Amaurose monoculaire transitoire

0
2995

Introduction :

Le terme « amaurose transitoire » signifie « trouble visuel transitoire ».

Il est habituellement utilisé pour décrire une baisse d’acuité visuelle monoculaire transitoire d’ origine vasculaire ischémique.

Néanmoins , ses causes sont multiples et la survenue d’une « amaurose transitoire » doit conduire à une enquête étiologique très poussée.

Cette revue traite des troubles visuels transitoires strictement monoculaires et d’origine vasculaire.

Ils sont habituellement qualifiés de « cécité monoculaire transitoire » ou « amaurose fugace ».

Amaurose monoculaire transitoireLa cécité monoculaire transitoire consiste en une baisse de l’acuité visuelle strictement monoculaire et transitoire secondaire à un défaut de perfusion brutal et temporaire du globe oculaire.

Le plus souvent, il s’agit d’une ischémie rétinienne (artère centrale de la rétine) ; plus rarement, l’ischémie concerne la totalité du globe oculaire (artère ophtalmique) ou est limitée au nerf optique (artères ciliaires postérieures).

Dans plus de la moitié des cas, elle est secondaire à une sténose athéromateuse de l’origine de l’artère carotide interne, mais elle peut être due à de nombreuses autres affections.

C’est un symptôme important dans la mesure où la cécité monoculaire transitoire peut être annonciatrice d’une baisse d’acuité visuelle définitive, d’un infarctus cérébral ou même parfois d’un risque accru de décès de cause vasculaire.

Caractéristiques cliniques :

La cécité monoculaire transitoire est d’installation très rapide , souvent décrite comme un flou visuel, une ombre, un rideau occultant de haut en bas le champ visuel d’un seul oeil.

Néanmoins, cette description quasi pathognomonique ne se rencontre qu’une fois sur quatre.

Plus souvent, le début est soudain, avec amputation complète ou parfois partielle (altitudinale inférieure ou supérieure) du champ visuel (60 %des cas).

Les progressions latéromédianes ou de bas en haut sont plus rares (5-10 %).

La récupération se fait en général en sens inverse de l’installation.

Elle est parfois accompagnée de phénomènes visuels positifs, tels que des sensations visuelles colorées ou des photopsies.

Parfois, la cécité monoculaire transitoire n’apparaît que lorsque le patient regarde une lumière vive , lors d’un exercice physique , ou après les repas ; certains décrivent une impression de persistance des images lors de l’ exposition à une lumière.

C’est le cas dans certaines sténoses serrées ou occlusions de la carotide interne s’accompagnant d’une mauvaise circulation collatérale et d’une réduction de la perfusion du globe oculaire où toute augmentation de la demande métabolique provoque une cécité monoculaire transitoire.

Les épisodes de cécité monoculaire transitoire sont en général brefs, durant de 2 à 30 minutes.

Marshall et Meadows, en 1968, ont étudié 67 patients ayant fait une cécité monoculaire transitoire, parmi lesquels 51 (76 %) avaient totalement récupéré en moins de 30 minutes et 29, en moins de 5 minutes.

Le plus souvent, les épisodes se répètent, mais avec une fréquence très variable, allant de plusieurs dans la même journée à un ou deux par an, voire moins.

Certaines caractéristiques cliniques des cécités monoculaires transitoires sont fonction de leur mécanisme ; Wray en a donc proposé une classification en quatre types, selon leur mécanisme présumé.

Mais cette classification n’est guère utilisée car elle repose sur des nuances séméiologiques très inconstantes.

A – Examen ophtalmologique. Fond d’oeil :

Lorsqu’un patient est examiné pendant un épisode de cécité monoculaire transitoire, ce qui est rarissime, il est possible de constater une mydriase aréactive homolatérale (liée à une ischémie ciliaire et irienne) ou un phénomène de Marcus-Gunn homolatéral (phénomène de désafférentation pupillaire.

Le fond d’oeil peut être normal, mais aussi montrer un spasme, un embole ou un courant granuleux dans le tronc de l’artère centrale de la rétine ou dans ses branches ; il existe parfois des signes traduisant une ischémie rétinienne chronique (rétinopathie de stase veineuse) ou un oedème papillaire suggérant une ischémie de la tête du nerf optique.

Fisher a été le premier à décrire le passage d’emboles fibrinoplaquettaires dans les artères rétiniennes chez un patient faisant des cécités monoculaires transitoires récidivantes et à les associer à une sténose athéromateuse de la carotide interne homolatérale.

La découverte d’un embole dans le tronc ou une branche de l’artère centrale de la rétine est d’un intérêt majeur ; en effet, cela permet non seulement d’affirmer le mécanisme embolique de la cécité monoculaire transitoire, mais également d’en suspecter l’origine, en fonction de l’aspect de l’embole à l’examen du fond d’oeil.

Au cours de la maladie de Horton, l’ischémie du nerf optique (antérieure surtout, ou postérieure ) peut être révélée par des épisodes de cécité monoculaire transitoire qui se répètent souvent sur un court laps de temps.

L’examen du fond d’oeil montre alors un oedème papillaire s’il s’agit d’une ischémie de la tête du nerf optique (neuropathie optique ischémique antérieure aiguë), mais est initialement normal s’il s’agit d’une ischémie de la partie postérieure du nerf optique (neuropathie optique postérieure).

B – Autres signes :

Les épisodes de cécité monoculaire transitoire restent le plus souvent isolés, mais peuvent parfois s’accompagner de céphalées et/ou d’un accident ischémique cérébral (hémiplégie controlatérale, aphasie…).

La notion de céphalées et/ou douleurs périorbitaires associées aux épisodes de cécité monoculaire transitoire peut orienter le diagnostic.

En effet, la présence de douleurs doit notamment faire évoquer le diagnostic de dissection de la carotide interne homolatérale, particulièrement s’il s’agit d’un sujet jeune et s’il existe un signe de Claude Bernard -Horner du même côté ; chez un sujet âgé, la recherche d’un glaucome par fermeture de l’angle ou d’une artérite temporale de Horton est impérative.

L’artérite temporale de Horton doit être particulièrement suspectée si s’ajoutent à la céphalée, une altération de l’état général, une paralysie oculomotrice, une claudication intermittente de la mâchoire ou un syndrome inflammatoire.

Diagnostic différentiel :

Lorsqu’un patient se plaint d’une baisse brutale et brève de l’acuité visuelle d’un oeil, il est souvent difficile a posteriori de savoir s’il s’est effectivement agi d’un trouble monoculaire ou d’une hémianopsie latérale homonyme.

Lorsque le patient a pensé à fermer alternativement les yeux pendant l’épisode et à vérifier qu’un oeil était aveugle et l’autre normal, il n’y a pas d’ambiguïté.

De même, lorsqu’il décrit un « rideau » ou un « voile » obscurcissant la vision de haut en bas, le trouble est presque sûrement monoculaire.

Dans les autres cas, le doute peut persister. Lorsque la description de la cécité monoculaire transitoire est typique, il n’y a guère d’autres diagnostics à évoquer.

Les éclipses visuelles de l’oedème papillaire sont en général bilatérales, très brèves (quelques secondes) et déclenchées par les mouvements de la tête ou par les efforts.

Les amauroses des crises de glaucome par fermeture de l’angle iridocornéen s’accompagnent de violentes douleurs oculaires mais restent de diagnostic difficile car leur brièveté ne permet en général pas d’examiner le patient pendant la crise ; c’est la répétition des épisodes douloureux, la constatation d’un angle iridocornéen étroit, voire d’une mydriase ou d’une hypertonie oculaire si le patient est examiné pendant la crise, qui permettent d’affirmer le diagnostic.

Les épisodes d’amaurose transitoire surviennent classiquement lorsque le patient est dans une pièce sombre ou bien le soir, alors que la pupille se dilate favorisant ainsi le blocage de l’angle iridocornéen chez un sujet prédisposé.

Les amauroses transitoires des tumeurs intraorbitaires, rétro-oculaires, sont très rares et volontiers reproduites lors du regard extrême dans une direction donnée.

La présence d’une exophtalmie homolatérale et d’une hyperhémie papillaire au fond d’oeil suggère ce diagnostic.

L’occlusion de la veine centrale de la rétine peut rarement être révélée par des épisodes répétés de cécité monoculaire transitoire provoqués par un ralentissement transitoire du flux sanguin dans l’artère centrale de la rétine, secondaire à l’occlusion brutale de la veine centrale.

L’examen du fond d’oeil fait le diagnostic en montrant la dilatation des veines et des hémorragies rétiniennes diffuses.

Les névrites optiques inflammatoires provoquent des baisses de l’acuité visuelle beaucoup plus durables, pouvant cependant s’exacerber transitoirement à l’effort (phénomène d’Uhthoff).

Les drusen du nerf optique ou des dysplasies constitutionnelles de la papille telles que les colobomes ou les staphylomes myopiques peuvent également provoquer des baisses d’acuité visuelle transitoires.

Plus rarement, des hémorragies spontanées et récidivantes dans la chambre antérieure (hyphéma) peuvent entraîner des baisses d’acuité visuelle monoculaire et transitoire simulant des cécités monoculaires transitoires.

Enfin, des flous visuels monoculaires et transitoires sont également fréquemment signalés par les patients ayant un kératocône ou présentant une anomalie du film lacrymal telle qu’un syndrome sec oculaire ou un larmoiement exagéré en cas d’obstruction des voies lacrymales… ; dans toutes ces situations, le flou visuel disparaît lorsque le patient frotte son oeil.

Mécanismes :

A – Emboles :

Le principal mécanisme des cécités monoculaires transitoires est embolique ; ce sont les observations de Fisher qui ont permis de démontrer que la migration de matériel embolique dans la circulation rétinienne pouvait provoquer une cécité monoculaire transitoire.

Les emboles sont situés, soit dans l’artère centrale de la rétine, soit dans l’artère ophtalmique et proviennent le plus souvent de la carotide interne homolatérale : un thrombus se forme sur une plaque d’athérome et peut se fragmenter et être le départ d’embolies dans la circulation ophtalmique.

Des emboles dans l’artère centrale de la rétine ou ses branches sont parfois visibles au fond d’oeil, au cours ou à distance des épisodes de cécité monoculaire transitoire.

Dans la grande majorité des cas (80 %), ce sont des emboles de cholestérol (plaques de Hollenhorst), jaunes et brillants, n’entraînant pas d’obstruction complète de l’artériole rétinienne, et dont la caractéristique principale est l’engainement de l’artériole à leur contact.

Ils doivent faire rechercher une plaque d’athérome au niveau de la carotide interne ou de la crosse de l’aorte.

Parfois, il s’agit d’emboles plaquettaires ou fibrinoplaquettaires blanchâtres, généralement fugaces.

Plus rarement, il s’agit d’emboles calciques provenant d’une plaque d’athérome ou d’une valve cardiaque calcifiée.

Les emboles rétiniens secondaires à une endocardite, à une injection intraveineuse de drogue (corps étranger, talc…) ou à une embolie graisseuse sont exceptionnels.

B – Origine hémodynamique :

Un mécanisme hémodynamique est possible, mais beaucoup plus rare, requérant à la fois une sténose carotidienne serrée (> 75 %) ou une occlusion, et une circulation collatérale insuffisante via le polygone de Willis ou surtout la carotide externe.

Les épisodes de cécité monoculaire transitoire d’origine hémodynamique sont en général provoqués par le passage en orthostatisme, l’exercice physique, l’exposition à une lumière vive, le passage de la pénombre à la lumière, ou les repas ; ils sont alors monoculaires du côté de la sténose carotidienne mais peuvent, à titre exceptionnel, être bilatéraux.

La présence d’un souffle carotidien homolatéral est également très évocatrice d’une sténose carotidienne serrée.

Ces éléments sont cependant rarement présents et seules les investigations complémentaires permettent d’objectiver ou d’éliminer une sténose carotidienne.

Il est alors impératif de rechercher une rétinopathie de bas débit, voire un syndrome d’ischémie oculaire traduisant une mauvaise tolérance de l’hypoperfusion oculaire.

Des baisses transitoires d’acuité visuelle ont également été rapportées chez des patients ayant des malformations artérioveineuses volumineuses, développées aux dépens d’une branche terminale de la carotide interne ou de l’artère ophtalmique homolatérale et pour lesquelles un phénomène de vol vasculaire a été évoqué.

Enfin, un spasme de l’artère centrale de la rétine ou de ses branches a été constaté à plusieurs reprises lors d’épisodes de cécité monoculaire transitoire, surtout chez des sujets jeunes, sans que la cause puisse en être précisée.

Au cours de l’artérite temporale de Horton, les cécités monoculaires transitoires sont plus souvent secondaires à une atteinte inflammatoire localisée des artères vascularisant le nerf optique (artères ciliaires postérieures) et la choroïde qu’à une artérite touchant l’artère centrale de la rétine ou l’artère ophtalmique.

La mise en évidence d’une ischémie choroïdienne sur l’angiographie à la fluorescéine d’un patient ayant fait des épisodes de cécité monoculaire transitoire est donc très évocatrice du diagnostic de maladie de Horton.

Causes :

A – Athérome :

Les sténoses et occlusions athéromateuses de l’origine de l’artère carotide interne homolatérale constituent de très loin la première cause de cécité monoculaire transitoire (60 à 80 % des cas).

Chez un patient ayant des facteurs de risque vasculaires et dont les investigations ne mettent pas en évidence de sténose carotidienne, il est impératif de rechercher une plaque athéromateuse de la crosse de l’aorte dont la responsabilité dans la survenue d’accidents ischémiques cérébraux et également rétiniens est maintenant bien démontrée.

B – Autres étiologies :

La deuxième étiologie est constituée par les embolies d’origine cardiaque (environ 20 % des cas).

Enfin, il faut garder à l’esprit d’autres causes plus rares, mais relevant souvent d’un traitement spécifique, telles que :

– les dissections de l’artère carotide interne qui entraînent des épisodes de cécité monoculaire transitoire particuliers par l’association fréquente à une céphalée, algie faciale ou cervicalgie homolatérale, et à un signe de Claude Bernard-Horner ;

– les artérites infectieuses et inflammatoires, notamment la maladie de Horton à l’origine de cécités monoculaires transitoires répétitives sur un court laps de temps (parfois plus de dix dans une même journée) chez un sujet de plus de 60 ans, requérant une corticothérapie d’extrême urgence ;

– les troubles hématologiques et notamment le syndrome d’hyperviscosité sanguine (gammapathie), mais également les hypercoagulabilités (syndromes myéloprolifératifs, drépanocytose, autres coagulopathies) peuvent être à l’origine d’une hypoperfusion du globe oculaire responsable de cécité monoculaire transitoire ou bien d’une thrombose in situ d’une artère vascularisant le globe oculaire.

Les anticorps antiphospholipides sont également impliqués, en particulier chez les sujets jeunes.

Néanmoins, leur signification reste incertaine et l’absence de standardisation des méthodes de dosage et du seuil de positivité de ces anticorps explique probablement les discordances qui existent quant à la fréquence de ces anticorps.

Migraine rétinienne :

Il est fréquent de ne pas trouver de cause à ces épisodes de cécité monoculaire transitoire, notamment chez les sujets jeunes.

Certains évoquent alors l’hypothèse d’une migraine rétinienne, surtout lorsque se surajoutent à la baisse de l’acuité visuelle, des phénomènes positifs à type de points brillants, zig-zag, étoiles ou éclairs lumineux et bien sûr, des céphalées d’allure migraineuse.

Toutefois, ces phénomènes positifs, si caractéristiques de la migraine ophtalmique (dysfonctionnement occipital bilatéral), sont rares dans la migraine rétinienne qui demeure un diagnostic d’élimination.

Devenir des patients :

Le risque de complications chez les patients ayant eu une cécité monoculaire transitoire est fonction de l’étiologie : dans tous les cas, le risque majeur est une baisse d’acuité visuelle irréversible par infarctus de la rétine ou du nerf optique.

Les patients ayant une lésion carotidienne ou une cardiopathie emboligène ont en outre un risque d’accident ischémique cérébral et un taux de mortalité plus élevés que dans la population générale de même âge.

A – Baisse d’acuité visuelle définitive :

Son risque est mal connu et très variable d’une série à l’autre.

En effet, Fisher l’estimait à 42 %, tandis que Marshall et Meadows n’ont constaté une baisse d’acuité visuelle définitive que chez neuf des 80 patients (11 %) qu’ils ont suivis durant 3 mois à plus de 10 ans.

Il semble que l’on puisse estimer ce risque à environ 3 % par an chez les patients ayant une sténose athéromateuse de la carotide interne homolatérale.

B – Accident vasculaire cérébral :

Le risque de survenue d’un infarctus cérébral est beaucoup mieux connu, même si peu d’auteurs ont étudié séparément le devenir des patients ayant eu des cécités monoculaires transitoires, et celui de patients ayant eu des accidents ischémiques transitoires cérébraux.

Il semble que le pronostic des cécités monoculaires transitoires soit bien meilleur : Marshall et Meadows, en 1968, ont étudié prospectivement 80 patients ayant eu des épisodes de cécité monoculaire transitoire isolée : au bout de 6 ans de suivi, le risque de survenue d’un accident ischémique cérébral était seulement de 1,4 % par an.

Ces chiffres ont été confirmés par Hurwitz et al, en 1985, qui comparaient dans une étude prospective le devenir de 93 patients ayant eu des épisodes de cécité monoculaire transitoire isolée et celui de 212 patients ayant eu des accidents ischémiques transitoires cérébraux.

Le risque d’infarctus cérébral à 7 ans était significativement inférieur chez les patients qui avaient eu des cécités monoculaires transitoires (14 % contre 27 % respectivement).

Ces données ont été confirmées récemment par l’étude NASCET (North American Symptomatic Carotid Endarterectomy Trial) dans laquelle le devenir de 59 patients ayant eu une cécité monoculaire transitoire (âge moyen 61,5 ans) a été comparé à celui de 70 patients (âge moyen 66,9 ans) ayant eu un accident ischémique transitoire hémisphérique.

Tous étaient porteurs d’une sténose de l’artère carotide interne homolatérale supérieure à 70 %non opérée.

Le risque de survenue d’un infarctus cérébral homolatéral 2 ans après était de 16,6 % ± 5,6 % après une cécité monoculaire transitoire, tandis qu’il était de 43,5 % ± 6,7 % après un accident ischémique transitoire hémisphérique, confirmant ainsi le bien meilleur pronostic des accidents ischémiques transitoires rétiniens par rapport aux accidents ischémiques transitoires cérébraux.

Le risque de survenue d’un infarctus cérébral est étroitement lié à l’âge des patients : ainsi, dans l’étude deTippin et al portant sur 83 patients de moins de 45 ans, aucun n’a eu d’infarctus cérébral.

Ceci concorde avec l’étude de Marshall et Meadows, dans laquelle les cinq patients qui ont eu un infarctus cérébral avaient plus de 50 ans, et avec la série de Poole et Ross Russell, dans laquelle aucun des patients de moins de 50 ans n’a eu d’infarctus cérébral.

C – Mortalité :

Le taux de mortalité des patients ayant eu une cécité monoculaire transitoire est plus élevé que dans la population générale.

Il est principalement dû à des affections cardiaques, notamment aux infarctus du myocarde, et est évalué à 20 à 30 % à 5 ans.

Il ne semble pas significativement différent de celui des patients ayant fait un accident ischémique transitoire cérébral.

Cécités monoculaires transitoires du sujet jeune :

Il est fréquent, chez les sujets jeunes, qu’aucune cause ne soit mise en évidence, si bien que ces cécités monoculaires transitoires sont souvent qualifiées d’idiopathiques.

Elles ont, dans toutes les études, un pronostic particulièrement bon puisque la très grande majorité de ces patients n’a ni baisse d’acuité définitive ni infarctus cérébral.

En effet, dès 1968, Eadie et al décrivaient 12 patients dont la moyenne d’âge était de 29,5 ans ; cinq avaient moins de 21 ans et quatre étaient migraineux.

Le bilan étiologique (comprenant une artériographie cérébrale) était négatif chez la totalité des patients et aucun d’entre eux n’a eu d’infarctus rétinien ou cérébral durant les 5 années de suivi.

Appleton et al rapportèrent, en 1988, les observations de cinq adolescents ayant des cécités monoculaires transitoires récidivantes pour lesquelles aucune étiologie n’avait pu être mise en évidence. Tous eurent un excellent pronostic.

Le mécanisme le plus souvent évoqué pour expliquer ces cécités monoculaires transitoires est celui de spasme artériel ; la migraine est volontiers suggérée en raison de la description fréquente par ces jeunes patients de phénomènes visuels positifs tels que des damiers ou des éclairs lumineux et du profil évolutif de ces cécités monoculaires transitoires qui durent en général plusieurs minutes, apparaissant et disparaissant progressivement.

Cependant, Digre et al ont décrit six adultes de moins de 34 ans ayant des cécités monoculaires transitoires récidivantes et chez qui des titres élevés d’anticorps anticardiolipines ont été mis en évidence.

Ainsi, même si le pronostic des cécités monoculaires transitoires des sujets jeunes semble bon, il est impératif de ne retenir le diagnostic de « spasme artériel » ou de « migraine rétinienne » qu’après avoir éliminé toutes les autres affections à l’origine de cécités monoculaires transitoires et après avoir vérifié l’absence d’anticorps antiphospholipides.

Prise en charge des patients :

En raison du risque de survenue d’un infarctus rétinien (3 % par an) ou cérébral (8 %par an) après un épisode de cécité monoculaire transitoire, il est essentiel de prendre en charge ces patients comme le sont ceux qui présentent un accident ischémique transitoire hémisphérique.

Un arbre d’orientation diagnostique est proposé, soulignant la nécessité d’investigations rapides.

L’interrogatoire et l’examen ophtalmologique permettent le plus souvent de distinguer les troubles visuels transitoires secondaires à une pathologie oculaire ou orbitaire des véritables cécités monoculaires transitoires.

La présence d’un syndrome inflammatoire biologique chez un sujet âgé oriente immédiatement vers une artérite temporale de Horton ; l’institution d’une corticothérapie à forte dose par voie intraveineuse en extrême urgence permet le plus souvent d’éviter une cécité définitive.

L’échodoppler cervical est fondamental car il permet de mettre en évidence une sténose de la carotide interne homolatérale (le plus souvent athéromateuse chez les sujets âgés, et secondaire à une dissection chez les sujets jeunes).

Il permet dans le même temps d’examiner le sens du flux au niveau de l’artère ophtalmique, qui donne des renseignements précieux sur le caractère hémodynamique éventuel des cécités monoculaires transitoires.

Le doppler transcrânien donne alors des informations sur l’état de la circulation intracrânienne (flux dans les artères sylviennes) et l’existence d’un éventuel retentissement hémodynamique intracrânien d’une sténose carotidienne extracrânienne.

Lorsque les cécités monoculaires transitoires ont un caractère hémodynamique et qu’il existe un retentissement hémodynamique intracrânien, il est souvent fondamental de laisser le patient en décubitus strict (voire la tête plus basse que les pieds) pour éviter un infarctus oculaire ou hémisphérique secondaire à un bas débit.

En l’absence de cause carotidienne, une échographie cardiaque transoesophagienne est réalisée afin de rechercher une cardiopathie emboligène et un athérome de la crosse de l’aorte.

Si tous ces examens restent négatifs, il est justifié de rechercher un trouble de la coagulation, la présence d’anticorps antiphospholipides, ou une affection hématologique, qui peuvent également être révélés par des cécités monoculaires transitoire isolées.

Un scanner avec injection ou une imagerie par résonance magnétique avec gadolinium seront effectués pour exclure une pathologie de l’apex orbitaire telle qu’une malformation vasculaire.

Enfin, il arrive que les cécités monoculaires transitoires restent inexpliquées, notamment chez les sujets jeunes.

En général, une angiographie par résonance magnétique est alors effectuée à la recherche d’une variété plus rare d’artériopathie carotidienne telle qu’une dissection (qui peut ne pas être visible à l’échodoppler lorsqu’elle est haut située) ou une dysplasie fibromusculaire (parfois difficile à diagnostiquer en angiographie par résonance magnétique).

Traitement :

Il est fonction de leur mécanisme et de leur étiologie : il est maintenant bien démontré que les patients ayant une sténose athéromateuse de la carotide interne doivent être mis sous antiplaquettaires ; une endartériectomie carotidienne est justifiée dans les sténoses supérieures à 70 %mais n’a pas de bénéfice pour les sténoses de degré moindre.

Les cécités monoculaires transitoires secondaires à une dissection carotidienne justifient le plus souvent un traitement anticoagulant pendant plusieurs mois. Il en est de même pour celles d’origine cardiaque, dont le traitement est avant tout celui de la cardiopathie sous-jacente.

L’attitude est beaucoup moins claire lorsqu’il s’agit de cécités monoculaires transitoires survenant chez un sujet jeune et dont le bilan étiologique est négatif : s’il est parfois justifié de proposer un traitement anticoagulant au long cours en cas de détection de taux élevés d’anticorps antiphospholipides, il n’en est pas de même lorsque les taux sont faibles ou lorsque tous les examens sont négatifs.

Le plus souvent, on se contente d’un traitement antiplaquettaire par aspirine, considérant que c’est à la fois un bon moyen de prévenir d’éventuels accidents thromboemboliques rétiniens et que c’est également un bon traitement de fond de la migraine….

Les inhibiteurs calciques ont également été essayés avec succès chez un petit nombre de patients jeunes ayant des cécités monoculaires transitoires dont le mécanisme présumé était un spasme artériel.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.