Tumeurs conjonctivales (Suite)
Cours d'Ophtalmologie
Tumeurs bénignes des tissus mous
:
A - LYMPHANGIOME
:
Il s’agit d’une tumeur d’évolution lentement progressive consistant
en de larges vaisseaux lymphatiques.
Elle peut atteindre la
conjonctive, l’orbite, les paupières et les sinus paranasaux.
L’extension peut être visualisée en imagerie par scanographie ou
résonance magnétique nucléaire.
Cette lésion peut être
secondairement infiltrée de sang, ce qui la rend difficile à distinguer
histologiquement d’un hémangiome caverneux.
Cliniquement, elle doit être différenciée des lymphangiectasies, une
file de dilatations sacculaires des lymphatiques visibles directement
sous la conjonctive.
Le traitement du lymphangiome consiste
principalement dans la chirurgie, l’exérèse étant rarement totale.
Une
tendance à la récurrence existe.
Histologie
:
Une masse remplie d’espaces vasculaires à paroi mince est visible,
contenant parfois des cellules sanguines.
B - HÉMANGIOME CAPILLAIRE OU CAVERNEUX
:
Il atteint rarement la conjonctive.
Il peut accompagner de grandes
tumeurs des paupières ou de l’orbite.
Il doit être distingué
histologiquement et cliniquement d’un granulome pyogénique, d’un
tissu de granulation et d’un sarcome de Kaposi.
C - TÉLANGIECTASIES :
Elles peuvent être observées, accompagnant des localisations
orbitocérébrales, dans les syndromes de Wyburn-Mason, Sturge-Weber et Louis-Bar.
D - FASCIITE NODULAIRE
:
C’est une entité séparée qui peut être facilement mal interprétée
comme un histiocytome à fibres malin ou un fibrosarcome, mais qui
n’est pas maligne.
L’histoire est souvent celle d’une phase rapide de
croissance sans douleur d’une lésion tumorale oedémateuse chez un
jeune adulte.
La suspicion d’affection maligne est souvent éveillée
par une dilatation conjonctivale épisclérale vascularisée.
Histologie :
Elle montre une prolifération bénigne de fibroblastes dans une
substance myxomateuse intercellulaire.
Les noyaux ne présentent
pas d’atypie en immunohistochimie.
Des marqueurs des tissus
fibreux et musculaires lisses sont parfois retrouvés.
Tumeurs malignes des tissus mous
:
A - ANGIOSARCOMES, HISTIOCYTOMES FIBREUX,
FIBROSARCOMES :
Ils sont tous très rares dans la conjonctive et sont beaucoup plus
fréquents au niveau de la peau et de l’orbite.
Au niveau de la
conjonctive, ils n’ont pas un aspect clinique caractéristique.
Le
diagnostic correct est fait sur le plan histologique grâce à une
combinaison de techniques d’histologie conventionnelle,
d’immunohistochimie avec de nombreux marqueurs et parfois de
microscopie électronique.
B - SARCOME DE KAPOSI :
C’est une tumeur vasculaire d’aspect bleu-rouge qui survient au
niveau des extrémités inférieures chez les personnes âgées.
Elle peut
atteindre la conjonctive chez le sujet jeune ou lors du sida.
Elle doit être différenciée cliniquement et histologiquement d’un granulome pyogénique, d’un tissu de granulation, d’un hémangiome.
Le plus
souvent, les patients sont porteurs d’autres affections opportunistes
liées au sida avant qu’un sarcome de Kaposi ne soit détecté.
Histologie :
Les formes vues précocement montrent des lésions peu différentes
d’un tissu de granulation avec des vaisseaux sanguins à paroi fine
(type 1).
Dans le type 2, on constate l’existence de cellules
endothéliales atypiques fusiformes mélangées avec des espaces en
fente contenant des globules rouges extravasés.
Dans le type 3, les
cellules fusiformes d’origine endothéliale se regroupent en faisceaux
denses et peuvent contenir des globules hyalins (acide périodique Schiff positif), qui sont des fragments de globules rouges dégénérés ;
le taux de mitose est augmenté.
C - HISTIOCYTOME FIBREUX :
C’est une tumeur rare de la conjonctive et de l’épisclère.
Il survient
le plus souvent au niveau de l’orbite.
Les tumeurs sont des
proliférations d’histiocytes modifiés, le plus souvent en forme de
fibroblastes, parfois sous forme de cellules fusiformes dilatées simulant des hémangiopéricytomes.
Un nombre variable de
lymphocytes peut être présent.
Il peut être bénin ou malin.
Histologie
:
Le diagnostic est facilité par des marquages en immunohistochimie
et en microscopie électronique.
La différenciation du xanthogranulome d’un côté et d’une histiocytose, comme le
granulome éosinophile ou l’histiocytose des sinus de l’autre, doit
être effectuée de manière précise.
Tumeurs du tissu nerveux
périphérique
:
Les tumeurs des composants du nerf périphérique telles que les neurofibromes, les neurinomes (neurilemmome, neuroschwannome)
sont rares au niveau de la conjonctive et peuvent être associées à
une neurofibromatose de Recklinghausen de type I ou II.
Le
diagnostic correct est fait histologiquement. Leurs variantes
malignes sont rares.
Lésions pigmentées mélanocytaires
de la conjonctive
:
De manière précoce au cours du développement, les mélanocytes
de la crête neurale migrent et se disposent au niveau des couches
basales de l’épiderme, des muqueuses et du tissu conjonctif, sous
l’épithélium de surface.
Ces mélanocytes contribuent à la couleur de
la peau, de l’iris, du fond d’oeil.
Les mélanocytes normaux diffèrent
en taille et en contenu en mélanine en fonction des facteurs
ethniques, de l’exposition au soleil et aux ultraviolets et des
influences hormonales.
En raison de variations de ces influences
exogènes et endogènes, la pigmentation peut varier au cours du
temps.
Les granules de mélanine diffèrent en taille et sont situées au
niveau du cytoplasme.
Dans de rares cas, les mélanocytes, les
cellules des nævi et mélanomes sont complètement non pigmentés.
Une même tumeur peut être de pigmentation variable, par exemple
les récurrences de mélanome sont souvent moins pigmentées que
les tumeurs initiales.
La capacité des mélanocytes à produire de la
mélanine n’est pas toujours évidente en microscopie optique, et
seule l’ultrastructure permet de mettre en évidence des
prémélanosomes.
Les mélanocytes à la surface épithéliale ont
tendance à être porteurs de nombreux prolongements avec des
extensions fines sous les cellules épithéliales permettant le transfert
des granules de pigment à ces cellules.
A - MÉLANOSE CONJONCTIVALE :
Elle est de constatation fréquente chez les mélanodermes, mais elle
peut être présente dans toutes les populations. Le plus
souvent, le pigment est concentré près du limbe.
L’aspect brun de la
conjonctive représente le contenu en mélanine des mélanocytes
présents dans la couche basale de l’épithélium conjonctival et des mélanophages situés sous l’épithélium.
La pigmentation
peut être concentrée sous forme de taches brun doré.
La cytologie
d’exfoliation montre seulement de l’épithélium conjonctival normal,
parfois contenant quelques granules de mélanine.
B - MELANOSIS OCULI
:
La mélanose conjonctivale doit être différenciée cliniquement du
syndrome de melanosis oculi, une pigmentation rare de l’épisclère,
de la sclère, de l’iris et de la choroïde.
La conjonctive susjacente
ne contient en fait pas de pigment.
Dans les cas les plus
évolués, une hétérochromie de l’iris est évidente ; le melanosis oculi
peut être accompagné d’une pigmentation cutanée périoculaire, y
compris les paupières dans le territoire de la première branche du
trijumeau dans le cadre du nævus d’Ota (mélanocytose
oculodermique).
Les yeux porteurs de mélanose oculaire peuvent
développer, dans un pourcentage faible de cas, un mélanome uvéal.
C - MÉLANOSE PRIMAIRE ACQUISE (PAM) :
C’est une pigmentation plane intraconjonctivale qui commence à
l’âge adulte et peut évoluer lentement au sein de la
conjonctive touchant à la fois les culs-de-sac, la conjonctive tarsale, le bord libre et la caroncule.
Dans de rares cas, elle peut être
en continuité avec une mélanose ou un mélanome de la
paupière (mélanose de Dubreuilh).
La prolifération peut se
prolonger au niveau des canaux, des kystes, des canalicules et des
glandes.
La conjonctive épibulbaire est complètement clivable de la
sclère, sauf au niveau du limbe. Reese a décrit sa capacité très
particulière à apparaître et disparaître (waxing and waning) au cours
du temps.
Son aspect peut varier entre des petites zones de
pigmentation punctiforme ou de taches brun doré à des champs
continus de pigmentation en plaque.
Histologie :
Il y a une augmentation du nombre de mélanocytes et de cellules næviques dans l’épithélium.
La population peut s’étendre de
manière diffuse dans les couches profondes dans l’épithélium
(infiltration pagétoïde) ou peut être concentrée dans des petites
thèques entourées de « zones de rétraction ».
En l’absence d’atypie
des cellules næviques, la lésion peut ressembler à un nævus
jonctionnel.
En cas d’atypie (PAM +) en cytologie d’exfoliation, de
cytologie, d’impression ou sur la biopsie, il y a 50% de risque
de progression vers un mélanome invasif dans les 10 ans.
La présence de cellules næviques épithélioïdes atypiques est
fortement associée à la progression et à un mauvais pronostic du
mélanome survenant secondairement.
Les mélanomes invasifs
peuvent être bien moins colorés que la mélanose elle-même.
Dans de rares cas, la mélanose est amélanotique et difficile à
différencier de variations de couleur conjonctivale, mais elle peut
donner naissance à des lésions pigmentées ou non pigmentées,
souvent multiples, de type mélanome.
Bien que la mélanose
primaire ne soit pas par elle-même maligne, elle est considérée
comme une lésion prémaligne.
Lorsque les atypies cellulaires ou
tissulaires sont établies, le patient doit être suivi de manière
régulière, tous les 3 mois environ, avec des prises de clichés.
Récemment, une tendance croissante consiste à traiter la mélanose
acquise dès qu’une atypie est constatée.
Cette thérapie peut être une
excision qui, par nécessité, est incomplète, une cryothérapie, une
chimiothérapie locale par mitomycine.
D - NÆVUS DE LA CONJONCTIVE :
Les nævi de la conjonctive prennent souvent l’aspect d’une tumeur
conjonctivale pigmentée quiescente dans la région interpalpébrale
limbique ou épibulbaire.
La vascularisation augmente
lorsque la tumeur est en « croissant » ou lors d’un contact avec une
lentille épicornéenne ou à la suite d’une inflammation.
La
localisation dans le cul-de-sac ou à la conjonctive tarsale est rare et
doit faire suspecter une mélanose primaire acquise ou un
mélanome.
Très souvent, le nævus contient des zones kystiques à
partir de l’épithélium de surface à l’intérieur de la tumeur qui sont
transparentes en biomicroscopie.
La couleur du nævus peut
varier de brun sombre à rose, plus pigmenté ou non pigmenté.
1- Histologie :
Il s’agit d’une prolifération de cellules næviques à la base de
l’épithélium dans la zone de jonction.
À ce stade, le nævus est
appelé nævus de jonction.
À un stade ultérieur, les nids de cellules næviques « tombent » en groupe sous l’épithélium dans le stroma
en formant des thèques : lorsque la prolifération est à la fois présente
dans la zone jonctionnelle et dans la zone sous-épithéliale, le nævus
est appelé nævus composé.
Lorsque la zone de jonction ne comporte
plus de cellules næviques et que celles-ci sont uniquement présentes
dans la région sous-épithéliale et sont séparées par une bande de
tissu conjonctif, la lésion est appelée nævus sous-épithélial ou intrastromal.
Les thèques du stroma peuvent rester stables ou
disparaître progressivement à la limite inférieure de la prolifération
en se confondant avec le tissu connectif.
Lorsque les cellules næviques sont situées en plus grande profondeur dans le stroma
conjonctival ou dans la région épisclérale, elles sont plus fines,
parfois plus pigmentées ; cliniquement, le nævus a un reflet bleuâtre
et peut parfois être appelé nævus bleu.
Les cellules dans la zone de
jonction sont souvent en prolifération active, sombres et étirées,
parfois en groupes entourés d’un espace vide appelé zone de
rétraction qui est un artefact causé par la technique histologique.
Les cellules næviques du stroma sont plus ovalaires ou arrondies et
généralement groupées en thèques, entourées de fines bandes
fibreuses contenant des fibres de réticuline.
Parfois, les cellules næviques sont plus allongées ou fusiformes.
Pendant la croissance,
quelques îlots d’épithélium conjonctival contenant des cellules
caliciformes peuvent être enclavés dans la population nævique
cellulaire. Cette présence peut indiquer, à de très rares exceptions,
une bénignité de la lésion.
Au pied de la lésion, les cellules næviques sont plus petites, plus fines, et perdent une bonne partie
de leur apparence nævique et de leur pigment.
Parfois, la cellule nævique a un aspect ballonnisé qui contient beaucoup de pigment
mélanique.
Celle-ci doit être différenciée des macrophages contenant
de la mélanine, appelés aussi mélanophages.
Les granules de
mélanine dans les mélanophages sont plus gros que dans les cellules
næviques.
Un nævus peut grossir au cours de l’enfance, de la puberté, de
l’adolescence et de la grossesse, par augmentation de son contenu
en mélanine (croissance apparente), par augmentation des kystes intralésionnels, par activité mitotique ou par une inflammation
secondaire avec vasodilatation, oedème et présence de cellules
inflammatoires.
Un mélanome peut se développer dans un nævus
de manière rare avant l’âge de 18 ans ou de novo.
* Nævus de Spitz
:
Un sous-type rare de nævus est le nævus de Spitz qui survient chez
le jeune enfant ou adolescent, grossit de manière rapide et est
souvent confondu avec une lésion maligne.
Histologiquement, le nævus est composé de cellules fusiformes et épithélioïdes, de cellules géantes avec des noyaux atypiques et des
mitoses, et la suspicion d’un mélanome a souvent été évoquée dans
la littérature ancienne.
Ce nævus est souvent appelé « mélanome
juvénile », ce qui est un nom inapproprié. Après excision, ces
lésions n’ont pas tendance à récidiver.
2- Conduite à tenir
:
La croissance d’un nævus après l’âge de 18-20 ans ou chez l’adulte
doit faire suspecter une lésion maligne.
Un anneau plat de mélanose
près ou autour d’un nævus indique la présence de mélanose acquise
primaire en association avec ce nævus qui doit être enlevée en même
temps que le nævus.
Il est rare qu’un mélanome se développe à
l’intérieur d’un nævus préexistant.
Histologiquement, une ligne
nette de démarcation entre les lésions bénignes et les lésions
malignes peut rarement être notée.
Le plus souvent, le nævus est complètement remplacé par le tissu malin.
La cytologie d’exfoliation,
d’incision ou d’excision, doit être pratiquée afin de vérifier ce
diagnostic.
Sur le plan thérapeutique, si le nævus est symptomatique
il doit être excisé et examiné avec soin sur le plan histologique. Les
nævi conjonctivaux récidivent rarement.
Si un nævus conjonctival
récidive après excision, la nouvelle tumeur doit être suspecte de
mélanose acquise primaire ou de mélanome et doit être excisée et
examinée de manière approfondie sur le plan histologique.
E - MÉLANOMES :
Ce sont des tumeurs conjonctivales rares qui surviennent chez
l’adulte, le plus souvent entre 40 et 60 ans, mais Croxatto et al, en
1987, ont décrit un cas chez un enfant de 11 ans.
Ces tumeurs sont
très rares chez le mélanoderme.
Elles peuvent se développer « de
novo » sans lésion précurseur mais peuvent aussi se
développer à partir de nævi préexistants ou surtout de
mélanose acquise primaire avec atypie (PAM +).
Les
signes suspects de malignité sont l’augmentation d’épaisseur, les
changements de couleur, l’accentuation de la vascularisation
(vaisseaux nourriciers).
Certains patients se plaignent de signes
atypiques tels que la rougeur, un larmoiement ou une irritation
oculaire.
Le mélanome est souvent présent dans la zone interpalpébrale près du limbe ou de la conjonctive bulbaire mais
peut aussi survenir dans toutes les autres zones, en particulier au
niveau du tarse, des culs-de-sac, et peut même être
pédonculé.
Dans les cas associés à une mélanose acquise, l’ensemble
de la conjonctive doit être examiné avec soin pour rechercher
d’autres mélanomes multifocaux au niveau de la conjonctive tarsale,
en particulier de la paupière supérieure.
Un retournement et un
double retournement de la paupière peuvent être nécessaires pour
trouver la masse tumorale.
Des patients porteurs d’une tumeur
pigmentée qui avaient subi précédemment l’excision d’un « nævus »
dans leur jeunesse doivent, en présence d’une tumeur pigmentée, être suspectés d’avoir un mélanome.
Dans de rares cas, un nævus
juvénile peut être suivi d’une mélanose acquise et ultérieurement
celle-ci peut se transformer en mélanome unique ou multiple.
Des
patients avec une mélanose précancéreuse cutanée peuvent aussi
développer une mélanose acquise primaire de la conjonctive.
1- Histologie
:
Elle met en évidence une prolifération de cellules « nævoïdes »
atypiques connectées à l’épithélium de surface.
Parfois, il existe une
tendance à former des thèques ; le plus souvent, l’arrangement est
irrégulier.
À la limite inférieure, il n’y a pas de maturation distincte
des cellules névoïdes comme décrite dans le nævus bénin. Rarement,
des kystes d’inclusion épithéliale sont notés avec, au niveau
intraépithélial, des thèques malignes.
Des mitoses peuvent
être présentes mais peu nombreuses ; des vaisseaux sanguins larges
entourent les lésions.
Autour de la tumeur, une couche de cellules
inflammatoires, principalement de type lymphocytaire,
plasmocytaire et mélanophagique est présente. Parfois, les
lymphocytes sont situés autour du mélanome, parfois ils sont
agencés sous forme de centre germinatif.
L’invasion lymphatique
peut être notée.
Au niveau des marges, la présence de cellules mélanocytaires intraépithéliales atypiques indique la présence d’une
mélanose primaire acquise.
La marge chirurgicale doit être libre de
cellules mélaniques et de mélanose acquise.
Comme il est difficile
de délimiter les marges chirurgicales dans les préparations, il est
conseillé d’étaler les prélèvements (tampon, papier ou autre
technique), d’indiquer la topographie de manière précise et de
réaliser des biopsies multiples sur les marges chirurgicales durant
l’intervention pour vérifier l’absence de cellules mélaniques ou de
mélanose acquise.
Il est parfois utile, avant l’excision, de réaliser
quelques biopsies.
2- Traitement :
L’excision de la tumeur pigmentée avec une marge péritumorale
large de conjonctive saine est suffisante dans environ 30 % des cas
lorsque le mélanome est situé dans la conjonctive épibulbaire.
Un
taux élevé de récurrence de 60 à 80 % après simple excision indique
l’association à une mélanose primaire acquise qui est une source de
nouveau mélanome, soit dans la même topographie, soit dans
d’autres zones de la conjonctive du même oeil.
Il est souvent
préférable de laisser se réépithélialiser la zone d’excision à partir
des berges ou, si elle est étendue avec risque de symblépharon, de
greffer une membrane amniotique.
Une dissémination spontanée ou
pendant l’intervention peut être responsable de nouvelles tumeurs
qui ne sont pas reliées par l’épithélium de surface, dans
des sites imprévisibles tels que le sac lacrymal ou l’orbite.
Un
paramètre clinique important, statistiquement associé avec des
mélanoses à distance est la notion de récurrence tumorale locale.
Pour réduire la fréquence des récurrences dans une même zone, une
cryothérapie en adjonction est conseillée au niveau de la berge
chirurgicale et des marges de l’intervention : certains préfèrent
traiter les marges chirurgicales par leur base profonde.
Lommatzsch a introduit une irradiation par plaque de strontium avec une dose de 100 Gy pour une monothérapie en surface.
L’application de strontium comme thérapie adjuvante après excision
locale a grandement réduit la fréquence des récurrences.
Cette
dose a été réduite à 60 Gy dans un protocole European Organization
for Research and Treatment of Cancer (EORTC) non testé
prospectivement.
Pour réduire le taux de récurrence des mélanomes
dans toute zone de la conjonctive comportant de la mélanose
primaire acquise, un traitement par cryothérapie ou par mitomycine
C a été proposé.
* Cas particuliers
:
Les mélanomes localisés au niveau des culs-de-sac ou de la
conjonctive tarsale qui ont un mauvais pronostic dès le début ne
peuvent pas être traités facilement par plaque de strontium.
L’irradiation par des fils d’iridium implantés ou des plaques d’iode
peut être utilisée en combinaison avec l’excision chirurgicale de la
tumeur.
En raison de la rareté de ces mélanomes conjonctivaux,
aucune statistique sur de grandes séries n’est disponible
aujourd’hui.
Lorsque de grandes zones de la conjonctive bulbaire ou tarsale sont
envahies par le processus tumoral, le mélanome peut ne pas être
accessible à une chirurgie combinée à l’irradiation et l’oeil est de ce
fait privé de revêtement conjonctival et palpébral suffisant.
La greffe
de conjonctive saine du même oeil n’est pas conseillée car une
mélanose primaire peut aussi être présente.
La greffe de conjonctive
de l’autre oeil est théoriquement possible.
Il est préférable d’utiliser
de la muqueuse labiale pour remplacer le déficit en conjonctive
protectrice et plus récemment des membranes amniotiques ont été
utilisées sur la sclère nue.
Dans certains cas, en particulier lorsqu’une
des paupières est envahie, l’exentération peut paraître
inévitable.
Le pronostic ne paraît pas meilleur sur le plan vital après
cette intervention mutilante, raison pour laquelle ce type
d’intervention est réservé aux cas pour lesquels il est absolument
impossible de sauver l’oeil. Une évaluation métastatique doit être
effectuée avant toute proposition d’exentération.
Plusieurs
approches sont possibles aussi longtemps que le but, qui est
l’éradication totale de la tumeur, reste maintenu.
Une irradiation
postopératoire est planifiée ; une attention particulière doit être
portée au respect des processus cicatriciels lors de la reconstruction
après l’intervention.
3- Surveillance et évolution
:
Un suivi à long terme de chaque patient est nécessaire car les
récurrences après des traitements préservant l’oeil peuvent
apparaître de nombreuses années après le premier traitement et
peuvent rester masquées et non remarquées par le patient ou par un
ophtalmologiste non informé des antécédents du patient (en
particulier pour les lésions au niveau du cul-de-sac supérieur).
La dissémination métastatique se manifeste généralement au niveau
des ganglions régionaux préauriculaires et sous-mandibulaires, mais
elle peut s’étendre ensuite à des métastases à distance au niveau du
poumon, du foie ou d’autres disséminations multiples.
Le tableau
métastatique peut apparaître plusieurs années après le traitement
de la tumeur oculaire.
Les métastases lymphatiques doivent
être traitées par chirurgie radicale des ganglions du cou et/ou
irradiation, ce qui peut augmenter le taux de survie, voire guérir le
patient.
Les métastases hématogènes surviennent au niveau du foie,
du poumon, des vertèbres et de la peau.
La survie moyenne dans
les métastases pour un groupe de 25 patients avec mélanome
métastasé d’origine conjonctivale varie entre 9 mois et 3,1 années.
La mortalité est estimée à 25 à 49 % et est associée avec l’épaisseur
tumorale, la localisation dans une zone non épibulbaire, l’index
mitotique, le type cellulaire, l’invasion lymphatique, la multiplicité
des mélanomes.
Les facteurs pronostiques sont en grande partie
corrélés, par exemple les tumeurs avec une épaisseur initiale
supérieure à 4 mm ont un taux de mortalité élevé seulement lorsque
la localisation est défavorable.
Certaines affections peuvent prédisposer à la survenue de nævi, de
mélanose acquise primaire ou de mélanome de la conjonctive, par
exemple le xeroderma pigmentosum, le syndrome de nævus
dysplasique familial (aussi appelé syndrome de nævi multiples
atypiques, B-K-Mole).
Tumeurs de la caroncule
:
Située dans le repli nasal de la conjonctive, la caroncule a une
surface muqueuse mais contient des glandes sébacées, des glandes
sudoripares et quelques follicules pileux ainsi que parfois des
éléments de glande lacrymale accessoire.
En théorie, toutes les
tumeurs conjonctivales peuvent survenir au niveau de la caroncule,
de même que toutes les tumeurs annexielles.
De toutes ces tumeurs rares, les plus fréquentes sont les papillomes, les nævi, rarement les
mélanomes, les carcinomes sébacés, les oncocytomes, les
adénomes pléomorphes (très rares).
Seulement 5 % de 57 tumeurs caronculaires étudiées par Shields et al étaient malignes.
Les
tumeurs malignes de la conjonctive ont tendance à être plus
invasives que leurs homologues de la conjonctive épibulbaire.
Elles sont plus difficiles à enlever de manière radicale et à irradier.
Les mélanomes primaires et récurrents de la conjonctive caronculaire
ont un mauvais pronostic.
A - ONCOCYTOME :
Chez les personnes âgées, une tumeur brun rougeâtre de la région
sous-épithéliale caronculaire peut correspondre à un oncocytome.
Cette tumeur est généralement asymptomatique mais doit
être différenciée cliniquement d’autres tumeurs telles qu’un nævus
ou un mélanome.
Histologie
:
Ces tumeurs contiennent des bandes, des cordages ou des thèques
d’aspect adénomateux, formant parfois des kystes.
Les cellules sont
hautement éosinophiles en raison de leur contenu élevé en
mitochondries.
Ce type de transformation peut survenir dans
différentes autres structures glandulaires ou muqueuses.
B - HYPERPLASIES SÉBACÉES :
Celles-ci surviennent chez le sujet âgé dans des glandes sébacées
normales de la caroncule.
Elles peuvent s’élargir et sont faciles à
reconnaître sous l’épithélium conjonctival transparent du fait de leur
couleur jaune et de leur aspect lobulé.
Lorsqu’elles augmentent de
taille, elles peuvent faire saillie entre les paupières et présenter des
aspects de dessiccation superficielle.
Histologie :
Elle montre des glandes sébacées agrandies sans atypie cellulaire.
La surface peut être légèrement kératinisée ou présenter des aspects
inflammatoires réactionnels à cause de la sécheresse.
Les carcinomes
sébacés de la caroncule sont très rares.
Xeroderma pigmentosum
:
Il s’agit d’une hypersensibilité généralisée de toutes les cellules
somatiques à l’irradiation ultraviolette en raison de lésions induites
par les ultraviolets au niveau de l’acide désoxyribonucléique (ADN)
et d’un déficit de la réparation de l’ADN.
Dès l’enfance, les enfants
présentent, au niveau cutané, des lésions atrophiques et
pigmentaires.
À l’âge scolaire, la peau, y compris les paupières et la
conjonctive, peuvent présenter d’importants signes de dysplasie,
voire des lésions cancéreuses.
L’oeil est lui-même très sensible à la
lumière et la conjonctive peut présenter des aspects spécifiques de
granulation, des ptérygions, des lésions conjonctivales et cornéennes
à type de néoplasie intraépithéliale, des carcinomes ou des
mélanomes.