Bookmark and Share                    Rechercher dans le site  |   Devenir membre
      Accueil       |      Forum     |    Livre D'or      |     Newsletter      |      Contactez-nous    |                                                                                                          Envoyer par mail  |   Imprimer
loading...

 
Hépatologie
Utilisation des médicaments chez le cirrhotique
Cours d'Hépatologie
 


 

Introduction :

Le métabolisme et l’élimination des médicaments sont assurés principalement par le foie et le rein.

Dans le foie, le métabolisme et l’élimination des médicaments sont essentiellement assurés par les hépatocytes.

Au cours de la cirrhose, il existe une altération plus ou moins importante des fonctions de synthèse, de transformation métabolique et d’excrétion par les hépatocytes.

Globalement, le métabolisme et l’élimination de la plupart des médicaments sont notablement ralentis.

De ce fait, quel que soit son degré de gravité, la cirrhose a des implications sur la prescription des médicaments, qu’ils soient destinés à traiter les complications de la cirrhose ellemême ou de pathologies associées.

Définitions :

A - CIRRHOSE :

La cirrhose est un processus diffus caractérisé par le développement d’une fibrose annulaire, transformant l’architecture normale du foie, entourant des nodules d’hépatocytes (nodules de régénération) ayant perdu leurs connections vasculaires et biliaires normales.

Elle est la conséquence tardive de la plupart des maladies chroniques du foie, quelle qu’en soit la cause (virale, alcoolique, métabolique ou autre).

Aux stades initiaux (cirrhose compensée), ces lésions peuvent être tout à fait asymptomatiques.

À un stade plus avancé, les deux principales complications de la cirrhose, l’insuffisance hépatique et l’hypertension portale, se manifestent fréquemment.

B - INSUFFISANCE HÉPATIQUE :

L’insuffisance hépatique est définie par une réduction des fonctions de synthèse de transformation métabolique et de sécrétion biliaire du foie.

Au cours de l’insuffisance hépatique, il existe une dégradation globale et à peu près équivalente de ces trois fonctions.

En pratique, on évalue donc la sévérité de l’insuffisance hépatique en se référant à la fonction de synthèse des facteurs de coagulation, dont la demi-vie dans le sérum est courte.

La cirrhose n’est pas synonyme d’insuffisance hépatique puisqu’il peut exister des lésions histologiques de cirrhose sans altération décelable des fonctions hépatocytaires.

De même, il peut exister une insuffisance hépatique sans cirrhose comme c’est le cas par exemple au cours de formes graves d’hépatites aiguës (hépatites aiguës sévères).

C - HYPERTENSION PORTALE :

L’hypertension portale, lorsqu’elle est secondaire à un bloc intrahépatique est définie par une augmentation du gradient de pression entre la veine porte et la veine cave inférieure, dépassant la valeur de 5 mmHg.

Elle résulte des anomalies architecturales du parenchyme hépatique qui augmentent la résistance à l’écoulement du sang portal et à une hypercinésie circulatoire.

Elle entraîne une augmentation du débit sanguin splanchnique.

L’hypertension portale s’accompagne de la formation de dérivations veineuses entre le territoire splanchnique et le territoire cave, contournant le foie.

Il s’agit principalement de dérivations splénorénales et de dérivations entre des veines splanchniques et le système azygos.

Ces voies de dérivation, lorsqu’elles sont volumineuses, constituent des courtscircuits, permettant le passage direct des médicaments absorbés par le tube digestif du territoire splanchnique au territoire systémique sans passage par le foie (et donc sans métabolisme hépatique).

Rôle du foie dans le métabolisme des médicaments à l’état normal :

A - MÉTABOLISME HÉPATIQUE :

Le foie a un rôle prédominant dans le métabolisme de la plupart des médicaments qui peuvent être éliminés selon les cas sous forme active ou inactive, après leur biotransformation.

La biotransformation hépatique des médicaments comporte deux phases distinctes.

La première phase (phase 1) correspond à la transformation de la molécule mère en un métabolite fonctionnel par trois voies principales : l’oxydation, la réduction ou l’hydrolyse. L’oxydation résulte de l’action du système des mono-oxygénases des cytochromes P450.

Il existe de multiples isoenzymes des cytochromes P450, impliquées dans le métabolisme de différents médicaments.

Les cytochromes P450 sont sensibles à l’induction qui peut accélérer le métabolisme de certains médicaments.

Ils peuvent également être inhibés, ralentissant fortement le métabolisme des médicaments correspondants.

Les principaux facteurs pouvant induire les cytochromes P450 sont les médicaments inducteurs euxmêmes, l’alcool, le tabac et la caféine.

Les principaux facteurs pouvant inhiber les cytochromes P450 sont également certains médicaments tels que la cimétidine, les macrolides, le fluconazole, certains antiviraux comme le saquinavir, et le nelfinavir.

Outre ces facteurs exogènes, il existe une grande variabilité de l’équipement enzymatique en cytochromes P450 d’un individu à l’autre dans la population générale.

Ainsi, certains individus disposent de capacités d’oxydation de certains médicaments plus importantes que la moyenne de la population générale car ils disposent d’un équipement enzymatique plus riche (encadré).

À l’inverse, certains individus disposent d’un équipement enzymatique moins riche, réduisant leurs capacités de métabolisme des médicaments correspondants.

La seconde phase permet de combiner le substrat issu de la première phase avec un composant endogène.

Cette phase permet d’adjoindre à une molécule liposoluble, absorbée par le tube digestif, un composé polaire hydrophile qui la rend hydrosoluble.

Elle peut alors être éliminée, en particulier par voie rénale.

La conjugaison se fait grâce à des transférases, dont l’action peut aussi être induite, comme pour les cytochromes P450, par d’autres médicaments.

De plus, certaines de ces transférases peuvent former des liaisons covalentes avec des composés réactifs instables et potentiellement toxiques pour la cellule, résultant du métabolisme des médicaments.

C’est le cas des gluthation-S-transférases qui réagissent avec les métabolites électrophiles toxiques, limitant ainsi leur toxicité tant que les réserves de glutathion ne sont pas épuisées.

B - BIODISPONIBILITÉ ET CLAIRANCE HÉPATIQUE :

La biodisponibilité d’un médicament est définie par la fraction de la quantité de substance administrée qui atteint la circulation générale sous forme inchangée.

Elle dépend donc de la capacité des hépatocytes à métaboliser le médicament lors de son passage hépatique.

La clairance d’un médicament représente le volume de sang complètement épuré de ce médicament par unité de temps.

Elle est représentée par la formule suivante :

Cl h = F X [(Ca – Ce) / Ca]

Avec F = débit sanguin hépatique, Ca = concentration du médicament dans le sang afférent et Ce = concentration du médicament dans le sang efférent.

(Ca – Ce) / Ca

correspond au coefficient d’extraction hépatique (E), soit Cl = F ´ E.

Le coefficient d’extraction hépatique reflète la baisse de la concentration plasmatique d’un médicament entre la veine porte et les veines hépatiques, résultant de son métabolisme par le foie.

Ainsi, lorsque le coefficient d’extraction hépatique d’un médicament est proche de 1, la clairance hépatique est égale au débit de perfusion hépatique.

Pour de tels médicaments, le débit sanguin est le facteur déterminant de la clairance hépatique et des troubles de perfusion modifient notablement son élimination.

En revanche, pour les médicaments à faible coefficient d’extraction, la clairance hépatique dépend essentiellement de l’activité métabolique hépatique, le débit de perfusion étant alors un facteur secondaire.

Ainsi, au cours de la cirrhose, la pharmacocinétique des médicaments à faible coefficient d’extraction dépend essentiellement du degré d’altération des fonctions hépatocytaires.

La pharmacocinétique des médicaments à coefficient d’extraction intermédiaire dépend à la fois du degré d’altération des fonctions hépatocytaires et de la réduction de la perfusion du parenchyme hépatique.

Conséquences de la cirrhose sur le métabolisme des médicaments :

A - RÉDUCTION DES CAPACITÉS DE TRANSFORMATION MÉTABOLIQUE :

En cas de cirrhose compensée (sans insuffisance hépatique sévère), la réduction du débit sanguin portal et de la perfusion du parenchyme hépatique s’accompagne d’une réduction significative de la clairance des médicaments à coefficient d’extraction élevé, en particulier lorsqu’il existe de volumineuses voies de dérivations portosystémiques.

En cas de cirrhose grave (accompagnée d’une insuffisance hépatique marquée), il semble que les médicaments à fort coefficient d’extraction se comportent en fait comme les médicaments à faible coefficient d’extraction. Leur pharmacocinétique devient alors relativement indépendante du débit sanguin hépatique.

Plusieurs études suggèrent qu’au cours de la cirrhose, la première phase du métabolisme hépatique des médicaments (transformation de la molécule mère en un métabolite fonctionnel) est plus rapidement et plus profondément altérée que la seconde phase (adjonction d’un composé polaire hydrophile).

Ainsi, il peut exister une diminution profonde des capacités de métabolisme par les cytochromes P450 sans altération notable des processus de glycuroconjugaison, peut-être parce que ces processus peuvent avoir lieu dans des sites extrahépatiques.

La réduction globale du nombre d’isoenzymes des cytochrome P450 a été démontrée chez les malades atteints de cirrhose.

Cependant, il semble que l’induction des cytochromes P450 reste possible même en cas d’insuffisance hépatique sévère.

En pratique, il reste difficile de prévoir le degré d’altération de la transformation métabolique hépatique et la clairance d’un médicament donné chez un cirrhotique.

On peut toutefois s’aider du score de Child-Pugh qui évalue la sévérité de la cirrhose.

On estime que lorsque le score de Child-Pugh est supérieur à 8, les capacités de métabolisme hépatique d’un médicament sont réduites de 30 % environ.

Toutefois, il existe de grandes variations interindividuelles.

La clairance de l’antipyrine est un test prédictif assez fiable pour prévoir la vitesse de biotransformation d’un médicament, mais il n’est pas utilisé en pratique courante.

Il est donc recommandé de diminuer la posologie des médicaments métabolisés par le foie chez les cirrhotiques, de surveiller plus fréquemment les concentrations sanguines de ces médicaments et d’avoir une attention particulière aux effets secondaires potentiels.

B - AUGMENTATION DU VOLUME DE DISTRIBUTION :

Le volume de distribution est défini par le volume théorique dans lequel serait distribué un médicament s’il avait, dans tout ce volume, une concentration égale à la concentration sanguine.

Au cours de la cirrhose, plusieurs facteurs favorisent l’augmentation du volume de distribution.

Le premier facteur est lié à l’augmentation de la volémie sanguine, elle-même secondaire à la vasodilatation splanchnique.

Le second facteur est lié à la constitution d’un troisième secteur, en cas d’ascite et/ou d’oedèmes volumineux.

Le troisième facteur est lié à l’hypoalbuminémie (réduisant la fraction de médicaments liés aux protéines dans le plasma), elle-même secondaire à l’insuffisance hépatique.

Ainsi, il a été montré que le volume de distribution de certains médicaments tels que le diazépam et l’ampicilline est augmenté au cours de la cirrhose, principalement du fait de l’ascite et de l’hypoalbuminémie.

C - DIMINUTION DE LA LIAISON AUX PROTÉINES PLASMATIQUES ET AUGMENTATION DE LA FRACTION LIBRE :

De nombreux médicaments ont une forte affinité pour les protéines plasmatiques et en particulier l’albumine.

La part des médicaments liée aux protéines représente la fraction liée.

L’hypoalbuminémie, fréquemment associée aux cirrhoses graves, a pour conséquence une diminution de la fraction liée et une augmentation de la fraction libre de ces médicaments.

Les variations de la fraction libre des médicaments dans le plasma peuvent modifier leur clairance hépatique.

Schématiquement, l’hypoalbuminémie s’accompagne d’une augmentation de la fraction libre des médicaments et d’une augmentation de leur clairance hépatique (la fraction libre est directement accessible aux transformations métaboliques par les hépatocytes).

Toutefois, il existe, au cours de la cirrhose, une diminution concomitante du taux d’albumine, et des capacités de métabolisme par les hépatocytes.

Au total, l’effet global de la cirrhose sur la clairance des médicaments dépend donc de facteurs antinomiques dont la résultante reste difficile à appréhender.

D - EFFET DE PREMIER PASSAGE :

Les médicaments administrés par voie orale doivent être absorbés par le tube digestif et être transportés par le flux sanguin portal vers le foie où ils sont en partie métabolisés. Il s’agit de l’effet de premier passage.

Lorsque l’effet de premier passage est important, les posologies administrées par voie orale doivent être supérieures à celles qui devraient être administrées par voie intraveineuse pour des concentrations équivalentes.

En cas de cirrhose, la réduction des capacités métaboliques des hépatocytes peut atténuer l’effet du premier passage. Des médicaments administrés par voie orale à des posologies normales peuvent avoir plus rapidement des effets toxiques.

E - FACTEURS VASCULAIRES :

Les dérivations portosystémiques (conséquences de l’hypertension portale), les anomalies de la microcirculation sinusoïdale et la diminution globale de la perfusion du parenchyme hépatique contribuent à modifier la clairance plasmatique des médicaments au cours de la cirrhose.

Ces anomalies jouent un rôle important pour les médicaments à fraction d’extraction élevée et lorsqu’il y a peu d’insuffisance hépatique.

C’est dans cette situation, que les doses des médicaments, notamment orales, doivent être notablement réduites chez les cirrhotiques par rapport à des sujets à foie sain.

En revanche, au cours des cirrhoses graves, la clairance hépatique du médicament dépend surtout des altérations du métabolisme hépatique.

F - INDUCTION MÉTABOLIQUE PAR L’ALCOOL EN CAS DE CIRRHOSE ALCOOLIQUE :

L’alcool est inducteur enzymatique du cytochrome P450.

De plus, il diminue les réserves en glutathion.

De ce fait, une intoxication alcoolique associée à une prise de médicament métabolisé en métabolite toxique par le cytochrome p 450 (comme le paracétamol ou l’isoniazide) augmente la quantité et donc la toxicité du métabolite.

Concernant la toxicité du paracétamol, différentes études ont montré que l’induction du cytochrome p 450 était maximale chez l’éthylique chronique, au décours immédiat d’un sevrage.

En revanche, une ingestion aiguë d’alcool aurait un effet protecteur, par compétition au niveau du même cytochrome, au cours d’une prise massive de paracétamol.

Par ailleurs, lorsque le médicament est transformé en métabolite actif, l’alcool, en tant qu’inducteur enzymatique, accélère son métabolisme et donc son élimination, qui devient alors moins efficace.

Cirrhose et hépatotoxicité des médicaments :

L’hépatotoxicité des médicaments peut être liée à plusieurs mécanismes, parfois associés, dont les principaux sont la production de métabolites réactifs instables qui altèrent les composants de la cellule (hépatite toxique), le développement d’une réaction immunitaire croisée entre certains métabolites des médicaments et des composants cellulaires (hépatite immunoallergique), ou une altération spécifique du fonctionnement des mitochondries hépatocytaires.

En général, on considère que les médicaments dont l’hépatotoxicité est reconnue et/ou fréquente sont contre-indiqués au cours de la cirrhose. Cette précaution a trois justifications principales.

Premièrement, chez les malades cirrhotiques, les mécanismes de défense naturels contre la toxicité des métabolites réactifs, en particulier ceux qui font intervenir le glutathion intracellulaire sont probablement altérés.

Deuxièmement, des cofacteurs fréquemment associés à la cirrhose (dénutrition, consommation excessive d’alcool) réduisent également les capacités de défense.

Troisièmement, en cas de toxicité cellulaire, conduisant à une nécrose hépatocytaire, les capacités de régénération du parenchyme cirrhotique sont notablement diminuées.

En revanche, il n’est pas certain que la cirrhose en elle-même favorise l’apparition d’hépatites immunoallergiques.

Dans tous les cas, les médicaments potentiellement hépatotoxiques lorsqu’ils sont absolument nécessaires(comme c’est le cas pour les antituberculeux), doivent être utilisés chez les cirrhotiques avec prudence.

Une surveillance rapprochée des tests hépatiques doit être réalisée.

Par exemple, en cas de tuberculose, il est conseillé d’utiliser l’izoniazide à une posologie plus faible que la posologie habituelle (3 mg/kg/j).

En effet, les taux résiduels d’isoniazide sont plus élevés chez les cirrhotiques que chez les sujets à foie sain dès les premiers jours de traitement

Effets secondaires des médicaments favorisés par la cirrhose :

La cirrhose, par le retentissement qu’elle a sur le fonctionnement d’organes et de systèmes extrahépatiques (système nerveux central, reins, système cardiocirculatoire), favorise certains effets secondaires des médicaments.

Ainsi, des effets secondaires neurologiques ou rénaux peuvent être observés avec des doses thérapeutiques de médicaments, en raison d’une susceptibilité particulière des cirrhotiques.

A - ENCÉPHALOPATHIE HÉPATIQUE :

L’encéphalopathie hépatique est la conséquence de perturbations complexes du système nerveux central.

Elle est favorisée à la fois par la présence de shunts portosystémiques et par l’insuffisance hépatique.

Ses mécanismes font intervenir une augmentation de la perméabilité de la barrière hématoencéphalique à des substances endogènes et à des médicaments, des perturbations du transport d’acides aminés nécessaires à la synthèse de certains neurotransmetteurs, (aboutissant à des anomalies de la neurotransmission), l’accumulation de substances neurotoxiques telles que l’ammoniaque et un déséquilibre entre le système neurotransmetteur inhibiteur (GANAergique) et le système neurotransmetteur activateur.

Le système GABAergique est en effet stimulé par des substances endogènes proches des benzodiazépines (benzodiazépine-like), accumulées du fait de l’insuffisance hépatique et du passage systémique par les shunts portosystémiques.

Ces anomalies favorisent le passage de la barrière hématoencéphalique par les médicaments et augmentent l’exposition du tissu cérébral à leur action.

Tous les médicaments sédatifs ou ayant des propriétés sédatives (anxiolytiques, hypnotiques, analgésiques centraux, neuroleptiques, antidépresseurs et antiémétiques) peuvent ainsi induire une encéphalopathie.

Les antécédents d’encéphalopathie sont un facteur prédisposant à un nouvel épisode d’encéphalopathie après utilisation de ces médicaments.

Il est important de noter que les perturbations de la pharmacocinétique des médicaments induites par la cirrhose, décrites aux chapitres précédents, potentialisent également les effets secondaires neurologiques des médicaments sédatifs.

En particulier, il a été montré une diminution de la clairance et une augmentation de la demi-vie des benzodiazépines métabolisées par les voies oxydatives, une augmentation de la demivie des antiépileptiques (phénytoïne, acide valproïque, phénobarbital), et une apparition possible d’épisodes d’encéphalopathie chez des cirrhotiques utilisant des neuroleptiques (tels que la chlorpromazine) ou des antidépresseurs tricycliques.

Au total, l’administration de médicaments ayant des propriétés sédatives à des malades cirrhotiques risque d’induire une encéphalopathie en raison d’une part d’altérations pharmacocinétiques qui augmentent leur demi-vie et, d’autre part d’une sensibilité plus élevée de l’encéphale à ces effets sédatifs.

Par exemple, l’administration de certains médicaments dont la pharmacocinétique n’est pas ou peu altérée par la cirrhose (tels que la morphine et l’oxazépam) peut, malgré tout, induire une encéphalopathie. Les médicaments à tropisme cérébral doivent donc être utilisés avec précaution chez le cirrhotique, surtout en cas de shunts portocaves, d’insuffisance hépatocellulaire grave ou d’antécédent d’encéphalopathie hépatique qui sont des facteurs favorisants.

Il faut :

– préférer l’utilisation de molécules directement conjuguées (oxazépam, lorazépam) aux molécules métabolisées par la voie oxydative, éliminées plus lentement (le diazépam ou le clotiazépam) ;

– réaliser des dosages plasmatiques rapprochés des antiépileptiques ;

– utiliser des doses plus faibles de produits anesthésiques même lorsque leur demi-vie est courte ;

– proscrire les anxiolytiques et les hypnotiques en cas de cirrhose décompensée et prescrire avec prudence les analgésiques centraux.

B - INSUFFISANCE RÉNALE :

La cirrhose, même lorsqu’elle est compensée, s’accompagne d’une vasodilatation artériolaire et d’une augmentation du débit sanguin splanchnique responsable d’une « hypovolémie efficace » qui entraîne à son tour une stimulation du système rénine-angiotensine.

Aux stades initiaux, le débit sanguin rénal est normal ou modérément diminué.

En cas de diminution du débit sanguin rénal, la filtration glomérulaire est compensée par une augmentation de la pression de filtration glomérulaire, elle-même secondaire à une vasoconstriction prépondérante de l’artériole glomérulaire efférente.

À un stade plus tardif, la vasoconstriction de l’artériole glomérulaire efférente ne peut plus compenser la vasoconstriction profonde de l’artériole afférente et la baisse du débit sanguin rénal.

Il en résulte un effondrement de la filtration glomérulaire et une insuffisance rénale ou syndrome hépatorénal.

En plus de ces anomalies fonctionnelles, il existe fréquemment des lésions organiques rénales au cours de la cirrhose.

Il s’agit principalement de néphropathies à immunoglobulines A (IgA) au cours des cirrhoses alcooliques, de cryoglobulinémies au cours de l’hépatite C et de néphropathies diabétiques, quelle que soit la cause de la cirrhose.

Les anomalies fonctionnelles comme les lésions organiques rénales associées à la cirrhose constituent un facteur de risque de néphrotoxixité pour de nombreux médicaments. Les principaux médicaments en cause sont les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les aminosides, les solutés de remplissage à base d’amidons et les produits de contraste iodés.

Les AINS inhibent la cyclo-oxygénase et, de ce fait, la synthèse de prostaglandines, dont les propriétés vasodilatatrices augmentent habituellement la filtration glomérulaire.

Leur administration en cas de cirrhose peut donc conduire à une insuffisance rénale aiguë.

Le risque d’insuffisance rénale est majoré par l’existence d’une ascite et d’une activation du système rénine-angiotensine.

La néphrotoxicité des aminosides est fréquente chez les sujets à foie sain.

L’existence d’une cirrhose multiplie par plus de 30 la néphrotoxicité de ces antibiotiques.

Le risque de néphrotoxicité est supérieur chez les malades qui ont une insuffisance rénale de type fonctionnel avant le début du traitement.

Toutefois, il ne semble pas accru par la sévérité de l’insuffisance hépatocellulaire.

Les mécanismes conduisant à l’augmentation du risque de néphrotoxicité ne sont pas connus avec précision.

Il a été démontré que les solutés de remplissage à base d’hydroxyéthyl amidon augmentaient le risque d’insuffisance rénale aiguë chez des sujets dont la fonction rénale est précaire comme c’est le cas au cours des infections bactériennes sévères.

Ces produits de remplissage sont également associés à un risque d’insuffisance rénale aiguë chez les cirrhotiques (expérience des auteurs).

Dans ce cas, il s’agit d’une néphropathie osmotique dont les lésions histologiques sont caractéristiques et la mortalité élevée.

L’hydroxyéthyl amidon, pour lequel il existe des alternatives en tant que produit de remplissage (gélatines, albumine humaine), ne devrait plus être utilisé chez les cirrhotiques pour corriger une hypovolémie.

Chez les cirrhotiques comme chez les diabétiques, les produits de contraste iodés peuvent aggraver une insuffisance rénale préexistante, soit indirectement en augmentant la vasoconstriction de l’artère rénale, soit par toxicité tubulaire directe.

Dans tous les cas, chez les cirrhotiques, les examens d’imagerie comportant une injection de produits de contraste iodés doivent être précédés d’une hydratation pour réduire le risque de toxicité rénale (comme c’est le cas chez les diabétiques).

Règles de prescription des médicaments les plus fréquemment utilisés en pratique courante chez les cirrhotiques :

A - DIURÉTIQUES :

Les diurétiques de l’anse (furosémide) et du tube contourné distal (spironolactone) sont utilisés couramment dans le traitement de l’ascite et des oedèmes chez les cirrhotiques.

La spironolactone inhibe la réabsorption tubulaire de sodium au niveau du tube contourné distal. L’effet antialdostérone a été attribué à ses métabolites, dont la canrénone, qui agissent par inhibition compétitive au niveau du récepteur spécifique de l’aldostérone.

La dose efficace de spironolactone dépend en théorie des taux plasmatiques d’aldostérone.

Pour avoir une même efficacité, les doses doivent être augmentées chez les malades ayant des taux d’aldostérone très élevés.

L’effet natriurétique de la spironolactone est retardé et persiste au moins 24 heures après l’arrêt du traitement. La clairance de la spironolactone est diminuée dans la cirrhose.

Par ailleurs, la spironolactone a des propriétés inductrices du cytochrome P450 au cours des cirrhoses décompensées.

En l’absence d’insuffisance rénale, la spironolactone reste le diurétique de référence pour traiter l’ascite et les oedèmes avec des posologies allant de 50 à 300 mg/j.

Toutefois, la spironolactone doit être utilisée avec précaution en cas d’élévation significative de la créatinine (au-delà de 130 μmol/L) car dans ce cas, elle aggrave l’insuffisance rénale.

De plus, chez les malades qui ont initialement une créatininémie normale, une surveillance attentive doit être réalisée pendant le traitement car une insuffisance rénale secondaire à une baisse excessive de la volémie peut apparaître.

Les diurétiques de l’anse tels que le furosémide ont en principe une efficacité plus faible que celle de la spironolactone chez les cirrhotiques.

Les causes de la résistance à l’action du furosémide ne sont pas clairement établies.

Les études sur la pharmacocinétique de ce médicament au cours de la cirrhose sont en partie contradictoires.

Toutefois, les résultats sont plutôt en faveur d’une augmentation de la demi-vie du furosémide et d’une diminution de sa clairance.

Les hyponatrémies sévères et surtout les hypokaliémies sont plus fréquentes avec les diurétiques de l’anse qu’avec la spironolactone.

En revanche, ils ne sont pas contreindiqués en cas d’insuffisance rénale.

Le furosémide et la spironolactone peuvent être utilisés en association, ce qui permet d’augmenter l’effet natriurétique en réduisant le risque d’hypokaliémie.

Les posologies recommandées sont de 150 mg/j pour la spironolactone et de 40 mg/j pour le furosémide en augmentant progressivement les doses.

En l’absence d’efficacité, on peut augmenter la posologie jusqu’à 400 mg/j pour la spironolactone et 160 mg/j pour le furosémide.

Au-delà de ces doses, on considère habituellement qu’il s’agit d’une résistance aux diurétiques. Les principaux risques du traitement diurétique sont l’hyponatrémie (parfois responsable d’encéphalopathie lorsqu’elle est profonde), l’hypokaliémie et l’insuffisance rénale en cas de réduction excessive de la volémie.

Une surveillance attentive de l’ionogramme sanguin et de la créatininémie doit donc être réalisée pendant toute la durée du traitement.

De plus, la spironolactone peut avoir des effets secondaires liés à son activité antiandrogénique : gynécomastie et impuissance.

B - ANTIBIOTIQUES :

Les infections bactériennes sont fréquentes au cours de la cirrhose qui constitue un état d’immunodépression et produit des sites d’infection qui n’existent pas à l’état normal (ascite).

Les plus fréquentes sont les infections urinaires, les infections du liquide d’ascite et les infections bronchopulmonaires.

Les germes le plus souvent en cause sont les bacilles Gram– de la famille des entérobactéries (Escherichia coli, klebsielles, et pyocianique) et les cocci Gram+ (staphylocoque et entérocoque).

Les recommandations concernant le traitement antibiotique doivent tenir compte du site de l’infection, du lieu présumé de contage de l’infection (communautaire ou hospitalier), de l’écologie microbienne du lieu de contage, de la gravité de la cirrhose et de l’absence de néphrotoxicité du ou des médicaments.

Les antibiotiques de référence sont les b-lactamines en raison de leur efficacité régulière sur les germes cités ci-dessus, de leur bonne diffusion dans les sites d’infection les plus fréquents et de leur bonne tolérance, en particulier hépatique et rénale.

L’association amoxicilline-acide clavulanique est recommandée en cas d’infection communautaire avec une posologie comparable à celle qu’on utilise chez les sujets à foie normal.

Un traitement de 5 jours est habituellement suffisant pour les infections du liquide d’ascite (à condition de vérifier la normalisation de la formule du liquide d’ascite).

Les alternatives à l’association amoxicilline-acide clavulanique sont le céfotaxime (plus coûteux) et les fluoroquinolones.

L’élimination des fluoroquinolones est essentiellement rénale. En l’absence d’insuffisance rénale, il n’est donc pas nécessaire d’ajuster les doses de ciprofloxacine ou d’ofloxacine.

En revanche la clairance de la pefloxacine est diminuée au cours de la cirrhose et les administrations doivent donc être plus espacées.

En cas d’infection acquise en milieu hospitalier, le recours en première intention à des céphalosporines actives sur les entérobactéries multirésistantes peut être justifié.

Dans tous les cas, les aminosides doivent être proscrits en raison de la fréquence et de la sévérité de leur toxicité rénale chez les cirrhotiques, y compris quand les concentrations résiduelles se situent dans la marge thérapeutique.

En cas d’infection fortement suspectée ou documentée à staphylocoque résistant à la méthicilline, la vancomycine peut être utilisée à condition d’adapter la posologie à la fonction rénale (souvent altérée) et d’avoir pour objectif les valeurs inférieures de l’intervalle des concentrations sériques résiduelles.

La teicoplamine pourrait avoir une néphrotoxicité plus faible sans que ce point soit clairement établi.

C - ANTIDIABÉTIQUES ORAUX :

Les biguanides sont contre-indiqués au cours de la cirrhose en raison d’un risque élevé d’acidose lactique.

Les sulfamides hypoglycémiants peuvent éventuellement être utilisés, en favorisant ceux qui ont une absorption rapide et une demi-vie courte tels que le glipizide.

Les sulfamides hypoglycémiants sont majoritairement éliminés par biotransformation hépatique.

Leur utilisation doit donc être prudente en débutant le traitement à la dose la plus faible avec une augmentation progressive par paliers.

Les hypoglycémies induites par le traitement risquent de s’accompagner d’épisodes d’encéphalopathie.

L’insulinothérapie est débutée en cas d’insuffisance ou d’intolérance des antidiabétiques oraux et des mesures diététiques.

D - ANTALGIQUES :

Le paracétamol, s’il est administré à des doses faibles, peut être utilisé chez le cirrhotique.

La clairance totale du médicament est diminuée, mais le profil des métabolites est inchangé.

Il faut s’assurer cependant qu’il n’est pas associé à d’autres inducteurs des cytochromes P450, notamment l’alcool et qu’il n’est pas administré en période de jeûne, au moment où les réserves en glutathion sont basses.

Les doses ne doivent pas dépasser 4 g/j.

L’acide acétylsalicylique doit être évité car, comme les AINS, il favorise les hémorragies digestives par rupture de varices oesophagiennes, par gastropathie d’hypertension portale ou par ulcération gastroduodénale.

Comme il a été indiqué aux chapitres précédents, les AINS doivent être évités car ils risquent d’induire une insuffisance rénale aiguë chez les cirrhotiques.

La pharmacocinétique de la codéine et de la morphine est peu altérée au cours de la cirrhose, mais des phénomènes de sédation excessive sont démontrés, notamment en cas d’antécédent d’encéphalopathie.

Il convient d’éviter les traitements à demi-vie longue.

Le dextropropoxyphène a un effet de premier passage important, altéré au cours de la cirrhose.

La biodisponibilité est augmentéee dans la cirrhose aux dépens de son métabolite le norpropoxyphène, d’où un effet sédatif plus important.

E - SÉDATIFS :

Une sensibilité cérébrale accrue aux effets sédatifs des benzodiazépines est clairement démontrée au cours de la cirrhose.

En pratique, il faut proscrire les benzodiazépines en cas d’insuffisance hépatique sévère et/ou d’antécédent d’encéphalopathie.

Chez les patients qui ont une cirrhose compensée et en l’absence de volumineux shunts portosystémiques spontanés, les molécules directement conjuguées telle que l’oxazépam et à demivie brève doivent être préférées.

Les benzodiazépines à durée d’action prolongée telles que le diazépam doivent être évitées.

Les patients et leur entourage doivent être prévenus des risques et des symptômes prédictifs d’encéphalopathie.

Conclusion :

L’administration de médicaments au cours de la cirrhose est influencée par les perturbations du métabolisme des médicaments qu’elle entraîne, une sensibilité accrue à certains effets secondaires (comme l’encéphalopathie pour les médicaments sédatifs) et des désordres physiologiques associés (en particulier rénaux) qui augmentent le risque d’effets secondaires.

Il n’existe pas de moyen d’appréhender précisément les conséquences de la cirrhose sur le métabolisme et les effets secondaires d’un médicament chez un malade donné.

Plusieurs règles générales doivent cependant être respectées.

Premièrement, les médicaments ne doivent être administrés que s’ils sont indispensables.

Deuxièmement, les médicaments ayant un coefficient d’extraction élevé, pour lesquels l’effet de premier passage est réduit en cas de cirrhose ou de shunt portocave, doivent être maniés avec précaution.

Un surdosage peut survenir après administration orale si la posologie n’est pas réduite.

Troisièmement, il est important de surveiller attentivement l’apparition des effets secondaires possibles, de doser les taux plasmatiques des médicaments lorsque cela est possible, en adaptant la posologie au taux d’albumine pour les médicaments à forte fixation protéique.

Enfin, certaines classes de médicaments tels que les AINS et les aminosides doivent être systématiquement proscrites en raison d’un taux particulièrement élevé d’effets secondaires et de l’existence d’alternatives thérapeutiques.

  Envoyer par mail Envoyer cette page à un ami  Imprimer Imprimer cette page

Nombre d'affichage de la page 2004

loading...

Copyright 2018 © MedixDz.com - Encyclopédie médicale Medix