Aphasie (Suite)

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Troubles du langage écrit :

A – DONNÉES DE LA MÉTHODE ANATOMOCLINIQUE :

Aphasie (Suite)
1- Alexies :

Déjerine (1891, 1892) a décrit l’alexie pure ou agnosique et l’alexie-agraphie.

À ces deux formes est venue s’ajouter une troisième alexie ou alexie antérieure.

* Alexie pure :

Le trouble de la lecture peut être total : aucun mot, aucune lettre ne sont identifiés.

Assez souvent, d’emblée ou après une phase d’alexie totale, une lecture lettre à lettre est possible.

L’écriture est en principe normale, mais souvent un peu altérée par un défaut de contrôle visuel.

Le langage oral est lui aussi en principe normal.

En fait, un certain degré d’aphasie amnésique est fréquent.

Par ailleurs, le malade peut « lire » à condition qu’un canal non visuel soit utilisé : lettres en relief palpées, mots reconstitués à partir de lettres épelées par l’examinateur.

Ceci permet d’affirmer que les mécanismes linguistiques ou « centraux » de la lecture sont conservés et que le trouble se situe sur un versant perceptif visuel. Néanmoins, l’atteinte peut être parfaitement limitée aux symboles écrits.

D’autres troubles visuels sont fréquemment associés : une hémianopsie latérale homonyme droite avec ou sans épargne maculaire, un trouble de la vision des couleurs, beaucoup plus rarement, une agnosie visuelle pour les objets et les images.

Les lésions responsables siègent toujours dans le lobe occipital dominant.

Il s’agit le plus souvent d’un infarctus du territoire de la cérébrale postérieure détruisant la région calcarine et le splénium du corps calleux.

D’autres lésions, notamment tumorales, peuvent être en cause.

Selon la conception de Déjerine et plus récemment de Geschwind, elles auraient toujours pour résultat de réaliser une déconnexion entre informations visuelles et aires du langage.

* Alexie-agraphie :

Elle résulte pour Déjerine de la perte des images optiques des lettres en rapport avec une lésion du gyrus angulaire de l’hémisphère dominant.

Cette atteinte centrale du langage écrit explique qu’elle affecte ses deux modalités : réceptive et expressive. L’atteinte de la lecture est massive avec une compréhension nulle, une lecture à haute voix impossible ou jargonnée.

Ce tableau peut être isolé ou associé à des signes d’aphasie de Wernicke ou surtout d’aphasie amnésique.

Il est fréquent d’observer d’autres signes d’atteinte pariétale : apraxie constructive et idéomotrice, syndrome de Gerstmann.

* Alexie de Benson ou troisième alexie :

Elle s’observe en liaison avec l’aphasie de Broca.

La lecture et la compréhension sont meilleures pour les mots, surtout les substantifs concrets.

Elles sont particulièrement mauvaises pour les lettres isolées.

Ce syndrome, connu en fait depuis longtemps, avait été retenu par Freud comme un argument contre la conception localisatrice des aphasies puisque l’atteinte d’une région cérébrale censée être spécialisée dans le contrôle de l’expression orale entraînait aussi des troubles de la lecture (Freud, 1892).

* Alexie des aphasies :

En dehors des variétés d’alexie bien définies citées ci-dessus, la lecture est troublée dans presque toutes les variétés d’aphasie.

Le plus souvent, la lecture à haute voix est altérée au même degré que les autres variétés d’expression orale.

Nous citerons quelques situations où cette règle se trouve en défaut ou revêt des aspects particuliers.

Outre les rapports étroits unissant la troisième alexie et l’aphasie de Broca, dans l’aphasie de conduction, la lecture est fréquemment meilleure que la répétition.

Les troubles prédominent souvent sur les mots grammaticaux qui sont omis ou substitués entre eux.

Dans l’aphasie de Wernicke, il n’est pas rare d’observer une dissociation entre les atteintes du langage oral et du langage écrit.

La prédominance des troubles sur ce dernier se rapproche de l’alexie-agraphie.

Le cas contraire a l’intérêt de montrer que le langage écrit possède une certaine autonomie et n’est pas une simple transposition du langage oral.

Dans l’aphasie transcorticale sensorielle, au contraire, le parallélisme entre les épreuves de transposition, répétition et lecture à haute voix, toutes deux bien effectuées mais sans compréhension, confirme une atteinte du niveau sémantique, au-delà des mécanismes propres à chaque modalité de langage.

2- Agraphies :

Parmi les classifications des agraphies, aucune n’est réellement satisfaisante d’un point de vue sémiologique.

La plupart s’appuient sur les troubles associés ou sur des topographies anatomiques et seulement de façon accessoire sur les caractères propres de la production graphique (Morin et al, 1990).

Une description clinique pourrait distinguer les agraphies suivantes.

* Classique agraphie apraxique :

La réalisation des lettres y est impossible ou si altérée qu’elles sont méconnaissables.

* Agraphie appelée « de l’aphasie de Broca » :

Elle accompagne assez régulièrement cette aphasie : la production, réalisée le plus souvent de la main gauche, est très réduite, limitée à quelques substantifs composés de grandes lettres majuscules très maladroitement réalisées

* Autres :

On peut regrouper le reste sous l’appellation d’agraphies fluentes, caractérisées par l’exécution de lettres suffisamment bien formées et par une production d’une certaine abondance.

Ce groupe, très important, est bien entendu hétérogène.

En première analyse, on peut distinguer d’abord des erreurs de type verbal avec des paragraphies surtout démonstratives lorsqu’elles sont de type sémantique ou morphologique, pouvant ou non se retrouver dans l’expression orale.

Un deuxième groupe comprendrait les erreurs « phonologiquement plausibles » où les mots d’orthographe irrégulière sont écrits « comme ils se prononcent ».

Dans le troisième groupe, on rencontrerait les erreurs littérales : substitutions, déplacements, omissions, intrusions de lettres.

Ces erreurs peuvent être relativement rares, laissant le mot reconnaissable, ou très nombreuses, pouvant aboutir à une jargonagraphie.

* Agraphies pures :

Elles ont été recherchées par des générations de neurologues comme pouvant élucider les mystères de cette modalité du langage et permettre de localiser un centre de l’agraphie conforme ou non à celui qu’Exner (1881) avait situé à la partie postérieure de la deuxième circonvolution frontale.

Elles sont restées très rares ou imparfaitement pures, parfois décrites chez des sujets pour lesquels l’époque et la profession faisaient douter qu’ils aient possédé avant leur maladie une bonne maîtrise de l’écriture.

Elles ne sont univoques ni dans leur symptomatologie ni dans leur localisation lésionnelle, cette dernière paraissant toutefois plus pariétale que frontale.

B – APPORT DE LA PSYCHOLOGIE COGNITIVE :

L’approche cognitive des troubles du langage écrit peut être effectuée à partir du schéma général des activités de langage proposé au chapitre précédent.

Nous envisagerons successivement les perturbations de la lecture à haute voix et celles de l’écriture en différenciant les troubles centraux et les troubles périphériques, Morin et al, 1990.

1- Lecture à haute voix :

* Modèle théorique :

Les mécanismes de lecture à haute voix sont décrits à partir d’un module d’analyse visuelle et de deux voies principales de lecture : lexicale et phonologique.

L’analyse visuelle regroupe différentes opérations qui assurent le traitement des propriétés visuelles (analyse rétinocentrée en traits) et l’identification des lettres suite à une analyse de regroupement des traits (centrée sur le stimulus) et l’accès à un niveau de représentation graphémique abstraite.

Cette dernière étape est, selon certains auteurs, assimilée à un buffer graphémique pouvant être commun à la lecture et à l’écriture.

Par ailleurs, ces différentes opérations seraient sous l’étroite dépendance de processus attentionnels (fenêtre attentionnelle, filtre attentionnel).

La voie lexicale, à partir du module d’analyse visuelle, gagne le lexique orthographique d’entrée où est activée la représentation orthographique correspondant au mot présenté, puis le système sémantique où il est compris, le lexique phonologique de sortie où est activée sa forme phonologique et enfin, la mémoire tampon phonologique, relais obligé de toute expression orale.

Une voie lexicale non sémantique reliant le lexique orthographique au lexique phonologique de sortie est envisagée.

La voie phonologique relie le module d’analyse visuelle à la mémoire tampon phonologique en passant par un module de conversion des graphèmes en phonèmes.

Elle est utilisable pour les non-mots et les mots à orthographe régulière.

* Alexies périphériques :

Un déficit lors de l’analyse visuelle se traduit par une incapacité à lire des lettres isolées ou des séquences de lettres, l’alexie littérale. Un retard dans l’identification des lettres et des substitutions entre lettres physiquement proches sont observés, ainsi qu’une augmentation des difficultés lors de la présentation de mots longs.

La nature perceptive des troubles est particulièrement manifeste chez des patients qui indiquent une impression de chevauchement des lettres et dont la lecture est améliorée par un espacement plus grand entre les lettres.

Un déficit de la composante attentionnelle peut expliquer une difficulté à traiter en parallèle les différentes lettres d’un mot.

Cette perturbation est particulièrement démonstrative dans les troubles d’attention spatiale unilatéraux qui montrent des omissions de lettres au début ou à la fin de mots suivant la latéralisation lésionnelle.

* Alexies centrales :

L’alexie phonologique se caractérise par une impossibilité à lire les logatomes ou non-mots : séries de lettres prononçables, mais ne correspondant à aucun mot de la langue.

La raison de cette incapacité est évidente : quand on utilise exclusivement la voie lexicale, seuls les mots figurant au lexique peuvent être lus.

Cette difficulté contraste avec une préservation de la lecture des mots qu’ils soient d’orthographe régulière ou irrégulière (les mots d’orthographe régulière sont ceux où le rapport graphème-phonème est le plus habituel dans la langue et les mots d’orthographe irrégulière ceux où ce rapport est inhabituel, par exemple « fusil »).

Ce trouble de la lecture peut être presque isolé ou associé à certains effets lexicaux tels un effet de classe des mots : les noms sont mieux lus que les verbes, les adjectifs et les mots grammaticaux sont encore plus mal lus et il existe des erreurs dérivationnelles : le morphème central est conservé mais l’affixe est erroné (chanteur ® chanson).

L’alexie profonde comporte les caractéristiques de la dyslexie phonologique plus des erreurs sémantiques et un effet d’imageabilité : les mots imageables sont mieux lus que les mots abstraits non imageables tels que « option ».

L’interprétation de ces faits est discutée. Pour certains, ils traduisent un dysfonctionnement partiel du système lexicosémantique associé à celui, prédominant, du système phonologique.

Pour d’autres, ils refléteraient le fonctionnement de la voie lexicosémantique seule, amputée de la voie phonologique et de la voie lexicale non sémantique.

Selon un autre niveau d’analyse, la dyslexie profonde surviendrait lorsque les activités de lecture sont assurées par l’hémisphère droit en présence de lésions importantes de l’hémisphère gauche.

L’alexie phonologique et la dyslexie profonde ne peuvent survenir que chez des sujets bien entraînés à la lecture, et aussi dans les langues ayant une orthographe irrégulière comme l’anglais et le français, conditions nécessaires au développement d’une forte voie non phonologique.

L’alexie lexicale ou de surface se traduit par une incapacité à lire les mots irréguliers avec conservation de la lecture des mots réguliers et des non-mots.

Les erreurs concernant les mots irréguliers sont le plus souvent une « régularisation » : les mots sont lus en appliquant les règles de correspondance graphème-phonème les plus usuelles (gars ® acR).

2- Écriture :

* Mécanismes d’écriture dictée :

Ils comportent un module d’analyse auditive, une voie lexicale et une voie phonologique qui convergent vers une mémoire tampon graphémique puis mettent en jeu des mécanismes périphériques.

– L’analyse auditive traite les stimuli entendus sur le plan acoustique et phonétique.

– La voie lexicale passe par le lexique phonologique d’entrée, le système sémantique et le lexique orthographique de sortie pour atteindre la mémoire tampon graphémique.

Une voie lexicale directe reliant le lexique phonologique d’entrée au lexique orthographique de sortie est également envisagée.

– La voie phonologique relie le module d’analyse auditive à la mémoire tampon graphémique par l’intermédiaire d’un module de conversion des phonèmes en graphèmes et de la mémoire tampon phonologique. Alors que la voie lexicale (lexicosémantique ou lexicale directe) repose sur l’activation de représentations orthographiques stockées (qui concernent les mots appris), la voie phonologique est surtout utilisée pour l’écriture de non-mots ou de mots inconnus, mais peut également être efficiente pour des mots réguliers.

– La mémoire tampon graphémique constitue un centre de convergence des voies phonologique et lexicale et le relais obligatoire de toute expression écrite.

Elle est assimilée à une mémoire de travail spécifique du langage écrit qui a pour rôle le maintien à court terme des informations graphémiques issues du lexique orthographique ou de la voie phonologique, qu’il s’agisse de mots ou de non-mots.

Ces informations concernent l’identité abstraite des graphèmes, leur nombre, leur agencement linéaire, leur catégorie (consonne/voyelle), la structure graphosyllabique.

* Troubles centraux :

L’agraphie phonologique est caractérisée par des troubles sélectifs de l’écriture des non-mots.

Des effets de classe des mots et d’imageabilité, similaires à ceux décrits en lecture, peuvent être notés.

La dysgraphie profonde associe les caractéristiques de l’agraphie phonologique avec des erreurs sémantiques.

L’agraphie lexicale ou de surface comporte des troubles sélectifs de l’écriture des mots irréguliers.

Les erreurs sont principalement des « erreurs phonologiquement plausibles » se faisant dans le sens de la régularisation de l’orthographe (femme ® fame).

Un effet de fréquence des mots est souvent présent.

L’alexie phonologique et l’agraphie de même nom sont presque toujours associées, mais il existe des exceptions, notamment un cas d’agraphie phonologique sans alexie et un autre où l’alexie est de type lexical.

Il est donc admis qu’il existe deux systèmes phonologiques distincts pour la lecture et l’écriture et que l’association habituelle de l’atteinte des deux modalités s’explique par la probable proximité de leurs supports anatomiques.

L’agraphie lexicale est, elle aussi, habituellement associée à une alexie, mais celle-ci est de type variable : lexicale, phonologique ou sans spécificité. Les associations entre les deux grands types d’alexie ou d’agraphie et les autres troubles des fonctions supérieures sont assez bien définies.

Les troubles phonologiques sont presque toujours associés à une aphasie, de type variable, avec une prédominance des aphasies de Broca.

Les troubles lexicaux sont moins souvent en liaison avec une aphasie, mais davantage avec des symptômes évocateurs d’une lésion pariétale : apraxie idéomotrice ou constructive, syndrome de Gerstmann.

Un siège plus pariétal des lésions, aux alentours du gyrus angulaire, peut ainsi être supposé.

L’atteinte de la mémoire tampon graphémique se caractérise par des éléments négatifs.

Il en est ainsi de l’absence de signe faisant penser à une atteinte sélective des voies phonologiques et lexicales.

Les troubles sont similaires pour les mots réguliers et irréguliers et pour les non-mots.

Il n’y a pas d’erreur phonologiquement plausible, d’effet de classe, d’imageabilité.

Il n’y aura pas non plus de différence entre les diverses modalités de réalisation de l’écriture : manuscrite, épelée, réalisée avec des lettres mobiles ou à la machine.

Les symptômes positifs se limitent à des erreurs non phonologiquement plausibles (carabine ® cadabine), c’est-à-dire des erreurs de lettres : omissions, substitutions, adjonctions, déplacements.

Ces troubles sont plus marqués pour les mots longs.

* Mécanismes périphériques de l’écriture :

Si l’écriture comporte une organisation centrale ou linguistique parallèle à celle de la lecture, elle comporte aussi une organisation « périphérique » qui lui est propre et qui met en jeu l’activation successive du système allographique et des programmes moteurs graphiques qui sont ensuite traduits en informations neuromusculaires spécifiques.

Le système allographique reçoit les informations concernant les représentations graphémiques abstraites maintenues au niveau de la mémoire tampon graphémique et assure le choix de la forme générale de la lettre en tenant compte des caractères particuliers : majuscule ou minuscule, script ou cursive.

Les programmes moteurs graphiques spécifient pour chaque type de lettre la séquence, la direction et la taille relative des traits.

Cette information est à son tour transformée en commande proprement motrice par le système moteur.

L’existence même de représentations allographiques intermédiaires entre mémoire tampon graphémique et programmes moteurs graphiques n’est pas soutenue par tous les auteurs.

L’ensemble du processus est soumis à un contrôle spatial assuré par l’hémisphère mineur.

Des processus périphériques propres à chaque modalité de sortie sont envisagés.

Une voie de l’épellation orale se dégagerait à la sortie de la mémoire tampon graphémique, et conduirait à la traduction de l’identité abstraite des graphèmes en nom de lettre. Des conceptions alternatives ont été proposées.

Les mécanismes relatifs à l’écriture avec des lettres mobiles ont été peu étudiés.

Les quelques observations publiées qui correspondent vraisemblablement à une atteinte du système allographique seraient plutôt en faveur d’une origine plus proximale, après la mémoire tampon graphémique et parallèle aux voies de l’écriture manuscrite et de l’épellation orale.

* Perturbations périphériques :

À partir de ces notions théoriques, il est possible de prévoir des syndromes neuropsychologiques correspondant à l’atteinte des différents modules.

Si les observations évoquant une atteinte des programmes moteurs graphiques sont nombreuses, elles restent en très petit nombre quand il s’agit de l’atteinte allographique et montrent de surcroît des tableaux sémiologiques disparates.

En cas d’atteinte allographique, les prédictions théoriques sont les suivantes : respect de l’épellation orale et absence de lettres mal formées.

La perturbation la plus caractéristique porterait sur le choix des formes de lettres avec notamment des confusions entre majuscules et minuscules (café ® caFé), mais des erreurs quant au choix de la forme générale de la lettre sont aussi décrites.

L’atteinte des programmes moteurs graphiques donne des altérations morphologiques des lettres par la perturbation de la forme, de la taille et de l’orientation des traits.

Le tableau réalisé correspond à la classique agraphie apraxique.

Un déficit concernant seulement l’accès aux programmes moteurs a été évoqué pour des perturbations se traduisant par des substitutions de lettres montrant des similarités physiques, surtout graphomotrices.

La dysgraphie spatiale résulte d’une perte du contrôle assuré par l’hémisphère mineur sur l’écriture : négligence de la partie gauche de la page, mauvaise orientation des lignes, redoublement de lettres et de jambages, superposition de lettres.

C – APPROCHE CONNEXIONNISTE :

La première modélisation connexionniste des mécanismes de lecture à haute voix a été conçue par Seidenberg et McClelland.

La structure générale en est la suivante : trois couches d’unités connectées entre elles, codant chacune pour des informations spécifiques (visuo-orthographique, phonologique ou sémantique).

Dans ce modèle, la prononciation d’un mot écrit peut s’effectuer soit par un réseau qui connecte directement l’orthographe à la phonologie, soit par un réseau qui fait intervenir la couche sémantique.

Seule la mise en application sur ordinateur d’un apprentissage résultant de connexions entre orthographe et phonologie avait été réalisée.

Plus récemment, un modèle connexionniste alternatif a été proposé par Ans, Carbonnel, et Valdois.

Il repose sur une base d’apprentissage qui comporte à la fois des mots entiers et les segments syllabiques de ces mots et permet d’obtenir des performances de lecture tout à fait comparables à celles de sujets normaux en montrant notamment les mêmes effets de fréquence et de régularité.

De plus, deux lésions distinctes du système aboutissent à des profils de lecture tout à fait proches des tableaux d’alexie de surface et d’alexie phonologique rencontrés chez des patients.

Ces résultats sont d’un grand intérêt car ils confortent la double dissociation (relative à l’atteinte phonologique versus lexicale de la lecture) mise en évidence en pathologie neuropsychologique qui a parfois été remise en question.

Neurobiologie des aphasies :

Nous aborderons successivement dans cette section les corrélations anatomocliniques des différents syndromes, puis des symptômes aphasiques, les renseignements fournis par l’imagerie fonctionnelle sur le support anatomique des différentes composantes du langage, aussi bien chez le patient aphasique que chez le sujet normal et enfin, les relations entre la préférence manuelle et la dominance hémisphérique pour le langage.

A – CORRÉLATIONS ANATOMOCLINIQUES DES SYNDROMES APHASIQUES :

L’essentiel des connaissances dans ce domaine provient de l’étude des accidents vasculaires cérébraux, qui représentent la première cause d’aphasie chez l’adulte.

La distribution des territoires vasculaires, en traçant des frontières anatomiques peut-être arbitraires d’un point de vue fonctionnel, a largement contribué à dessiner les contours de la taxonomie classique, qui a le double mérite d’être universellement connue des neurologues et d’être applicable à la majorité des patients.

Toutefois, cette taxonomie atteint bien souvent ses limites lorsqu’il s’agit d’interpréter un trouble du langage consécutif à des pathologies moins habituelles, ou de tenter des corrélations avec les modèles de la psychologie cognitive.

Il faut alors conduire une description plus analytique de l’aphasie, sous peine de méconnaître un trouble particulier par son intérêt physiopathologique ou comme cible de la rééducation.

Enfin, l’anatomie (pathologique) de l’aphasie fût-elle élucidée, on ne pourrait en déduire simplement l’anatomie (fonctionnelle) du langage.

L’imagerie fonctionnelle apporte aujourd’hui dans ce domaine des informations inédites.

1- Aphasie de Broca :

Les infarctus limités à l’aire de Broca donnent une légère aphasie motrice transitoire qui guérit rapidement.

Les lésions pouvant donner l’aphasie de Broca siégeraient dans la partie postérieure de F3 et dans les régions voisines : partie inférieure du gyrus précentral, insula antérieur, F2, partie adjacente du cortex temporal et pariétal, putamen, noyau caudé et capsule interne.

En définitive, l’aphasie de Broca persistante avec agrammatisme et diminution de la fluence verbale est associée à une large lésion frontopariétale gauche avec généralement une extension sous-corticale.

C’est d’ailleurs une telle lésion qu’a montré l’examen au scanner du cerveau de Leborgne, le cas princeps de Broca.

Il semble prouvé qu’une lésion profonde peut donner une aphasie de Broca.

Naeser et Hayward (1978) pensent que les lésions capsuloputaminales peuvent donner des aphasies de Broca sans agrammatisme ni trouble de la compréhension, ni trouble de l’écriture, tableau proche de l’anarthrie pure.

L’extension en arrière d’une telle lésion ajoute aux signes précédents des troubles de la compréhension et des paraphasies.

2- Aphasie de Wernicke :

Quel que soit le type d’aphasie de Wernicke, l’atteinte de l’aire 22 de Brodmann (aire TA d’Economo) située en arrière des aires 41 et 42 (aires auditives primaires) dans la partie postérieure de T1 est constante.

La lésion peut s’étendre en avant au cortex auditif primaire, en profondeur à la substance blanche sous-jacente et à l’origine du faisceau arqué, en arrière au gyrus angularis (aire 39 ou PG d’Economo) et au gyrus supramarginalis (l’aire 40 ou Pf), en bas et en arrière aux aires 21 (2e temporale), 20 (3e temporale) ou 37 (4e temporale).

L’aphasie de Wernicke à prédominance de surdité verbale (type II) correspond à une atteinte de la partie postérieure de Tl et T2, en arrière du gyrus de Heschl, qui est presque toujours un infarctus du territoire de l’artère temporopli courbe.

La forme avec atteinte prédominante du langage écrit (type III) s’observe dans les infarctus pariéto-pli courbe occupant les aires 39 et 40.

L’aphasie de Wernicke est relativement plus fréquente chez le sujet âgé que l’aphasie de Broca.

Cette différence provient, d’une part du fait que les infarctus sylviens affectent plus souvent le territoire postérieur chez les sujets âgés que chez les sujets jeunes, et d’autre part que les tumeurs cérébrales malignes, autre cause classique de l’aphasie de Wernicke, sont également plus fréquentes chez le sujet âgé.

3- Aphasie de conduction :

Suivant le modèle classique de Lichtheim et Wernicke, repris par Geschwind, l’aphasie de conduction résulte d’une interruption entre l’aire de Wernicke (« centre des images auditives des mots » ou de façon plus contemporaine support anatomique du lexique phonologique) et l’aire de Broca (« centre des images motrices des mots », responsable de la réalisation phonétique).

Ce schéma cognitif correspond ici à un processus langagier (la boucle audiphonatoire) en même temps qu’à une structure anatomique (le faisceau arqué).

L’aphasie de conduction est, de fait, souvent associée à des lésions sous-corticales atteignant la capsule externe ou la substance blanche sous-jacente aux aires 22 et 40, mais aussi à des lésions du cortex insulaire ou pariétal inférieur. Un cas a été décrit au cours d’une sclérose en plaques.

L’interprétation cognitive en termes de dysconnexion doit être nuancée en tenant compte des cas dus à des lésions corticales limitées ou même obtenus chez des sujets épileptiques par des stimulations corticales limitées de la partie postérieure de T1.

Pour Alexander, l’aphasie de conduction constitue l’expression, dans le langage oral, d’un trouble fondamental du maniement de la phonologie, pouvant se manifester par ailleurs dans l’écriture ou dans la lecture sous la forme respectivement de l’agraphie et de l’alexie phonologiques.

Sa corrélation anatomique la plus constante est l’atteinte du gyrus supra-marginalis.

4- Aphasies transcorticales :

* Types de lésions pouvant causer une aphasie transcorticale motrice :

Ce sont celles du cortex prémoteur et préfrontal (aires 6 et 8 ; aires 9, 10 et 11 ; aires 44, 45, 46) d’une part, celles de l’aire motrice supplémentaire et des voies qui en viennent cheminant dans la substance blanche juste en avant de la corne frontale d’autre part.

Il faut en rapprocher les lésions donnant des états prolongés de mutisme.

* Aphasie transcorticale sensorielle :

Elle se présente comme une aphasie de Wernicke sans trouble de la répétition avec souvent une écholalie.

Les lésions ne sont pas univoques : sur la convexité de l’hémisphère gauche, elles touchent les aires 37 et 39, elles peuvent s’étendre aux aires voisines 21 en avant, 18 et 19 en arrière.

D’autres fois, elles siègent en profondeur dans la partie de la substance blanche irriguée par l’artère cérébrale postérieure.

L’aphasie transcorticale mixte est due soit à une lésion entourant les aires périsylviennes en couronne (« isolement des aires du langage »), soit à une lésion profonde de la substance blanche ou du thalamus.

La survenue aiguë d’une aphasie transcorticale mixte serait pathognomonique d’une occlusion carotidienne gauche.

5- Aphasie globale :

L’aphasie globale est due soit à une lésion étendue de l’hémisphère gauche (infarctus sylvien total par exemple), soit à une lésion profonde interrompant à la fois les voies motrices efférentes issues de l’hémisphère gauche et les fibres d’origine calleuse provenant de l’hémisphère droit.

L’évolution pourrait être meilleure dans ce dernier cas, laissant tout de même persister une réduction sévère et durable de la fluence verbale.

Sur le plan étiologique, il convient de noter qu’une aphasie globale aiguë sans hémiplégie est caractéristique d’un accident vasculaire cérébral de mécanisme embolique.

6- Aphasies sous-corticales :

* Aphasies par lésions du thalamus et du striatum :

C’est l’étude des troubles du langage consécutifs aux lésions des noyaux gris et en particulier du thalamus qui a conduit à la description du syndrome d’« aphasie sous-corticale », au sens actuel d’aphasie « dissidente », et dont on peut rappeler ici les trois niveaux de perturbation (Cambier) :

– dynamique attentionnelle et intentionnelle de la communication ;

– choix lexical et cohérence sémantique ;

– exécution motrice de la parole.

Crosson, en s’appuyant sur les observations cliniques et l’imagerie fonctionnelle, a proposé un modèle incluant le thalamus, les noyaux caudé et lenticulaire, plusieurs aires corticales et leurs connexions réciproques.

Les noyaux thalamiques appelés à jouer un rôle dans le langage seraient le ventral antérieur, le noyau réticulaire, le centre médian et le pulvinar.

L’hypophonie et la dysarthrie s’expliqueraient par une atteinte du noyau ventrolatéral, celle du noyau antérieur et des faisceaux mamillothalamique et amygdalo-dorso-médian expliquant les troubles de la mémoire verbale.

Pour rendre compte des particularités sémiologiques des aphasies sous-corticales, Crosson fait l’hypothèse d’un « engagement sélectif » de l’attention en vue de la sélection lexicale, engagement dans lequel le thalamus jouerait un rôle essentiel.

En effet, en langage spontané ou même en dénomination, le choix lexical est une opération beaucoup moins contrainte, parce que moins automatisée, que ne le sont par exemple la lecture ou la répétition.

Il mobilise de ce fait une charge attentionnelle élevée, et représente pour cette raison le maillon faible de la chaîne de production verbale.

La défaillance de cet engagement sélectif provoque une instabilité de l’interface lexicosémantique, d’où une sélection approximative dans un stock lexical par ailleurs intact.

Cette interprétation vise à expliquer la singularité de certaines paraphasies et la fréquence des glissements sémantiques, parfois favorisés par un certain degré de désinhibition où interviennent les connexions thalamofrontales.

Les cas d’aphasie thalamique avec déficits lexicosémantiques catégoriels (anomie pour les noms propres ou pour les termes médicaux) sont des arguments supplémentaires en faveur de l’implication du thalamus dans les processus sémantiques.

* Aphasies par lésions de la substance blanche :

Comme l’ont montré Puel et al, une lésion sous-corticale donne, dans 50 % des cas, une aphasie de type « cortical » (Broca, Wernicke, aphasie globale).

L’imagerie fonctionnelle a révélé en pareil cas le rôle de l’hypométabolisme cortical à distance (diaschisis inter- et intra-hémisphérique), affectant l’activité neuronale des aires du langage pourtant épargnées par la lésion.

Le parallélisme parfois observé entre la régression du diaschisis et la récupération accrédite l’idée que l’aphasie, liée avant tout à une dysconnexion, n’est alors « sous-corticale » qu’en apparence, expliquant les analogies sémiologiques avec les aphasies classiques.

Naeser et al puis Alexander (1989) ont étudié des séries de patients ayant une aphasie par lésions de la substance blanche sous-corticale, dont ils ont effectué un repérage topographique en secteurs :

– la substance blanche périventriculaire, comprenant un secteur antérolatéral situé autour des cornes frontales (qui inclut notamment le faisceau sous-calleux) et un secteur supérieur divisé en trois parties (tiers antérieur, moyen et postérieur) ;

– la substance blanche sous-corticale ;

– les isthmes frontal et temporal situés respectivement entre les extrémités antérieure et postérieure du cortex insulaire et les ventricules latéraux ;

– la capsule interne (bras antérieur, bras postérieur et genou). Une lésion de la substance blanche périventriculaire antérolatérale entraîne un mutisme transitoire suivi d’une réduction plus durable du langage spontané.

Il peut exister également un manque du mot et parfois des paraphasies sémantiques, mais le défaut d’initiation de la parole et de l’écriture est le trouble essentiel.

Ces symptômes résulteraient d’une interruption des voies issues de l’aire motrice supplémentaire et du cortex moteur associatif.

Une lésion de la substance blanche périventriculaire supéroantérieure donne des symptômes identiques avec, en outre, une dysarthrie, une hémiparésie et une apraxie de la main gauche, dus à une dysconnexion à la fois intra-hémisphérique (entre le lobe pariétal et le cortex moteur associatif) et inter-hémisphérique entre les cortex moteurs associatifs droit et gauche.

Une lésion de la substance blanche supéropostérieure est pratiquement sans effet sur le langage. Une lésion combinée de la substance blanche antérolatérale et supérieure (tiers antérieur et moyen) suffit, en coupant à la fois la voie motrice et le faisceau sous-calleux, à entraîner une suspension durable de l’expression orale ou une production réduite à quelques stéréotypies.

Ces lésions multiples de la substance blanche périventriculaire joueraient un rôle primordial dans les formes persistantes d’aphasie de Broca.

Une lésion de la partie antérieure de l’isthme temporal donnerait un trouble modéré de la compréhension du langage oral en interrompant les connexions entre le corps genouillé médian et le cortex auditif, déficit encore majoré en cas de lésion périventriculaire supéropostérieure associée.

Une lésion postérieure de l’isthme temporal serait responsable d’un tableau proche de l’aphasie transcorticale sensorielle.

Les atteintes de la substance blanche sous-jacente à l’opercule frontal ou au cortex central inférieur sont associées à des paraphasies phonémiques.

La dysconnexion ainsi réalisée entre l’aire de Wernicke et l’opercule frontal serait une des causes possibles des substitutions phonémiques particulièrement fréquentes dans l’aphasie de conduction.

B – CORRÉLATIONS ANATOMOCLINIQUES DES SYMPTÔMES APHASIQUES :

L’analyse neuropsychologique d’un trouble du langage ne permet pas toujours d’aboutir à un diagnostic syndromique précis.

Le tableau de chaque patient, s’il peut être inclus dans l’une des grandes catégories de la classification précédente, présente souvent des spécificités qui nécessitent une analyse plus poussée.

L’étude des symptômes pris isolément a l’avantage d’une moindre ambiguïté dans les définitions, et elle offre la possibilité d’une quantification (pourcentage d’erreurs ou de réussite à des épreuves de dénomination, compréhension, fluence) et d’une qualification (proportion des différents types de paraphasies, ou des erreurs phonologiques versus lexicales, par exemple) que ne permet pas l’approche syndromique globale.

Malgré ce surcroît de précision, les résultats des études à visée épidémiologique et de corrélation lésionnelle portant sur les caractéristiques élémentaires des troubles du langage se heurtent à une difficulté que la plus précise des méthodologies ne peut vaincre, celle de la variabilité étiologique.

Les modifications du langage dues à une lésion cérébrale sont influencées non seulement par la topographie de la lésion, mais par la nature et la vitesse d’installation de celle-ci, deux facteurs ayant une influence décisive sur la réorganisation fonctionnelle du cerveau, sur laquelle va, en définitive, reposer le tableau clinique observé.

Les données supposées acquises sur les corrélations clinicoanatomiques des symptômes aphasiques sont donc à nuancer sensiblement en fonction de l’étiologie et de l’évolution de la maladie causale.

C – CERVEAU ET LANGAGE :

1- Aires de Broca et de Wernicke :

L’aire de Broca est le support de la fonction syntaxique du langage.

Cette fonction comprend non seulement l’utilisation des mots grammaticaux, mais aussi le maniement des verbes et, en particulier, de l’expression et de la compréhension des verbes d’action.

Les autres éléments de l’ensemble syndromique constituant l’« aphasie de Broca », telle qu’elle fut décrite par son auteur, sont imputables à l’atteinte de structures avoisinantes : cortex moteur operculaire (troubles arthriques et phonétiques), cortex pariétal inférieur (troubles phonémiques), cortex frontal dorsolatéral (dynamique du discours, mémoire de travail verbale, incitation verbale, inhibition des persévérations, cohérence sémantique).

L’aire motrice supplémentaire et le gyrus cingulaire gauche interviendraient dans l’incitation verbale, et les structures sous-corticales dans les aspects moteurs, ainsi que dans la cohérence sémantique.

L’anatomie fonctionnelle de l’aire de Wernicke a été décrite sous des formes tellement variées qu’il est difficile de prétendre actuellement en donner une vision exacte ou même cohérente.

Schématiquement, il est possible de retenir que la partie postérieure du gyrus temporal moyen et les régions avoisinantes (aires 22, 21 et 37 de Brodmann) sont concernées par le traitement lexical et la correspondance lexicosémantique.

Des sous-spécialisations catégorielles semblent exister, avec une relation fonctionnelle préférentielle entre les noms d’animaux et êtres animés et le cortex temporal latéral inférieur, les noms d’objets manufacturés et le cortex temporal postérosupérieur à la jonction avec le lobe pariétal.

Le gyrus temporal supérieur et le gyrus supramarginal (aire 40) sont, quant à eux, responsables du traitement phonologique, ainsi que de la mémoire verbale à court terme.

Le gyrus temporal supérieur luimême répond à la stimulation par des sons de parole (stimulation phonétique), mais seule sa partie antérieure serait activée lorsque le stimulus forme un message intelligible.

2- Architecture tridimensionnelle des aires cérébrales du langage :

Alexander a proposé les correspondances suivantes entre les structures de l’hémisphère cérébral gauche et le langage envisagé comme un ensemble de systèmes fonctionnels complémentaires :

– un système d’initiation impliquant l’aire motrice supplémentaire et peut-être le cingulum antérieur.

Ces structures projettent sur le cortex frontal dorsolatéral via la substance blanche périventriculaire antérolatérale ;

– un système de production de la parole assurant la qualité de l’articulation et du volume vocal incluant l’opercule frontal et le cortex moteur inférieur, qui projettent sur les noyaux gris centraux (putamen et noyaux caudés) via la substance blanche périventriculaire supérieure antérieure et moyenne, le genou de la capsule interne et la partie postérieure du bras antérieur de la capsule interne ;

– un système d’organisation phonémique impliquant l’opercule frontal, le cortex moteur inférieur et leurs efférences (substance blanche périventriculaire supérieure, antérieure et moyenne), ainsi que l’aire de Wernicke et ses connexions vers l’opercule frontal qui cheminent dans la substance blanche sous-corticale ;

– un système de compréhension auditive comprenant le cortex auditif, l’aire de Wernicke, le cortex associatif temporopariétal et les projections du thalamus sur le cortex d’association auditif via l’isthme temporal ;

– un système sémantique qui impliquerait le thalamus antérieur et latéral, la jonction temporo-occipito-pariétale, ainsi que leurs connexions empruntant l’isthme temporal postérieur et la substance blanche périventriculaire postérieure et supérieure.

D – APPORTS DE L’IMAGERIE FONCTIONNELLE :

Les hypothèses visant à corréler les processus cognitifs à l’anatomie cérébrale doivent désormais se confronter non plus seulement aux données morphologiques, mais à celles de l’imagerie fonctionnelle.

1- Techniques :

L’imagerie fonctionnelle utilise trois types de protocoles :

– études du débit sanguin et/ou du métabolisme cérébral régional au repos chez les aphasiques, permettant d’une part d’identifier des régions hypométaboliques au-delà des lésions vues en imagerie morphologique (diaschisis) et, d’autre part, d’effectuer des corrélations clinicométaboliques ;

– études d’activation chez des aphasiques visant à comprendre les mécanismes de la récupération ;

– études d’activation chez le sujet normal visant à repérer les régions cérébrales dont le métabolisme est modifié au cours d’une tâche donnée.

Les études au repos font généralement appel à la TEP, les activations à la TEP ou à l’IRMf. Compte tenu de la véritable explosion que connaît aujourd’hui la recherche dans ce domaine, cette brève mise au point doit être considérée comme provisoire.

2- Résultats :

Les premières mesures du débit sanguin cérébral chez des patients aphasiques remontent à 1978, montrant pour la première fois une diminution du débit sanguin cérébral plus étendue que la lésion visible au scanner.

La confirmation que cet hypodébit reflète en réalité un hypométabolisme à distance de la lésion a été apportée par la TEP dès 1981.

L’intérêt de ces constatations est renforcé par les études de débit sanguin et/ou de métabolisme cérébral au cours de la récupération des syndromes aphasiques.

Pionniers en ce domaine, Weiller et al ont mesuré le débit sanguin cérébral au repos, puis au cours d’une tâche de langage chez des patients ayant récupéré d’une aphasie de Wernicke, et comparé les résultats avec ceux d’un groupe de sujets normaux.

Chez ces derniers, les tâches linguistiques entraînaient une augmentation du débit sanguin cérébral affectant presque exclusivement les aires corticales temporales et frontales gauches, tandis que chez les patients cérébrolésés, l’augmentation portait également sur les aires homologues de l’hémisphère droit.

Ces résultats suggèrent que la récupération de l’aphasie repose en partie sur la mise en oeuvre de zones hémisphériques droites qui ne sont pas mises en jeu par le langage en temps habituel.

Malheureusement, comme l’ont montré des études en TEP ou en IRMf, la compétence linguistique de ces aires vicariantes est généralement insuffisante pour assurer une récupération de qualité.

Dans les trois études citées, les patients, aphasiques en cours de récupération, soumis à des tâches de langage, voient leur débit sanguin augmenter lors de cette activation dans des proportions variables, mais la qualité de la récupération clinique est seulement corrélée à l’activation des aires corticales gauches juxtalésionnelles épargnées par la lésion, et jamais aux activations des aires corticales homologues de l’hémisphère droit.

Par conséquent, chez les sujets adultes clairement latéralisés, les chances de récupération reposent avant tout sur la préservation d’une partie des aires normalement dévolues au langage au niveau de l’hémisphère gauche.

E – LANGAGE ET PRÉFÉRENCE MANUELLE :

La dominance gauche pour le langage varie de façon linéaire avec la préférence manuelle, passant de 96 % chez les droitiers stricts à 27 % chez les gauchers stricts.

Ces chiffres montrent aussi que chez les trois quarts des gauchers, une lésion gauche risque d’être génératrice d’aphasie, et que d’authentiques aphasies croisées peuvent survenir chez seulement 4 % des droitiers.

Chez les droitiers, les lésions hémisphériques droites symétriques des aires du langage dans l’hémisphère gauche donnent des troubles de la prosodie ou du maniement d’aspects implicites du langage, ainsi que de la reconnaissance de ces caractéristiques chez l’interlocuteur, suivant que les lésions sont antérieures ou postérieures.

Les sujets gauchers ayant une dominance gauche pour le langage ont, comme les droitiers, un planum temporale plus étendu à gauche qu’à droite, mais aussi un corps calleux plus épais que les sujets dont la dominance manuelle et linguistique concorde.

Ce fait suggère que la répartition dans les deux hémisphères des représentations motrices liées à la dominance manuelle et des aires du langage se traduit par une nécessité accrue de communication interhémisphérique.

Troubles de la parole en dehors de l’aphasie :

Il s’agit des troubles dus à la perturbation de la motricité des organes phonatoires, quelle qu’en soit la cause : affections des muscles, de la plaque motrice, du nerf périphérique, du système pyramidal et des systèmes de contrôle cérébelleux et extrapyramidal.

L’examen neurologique commence par l’écoute de la production du malade et l’examen des organes phonatoires.

Les résultats de l’écoute sont entachés de subjectivité et l’examen ne permet pas toujours un diagnostic précis.

Si nécessaire, on peut compléter cet examen par un enregistrement de la production vocale, permettant une analyse plus précise des capacités articulatoires, de la prosodie, de la qualité de la voix et du débit.

Il est classique de proposer des épreuves de tenue de son, de répétition de phrases incluant les intonations déclaratives, interrogatives et exclamatives.

Cet examen apporte des indications sur la hauteur, le timbre et l’intensité de la voix et permet d’identifier les altérations de la parole : faiblesse articulatoire, explosion excessive, assourdissement, imprécision des phonèmes.

Des méthodes instrumentales peuvent être utilisées en milieu spécialisé.

La laryngoscopie indirecte ou mieux directe par fibroscope nasal permet de voir l’aspect des cordes vocales et leur mobilité.

La laryngostroboscopie permet l’examen du fonctionnement des cordes vocales au cours de la voix chantée.

Les examens électromyographiques et cinéradiographiques renseignent sur l’amplitude des mouvements articulatoires et les mesures aérodynamiques étudient les mouvements d’expansion et de contraction du thorax et le volume d’air utilisé lors de la respiration et lors de la phonation.

Les études acoustiques reposent sur l’examen oscillographique.

Il s’agit de l’analyse physique de l’onde sonore qui est visualisée sur un écran cathodique et peut être filmée.

Cette technique permet l’analyse de l’intensité sonore, de la fréquence fondamentale, de la structure acoustique et de la durée des différents segments de la parole (phonèmes, mots, phrases), ainsi que de la durée des pauses.

A – TROUBLES DE LA VOIX (DYSPHONIES) :

Leur diagnostic repose sur la laryngoscopie, montrant l’aspect et la mobilité des cordes vocales, et sur l’examen neurologique qui met en évidence d’éventuels troubles associés.

On décrit des paralysies et des dysphonies fonctionnelles.

1- Dysphonies paralytiques :

L’innervation des muscles laryngés est assurée en totalité par la dixième paire crânienne ou nerf pneumogastrique (X).

Dans la paralysie des cordes vocales par atteinte du X, la voix est faible, parfois chuchotée, soufflée ou présente des cassures en fausset.

Des variantes existent selon que l’atteinte est uni- ou bilatérale (les troubles sont évidemment plus marqués dans ce dernier cas) et selon que la totalité du territoire du nerf ou seulement certaines de ses branches sont atteintes.

Les atteintes globales sont dues soit à une lésion centrale (bulbaire), soit à une neuropathie, les lésions partielles à une compression distale (intrathoracique ou cervicale).

Dans les lésions totales, une paralysie du voile avec nasonnement et troubles de la déglutition s’ajoute aux troubles de la voix.

Une paralysie bilatérale des nerfs récurrents fixe les cordes vocales en adduction, donnant une dyspnée inspiratoire intense associée à une dysphonie.

Une dyspnée laryngée sans dysphonie doit faire évoquer un syndrome de Gerhardt (paralysie sélective des dilatateurs de la glotte), qui peut être d’origine centrale (atteinte partielle du noyau ambigu au cours du syndrome de Shy et Drager), ou périphérique (polyradiculonévrite).

On décrit enfin des cas de paralysie idiopathique des cordes vocales, plus souvent unilatérale (plus fréquente à gauche) que bilatérale, d’évolution régressive et qui constitueraient une forme de mononeuropathie des nerfs crâniens.

2- Dysphonies « fonctionnelles » :

– Des phénomènes de conversion hystérique peuvent comporter mutisme ou voix chuchotée, ou soufflée, enrouée, en fausset. Le diagnostic se fait sur la conservation de la toux qui atteste d’une capacité conservée de fermeture glottique.

– La dysphonie spasmodique est une forme de dystonie focale.

La voix est heurtée, bégayante, étranglée, produite avec effort.

Le trouble est variable, exagéré lors des émotions, parfois absent lors d’une émission imprévue.

À la laryngoscopie, il existe un spasme en adduction des cordes.

Elle peut s’accompagner d’un tremblement de la voix.

Son traitement repose sur l’injection locale de toxine botulinique.

B – TROUBLES DE L’ARTICULATION (DYSARTHRIES) :

1- Sémiologie des dysarthries :

Darley et al distinguent :

– une dysarthrie flasque (paralysies périphériques : polyradiculonévrites, myasthénie, paralysie bulbaire progressive) : faiblesse articulatoire, forte nasalité, découplage de la parole et de la respiration ;

– une dysarthrie spastique (syndromes pseudobulbaires) : faiblesse articulatoire, parole lente, de tonalité basse, voix rauque et étranglée ;

– une dysarthrie ataxique (syndromes cérébelleux) : accentuation excessive et inégalement répartie, prolongation des phonèmes et des intervalles, irrégularités dans la parole spontanée et la répétition, lenteur d’élocution, intensité vocale souvent excessive et irrégulière ;

– une dysarthrie hypokinétique (maladie de Parkinson) : parole monotone dans sa hauteur et son intensité, d’intensité globalement réduite, de rapidité variable, comportant de courtes accélérations et des silences inappropriés, parfois, une palilalie ;

– une dysarthrie hyperkinétique rapide des chorées où la précision de l’articulation, le nasonnement et l’intensité varient rapidement d’un moment à l’autre, celle des myoclonies où existent des interruptions rythmiques de la parole et des nasonnements et celle du syndrome de Gilles de la Tourette.

– une dysarthrie hyperkinétique lente (athétose, dyskinésies et dystonies) : variations de la qualité articulatoire, prosodie excessive et inadaptée, troubles intermittents de la voix ;

– une dysarthrie des tremblements (surtout tremblement essentiel) : voix chevrotante du fait d’altérations rythmiques en hauteur et en intensité ;

– une dysarthrie mixte : (SLA, SEP, maladie de Wilson) ;

– sclérose latérale amyotrophique combinant une atteinte périphérique et pyramidale ;

– sclérose en plaques qui combine des éléments paralytiques et cérébelleux ;

– maladie de Wilson de type hypokinétique avec monotonie de l’accentuation, baisse de la hauteur et de l’intensité se distinguant de la dysarthrie parkinsonienne par l’absence d’épisode d’accélération.

2- Étiologie des dysarthries :

* Accidents vasculaires cérébraux :

Le syndrome dysarthrie-main malhabile comporte une parésie faciale centrale, une dysarthrie et une dysphagie combinées à une incoordination manuelle unilatérale, de mécanisme tantôt cérébelleux tantôt ataxique.

Deux topographies lésionnelles sont possibles : le pied de la protubérance à l’union du tiers supérieur et du tiers moyen ou le genou de la capsule interne dans sa partie supérieure, régions où les fibres pyramidales sont relativement dispersées et où une atteinte sélective du contingent corticobulbaire est possible.

Un tableau analogue pourrait être dû à un infarctus cortical, mais il existe alors un trouble sensitif péribuccal associé. Une dysarthrie mixte (parétique et cérébelleuse) accompagne également le syndrome d’hémiparésie ataxique, dû à une lésion protubérantielle ou capsulaire interne.

Une dysarthrie parétique est fréquente au cours des lésions vasculaires sous-corticales affectant la voie motrice principale ou les noyaux gris, et peut même résumer la symptomatologie après lésion putaminale.

* Autres causes :

Les causes des dysarthries sont trop nombreuses pour être passées en revue ici.

Nous insisterons seulement sur celles dont le diagnostic peut être difficile parce qu’elles constituent le signe inaugural ou prédominant de la maladie.

Dans la sclérose latérale amyotrophique à début bulbaire et surtout pseudobulbaire, la parole est lente, l’articulation faible, la voix nasonnée, rauque et étranglée avec une perte de la prosodie.

La motilité de la langue est réduite. Des troubles de la déglutition peuvent être associés.

En cas d’atteinte du motoneurone périphérique, l’examen montre une atrophie et des fasciculations de la langue, avec, à l’électromyogramme (EMG), des signes neurogènes dans la houppe du menton ou la langue et, en cas d’atteinte centrale, une exagération du réflexe massétérin et une labilité émotionnelle.

La conservation du réflexe du voile contraste avec une motilité volontaire médiocre.

La myasthénie peut réaliser un tableau très proche, mais il n’y a ni fasciculations de la langue ni signes centraux.

On peut recueillir la notion d’une variabilité des troubles ou la mettre en évidence par une épreuve de fatigabilité phonatoire (par exemple, compter jusqu’à 100).

Le diagnostic repose sur le test à la prostigmine ou au chlorure d’édrophonium.

Dans la sclérose en plaques, de brefs épisodes de dysarthrie sont un exemple typique des manifestations paroxystiques de la maladie.

Dans la maladie de Wilson, la dysarthrie serait, en fréquence, le deuxième signe révélateur après le tremblement.

Il s’agit d’une dysarthrie typiquement hypokinétique avec une parole lente, monotone et de faible volume qui s’évanouit avant la fin de la phrase.

Sa survenue chez un adolescent doit absolument faire évoquer le diagnostic.

Il s’y associe souvent une modification du faciès avec un aspect figé et un peu grimaçant et une rétraction de la lèvre supérieure qui donne au malade un air souriant mais niais.

Une dysarthrie progressive peut marquer le début d’une dégénérescence corticobasale ou d’une atrophie corticale focale progressive (voir « Étiologies »).

C – BÉGAIEMENT :

Il s’agit d’un trouble de la parole caractérisé par des répétitions ou prolongations involontaires de l’émission d’un son : syllabe ou mot.

Il s’y associe souvent une activité accessoire de l’appareil du langage, donnant l’apparence d’une lutte ainsi qu’un état émotionnel avec peur, tension, irritations.

Le bégaiement se rencontre plus souvent chez l’homme que chez la femme et nettement plus souvent chez l’enfant que chez l’adulte, ce qui implique que beaucoup de cas, trois sur quatre environ, guérissent en chemin.

L’incidence familiale et même génétique est certaine puisque le bégaiement est concordant à 90 % chez les jumeaux vrais et à 20 % chez les dizygotes.

Le bégaiement disparaît lors du chant, de la parole en inhalation et, le plus souvent, de la lecture à haute voix.

L’audition d’un bruit blanc ou de la parole différée du patient le fait également disparaître, ce qui impliquerait le contrôle auditif dans la pathogénie des troubles.

Mais l’attention est surtout retenue par la possibilité d’un désordre laryngé.

Les blocages surviennent le plus souvent au début des phrases et souvent à la transition entre sons voisés qui demandent une adduction des cordes et sons non voisés qui s’accompagnent de leur relâchement.

Surtout, on a observé chez les bègues un trouble de la relation entre agonistes et antagonistes du larynx.

Ce trouble peut être observé chez les bègues, même lorsque la parole apparaît fluente, mais non dans l’imitation du bégaiement, par des bègues ou des sujets normaux. Différentes théories du bégaiement ont été proposées.

Certaines insistent sur le rôle de la dominance cérébrale pour le langage qui serait imparfaite chez ces sujets.

Les études de dominance manuelle ont donné des résultats incertains.

Les autres théories sont d’ordre psychodynamique : le bégaiement normal du jeune enfant qui apprend la parole par essais et erreurs serait pérennisé par une attitude inadéquate de l’entourage qui cristallise autour de la parole anxiété et crainte de l’échec.

Malgré un large succès d’opinion, ces théories ne semblent pas avoir été suivies de résultats thérapeutiques satisfaisants.

Des lésions cérébrales peuvent être responsables d’un pseudobégaiement, présentant des différences sémiologiques avec le bégaiement idiopathique : les blocages ne surviendraient pas seulement au début des phrases et persisteraient dans la lecture, la répétition et le chant.

Les lésions sont vasculaires ou traumatiques, concernant le plus souvent les aires motrices ou les noyaux gris.

La lésion responsable peut être droite ou gauche.

Dans ce dernier cas, le trouble est souvent associé à une aphasie sans qu’il y ait toutefois de parallélisme dans l’évolution.

Certains cas d’aphasie transcorticale motrice peuvent faire exception : la difficulté à progresser dans le discours, la tendance à la répétition peuvent être directement responsables du bégaiement.

Un bégaiement de l’enfance disparu peut aussi réapparaître à l’occasion d’une affection neurologique, accident vasculaire cérébral ou maladie de Parkinson.

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