Traumatologie oculaire chez l’enfant
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
Si les traumatismes oculaires constituent un problème préoccupant
de santé publique, celui-ci prend une particulière importance dès
lors qu’il s’agit d’enfants.
En effet, les traumatismes constituent, avec
l’amblyopie, la première cause de troubles visuels unilatéraux chez
l’enfant.
Les sujets jeunes sont par ailleurs les plus fréquemment
atteints par cette pathologie (par exemple 58 % des patients avaient
moins de 30 ans dans une étude portant sur près de
9 000 traumatismes oculaires sévères).
Le terrain pédiatrique
comporte en matière de traumatismes un certain nombre de
particularités qui compliquent souvent la prise en charge et le
pronostic.
La première est le risque d’amblyopie qui peut
compromettre la récupération visuelle chez l’enfant de moins de
7 ans, même après un traitement anatomiquement satisfaisant.
La
coopération des parents prend ici toute son importance.
Par ailleurs,
le retard diagnostique est fréquent sur ce terrain, soit en raison du
jeune âge et des difficultés de verbalisation, soit en raison de la
bonne tolérance d’une baisse d’acuité visuelle unilatérale, soit en
raison des réticences à « avouer » un accident resté inaperçu de
l’entourage.
À ces particularités s’ajoutent les fréquentes difficultés
d’examen chez le jeune enfant, qui obligent parfois à proposer une
anesthésie générale pour éviter d’aggraver les lésions au cours d’un
examen un peu trop « musclé », et le cadre très particulier des
sévices à enfant.
Enfin, un aspect particulièrement important des
traumatismes oculaires de l’enfant est la prévention qui, dans la
majorité des cas, aurait pu éviter l’accident et des séquelles
irréversibles.
Épidémiologie :
L’incidence globale des traumatismes oculaires sévères chez l’enfant
est estimée à environ 15 pour 100 000.
Ce chiffre ne rend pas
compte des traumatismes mineurs, motif de consultation beaucoup
plus fréquent.
Un certain nombre de facteurs de risque peuvent être
identifiés :
– le sexe masculin : dans toutes les études, les victimes sont environ
quatre fois plus souvent des garçons que des filles ;
– l’âge : les traumatismes sont plus fréquents après 6 ans, et la
prédominance masculine augmente avec l’âge.
Il s’agit alors le
plus souvent d’accidents, les sévices concernant plutôt les
nourrissons et les petits enfants ;
– le niveau socio-économique ne constitue pas obligatoirement un
facteur de risque mais l’observance du traitement par les parents, en
particulier la rééducation de l’amblyopie, est un facteur pronostique
essentiel.
Circonstances et mécanismes
du traumatisme
:
Les fréquentes difficultés d’examen du nourrisson et de l’enfant
peuvent être partiellement compensées par un interrogatoire
soigneux de son entourage et de l’enfant lui-même lorsque cela est
possible.
Cette démarche est particulièrement utile en matière de
traumatologie où les circonstances de l’accident, la nature de l’agent
vulnérant donnent souvent une idée assez précise de la nature et de
la gravité potentielle des lésions.
Ainsi, un choc peu violent par un
objet de grande taille (ballon) est généralement moins grave qu’un
traumatisme direct par un objet contondant (couteau).
A - LIEU DE L’ACCIDENT :
Des statistiques n’existent que pour les traumatismes les plus graves
mais permettent de cerner les endroits « à risque » et d’orienter la
prévention.
Ainsi, la majorité des accidents sont domestiques, survenant à la maison (un tiers environ).
Viennent ensuite les jeux,
puis le sport et les agressions.
On voit ainsi que la surveillance
des parents est fréquemment mise en défaut.
B - MÉCANISME DU TRAUMATISME :
La nature de l’agent vulnérant varie selon les régions et les pays.
Ainsi, dans les études américaines, beaucoup de traumatismes
graves sont secondaires à l’utilisation de battes de base-ball ou
d’armes à feu...
Toutefois, les études sont assez concordantes
dans la plupart des pays développés : les jouets (ou objets
détournés) projetés (par la victime elle-même ou un autre enfant)
viennent généralement en tête, suivis des objets domestiques et de
bricolage et des accessoires sportifs.
Les chutes, accidents de
la voie publique et par animaux domestiques sont plus rares.
C - TYPES DE LÉSIONS :
Là encore des statistiques n’existent que pour les traumatismes les
plus graves.
La plupart des cas concernent des contusions à globe
fermé.
Les plaies du globe avec ou sans corps étranger, les
brûlures viennent ensuite.
D - TERRAIN :
1- Antécédents généraux
:
Il est essentiel de se renseigner sur les pathologies préexistantes et
qui auraient pu favoriser ou pourraient aggraver le traumatisme :
troubles de la coagulation, maladie générale comportant une fragilité sclérocornéenne.
Les maladies du tissu élastique rentrent dans cette
catégorie : maladie de Lobstein ou des « os de verre », d’Ehlers-
Danlos.
La vaccination antitétanique est généralement à jour chez
les enfants mais ce point comme les précédents est à contrôler dans
le carnet de santé.
2- Antécédents ophtalmologiques
:
La notion d’une intervention ou d’une pathologie oculaire
préexistante est bien sûr à prendre en compte, surtout s’il existe une
cicatrice récente du globe (cataracte, greffe de cornée...).
Examen
:
Dans tous les cas, l’examen ophtalmologique n’est conduit qu’après
élimination de lésions générales associées qui pourraient mettre en
jeu le pronostic vital (viscérales, neurochirurgicales...).
L’on s’efforce
de faire un examen systématique et le plus complet possible afin de
ne méconnaître aucune lésion (par exemple de l’oeil controlatéral en
cas de plaie du globe).
A - ACUITÉ VISUELLE
:
Elle a une valeur médico-légale et doit être mesurée, au moins
sommairement, chaque fois que les lésions et la coopération de
l’enfant le permettent.
Cette mesure peut se limiter à la lecture de
quelques optotypes ou dessins, avec un soin particulier dans les
basses acuités (décompte des doigts, mouvements de la main,
perception lumineuse orientée ou non).
B - OCULOMOTRICITÉ :
Elle est presque toujours analysable, tant dans sa composante
intrinsèque (symétrie des pupilles, réflexe photomoteur direct,
consensuel) qu’extrinsèque (en faisant suivre un objet ou en
bougeant la tête).
C - INSPECTION :
C’est une phase proportionnellement plus importante chez le petit
enfant que chez l’adulte en raison des fréquentes difficultés
d’examen.
Elle permet d’obtenir de multiples renseignements
pourvu que l’on respecte une ambiance calme, avec un éclairage non
éblouissant.
Les paupières, les voies lacrymales, l’aspect de la
conjonctive et de la cornée sont examinés au cours de cette phase.
D - SEGMENT ANTÉRIEUR :
En cas de suspicion de plaie du globe, il est essentiel de ne pas forcer
pour ouvrir les paupières afin de ne pas aggraver les lésions.
Chez
le nourrisson, l’examen du segment antérieur à la lampe à fente se
fait plus facilement l’enfant tenu à plat, le cou en extension de façon
à ce que le front vienne s’appuyer contre l’appui de la lampe. Une
lampe à fente portable peut également être utile.
L’enfant plus grand
est examiné à genoux ou sur les genoux d’un des parents.
E - SEGMENT POSTÉRIEUR :
Là encore, chez un enfant non coopérant et en cas de suspicion de
plaie du globe, il faut éviter l’ouverture forcée des paupières.
Le
plus souvent, il est plus facile d’allonger l’enfant sur le dos, sur une
table un peu haute, la tête vers l’extrémité de la table où se place
l’examinateur.
La contention par un des parents ou un assistant est
utile, en tenant les bras de l’enfant de part et d’autre de la tête.
Pour
les cas les plus difficiles, l’enfant sera enroulé dans un drap avec les
bras le long du corps.
Selon les habitudes de l’examinateur, il est
possible d’utiliser l’ophtalmoscopie directe ou indirecte, cette
dernière étant plus facile à utiliser chez l’enfant allongé et procurant
une image plus globale et stéréoscopique de la rétine.
L’examen
ophtalmoscopique de l’enfant plus grand s’apparente à celui de
l’adulte.
F - AUTRES EXAMENS :
En cas de difficultés d’examen et afin de ne pas aggraver les lésions,
il peut être proposé un examen sous anesthésie générale qui permet
dans le même temps le traitement des lésions les plus urgentes.
Selon le contexte, une échographie, un examen tomodensitométrique
ou une imagerie par résonance magnétique (IRM) peuvent être
nécessaires.
Traumatismes du segment antérieur
:
A - CONJONCTIVE :
1- Érosions, hémorragies :
Ce type de lésion prend parfois des proportions spectaculaires et
inquiète les parents mais reste peu sévère, sauf en cas de suspicion
de plaie du globe associée.
Dans ce dernier cas, le mécanisme du
traumatisme (objet contondant), la déformation pupillaire et
l’hypotonie sont des éléments d’orientation importants.
Les érosions
et hémorragies conjonctivales isolées ne nécessitent pas de
traitement spécifique, sauf en cas de bulle saillante responsable d’un dellen.
2- Plaies
:
Ici encore, le problème est de savoir suspecter une plaie du globe
sous-jacente, sur la base des éléments cités ci-dessus.
La plaie de
conjonctive nécessite selon son étendue un simple traitement antibiocorticoïde local en pommade ou une suture sous anesthésie
générale, qui peut être l’occasion d’une exploration plus
approfondie.
B - CORNÉE :
1- Érosions
:
Elles sont très fréquentes, résultant des mécanismes les plus variés.
La symptomatologie est celle d’une kératite (douleur vive, larmoiement, photophobie).
Une goutte d’anesthésique local et de
fluorescéine aident au diagnostic.
La particularité de l’enfant est
qu’il est toujours nécessaire de rechercher un corps étranger, y
compris sous la paupière supérieure.
Ce corps étranger peut être
passé inaperçu ou caché.
Il peut généralement être ôté avec le coin
d’une compresse.
Le traitement, comme chez l’adulte, repose sur
l’instillation d’une pommade antibiotique, associée à un cycloplégique et des antalgiques par voie générale en cas de douleur
intense.
L’efficacité du pansement sur la cicatrisation est discutée.
2- Plaies :
Les plaies de cornée sont suspectées devant un traumatisme violent
par un objet contondant.
Il existe généralement une déformation
pupillaire.
Plusieurs situations peuvent être schématiquement
distinguées :
– plaie franche épargnant l’axe visuel, isolée, dont le traitement est
simple avec un bon pronostic ;
– plaie franche intéressant l’axe visuel posant le problème de
l’amblyopie si l’enfant a moins de 7 ans ;
– plaie contuse avec des difficultés chirurgicales initiales et
également le problème de l’amblyopie.
Dans tous les cas, les lésions associées doivent être prises en compte
(sclère, plus fragile au niveau du limbe et des insertions musculaires,
iris, cristallin, segment postérieur).
Le traitement associe la suture en urgence de la plaie sous anesthésie
générale et la prescription d’une antibiothérapie parentérale
associant deux molécules différentes (par exemple pipéracilline et
fosfomycine).
En effet, le risque d’endophtalmie post-traumatique
est important, surtout si l’objet contondant est végétal ou souillé de
terre.
Les germes les plus fréquents sont les cocci à Gram
positif (en particulier les streptocoques, plus fréquents chez l’enfant
et aux conséquences généralement sévères) suivis par les Gram
négatif et les mycoses.
Les lésions associées (cristallin, rétine) sont
traitées secondairement. Parfois, une greffe de cornée est
nécessaire à distance.
C - CHAMBRE ANTÉRIEURE :
Un hyphéma est généralement la conséquence d’un traumatisme
violent par un objet non contondant (par exemple une balle).
Le
sang peut venir de l’iris ou du corps ciliaire.
Les deux particularités
chez l’enfant sont le risque d’hypertonie nécessitant une évacuation
chirurgicale pour éviter l’imprégnation hématique de la cornée et
l’amblyopie d’installation rapide chez un petit nourrisson dont l’axe
visuel n’est pas dégagé après quelques jours.
Le traitement associe
le repos (nécessitant parfois une hospitalisation), les boissons
abondantes et la dilatation pour éviter les mouvements de l’iris,
responsables de resaignement.
Les traitements tels que
l’activateur tissulaire du plasminogène (rt-PA), l’acide
aminocaproïque, l’acide tranexamique ne font pas l’unanimité.
D - IRIS ET ANGLE IRIDOCORNÉEN :
1- Lésions du sphincter
:
Les lésions du sphincter irien correspondent à une contusion du
globe dont les circonstances et le traitement sont similaires à ceux
des hyphémas.
Il s’associe souvent une dispersion pigmentaire,
hématique ou cellulaire visible sous forme d’un phénomène de
Tyndall.
La mydriase traumatique ne doit pas être confondue avec
une mydriase d’origine neurologique.
2- Lésions de l’angle iridocornéen :
Il peut exister une iridodialyse (déchirure de la racine de l’iris), un recul ou une récession de l’angle, une cyclodialyse avec
séparation entre le corps ciliaire et la sclère.
La réparation
chirurgicale (secondaire) peut se faire par arrimage à la sclère au
Prolènet 10/0 dont le noeud est protégé par un volet scléral.
Le
point commun de toutes ces lésions est le risque de troubles
secondaires du tonus, parfois hypotonie, voire phtise, plus souvent
hypertonie de traitement difficile et qui est accentuée par la
dispersion pigmentaire contemporaine du traumatisme.
E - CRISTALLIN :
1- Cataracte traumatique
:
L’opacification du cristallin peut être le résultat d’une contusion du
globe ou d’une plaie intéressant la (les) capsule(s).
Le délai est
variable selon le mécanisme et la localisation généralement souscapsulaire
postérieure.
Si la cataracte est partielle, il est essentiel
d’évaluer l’acuité visuelle afin de fixer l’indication chirurgicale.
Chez
un enfant petit, l’on s’aide de signes indirects (mauvaise tolérance à
l’occlusion de l’oeil controlatéral, signe de la toupie, strabisme).
Là
encore, la rapidité d’installation d’une amblyopie est d’autant plus
grande que l’enfant est plus jeune et la rééducation est le
complément indispensable de la chirurgie.
Ce point doit être
particulièrement expliqué aux parents.
Chaque fois que possible, un implant de chambre postérieure sera
mis en place car il procure une meilleure récupération visuelle.
Chez l’enfant petit, la capsule postérieure est ouverte de première
intention et une vitrectomie antérieure est réalisée.
Certains
auteurs sont partisans des implants multifocaux dans cette
indication.
2- Ectopies, luxations
:
Lorsque les fibres zonulaires sont partiellement rompues, le cristallin
est déplacé dans un plan frontal (ectopie).
Cette anomalie se traduit
par une myopisation et un astigmatisme, un iridodonésis et une
phacodonésis.
Comme pour la cataracte, l’indication chirurgicale
dépend du retentissement visuel.
La luxation se fait plus souvent
dans le vitré que dans la chambre antérieure (hypertonie aiguë).
Dans tous les cas, lorsqu’une intervention est décidée et après
extraction du cristallin (phacophagie par voie limbique ou par la
pars plana en cas de luxation postérieure), se pose le problème du
traitement de l’aphakie.
Les implants suturés à la sclère peuvent être
une bonne solution bien que non dénués de complications.
Il est
également possible d’utiliser le support capsulaire restant pour une
des anses de l’implant et de suturer l’autre à l’iris.
Les implants de
chambre antérieure à fixation irienne n’ont pas fait l’objet d’études
très larges chez l’enfant.
Enfin, il faut insister encore sur la
rééducation de l’amblyopie et le risque de glaucome de l’aphaque,
d’évolution souvent redoutable.
Traumatismes du segment postérieur
:
A - OEDÈME RÉTINIEN :
L’oedème traumatique (de Berlin) survient après un traumatisme
non perforant.
Il est localisé dans les couches rétiniennes externes,
de couleur gris-blanc et peut intéresser la région maculaire.
Aucun traitement spécifique n’est nécessaire et l’évolution généralement
spontanément favorable.
Toutefois, des remaniements pigmentaires maculaires ou un trou maculaire peuvent affecter durablement
l’acuité visuelle.
B - HÉMORRAGIES RÉTINIENNES :
Des hémorragies peuvent survenir en association à un hématome
sous-dural chez l’enfant secoué, après accouchement par voie basse ou après traumatisme oculaire direct.
Elles peuvent
intéresser toutes les couches de la rétine.
Il n’y a pas de
traitement spécifique et le pronostic dépend de la localisation.
C - DÉCOLLEMENT DE RÉTINE :
Les traumatismes, à globe fermé ou ouvert, sont la première cause
de décollement de rétine chez l’enfant. Ils correspondent
généralement à une dialyse à l’ora.
La prolifération vitréorétinienne est plus rare dans cette étiologie et le traitement par
indentation externe souvent efficace en raison du caractère
partiellement tractionnel du décollement.
Un cas particulier est
constitué par l’atopie où le frottement oculaire répété lié au prurit
peut entraîner un décollement de rétine.
D - TROUS MACULAIRES TRAUMATIQUES :
Comme pour les décollements, les traumatismes sont la première
cause de trou maculaire chez l’enfant.
Le décollement postérieur du
vitré joue un rôle moins important que chez l’adulte et le mécanisme
serait plutôt la déformation du globe au moment du
traumatisme.
Si le trou est petit une fermeture spontanée peut se
produire. Dans les autres cas, le traitement habituel par vitrectomie est généralement efficace.
E - RUPTURES CHOROÏDIENNES :
Elles sont souvent associées à d’autres lésions (hémorragies,
décollement) et peuvent se localiser à la macula.
Il existe un
risque de néovascularisation.
F - HÉMORRAGIES DU VITRÉ ET CORPS ÉTRANGERS
INTRAOCULAIRES :
La principale caractéristique de l’hémorragie intravitréenne chez
l’enfant, et particulièrement chez le nourrisson, est sa lenteur de
résorption liée au caractère cohérent et non décollé du gel vitréen.
Cette lenteur peut provoquer une amblyopie, voire une myopie de déprivation, d’autant plus rapidement que l’enfant est petit.
En
pratique et chez un nourrisson, une vitrectomie est recommandée si
l’hémorragie se prolonge plus de 1 mois.
En cas de suspicion de corps étranger intraoculaire, l’examen
essentiel est le scanner qui permet de préciser la localisation.
L’échographie, précise également, nécessite une plaie parfaitement
suturée.
Le corps étranger est extrait à distance du traumatisme
(généralement 1 à 2 semaines), le traitement chirurgical en urgence
consistant seulement en la fermeture de la plaie.
Traumatismes des paupières
:
Les traumatismes des paupières exigent chez l’enfant une prise en
charge particulièrement soigneuse et spécialisée lorsque la plaie
intéresse le bord libre, les voies lacrymales ou le releveur de la
paupière supérieure.
Un corps étranger est toujours soupçonné
devant une plaie qui n’est pas strictement superficielle
(radiographie, ou mieux, scanner).
A - PLAIES DU BORD LIBRE
:
Les mécanismes sont très variés, avec une particulière gravité des
plaies par morsures animales.
Dans tous les cas, la suture sous
anesthésie générale intéresse les plans tarsoconjonctival, orbiculaire
et cutané, en veillant particulièrement à l’affrontement des structures
du bord libre, sans tension.
Si la plaie est contuse, on peut
régulariser ses bords sans réséquer plus d’un quart de la longueur
du bord libre. Une antibiothérapie préventive générale est
souhaitable.
B - TRAUMATISMES DES VOIES LACRYMALES :
Ils sont suspectés devant une atteinte du tiers interne des paupières.
Le risque de larmoiement secondaire impose une reconstruction canaliculaire, particulièrement pour le canalicule inférieur.
Cette
intervention doit avoir lieu dans les 48 heures avec, selon les
auteurs, mise en place ou non d’une sonde de type Mini-monokat
facilitant la cicatrisation canaliculaire.
C - PLAIES DU RELEVEUR
:
L’existence d’un ptosis associé à une plaie de la paupière supérieure
impose l’exploration et la suture du releveur.
D - AUTRES TRAUMATISMES (PLAIES, CONTUSIONS)
:
Les plaies superficielles sont suturées ou fermées par des Stéri-Stript.
Les contusions provoquent des oedèmes et hématomes
parfois volumineux du fait de la laxité des tissus, pouvant gêner
l’examen du globe oculaire.
Un examen sous anesthésie générale est
alors parfois requis.
Le traitement se limite à des antalgiques et
éventuellement des compresses imbibées d’eau froide pour diminuer
l’inflammation locale.
Traumatismes orbitaires
:
A - FRACTURES :
Les fractures orbitaires surviennent généralement par traumatisme
direct sur l’os ou par hyperpression antéropostérieure sur le globe
(fracture en « blow out »).
La plupart des cas intéressent le plancher
de l’orbite. L’examen initial est souvent rendu difficile par l’oedème
palpébral et doit éliminer une lésion associée du globe oculaire
et/ou des annexes.
Il recherche particulièrement une anomalie de
l’oculomotricité intrinsèque ou extrinsèque, une énophtalmie, une
crépitation sous-cutanée (communication avec une cavité aérienne).
L’examen complémentaire essentiel est le scanner avec coupes
coronales permettant d’étudier la paroi inférieure et ses rapports
avec le contenu orbitaire.
Un éventuel corps étranger est
également visualisé par cet examen.
L’indication opératoire la plus
courante est l’incarcération du droit inférieur dans le foyer de fracture avec limitation de l’élévation.
Chez l’enfant, le caractère
élastique du tissu osseux (fracture en « bois vert ») est responsable
d’une compression musculaire rendant le traitement
particulièrement urgent.
Le traitement consiste en la réparation
de la fracture par interposition d’une lame de silicone.
L’énophtalmie est l’autre indication chirurgicale, les autres cas
pouvant être simplement surveillés.
Plus rarement, la fracture intéresse le toit de l’orbite (traumatisme
sévère avec indication neurochirurgicale), la région de la poulie du
grand oblique (risque de syndrome de Brown), la paroi externe
(violent traumatisme direct).
B - HÉMORRAGIES INTRAORBITAIRES :
Lors d’un traumatisme orbitaire ou direct antéropostérieur sur le
globe, un hématome rétrobulbaire peut se constituer.
Le signe
principal est l’exophtalmie axile et les signes de gravité sont la baisse
d’acuité visuelle, les troubles de l’oculomotricité intrinsèque ou
extrinsèque, l’hypertonie oculaire.
Le scanner objective l’hématome
et guide les indications de décompression chirurgicale.
C - NEUROPATHIE OPTIQUE TRAUMATIQUE :
L’atteinte traumatique du nerf optique peut correspondre à
différents mécanismes : avulsion dans les traumatismes sévères,
ischémie, compression par un hématome, section par une esquille
osseuse.
Les signes sont une baisse d’acuité visuelle profonde, une
abolition du réflexe photomoteur direct avec conservation du
consensuel.
Le traitement, controversé, associe des corticoïdes en bolus à forte dose et éventuellement une décompression
chirurgicale.
Syndrome des enfants secoués
:
Le syndrome des enfants secoués constitue une entité spécifique au
nourrisson, le plus souvent avant 6 mois.
Il résulte de secousses
antéropostérieures répétées imprimées à l’enfant tenu par le thorax,
souvent lors des pleurs.
Les mouvements du cerveau dans la boîte
crânienne et du vitré dans la sclère, associés à la manoeuvre de
Valsalva liée à l’hyperpression thoracique, provoquent un hématome
sous-dural et des hémorragies intraoculaires.
Il y a souvent une
histoire de malaise inexpliqué et aucune lésion externe apparente.
Les hémorragies peuvent intéresser toutes les couches de la rétine et, dans les cas les plus sévères, diffuser dans le vitré.
La
présence de ces hémorragies associées à un hématome sous-dural
est presque pathognomonique du syndrome.
Le traitement
comporte l’évacuation de l’hématome sous-dural s’il est compressif,
le signalement judiciaire et une vitrectomie uniquement en cas
d’hémorragie intravitréenne persistante.
Ces cas les plus sévères sur
le plan ophtalmologique ont également un mauvais pronostic
neurologique, limitant la récupération visuelle.
Syndrome des enfants battus
:
Ce syndrome décrit par Silverman concerne généralement des
enfants plus grands.
Il peut aboutir, dans 40 % des cas environ, à
toutes les lésions oculaires précédemment décrites, parfois
révélatrices.
Les arguments pour la maltraitance sont des
fractures d’âges variés des os longs, des contusions et plaies dans
des endroits inhabituels (frein de la langue, organes génitaux...), des
brûlures de cigarettes, des traces de morsure, des cheveux arrachés
et l’amélioration des signes lors de l’hospitalisation qui peut
constituer une mesure de protection.
On peut en rapprocher le
syndrome de Münchhausen par procuration.
Traumatismes obstétricaux
:
La fréquence des hémorragies rétiniennes après accouchement
simple est de l’ordre de 33 %, pouvant aller jusqu’à 75 % après
accouchement par forceps.
Elles disparaissent en moins de 6
semaines. Le mécanisme est probablement la manoeuvre de
Valsalva lors du passage dans la filière génitale et éventuellement
une compression directe du globe.
De même, la constatation d’un
oedème palpébral ou d’une hémorragie sous-conjonctivale est
fréquente et sans conséquences.
Les lésions sévères sont beaucoup
plus rares, constituées principalement par des ruptures verticales de
la Descemet consécutives à un appui direct d’une cuiller de
forceps.
L’oedème rétinien et l’astigmatisme consécutifs
peuvent entraîner une amblyopie.
Le traitement comporte des
collyres hypotonisants et corticoïdes pour tenter de diminuer les
phénomènes inflammatoires et oedémateux.
Le pronostic fonctionnel
est souvent altéré par l’amblyopie, imposant de noter soigneusement
les lésions initiales dans le dossier, ces cas ayant fréquemment des
suites médico-légales.
Le diagnostic peut parfois être évoqué
rétrospectivement par la constatation d’une dépression occipitale
controlatérale.
Des lésions graves ont été occasionnellement décrites : luxation du
globe, ruptures choroïdiennes, hyphéma, ainsi que des
lésions in utero par aiguille d’amniocentèse.
Brûlures
:
A - BRÛLURES CHIMIQUES :
Les brûlures oculaires et palpébrales concernent des enfants dans
7 % des cas.
Comme pour les adultes, les brûlures par acides
(chlorhydrique, sulfurique, acétique) provoquent des lésions
superficielles de coagulation protéique, moins sévères que les
brûlures par bases.
Ces dernières (ammoniaque, eau de Javel et surtout soude caustique telle que Destopt) ont un pouvoir
pénétrant élevé en dissolvant les lipides qui constituent les
membranes cellulaires.
La gravité dépend de la concentration et de la quantité de produit
reçue.
Le pronostic des lésions de surface dépend de l’atteinte du
limbe où se trouvent les cellules souches cornéennes.
Dans les cas
les plus sévères, des nécroses sclérales, des lésions étendues palpébroconjonctivales peuvent être observées.
Le traitement repose sur le lavage immédiat et abondant, si possible
au sérum physiologique, des paupières, globes et culs-de-sac
conjonctivaux, en enlevant d’éventuels corps étrangers.
Parfois,
un lavage des voies lacrymales est indiqué.
Il ne faut pas tenter de
neutraliser le produit et le lavage de la chambre antérieure n’a pas
fait la preuve de son efficacité.
Le rôle des corticoïdes est débattu.
Des instillations d’antibiotiques, de cycloplégiques et des
antalgiques complètent le traitement initial.
La chirurgie des
séquelles, difficile, peut faire appel aux membranes amniotiques et
aux greffes de cellules limbiques.
B - BRÛLURES THERMIQUES :
Lors d’une brûlure par flamme, le réflexe de fermeture des paupières
limite souvent les lésions oculaires.
Les projections de liquide chaud,
auxquelles sont particulièrement sujets les enfants (casseroles),
provoquent généralement des lésions superficielles.
C - BRÛLURES PAR RADIATIONS :
Les rayons ultraviolets du soleil sont responsables, comme chez
l’adulte, d’une kératite ponctuée superficielle d’apparition retardée
de quelques heures.
La protection par des lunettes teintées
suffisamment foncées et larges est indispensable dans les conditions
de fort ensoleillement (plage, neige).
Automutilation
:
Des lésions d’automutilation sont observées dans certains
syndromes métaboliques accompagnés de retard mental sévère
(Lesch-Nyhan, Joubert, Magenis).
Les chocs répétés sur les yeux
sont responsables en particulier de décollements de rétine et de
cataractes dont le pronostic chirurgical est médiocre si le
comportement d’automutilation persiste.
Plus rarement, des troubles
psychiatriques ou la recherche d’un bénéfice secondaire peuvent
entraîner des lésions de la surface oculaire induites par un agent
irritant.
Évolution, pronostic
:
Le pronostic fonctionnel des traumatismes du globe oculaire chez
l’enfant est dominé par l’amblyopie qui sous-tend tous les autres
facteurs pronostiques identifiés :
– gravité du traumatisme et des lésions initiales, en particulier
les atteintes du segment postérieur.
L’amblyopie complique
particulièrement les plaies de cornée intéressant l’axe visuel et le
cristallin ;
– retard au diagnostic, fréquent chez l’enfant lorsque le traumatisme
est caché ou passé inaperçu ;
– jeune âge de l’enfant, là encore en raison de la plus grande vitesse
d’installation d’une amblyopie ;
– non-observance de la rééducation de la part des parents.
Prévention
:
Le meilleur traitement reste la prévention qui doit intéresser l’enfant
et son environnement :
– adaptation des jouets aux normes de sécurité ;
– éviction des enfants à proximité des situations à risque (bricolage,
jardinage, chasse...) et inaccessibilité des objets dangereux ;
– protection oculaire adaptée lors de la pratique des sports
dangereux et dans les situations à risque.
Conclusion
:
Les traumatismes oculaires prennent une particulière acuité chez
l’enfant en raison des difficultés d’examen, de la situation fréquemment
ressentie comme dramatique par l’entourage et du pronostic fonctionnel
potentiellement grevé par l’amblyopie.
Si la majorité des cas
correspondent à des lésions bénignes guérissant sans séquelles, si
beaucoup de lésions diffèrent peu de celles rencontrées chez l’adulte, la
connaissance de ce terrain particulier permet dans tous les cas
d’orienter au mieux la démarche diagnostique et thérapeutique.