Antipaludéens de synthèse en dermatologie

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Antipaludéens de synthèse en dermatologie
Introduction :

Les antipaludéens (ou antimalariques) utilisés en dermatologie sont des dérivés de synthèse ou d’hémisynthèse de la quinine.

La quinine est le principal alcaloïde, extrait de l’écorce d’un arbuste sudaméricain, le quinquina (du genre cinchona).

Les vertus thérapeutiques du quinquina sont connues depuis longtemps puisqu’elles sont mentionnées pour la première fois dans un ouvrage religieux publié en 1639.

Le terme « cinchona » est probablement dérivé du nom de la comtesse Anna del Chinchon, qui est à l’origine de l’introduction du quinquina en Europe ; après une guérison miraculeuse, elle fit parvenir en Espagne une pleine cargaison de la drogue prodigieuse…

Les principes actifs du quinquina ne seront isolés qu’après un siècle et demi d’utilisation, sous forme de poudre, d’extrait ou d’infusion.

En 1820, Pelletier et Caventou identifièrent une vingtaine d’alcaloïdes différents, les plus importants étant la quinine et la cinchonine, et leurs isomères : la quinidine et la cinchonidine.

Mais ce n’est qu’au cours du XXe siècle que les antipaludéens de synthèse (APS) proprement dits sont mis au point, parallèlement à la première guerre mondiale, fruits de recherches allemandes pour pallier la pénurie de quinine engendrée par le conflit.

Ainsi, ont été mis au point des amino-8 quinoléines, puis de la mépacrine et plus tardivement des amino-4 quinoléines.

D’abord utilisées pour lutter contre le paludisme, ces molécules ont ensuite montré une efficacité thérapeutique dans des affections variées, en particulier dans le lupus érythémateux suite aux travaux de Page en 1951.

Pharmacologie :

A – STRUCTURE :

La famille des antipaludéens regroupe la quinine et ses analogues de synthèse (APS) ; ils ont en commun un noyau quinoléine.

Les APS comprennent :

– les amino-8 quinoléines (primaquine, non disponible en France) ;

– la mépacrine (ou quinacrine) qui a été retirée du marché du fait d’un spectre antipaludéen incomplet et de l’importance de ses effets secondaires ;

– les amino-4 quinoléines, les plus utilisés étant :

– la chloroquine, synthétisée à partir de la mépacrine et commercialisée en France sous forme de sulfate (CH) : Nivaquinet qui a une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement du lupus et la prévention des lucites ;

– l’hydroxychloroquine, dérivée de la chloroquine par bêtahydroxylation et commercialisée sous forme de sulfate (HCH) : Plaquenilt qui a l’AMM pour les mêmes indications que la Nivaquinet ;

– l’amodiaquine, disponible sous forme de chlorhydrate : Flavoquinet qui n’a pas d’AMM en dermatologie.

B – PHARMACOCINÉTIQUE :

Les caractéristiques des antimalariques sont comparables pour la plupart des molécules de la famille.

Hydrosolubles, leur absorption digestive est rapide et excellente mais peut tout de même être perturbée par une malnutrition sévère. Un pic sérique est obtenu en 8 à 12 heures.

Dans le sang, 55 % du médicament est lié aux protéines plasmatiques.

Les APS s’accumulent considérablement dans certains tissus : muscle, foie, cerveau, rate, surrénales, rein, hypophyse, poumon, peau (épiderme, derme et mélanocytes) et tissus mélanisés (choroïde, iris, cornée, rétine).

Leur affinité pour la mélanine explique, chez le non-albinos, des concentrations épidermiques cinq fois supérieures à celles du derme, et des concentrations dans la choroïde plusieurs milliers de fois supérieures aux taux circulants.

Par ailleurs, les taux enregistrés au niveau du tissu adipeux, de l’os et des tendons sont inférieurs aux taux plasmatiques.

Concernant la faible distribution graisseuse, il faut donc adapter les posologies en fonction du poids corporel idéal et non pas absolu.

Les concentrations sériques sont proportionnelles aux concentrations viscérales.

À posologie quotidienne constante, les taux sériques augmentent très rapidement la première semaine puis plus lentement pour s’équilibrer avec l’élimination et atteindre un taux constant après 4 à 6 semaines de traitement.

Les APS passent la barrière placentaire et dans le lait maternel.

L’élimination est lente, essentiellement rénale.

La chloroquine est excrétée dans les urines à 75 % sous forme inchangée et à 25 % sous forme d’un métabolite.

L’hydroxychloroquine se distingue par un métabolisme hépatique préalable à l’élimination rénale.

La demi-vie de ces molécules est variable et dose-dépendante.

Le stockage tissulaire important explique la présence de taux détectables d’APS dans les organes, le sérum ou les urines jusqu’à 1 an après l’arrêt du médicament.

Effets biologiques des antipaludéens de synthèse et mécanismes d’action :

En dehors du paludisme, les mécanismes d’action des APS restent mal connus.

Ils seraient liés à des actions variées et synergiques décrites ci-dessous.

A – ACTION ANTI-INFLAMMATOIRE :

L’effet anti-inflammatoire des APS est lié à une inhibition du chimiotactisme et de la phagocytose des polynucléaires, des macrophages et des monocytes d’une part.

D’autre part, les APS exercent une action inhibitrice sur des enzymes protéolytiques et sur la synthèse des prostaglandines impliquées dans l’inflammation.

Ils entraînent également une stabilisation des membranes lysosomiales (avec retard de libération de leurs enzymes protéolytiques) du fait de leur accumulation à l’intérieur des lysosomes.

Ils exercent par ailleurs in vitro un effet antagoniste des effets de l’histamine et de la sérotonine.

B – ACTION IMMUNOSUPPRESSIVE :

Les APS entraînent une inhibition de la formation des cellules LE, des anticorps antinucléaires, du facteur rhumatoïde et une dissociation des complexes immuns circulants.

Ils interfèrent dans la réaction antigène-anticorps, dépendante du complément.

Ces différents phénomènes seraient probablement liés à la diminution de production des cytokines macrophagiques et monocytaires, ainsi qu’à l’inhibition de la transformation lymphoblastique des lymphocytes sous l’influence de mutagène non spécifique.

En outre, l’effet des APS sur les maladies auto-immunes pourrait être lié au rétablissement de l’apoptose de certains lymphocytes T.

C – ACTION PHOTOPROTECTRICE :

La quantité de molécules retrouvées expérimentalement dans l’épiderme ne semble pas suffisante pour permettre aux APS d’agir comme une barrière physique, comme cela a d’abord été postulé.

Pourtant, la chloroquine diminue l’érythème actinique après application sur l’oreille d’un lapin albinos.

Le spectre d’absorption de la chloroquine présente deux pics dans l’ultraviolet A : l’un à 328 nm et l’autre à 342 nm, donc situés en dehors du spectre UVB responsable de l’érythème actinique.

Il a cependant été démontré in vitro que l’irradiation de la chloroquine pouvait modifier sa structure, déplaçant son spectre d’absorption vers les UVB.

L’effet photoprotecteur des APS fait probablement intervenir les mécanismes anti-inflammatoires et immunosuppresseurs discutés cidessus et les interactions avec l’ADN.

D – LIAISON À L’ADN :

La chloroquine se fixe rapidement à l’ADN bicaténaire, en s’intercalant entre deux bases ; elle stabilise ainsi la molécule, inhibant sa dépolarisation enzymatique et les phénomènes de réplication de l’ADN et de transcription de l’ARN.

Il en résulte une inhibition de la synthèse des protéines qui est sans doute à la base de l’activité antibactérienne des APS.

Par ailleurs, la stabilisation de la molécule d’ADN empêcherait l’exposition et la formation d’anticorps anti-ADN.

In vitro, la chloroquine préviendrait la formation de dimères de thymine après irradiation UV, mais cette propriété reste incertaine in vivo.

E – ACTION ANTIAGRÉGANTE :

Les APS inhibent l’agrégation plaquettaire.

L’hydroxychloroquine s’est d’ailleurs révélée efficace dans la prévention des thromboses veineuses profondes.

Ils s’opposent également à l’agrégation des érythrocytes (effet « sludge ») observée dans certaines circonstances pathologiques.

F – ACTION ANTIPALUDÉENNE :

Cette action est due à la forte concentration des APS dans l’hématie parasitée et à leur interaction avec les produits de la dégradation de l’hémoglobine par les protéases du plasmodium, aboutissant à la lyse du parasite.

Il est important de noter qu’aux concentrations thérapeutiques habituelles seules sont observées l’action antipaludéenne, l’action sur les lysosomes et la fixation sur l’ADN et les protéines, les autres effets n’ayant été démontrés que pour des doses expérimentales élevées.

Indications des antipaludéens de synthèse en dermatologie :

En France, seuls la Nivaquinet et le Plaquenilt ont une AMM pour le traitement du lupus érythémateux chronique, du lupus subaigu et du lupus systémique, et pour la prévention des lucites.

Cependant, ces molécules sont prescrites dans de nombreuses autres affections dermatologiques.

A – LUPUS ÉRYTHÉMATEUX :

La première utilisation des APS dans cette indication remonte à 1894 avec l’emploi empirique de la quinine par Payre dans le lupus discoïde.

Ce n’est qu’en 1951 que cette thérapeutique prend son essor grâce à Page qui recommande leur prescription dans cette pathologie (mépacrine).

Dès lors, les antipaludéens vont être largement utilisés dans cette indication, avec des résultats d’autant plus favorables que l’atteinte cutanée est marquée et que l’atteinte systémique l’est moins.

1- Lupus érythémateux chronique et subaigu :

Les APS constituent le traitement de référence du lupus cutané chronique avec une bonne réponse chez 68 à 95 % des patients traités en première intention.

En quelques semaines on observe une amélioration clinique cutanée, significative en moins de 3 mois.

En revanche, à l’arrêt du traitement on assiste à un taux élevé de rechute, estimé à 46 % à 6 mois.

Dans le lupus érythémateux chronique, les APS sont indiqués à partir du moment où la photoprotection et les dermocorticoïdes sont insuffisants.

Ils représentent le traitement systémique de première intention également dans le lupus subaigu et peuvent constituer un véritable test thérapeutique à valeur diagnostique.

Les schémas thérapeutiques comportent un traitement d’attaque suivi d’un traitement d’entretien, adaptés à l’évolution clinique.

Les récidives peuvent être traitées efficacement suivant les mêmes schémas avec la chloroquine ou l’hydroxychloroquine.

Une étude récente a permis de mettre en évidence de façon significative que les patients fumeurs atteints d’un lupus érythémateux chronique répondent moins bien à un traitement par APS.

2- Lupus érythémateux systémique :

Les APS y sont prescrits en tant que traitement d’appoint ou pour prévenir les rechutes.

Ils ont une efficacité essentiellement sur les manifestations cutanéomuqueuses, avec cependant une amélioration de certaines manifestations extracutanées du lupus systémique (signes articulaires, signes généraux, polysérites, diminution de fréquence des poussées) et jouent alors un rôle d’épargne de la corticothérapie générale. Leur interruption brutale peut déclencher des poussées d’aggravation.

Certains auteurs leur attribuent un hypothétique effet antithrombotique et protecteur contre l’athérome.

Par ailleurs, des cas de lupus érythémateux profond (panniculite lupique) ont aussi été traités avec succès par les APS.

En pédiatrie, les APS peuvent également être prescrits dans les différentes formes de lupus.

B – LUCITES IDIOPATHIQUES :

Les APS ont démontré dans des petits essais contrôlés qu’ils pouvaient réduire la sévérité des poussées de lucite polymorphe (60 à 80 % de réponses favorables).

Pour certains auteurs, les APS ne sont à utiliser qu’en cas d’échec des caroténoïdes, des photoprotecteurs externes et de la photothérapie (UVB ou PUVAthérapie).

Dans les lucites estivales bénignes, une amélioration significative des manifestations cliniques (délais d’apparition plus longs, moindre extension, diminution de l’intensité des signes fonctionnels et de la durée de l’éruption) a pu être constatée sans toutefois observer de changement dans la fréquence des éruptions.

Ils sont en général débutés 7 à 15 jours avant l’exposition solaire et poursuivis durant l’exposition.

Par ailleurs, l’intérêt des APS est incertain dans de nombreuses éruptions photo-induites comme le prurigo actinique, l’urticaire solaire, l’hydroa vacciniforme et les photosensibilisations rémanentes.

C – PORPHYRIE CUTANÉE TARDIVE :

Les APS sont indiqués soit en alternative des saignées (qui restent globalement plus efficaces), soit en complément.

Ils agissent par formation de complexes hydrosolubles avec les porphyrines hépatiques, permettant un accroissement de leur excrétion urinaire.

Le plus souvent, des doses de 100 à 300 mg par semaine pendant 3 à 18 mois sont préconisées car les APS peuvent déclencher des crises aiguës marquées par une hémolyse massive et une hépatite cytolytique.

En pédiatrie, une étude a montré l’efficacité d’un traitement combiné par APS chez deux enfants atteints d’une porphyrie cutanée tardive.

D – SARCOÏDOSE :

L’efficacité des APS dans cette indication a été découverte de manière fortuite en 1953.

Ils entraînent une diminution progressive des lésions cutanées et muqueuses après 1 à 2 mois de traitement pour aboutir à un blanchiment en 6 mois, avec cependant une fréquente hyperpigmentation résiduelle et une efficacité purement suspensive apparaissant très inégale.

Il existerait également une efficacité des APS sur les manifestations extracutanées et systémiques de la sarcoïdose (atteinte neurologique, hypercalcémie, adénopathies médiastinales).

E – AUTRES INDICATIONS DERMATOLOGIQUES :

Plusieurs publications rapportent un effet bénéfique des APS sur l’érythème réticulé avec mucinose et sur l’infiltration lymphocytaire bénigne de Jessner-Kanoff.

Les APS donnent des résultats très satisfaisants dans le traitement des manifestations cutanées de dermatomyosite (érythème facial, rash héliotrope périorbitaire, télangiectasies périunguéales, photosensibilité), y compris chez l’enfant.

En outre, l’adjonction des APS dans cette indication permet une diminution progressive des doses de corticoïdes nécessaires pour contrôler l’atteinte musculaire.

Les APS ne semblent avoir qu’une efficacité biologique dans le syndrome de Gougerot-Sjögren.

Ils sont souvent utilisés en première ligne dans la pseudopelade de Brocq sans toutefois avoir démontré leur efficacité dans cette indication ; dans une étude réalisée chez une enfant après 18 mois de traitement, il n’existait aucune progression de l’alopécie, le traitement a alors été suspendu.

Chez l’adulte, comme chez l’enfant, les APS peuvent éviter le recours à la corticothérapie générale dans le pemphigus cicatriciel.

On peut y associer de la Disulonet, ce qui permet un effet plus rapide tout en utilisant des doses plus faibles pour chaque molécule.

L’efficacité des APS a également été rapportée de façon anecdotique au cours du purpura hyperglobulinémique, surtout s’il est associé à un syndrome de Gougerot ou à un lupus, au cours d’affections diverses telles que le lichen scléreux, le granulome annulaire, la stomatite chronique ulcéreuse, les macrochéilites, la réaction du greffon contre l’hôte, la panniculite de Weber-Christian, la sclérodermie, les cryptococcoses et les leishmanioses cutanées, l’épidermolyse bulleuse héréditaire, l’érythème noueux, la fasciite avec éosinophiles…

Ces indications restent incertaines et souvent controversées.

Effets secondaires :

A – EFFETS SECONDAIRES DERMATOLOGIQUES :

Ils sont principalement représentés par les dyschromies survenant lors des traitements prolongés.

Il s’agit le plus souvent de pigmentations allant du gris bleuâtre au mauve noirâtre, indolentes, sous forme de macules souvent confondues avec des ecchymoses.

Elles apparaissent au niveau des régions prétibiales, du lit unguéal, du visage et de la muqueuse buccale.

Parfois, il s’agit d’une pigmentation plus diffuse de toutes les zones photoexposées.

Enfin, des structures plus profondes peuvent être atteintes puisqu’il a été décrit des pseudo-ochronoses des cartilages du nez, des oreilles, de la trachée et même des tissus articulaires.

Les biopsies cutanées réalisées au niveau de ces zones pigmentées objectivent une augmentation non seulement de la mélanine mais aussi de l’hémosidérine dans l’épiderme, la couche basale et le derme.

Ces troubles dyschromiques sont réversibles à l’arrêt du traitement (plusieurs mois).

Un autre type de pigmentation a été décrit avec la mépacrine et de façon moins spécifique avec la flavoquine.

Survenant pour de faibles doses, il s’agit d’une coloration jaune citron généralisée à l’ensemble du tégument simulant un ictère, pouvant toucher les conjonctives, les sécrétions lacrymales, sudorales et nasales.

Elle est de nature inconnue et disparaît en quelques mois après l’arrêt du traitement.

Les APS peuvent parfois engendrer des phénomènes d’hypopigmentation pilaire surtout chez les phototypes clairs.

Les cheveux, d’abord sur leurs racines puis sur toute leur longueur, ainsi que les cils, les sourcils, la barbe, les poils axillaires ou pubiens blondissent, grisonnent ou blanchissent.

Cet effet (achromotrichie) est surtout observé avec la chloroquine, qui aurait une action toxique sur les mélanocytes, et est régressif à l’arrêt du traitement.

Quelques cas d’alopécie et de dermite exfoliative ont été rapportés avec l’hydroxychloroquine.

De rares cas de prurit généralisé ou palmoplantaire (3 à 5 % des patients) ont également été rapportés.

Cet effet secondaire est surtout décrit chez les Noirs africains et, à notre connaissance, n’a pas été notifié chez les sujets Noirs américains. Cette particularité semble provenir de la liaison de la chloroquine à la mélanine et suggère une origine génétique.

Les toxidermies sont des complications précoces, peu fréquentes qui peuvent survenir avec l’hydroxychloroquine ou la chloroquine mais sont surtout observées avec la quinacrine.

Il peut s’agir d’urticaire, de rash maculopapuleux ou morbilliforme, d’érythème pigmenté fixe, de photosensibilisation, d’érythème polymorphe ou encore d’érythème annulaire centrifuge.

Il ne semble pas exister de risque croisé entre les différents APS.

Enfin, les APS peuvent entraîner l’exacerbation d’un psoriasis et le déclenchement d’une érythrodermie.

Ils peuvent également révéler un psoriasis encore latent.

Ces risques imposent donc de peser soigneusement les indications des APS chez les patients présentant un psoriasis et d’être particulièrement vigilant dans le dépistage des effets secondaires.

B – EFFETS SECONDAIRES OPHTALMOLOGIQUES :

Ils constituent le principal risque d’utilisation des APS mais sont de plus en plus rares grâce aux posologies actuellement utilisées.

La rétinopathie est la complication la plus redoutée puisqu’elle peut mener à la cécité.

Sa fréquence de survenue est relativement faible : moins de 300 cas ont été décrits dans la littérature mondiale, rapportés aux dizaines de patients ayant reçu ces traitements.

Elle est liée à l’importante fixation oculaire des APS entraînant la destruction des cônes et des bâtonnets.

Elle touche principalement la macula, support de la vision nette et de la vision des couleurs.

Cette dystrophie maculaire évolue en trois stades :

– le stade préclinique est réversible (0,45 à 4 % des patients), décelé uniquement par certains examens paracliniques comme l’électrorétinogramme et l’électro-oculogramme.

À ce stade, l’acuité visuelle est normale ;

– le stade de maculopathie confirmée est le plus souvent irréversible et stable, pouvant même s’aggraver malgré l’arrêt du traitement. Des signes subjectifs peuvent apparaître : photophobie, difficultés à la lecture, éclairs ou stries lumineuses, scotomes, baisse de l’acuité visuelle.

Le fond d’oeil objective une pigmentation granuleuse en anneau périmaculaire, le champ visuel confirme l’existence d’un scotome annulaire, et la vision des couleurs est très perturbée, de même que l’électrorétinogramme ;

– le stade des séquelles est le dernier stade avec aspect de pseudorétinite pigmentaire au fond d’oeil, achromatopsie, champ visuel de type tubulaire, effondrement de l’acuité visuelle puis cécité.

On considère que le risque de rétinopathie est faible lorsque les doses quotidiennes utilisées sont inférieures ou égales à 4 mg/kg/j pour la chloroquine et à 6,5 mg/kg/j pour l’hydroxychloroquine.

À ces doses, le risque de perte permanente de l’acuité visuelle est également considéré comme faible pendant les 10 premières années de traitement.

Il faut en revanche être vigilant lorsqu’il existe des facteurs de risque tels que l’existence d’une atteinte oculaire préalable, d’une insuffisance hépatique ou rénale, ou encore chez les personnes de plus de 65 ans.

Les APS peuvent entraîner des troubles de l’accommodation qui sont dus à un dysfonctionnement du corps ciliaire et se manifestent par un flou visuel et une diplopie.

Aigus et transitoires, ils surviennent à l’initiation du traitement et sont réversibles à l’arrêt ou à la diminution du traitement.

L’atteinte cornéenne est due aux dépôts progressifs d’un matériel constitué par l’APS lui-même dans la partie superficielle de l’épithélium cornéen.

Le plus souvent asymptomatique (détectée par la lampe à fente), celle-ci peut parfois occasionner la survenue d’un brouillard visuel transitoire ou, plus rarement, la perception de halos colorés autour des lumières.

Ces dépôts surviennent après des traitements prolongés, surtout à fortes doses, et sont réversibles à l’arrêt du traitement ou lors de la diminution des doses.

Leur fréquence est en baisse depuis l’utilisation de posologies plus faibles.

Les dépôts cristalliniens sont tardifs et bénins.

En pratique, le risque de rétinopathie implique une surveillance ophtalmologique systématique dont les modalités restent toujours très discutées.

Un bilan ophtalmologique préthérapeutique doit être réalisé de façon à ne pas imputer à tort la survenue d’une maculopathie aux APS.

Ce bilan servira de référence pour la surveillance ultérieure.

Il doit comprendre un questionnaire sur les troubles subjectifs visuels, une évaluation de l’acuité visuelle, un fond d’oeil, un examen de la vision des couleurs, un examen à la lampe à fente, et éventuellement un électrorétinogramme.

Un contrôle ophtalmologique, réalisé par le même praticien si possible et comprenant les mêmes examens, doit être réalisé tous les 6 mois à 1 an (en fonction du terrain et des doses journalières utilisées).

D’une manière générale, la survenue de signes de rétinopathie au cours d’un traitement par APS impose son arrêt.

Cependant, il faut tenir compte de la spécificité non absolue des tests de dépistage et se référer à l’avis d’un ophtalmologiste expérimenté qui seul peut peser les risques d’une poursuite du traitement sous étroite surveillance.

La poursuite, la reprise, ou l’arrêt du médicament dépendront de l’importance de l’anomalie, de son évolutivité et de l’avis de l’ophtalmologiste.

Certains recommandent le port de lunettes de soleil durant le traitement, en raison d’un rôle potentiellement aggravant de la lumière sur la rétinopathie.

C – EFFETS SECONDAIRES NEUROLOGIQUES ET MUSCULAIRES :

Les signes neuropsychiatriques sont rares et d’intensité variable. Ils surviennent habituellement de façon précoce (premières semaines de traitement).

Ils ont été décrits avec l’hydroxychloroquine, la chloroquine et la mépacrine.

Des manifestations psychiques mineures sont observées en début de traitement et souvent régressives spontanément ou après réduction de dose.

Vertiges, céphalées, bourdonnements d’oreilles, hypoacousie, insomnie, difficulté à se concentrer, irritabilité, anxiété constituent le syndrome neurosensoriel des APS. Ils peuvent conduire à un changement d’antipaludéen.

La psychose toxique, qui a été décrite avec la mépacrine mais aussi avec de fortes doses de chloroquine, est une complication rare.

Elle se révèle par des troubles du comportement, des tableaux dépressifs, confusionnels ou délirants (accès maniaque, hallucinations, schizophrénie).

L’amélioration est rapide après quelques jours ou semaines d’arrêt du traitement, mais peut parfois nécessiter l’utilisation de neuroleptiques.

Les crises comitiales généralisées sont également des complications très rares des APS.

Les neuromyopathies aux APS sont très rares et compliquent le plus souvent des traitements prolongés, même à faibles doses.

Elles sont réversibles en quelques semaines ou mois après l’arrêt du traitement, si le diagnostic est précoce.

Des crampes ont été décrites chez 3 % des patients.

La neurotoxicité et la neuromyopathie sont caractérisées par l’apparition lente et insidieuse d’une faiblesse musculaire, commençant par les muscles proximaux des membres inférieurs, avec hyporéflexie ostéotendineuse.

L’atteinte peut s’étendre aux membres supérieurs et aux muscles d’innervation bulbaire, s’accompagnant parfois d’une fatigabilité de type myasthénique.

Il s’y associe une polynévrite ou une multinévrite sensitivomotrice des membres inférieurs.

Les anomalies électromyographiques confirment l’atteinte mixte neurogène et myogène et peuvent être accompagnées au niveau biologique d’une augmentation des enzymes musculaires.

La biopsie musculaire permet de confirmer le diagnostic en montrant une myopathie vacuolaire, avec en microscopie électronique, la présence d’inclusions denses, de corps myéloïdes, et surtout de corps curvilignes au sein du cytoplasme des myocytes.

Il est parfois difficile, en cas de maladie systémique associée (dermatomyosite, lupus), de faire la part des choses, surtout si une corticothérapie générale est associée au traitement par APS.

Un syndrome spastique des membres inférieurs, des syndromes extrapyramidaux chez les enfants ont également été rapportés avec la chloroquine.

D – EFFETS SECONDAIRES CARDIOVASCULAIRES :

Rarement et tardivement, la chloroquine et l’hydroxychloroquine peuvent provoquer des troubles cardiaques.

Il s’agit en général de modifications de l’ECG (ondes T altérées et allongement de l’espace QT), mais des troubles graves sont possibles en cas d’intoxication chronique ou de surdosage : bloc auriculoventriculaire, défaillance cardiaque, voire arrêt cardiaque, collapsus cardiovasculaire.

Exceptionnellement, des cardiomyopathies ont été décrites après administration de doses cumulées très élevées de chloroquine chez des sujets atteints d’une maladie systémique.

L’histologie montre la vacuolisation et les corps d’inclusion précédemment décrits.

Ces troubles peuvent avoir une évolution spontanément fatale et nécessitent parfois un transfert en réanimation.

E – EFFETS SECONDAIRES DIGESTIFS :

Nausées, vomissements, diarrhées, stomatite et ulcérations buccales sont rapportés avec la chloroquine et l’hydroxychloroquine, surtout en début de traitement.

Ces effets sont bénins et en règle générale régressifs avec une simple diminution des posologies quotidiennes.

Des modifications de la motricité intestinale sont responsables des diarrhées.

Des douleurs abdominales et une anorexie peuvent être associées.

Des élévations des transaminases sériques et d’exceptionnelles hépatites aiguës ont été rapportées (en particulier chez les patients porteurs de porphyrie cutanée tardive).

F – EFFETS SECONDAIRES HÉMATOLOGIQUES :

Majorés pour des posologies élevées, ils peuvent apparaître dès les premiers mois de traitement avec la chloroquine et l’hydroxychloroquine.

La leucopénie est précoce (trois premiers mois), surtout liée à la chloroquine, le plus souvent modérée et réversible à l’arrêt du traitement.

Elle nécessite une surveillance hématologique accrue mais pas l’arrêt systématique du médicament. L’agranulocytose est rare, observée avec tous les APS ; elle peut être grave, voire fatale.

Elle est cependant moins fréquente et moins grave avec la chloroquine et l’hydroxychloroquine à l’inverse des APS plus anciens comme l’amodiaquine et la mépacrine.

Des cas d’anémie arégénérative ont été exclusivement décrits après prise prolongée de mépacrine.

Des anémies hémolytiques peuvent être observées chez les patients ayant un déficit en glucose 6-phosphate déshydrogénase (G6PD).

L’utilisation des APS peut induire l’apparition d’un ictère hémolytique aigu toxique, surtout observé avec les amino-8-quinoléines et la mépacrine.

Une thrombopénie est décrite chez 3 % des patients sous chloroquine.

La pancytopénie est exceptionnelle, par insuffisance médullaire globale.

G – TOXICITÉ EMBRYONNAIRE ET FOETALE :

Les APS passent la barrière placentaire et s’accumulent dans les tissus foetaux.

Des cas isolés d’ototoxicité (surdité congénitale) et d’oculotoxicité ont été rapportés avec la chloroquine.

En outre, il y a eu naissance d’enfants normaux de mères ayant pris ce médicament lors de leur grossesse.

La grossesse n’est pas une contre-indication absolue des APS.

En cas de lupus érythémateux, étant donné les risques de poussées systémiques, il est préférable de poursuivre le traitement s’il a été débuté avant la grossesse.

L’introduction des APS en cours de grossesse est justifiée si l’indication en est impérative.

En cas de grossesse chez une femme sous APS, il est préférable si possible d’arrêter le traitement, mais en aucun cas il n’est recommandé une interruption thérapeutique de grossesse. Pour chaque situation, il faut donc peser les bénéfices et les risques.

Des précautions similaires sont recommandées vis-à-vis de l’allaitement, en préférant la chloroquine dont le passage dans le lait est moins important qu’avec l’hydroxychloroquine.

Contre-indications et surveillance :

Si l’on se réfère au dictionnaire Vidalt 2002, les contre-indications absolues sont représentées par l’existence d’une hypersensibilité à la molécule ou à l’un de ses excipients, d’une rétinopathie préexistante, d’une maladie coeliaque pour la chloroquine en raison de la présence d’amidon de blé comme excipient, d’un syndrome de malabsorption glucose/galactose, d’un déficit en sucrase-isomaltase ou d’une intolérance génétique au fructose en raison de la présence de saccharose comme excipient.

Enfin, l’hydroxychloroquine est contre-indiquée en cas d’allaitement en raison d’un passage important dans le lait maternel.

Les contre-indications relatives sont représentées par la grossesse, l’allaitement pour la chloroquine, le psoriasis, la myasthénie, la sclérose en plaques, l’insuffisance rénale ou hépatique, la porphyrie cutanée tardive et les thésaurismoses, maladies lysosomiales congénitales pouvant être aggravées par l’utilisation des APS.

Enfin, par rapport aux indications dermatologiques, les formes galéniques sont inadaptées pour les enfants de moins de 6 ans.

Il est par ailleurs indispensable de tenir les médicaments hors de la portée des enfants en raison du risque vital lié à l’intoxication aiguë.

Il n’existe pas de consensus en France concernant la surveillance du traitement par les APS. Seules des recommandations ont été proposées.

En plus de la surveillance ophtalmologique précédemment discutée, le bilan préthérapeutique doit comprendre un examen clinique complet, un bilan biologique comprenant bhCG, numération formule sanguine et plaquettes, bilan hépatique, fonction rénale, G6PD chez les sujets prédisposés à un déficit de cette enzyme (Méditerranéens, Africains, Asiatiques) et un électrocardiogramme. Ces examens seront ensuite réalisés à un rythme qui dépend du terrain, de l’âge du patient et des doses journalières utilisées.

Conclusion :

Malgré des effets biologiques et thérapeutiques très étendus, les APS sont utilisés de façon empirique dans la plupart des affections dermatologiques.

Le lupus et les lucites idiopathiques sont en effet les seules dermatoses pour lesquelles les APS ont prouvé leur efficacité au travers d’essais randomisés aboutissant à l’obtention d’une AMM.

Les APS de référence en dermatologie sont l’hydroxychloroquine et la chloroquine qui, aux posologies habituelles, sont d’efficacité équivalente.

Plusieurs enquêtes ont cependant montré que le choix des dermatologues se portait en première intention dans environ 90 % des cas sur l’hydroxychloroquine, réputée moins toxique que la chloroquine.

En effet, les effets secondaires potentiellement induits par les APS sont nombreux, les plus redoutés étant les complications oculaires.

Cependant, la diminution des doses utilisées, notamment dans les indications dermatologiques, et l’instauration d’une surveillance adaptée ont considérablement réduit l’incidence de ces complications et permis une meilleure maîtrise de leur emploi.

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