atteinte des représentations orthographiques qui se traduit par des erreurs de régularisation (hôpital ® opital, second ® segon, antenne ® entaine).

Le travail consiste à réacquérir la connaissance orthographique spécifique des mots.

Ce réapprentissage peut être soutenu par des techniques d’associations de dessins venant souligner et s’intriquer dans les lettres à mémoriser.

C’est le cas également de techniques visant à restaurer des représentations sémantiques à travers des exercices portant sur les traits sémantiques constitutifs d’un concept (évocation, différences entre deux concepts proches…).

* Techniques basées sur la facilitation :

Elles sont utilisées en cas de défaut d’accès à l’information versus dégradation des représentations.

Dans le cas d’un trouble de la dénomination ayant pour origine un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie, plusieurs modes de facilitation peuvent être fournis au patient : clef phonémique, c’est-à-dire première syllabe du mot, ou phonème initial, induction du mot en fin de phrase ou encore répétition et lecture à haute voix pour déclencher la production du mot cible.

Sur le plan théorique, il s’agit de restaurer l’accès phonologique (et plus exactement d’abaisser les seuils d’activation des unités lexicales se trouvant anormalement élevés) en amenant le patient à produire le mot cible de façon itérative.

Ce procédé est ancien et son effet bénéfique à long terme avait été contesté.

Il a été au contraire démontré dans bon nombre d’études récentes très rigoureuses sur le plan méthodologique, tant du point de vue du diagnostic cognitif que de l’application de la thérapie et de l’évaluation de son efficacité.

2- Réorganisation :

Elle est utilisée quand les stratégies de réapprentissage ou de facilitation s’avèrent inefficaces.

Elle vise à contourner le déficit par le recours à des mécanismes ou à des voies préservés qui servent de relais.

Plusieurs publications ont montré l’intérêt et l’efficacité de cette stratégie.

Dans le cas d’un trouble de dénomination résultant d’un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie et associé à des troubles modérés du langage écrit, la thérapie s’était donné pour objectif de réorganiser cet accès en prenant appui sur la représentation orthographique des mots.

Dans un premier temps, un travail a porté sur la restauration des capacités de transposition graphème-phonème (voie phonologique de lecture).

Dans un second temps, en situation de dénomination, le thérapeute a amené le patient à d’abord se représenter mentalement le mot écrit ou au moins ses premières lettres, à lire à haute voix ces premiers graphèmes et à utiliser cette verbalisation comme clef phonémique en vue de produire le mot cible.

Il s’agit donc d’accéder à la forme phonologique du mot en utilisant un moyen de facilitation phonémique généré à partir de la lecture des premières lettres du mot.

3- Stratégies palliatives :

Elles font appel à des procédures de substitution telles que le développement de la communication non verbale par recours aux gestes, mimiques, dessins, pictogrammes.

Elles visent parallèlement l’aménagement de l’environnement.

Il s’agit ici de recourir à d’autres modes de communication que le langage et d’apprendre à l’entourage familial à modifier et adapter sa parole (débit plus lent), son langage (phrases simples, courtes), ainsi qu’à utiliser ou exagérer les mimiques.

La rééducation neuropsychologique s’oriente vers des prises en charges de plus en plus spécifiques et adaptées à un individu particulier.

Les différentes approches présentent des intérêts complémentaires et ont parfois recours à des stratégies communes ou aux mêmes exercices.

Le rééducateur ne doit pas être partisan d’un seul type de thérapie, et son choix doit être guidé par les perturbations aphasiques du patient.

Chez un même individu, différentes approches et stratégies peuvent être envisagées en fonction des phases d’évolution.

D – ÉVALUATION :

Les tentatives d’évaluation de l’efficacité de la thérapie sont longtemps restées difficilement interprétables en raison de problèmes méthodologiques majeurs qui sont principalement :

– le regroupement de patients présentant des profils disparates du point de vue de leurs perturbations cognitives, ou encore du point de vue des variables sociodémographiques et psychologiques ;

– l’absence de prise en compte de la diversité des modes de rééducation utilisés.

Cet état s’est considérablement modifié grâce au développement de l’approche cognitive dont la rigueur méthodologique appliquée au diagnostic et à la mise en oeuvre de la thérapie a également servi la construction de paradigmes d’évaluation fiables. Notons que l’appréciation de l’effet thérapeutique n’est entreprise qu’au niveau individuel.

Ces paradigmes permettent de repérer des effets liés à la récupération spontanée, un effet général de la prise en charge et, plus précisément, de déterminer, parmi les techniques disponibles, lesquelles sont les mieux adaptées au trouble.

Ils permettent enfin de mieux prendre en considération le retentissement de la thérapie en termes de généralisation à des items ou à des tâches non travaillées. Parallèlement, l’approche fonctionnelle tente également d’élaborer des grilles d’évaluation de la communication verbale et non verbale dans des situations simulant ou reproduisant la vie quotidienne.

On peut en effet se demander s’il serait justifié de poursuivre une rééducation sans transfert des acquisitions dans la vie quotidienne.

E – INTERVENTION : QUESTIONS PRATIQUES

Sur le plan pratique, il est actuellement difficile de donner des indications généralisables concernant les questions qui suivent.

1- À quel moment la rééducation doit-elle être initiée ?

Il faut envisager l’intervention du rééducateur aussitôt que possible.

Son rôle consiste alors à informer le patient et sa famille sur ses troubles, sur leur origine et sur les possibilités de prise en charge.

Le bon sens veut que la rééducation elle-même débute dès que, et à condition, que l’état de vigilance et de fatigue du patient le permet.

La précocité de l’intervention semble essentielle dans les cas de mutisme afin d’éviter l’installation de stéréotypies.

Toutefois, de nombreuses études à orientation cognitive ont montré qu’une thérapie pouvait être efficace même longtemps après un accident vasculaire cérébral (plusieurs années) pour des objectifs bien délimités avec des stratégies et des techniques bien définies sur le plan théorique.

2- À quel rythme la thérapie doit-elle être dispensée ?

Les données de la littérature semblent indiquer qu’une prise en charge intensive mène à de meilleurs résultats qu’une prise en charge sporadique.

Toutefois, il faut considérer que la rééducation ne se limite pas au travail effectué avec le thérapeute, mais qu’elle inclut le travail fourni par le patient lui-même lorsqu’il a acquis un certain degré d’autonomie.

Parfois, il peut être envisagé d’alterner des périodes de prise en charge intensive (six fois par semaine pendant 3 mois suivant l’objectif visé) avec des périodes sans prise en charge.

3- Quelle est la durée optimale de la thérapie ?

Il n’est pas rare de mener des rééducations sur plusieurs années en constatant une amélioration continuelle.

Les objectifs évoluent au cours de cette longue prise en charge : si, à la phase initiale, ils visent la restauration totale du langage, ils se tournent, en cas de récupération modérée, vers des objectifs moins ambitieux.

De plus, il paraît parfois difficile de travailler d’emblée et parallèlement l’ensemble des mécanismes perturbés (concernant la compréhension, l’écriture et la production orale par exemple) et le rééducateur est contraint de planifier les objectifs sur le plan temporel.

La question de la poursuite de la prise en charge en l’absence de bénéfice notable sur la vie quotidienne pose problème, mais est souvent justifiée par un soutien psychologique indispensable. Dans ce cas, il serait déraisonnable que le rythme des séances soit élevé.

Cependant, le travail de deuil des capacités antérieures pour le patient et pour les proches doit faire partie des objectifs de rééducation.

Notons que la participation à des associations d’aphasiques permet de faciliter l’acceptation du déficit.

F – ASPECTS MÉDICAUX ET PSYCHOLOGIQUES :

Pour le praticien, neurologue ou médecin généraliste, qui suit un patient aphasique en cours de rééducation, il est essentiel de faire régulièrement l’inventaire des acquis du traitement et de leur traduction en termes de qualité de vie.

La rééducation n’a de sens pour le patient que si elle lui permet d’améliorer ses capacités de communication avec l’entourage et le milieu extérieur, et dans certains cas particuliers, mais rarement de façon prioritaire, ses capacités de lecture ou d’écriture.

Il est judicieux de confronter régulièrement les données de l’examen du patient avec les témoignages de la famille ou des amis. Un tiers en moyenne des patients rendus aphasiques par un accident vasculaire cérébral souffrent d’un état dépressif.

Celui-ci est réactionnel au handicap causé par l’aphasie, et aussi favorisé, dans certains cas, par l’effet direct des lésions sur le système limbique. Les essais de traitement pharmacologique de l’aphasie, visant à lutter contre la réduction de l’expression qui pèse sur les mécanismes d’initiation de la parole dans les aphasies antérieures, n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.

En revanche, un traitement antidépresseur, lorsqu’il est justifié, peut faciliter l’adhésion du patient à la rééducation, lever l’inhibition anxieuse, améliorer l’état général en agissant sur le sommeil, et réduire les réactions agressives dont on connaît les effets destructeurs sur l’entourage familial.

Les états dépressifs peuvent survenir aussi en cours d’évolution, et il faut savoir les détecter chez un malade ayant des antécédents d’accident vasculaire cérébral et qui se plaint, sans raison organique apparente, d’une aggravation de séquelles aphasiques jusqu’alors stabilisées.

Lorsque l’état neurologique et général du patient aphasique permet d’envisager une reprise de l’activité professionnelle, il est essentiel de dresser un bilan des capacités restantes et du potentiel de récupération, et d’en confronter le résultat aux exigences du poste de travail définies par le médecin du travail.

Ces précautions visent à éviter soit de négliger une possibilité de reprise par surestimation de la difficulté, soit au contraire, par une reprise prématurée ou mal préparée, de risquer une situation d’échec qui rendrait les tentatives ultérieures encore plus hasardeuses.

Enfin, on ne saurait trop insister sur l’importance de l’évaluation de l’aphasie dans le cadre de l’expertise médicolégale.

L’expert doit savoir, chaque fois que la complexité, voire l’apparente discrétion des troubles l’impose, dépasser l’examen sommaire du langage effectué au cours de l’examen neurologique et demander un bilan de langage fait par un(e) orthophoniste connaissant parfaitement l’aphasie, sous peine de pénaliser le patient en sous-estimant ses séquelles neuropsychologiques.

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