Antibiothérapie chez la femme enceinte et allaitante

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Modifications physiologiques de la grossesse :

Antibiothérapie chez la femme enceinte et allaitanteToutes les étapes de la pharmacocinétique des antibiotiques peuvent être influencées par la grossesse.

L’augmentation du volume sanguin (de 40 à 50%) provoque un accroissement du volume de distribution et une diminution de la concentration des protéines plasmatiques.

L’augmentation du débit cardiaque, et du taux de filtration glomérulaire (50 %) entraîne une augmentation de la clairance des antibiotiques excrétés par voie rénale.

Au contraire, la clairance de la créatinine est souvent transitoirement diminuée au cours d’une pyélonéphrite aiguë ce qui devrait faire diminuer les doses d’antibiotiques à élimination rénale prépondérante.

L’imprégnation en progestérone induit un accroissement du métabolisme hépatique, une diminution de la mobilité intestinale, un retard à la vidange gastrique et l’absorption des antibiotiques donnés par voie orale se fait souvent de manière imprévisible.

Le passage transplacentaire des antibiotiques, qui varie vraisemblablement selon le terme de la grossesse, détourne un pourcentage important de l’antibiotique du compartiment maternel vers le compartiment foetal. Ce passage des antibiotiques dans le compartiment foetal se fait sans intervention énergétique.

Le placenta se comporte comme une membrane semi-perméable laissant passer les molécules de poids moléculaire assez faible selon une loi de diffusion où interviennent : surface placentaire, épaisseur du placenta, concentration de part et d’autre des membranes et caractéristiques physicochimiques du médicament.

Si l’antibiotique se fixe plus facilement sur les protéines, sa concentration sera réduite chez le foetus, par exemple l’érythromycine.

Ces notions demeurent toutefois très théoriques et nous ne possédons que peu de données sur les concentrations sériques et tissulaires des différents antibiotiques au cours de la grossesse.

Les rares études sur la pharmacocinétique des antibiotiques pendant la grossesse sont sujettes à des critiques car effectuées pendant le travail, avec un placenta sénescent, ou au cours de la grossesse à l’occasion d’un prélèvement par ponction du cordon ombilical ; dans les deux situations, il est rare que l’on puisse obtenir plus d’une paire de valeurs (foetale et maternelle) et donc une cinétique du médicament.

Quoi qu’il en soit, il semble que les taux sériques des antibiotiques soient inférieurs à ceux obtenus en dehors de la grossesse et le corollaire est que les doses devraient être augmentées, ce qui paradoxalement est rarement le cas, par inquiétude vis-à-vis de la mère et de son foetus.

Il importe de noter que les taux sériques obtenus sont la plupart du temps bien supérieurs aux concentrations minimales inhibitrices et peu de publications relatent des échecs dus à des doses d’antibiotiques insuffisantes.

Différentes classes d’antibiotiques et indications pendant la grossesse :

Il est difficile de mettre en évidence la tératogénicité d’un médicament tant les facteurs qui interfèrent sont nombreux et rendent impossible la mise en évidence d’une relation de cause à effet (variations individuelles, effet-dose, moment de l’administration, effet possible de l’affection causale, fréquence des multimédications, études souvent rétrospectives, etc. Les enquêtes françaises et anglo-saxonnes, ainsi que les études des centres de pharmacovigilance n’ont pas décrit de malformations chez le nouveau-né par prise d’antibiotiques en début de grossesse. Ces résultats contrastent avec les études expérimentales effectuées chez l’animal.

Il ne semble pas que la prise d’antibiotiques, quels qu’ils soient, en début de grossesse, puisse justifier une interruption médicale de grossesse.

A – Bêtalactamines :

* Risque tératogène et embryotoxicité :

Les bêtalactamines ont fait la preuve de leur innocuité.

Les pénicillines sont les antibiotiques les plus fréquemment prescrits.

Elles traversent le placenta et donnent des taux élevés dans le cordon ombilical et le liquide amniotique.

L’inconvénient majeur est le risque allergique.

La littérature s’accorde à ne leur reconnaître que de rares effets secondaires sur le foetus et ce médicament est considéré comme sans danger pendant la grossesse.

Les céphalosporines (première, deuxième et troisième générations) sont également considérées comme sans danger.

* – Indications des bêtalactamines :

Les pénicillines sont utilisées aussi bien à visée thérapeutique que prophylactique.

1 – Infection urinaire :

L’infection urinaire peut être responsable d’accouchements prématurés et d’infections néonatales. L’infection urinaire peut revêtir trois aspects : la bactériurie asymptomatique, la cystite, la pyélonéphrite aiguë.

L’amoxicilline est volontiers employée en première intention lors de la cystite (1,5 à 2g /j).

En deuxième intention, on aura recours à l’association amoxicilline-acide clavulanique (1 comprimé à 500 mg 2 fois par jour) ou à une céphalosporine de première ou deuxième génération (1 comprimé à 500mg 2 fois par jour).

L’éventail des bactéries est identique à celui des femmes non enceintes.

On conseillera une antibiothérapie orale bien répartie sur le nycthémère durant 1 semaine, bien que l’on note l’absence de consensus concernant la durée optimale du traitement.

La fréquence particulière de la bactériurie asymptomatique au cours de la grossesse et son risque ultérieur d’entraîner une pyélonéphrite amène à la traiter impérativement, pour certains par le traitement minute, qui serait aussi efficace qu’un traitement d’une semaine. Une rechute (même souche bactérienne) faisant évoquer une atteinte du haut appareil urinaire ou une réinfection (souche différente) conduiront à donner une antibiothérapie adaptée pendant 10 à 14 jours dans le premier cas et 1 semaine au moins dans le second.

La pyélonéphrite aiguë et ses complications (accouchement prématuré, rupture prématurée des membranes, infection néonatale, choc septique) sera traitée d’emblée en traitement parentéral (en règle céphalosporine de troisième génération). Le relais per os, après apyrexie d’au moins 48 heures, sera prolongé pendant 2 semaines.

2 – Listériose :

La listériose chez la femme enceinte se signale par une symptomatologie banale, pseudo-grippale le plus souvent.

Plus évocateurs sont l’apparition d’une température précédant de peu l’accouchement ou l’existence d’un épisode fébrile en deux temps séparé par une apyrexie d’une dizaine de jours.

Rappelons que le diagnostic de grippe chez la femme enceinte doit être réfuté jusqu’à preuve du contraire et que toute fièvre chez une femme enceinte doit conduire à pratiquer des hémocultures et un examen cytobactériologique urinaire.

Cette infection est une urgence thérapeutique.

La gravité des complications contraste avec la simplicité du traitement, qui doit être commencé avant le résultat des hémocultures : il repose sur une antibiothérapie par ampicilline (3 g/24 h en intramusculaire [IM] ou per os pour au moins 15 jours, voire plusieurs semaines, la bactérie pouvant persister longtemps dans la muqueuse de l’utérus).

3 – Syphilis :

Le tréponème pâle ne traverse la barrière placentaire qu’après 16 semaines de grossesse.

Le traitement avant le quatrième mois écarte toute atteinte foetale.

Le traitement pendant la grossesse ne diffère pas de celui de l’adulte et fait appel aux pénicillines retard.

En cas de syphilis récente primosecondaire, on pourra donner au premier trimestre 12 millions d’extencilline (1,2 million d’unités en IM profonde, 3 fois par semaine pendant 3 semaines, à renouveler au début du troisième trimestre). En cas d’allergie à la pénicilline, on utilise un macrolide.

Mais l’érythromycine (2 g/j pendant 3 semaines) traverse insuffisamment le placenta et ne met pas l’enfant à l’abri d’une syphilis congénitale.

4 – Endométrite :

Les germes en cause dans les endométrites et les abcès de paroi sont des germes d’origine vaginale.

L’amoxicilline, l’association amoxicilline/acide clavulanique et les céphalosporines de première et de deuxième génération sont utilisées en première intention.

B – Aminosides :

La grossesse n’est pas une contre-indication absolue pour les aminosides, mais les risques potentiels d’ototoxicité et de néphrotoxicité ne doivent pas les faire prescrire en première intention.

Ceci est démontré pour la streptomycine et la kanamycine, contre-indiquées au cours de la grossesse. On utilise donc la gentamicine (Gentallinet) ou l’amikacine (Amiklint).

C – Tétracyclines :

Les tétracyclines traversent le placenta et se déposent au niveau des dents et des épiphyses des os longs.

Il peut en résulter une hypoplasie ainsi qu’une coloration jaune ou brune des dents de lait, voire un retard de croissance.

Les tétracyclines ne doivent donc pas être prescrites.

D – Macrolides :

Ils ne présentent pas de toxicité majeure, mais certains produits apparentés comme la lincomycine peuvent se trouver à concentration élevée au niveau hépatique.

* Érythromycine

L’érythromycine n’a pas d’effet secondaire chez le foetus mais sa tolérance est plus ou moins bonne.

Elle entraîne des manifestations digestives (nausées, vomissements, gastralgies, diarrhées).

L’érythromycine est fortement liée aux protéines et donc le passage transplacentaire est plus faible (5 à 10%) que celui des bêtalactamines (40 % pour l’ampicilline).

Elle est principalement utilisée dans le traitement des infections à Chlamydia et également des mastites puerpérales pour son efficacité sur le staphylocoque doré souvent en cause.

* Spiramycine et toxoplasmose

L’étude du passage transplacentaire de la spiramycine a montré que :

– chez la mère, les concentrations sériques sont relativement stables au cours de la grossesse mais semblent un peu plus élevées en fin de grossesse ;

– chez le foetus, les concentrations sériques sont significativement plus basses que chez la mère, mais il apparaît que le passage transplacentaire est meilleur en fin de grossesse et en cas d’infestation foetale confirmée.

Il n’est pas prouvé que la spiramycine ait un effet thérapeutique sur un foetus infecté.

La spiramycine diffuse très peu dans le liquide céphalorachidien et ne prévient pas l’encéphalite toxoplasmique.

L’avantage principal de la spiramycine réside dans son entière innocuité chez la femme enceinte et le foetus.

Elle n’a aucun effet tératogène et est bien supportée. La toxoplasmose, maladie bénigne pour la mère, peut avoir des conséquences foetales redoutables.

En cas de séroconversion toxoplasmique, la conduite à tenir dépend du terme de la contamination. Jusqu’à 6 semaines d’aménorrhée (SA), la patiente sera traitée par spiramycine (Rovamycinet), 9 millions UI/j jusqu’à la fin de la grossesse.

Le risque de transmission est très faible mais ce traitement permettrait une réduction de la transmission maternofoetale.

Entre 7 et 24 SA, le risque d’atteinte est faible et celle-ci est grave.

Si l’atteinte foetale n’est pas confirmée par polymerase chain reaction (PCR) sur le liquide amniotique, le traitement continu par spiramycine sera associé à une surveillance échographique.

Une interruption médicale de grossesse est proposée si l’atteinte foetale se confirme.

Au-delà de 24 SA, en cas d’atteinte foetale, la patiente sera traitée par l’association pyriméthamine- sulfadiazine qui peut réduire l’atteinte clinique du foetus, alors que la spiramycine n’a qu’un effet préventif.

E – Métronidazole :

Il traverse le placenta.

L’antibiotique est retrouvé dans le sang du cordon et le liquide amniotique à des taux élevés.

Les imidazolés interfèrent avec la synthèse de l’ADN et bien qu’il n’y ait pas eu de malformations décrites en cours de grossesse, ce médicament doit être évité au cours du premier trimestre.

Il est essentiellement utilisé au cours de la grossesse pour le traitement du Trichomonas vaginalis (Flagyl, 1 ovule intravaginal/ j pendant 7 à 10 jours).

F – Fluoroquinolones :

Les études sur l’animal ont montré que les quinolones se déposent au niveau des cartilages et entraînent des lésions dégénératives provoquant des arthropathies irréversibles. Aucun effet tératogène n’a été rapporté à ce jour mais elles demeurent contre-indiquées.

G – Sulfamides :

Leur effet tératogène, constant en expérimentation animale, n’a pas été prouvé chez l’homme. Ils sont contre-indiqués au premier trimestre.

Dans la période néonatale, les sulfamides favorisent la diffusion de bilirubine dans les tissus et par conséquent l’ictère nucléaire.

Ce mécanisme est particulièrement dangereux chez les prématurés dont les fonctions hépatiques et rénales encore immatures sont à l’origine d’une hypoalbuminémie et une hyperbilirubinémie.

En règle générale, on renoncera aussi aux sulfamides en fin de grossesse et durant le travail.

* Association sulfaméthoxazole-triméthoprime (Bactrimt)

Elle ne doit être employée qu’au deuxième trimestre.

Son utilisation la plus fréquente est la pyélonéphrite aiguë, parfois l’infection urinaire au vu des résultats de l’antibiogramme.

* Association sulfamide-pyriméthamine

La pyriméthamine, non tératogène, en association avec un sulfamide, habituellement la sulfadiazine, constitue le traitement habituel le plus efficace contre la toxoplasmose.

Les deux agents sont des antagonistes de l’acide folique, et l’on associera volontiers de l’acide folinique (50mg tous les 15 jours per os) afin de prévenir la thrombocytopénie et la leucopénie.

H – Nitrofuranes :

Ils sont largement prescrits comme traitement de première intention de la bactériurie asymptomatique ou de la cystite aiguë.

Ils peuvent provoquer une anémie hémolytique chez une patiente porteuse d’un déficit en G6PD.

De même, le nitrofurane (Furadantinet) peut causer des hémolyses et par conséquent une hyperbilirubinémie et une anémie chez les enfants atteints d’un déficit en G6PD.

I – Antituberculeux :

Les quatre antituberculeux les plus utilisés sont l’isoniazide, la rifampicine, l’éthambutol et le pyrazinamide.

Les trois premiers traversent le placenta, la diffusion tissulaire du pyrazinamide est mal connue.

L’expérience clinique est maintenant grande pour l’isoniazide, la rifampicine et l’éthambutol, qui constituent les antituberculeux de choix chez la femme enceinte.

À noter que sur de grandes séries, le déroulement de la grossesse n’est pas affecté par l’existence d’une tuberculose pleuropulmonaire traitée.

J – Phénicolés :

Ils peuvent provoquer chez le foetus une aplasie médullaire par accumulation de la drogue et par effet inhibiteur des synthèses protéiques dans les cellules immatures.

En fin de grossesse, l’accumulation de chloramphénicol peut entraîner chez le prématuré un « syndrome gris » avec collapsus vasculaire dont l’issue peut être fatale par défaut d’excrétion et de conjugaison.

Ils sont donc formellement contre-indiqués.

Antibiotiques et allaitement :

Le lait est un compartiment de diffusion comme un autre et la barrière mammaire ne diffère guère des autres barrières de l’organisme.

Le passage de l’antibiotique dans le lait maternel se fait surtout par diffusion passive et dépend donc de ses propriétés physicochimiques d’une part et de sa concentration dans le compartiment plasmatique maternel d’autre part.

Sur le plan pratique, le problème de l’allaitement est particulier car :

– il est facultatif et peut à tout moment être stoppé en cas de nécessité d’utiliser un antibiotique dont l’innocuité n’est pas démontrée chez le nourrisson ;

– les éventuelles conséquences néfastes sur le nourrisson sont presque toujours immédiatement visibles (diarrhée, vomissements).

Ainsi, pour être dangereux, un antibiotique pris par la mère devra :

– être potentiellement toxique pour le nourrisson (beaucoup ne le sont pas) ;

– franchir la barrière mammaire pour se retrouver à une concentration notable dans le lait ;

– être absorbé par le tube digestif du nourrisson.

Il faut signaler que, du fait de son immaturité, la barrière intestinale du nourrisson est plus perméable au passage des antibiotiques que celle des adultes.

Différentes classes d’antibiotiques et toxicité pendant l’allaitement :

Les bêtalactamines (pénicillines et céphalosporines) passent peu dans le lait.

Aucun incident clinique n’a été décrit.

Les macrolides sont sans danger pour le nourrisson.

La Rovamycinet a une concentration élevée dans le lait de la mère : il doit en être tenu compte dans la décision de maintenir ou non un allaitement, cet antibiotique étant par ailleurs parfaitement toléré par le nouveau-né.

Les bêtalactamines et macrolides sont toujours préférés en première intention même si pour les premiers, le risque d’allergies et d’induction de futures résistances bactériennes est classiquement mis en avant.

Les cyclines passent dans le lait de façon modérée.

Les taux sériques sont indétectables chez le nourrisson et le danger potentiel pour l’émail dentaire n’a jamais été démontré au cours de la lactation.

Les aminosides ont un passage lacté réduit.

L’absorption digestive par l’enfant est nulle mais l’effet sur l’établissement de la flore digestive n’a pas été étudié.

Il y aurait un risque très faible d’otonéphrotoxicité.

Compte tenu des risques articulaires, les pédiatres préfèrent encore éviter les quinolones.

Les antituberculeux : les passages sont très faibles ou nuls dans le lait.

Les risques sont mal connus et il est conseillé d’éviter l’allaitement chez une mère tuberculeuse.

Les sulfamides sont déconseillés lorsque l’enfant nourri est un prématuré ou un nouveau-né en situation de détresse, ou s’il présente un ictère.

L’association triméthroprime-sulfamide (Bactrimt) est classiquement contre-indiquée car présente les mêmes inconvénients.

Les antiseptiques urinaires, acide nalidixique (Négramt), nitrofurantoïne (Furadantinet) et nitroxoline (Nibiolt) sont considérés comme compatibles avec l’allaitement, le Nibiolt étant largement utilisé en pédiatrie, dès la période néonatale.

Conclusion :

L’administration d’antibiotiques à la femme enceinte doit tenir compte des modifications physiologiques propres à la grossesse.

Le choix de l’antibiotique doit être guidé avant tout par la meilleure connaissance des effets secondaires sur la mère et son enfant.

Quand il est nécessaire de traiter une femme qui allaite, il conviendra de choisir des antibiotiques pour lesquels des données fiables existent.

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