Lors d’une contusion abdominale, l’existence d’un traumatisme
fermé du foie est une éventualité à la fois fréquente et
potentiellement grave.
Au cours des quinze à vingt dernières années, la prise en charge des
traumatismes fermés du foie a été marquée tout d’abord par le choix
de plus en plus délibéré de ne pas opérer les blessés lorsque cela est
possible, ensuite par l’utilisation de méthodes de plus en plus
précises d’exploration des lésions avec l’échographie et surtout la
tomodensitométrie (TDM), et enfin par la mise en oeuvre de
techniques de traitement sophistiquées comme l’embolisation
sélective artérielle, ou plus « triviales » comme le tamponnement
périhépatique.
Les progrès réalisés sont dus à cette attitude
résolument conservatrice, tant au cours de la
laparotomie que lorsque celle-ci est évitée, et à une meilleure
connaissance de la physiopathologie des grandes hémorragies
incontrôlées.
L’expression la plus évidente de cette acquisition est le
concept de laparotomie écourtée qui trouve dans la gestion des
traumatismes fermés du foie opérés les plus sévères une application
privilégiée sous la forme du tamponnement périhépatique.
Ainsi, dans la majorité des traumatismes fermés du foie, 80 % au
moins, le traitement est non opératoire au prix d’une surveillance
en milieu chirurgical.
Chez les 20 % restants, l’indication opératoire
doit être prise sans atermoiement, parfois en extrême urgence, en
utilisant les techniques adaptées aux paramètres vitaux du blessé.
Dans les deux cas, le rôle fondamental de la réanimation spécifique,
la possibilité à tout moment d’une indication de reprise chirurgicale
et la nécessité d’une imagerie et de techniques radiointerventionnelles
efficaces imposent la prise en charge du
traumatisé hépatique dans un centre hospitalier pourvu en
permanence de chirurgiens, de réanimateurs et de radiologues
chevronnés disposant d’un matériel performant.
Classification des lésions du foie
et des lésions associées :
Une classification des lésions traumatiques du foie est importante
non seulement pour évaluer les résultats de différentes méthodes de
traitement ou pour comparer l’expérience d’équipes différentes, mais
aussi pour mieux orienter les décisions thérapeutiques et surtout la
surveillance.
Mais l’importance des lésions associées dans le cadre
d’un polytraumatisme et la gravité du retentissement physiologique
de ce dernier doivent également être chiffrées car elles sont
largement corrélées aux résultats du traitement des traumatismes
fermés du foie.
L’AIS et l’ISS ont été rédigés sous l’égide de l’American Association
for the Surgery of Trauma (AAST) et permettent d’établir une échelle
de gravité d’atteinte de chaque organe (ou Organ Injury Scaling)
(OIS).
De ce fait, dans les publications anglo-saxonnes, cette
classification est souvent dénommée AAST-OIS.
L’AIS donne, pour chaque organe, une estimation de la gravité des
lésions en attribuant des points : 1 : lésion mineure ; 2 : lésion
modérée ; 3 : sévère sans menace vitale ; 4 : sévère avec menace
vitale ; 5 : critique survie incertaine ; 6 : lésion non viable.
Calculé à partir de l’AIS, l’ISS est très pratique pour coter la gravité
de l’ensemble des lésions chez un polytraumatisé.
Pour les auteurs
américains, un score ISS de plus de 16 points impose la mutation
dans un trauma center, et pour d’autres le seuil de gravité se situe
au-dessus de 20 points ou 25 points.
2- Score de gravité hépatique découlant de l’AIS
:
Pour mesurer la gravité de l’atteinte hépatique, la classification
AAST-OIS appliquée au foie a été utilisée par tous les
traumatologues.
En France, elle est généralement appelée
classification de Moore (Moore était le responsable du
comité chargé par l’AAST de la mise à jour de la classification).
Cette classification grade les lésions hépatiques de I (lésions
minimes) à VI (avulsion hépatique).
Elle est en principe issue des
constatations opératoires, et ne devrait concerner que les opérés,
mais le raffinement des techniques de tomodensitométrie (TDM), qui
permettent en quelques minutes de fournir une représentation
satisfaisante des atteintes hépatiques, ont amené Mirvis à établir une
classification radiologique directement inspirée de celle de Moore.
B - SCORES DE GRAVITÉ GÉNÉRAUX
:
Le score le plus utilisé pour décrire une population de patients ayant
subi un traumatisme est le Revised Trauma Score (RTS), à ne pas
confondre avec le Triage Revised Trauma Score (T-RTS) qui se
calcule à partir des données relevées à la première prise en charge.
Le RTS est calculé à partir du score neurologique de Glasgow et de
deux constantes physiologiques (la pression artérielle systolique et
la fréquence respiratoire), selon une formule mathématique.
Le RTS maximal est de 8, et plus le RTS est bas, plus le blessé est
grave.
Un score inférieur ou égal à 3 induit un risque de mortalité
de 65 %.
Les scores de réanimation courants (l’IGS II ou Simplified Acute
Physiology Score : SAPS II) sont également largement utilisés
chez les traumatisés admis en réanimation.
On considère qu’un
traumatisé présentant un score IGS II supérieur à 30 présente un
risque vital majeur.
Décisions à l’arrivée : réanimation
et bilan ou laparotomie d’urgence ?
A - TABLEAU GRAVISSIME D’EMBLÉE :
LAPAROTOMIE D’EXTRÊME URGENCE
C’est le blessé qui échappe aux mesures de réanimation pendant le
transport, celui qui est gravement choqué et qui parfois a subi un
massage cardiaque sur les lieux de l’accident.
Ce « moribond » sans
tension, au ventre dilaté et mat peut présenter des signes évocateurs
de traumatisme du foie avec des fractures de côtes droites, une
ecchymose due à la ceinture de sécurité… mais le tableau est à
l’évidence celui d’un hémopéritoine important et gravissime.
Il est
conduit immédiatement en salle d’opération afin que sur table la
préparation de la laparotomie se fasse vite, en même temps que les
gestes de réanimation sont complétés.
Le retard au transfert en salle
d’opération est l’une des causes les mieux identifiées de « décès
évitables ».
Dans les cas les plus graves, on peut percevoir le risque d’un arrêt cardiaque imminent (d’autant qu’un massage
cardiaque a déjà été fait sur les lieux de l’accident, pendant le
transport ou en salle de déchocage), et craindre un désamorçage
cardiaque au moment de la laparotomie.
Ce risque a fait proposer
l’utilisation dans ce cas du clampage de l’aorte thoracique, par
thoracotomie gauche, réalisée avant la laparotomie.
Les résultats
dans le cadre des traumatismes fermés de l’abdomen sont
catastrophiques et ce geste peut être déconseillé dans la plupart des
cas. Son équivalent endoluminal consiste à faire monter, par
voie fémorale et en percutané, un ballon qui doit être positionné
sous amplificateur.
Cette technique mériterait d’être largement
évaluée.
On peut proposer plus simplement de remplacer
jusqu’au moment de la laparotomie ce clampage par une
compression manuelle de l’aorte en sous-xiphoïdien, maintenue
pendant l’installation des champs, suivie une fois le ventre ouvert
de la compression manuelle directe et du clampage précoce de
l’aorte sus-coeliaque.
C’est dans ce type de tableau que, si le
patient arrive équipé d’un pantalon anti-g, ce dernier ne doit pas
être dégonflé au moment du passage en salle d’opération, mais le
plus tard possible afin, là encore, d’éviter un désamorçage précoce.
La préparation cutanée est sommaire mais large, l’incision est une
grande médiane, et la probabilité est forte d’avoir à opter
pour une laparotomie écourtée.
B - TABLEAU MOINS SÉVÈRE : PRISE EN CHARGE INITIALE
DU TRAUMATISÉ DE L’ABDOMEN
En dehors du tableau précédent, le blessé est admis en secteur de
déchocage.
L’examen clinique initial rapide a pour but de rechercher les signes
d’une détresse respiratoire, circulatoire ou neurologique et d’en
déclencher le traitement en urgence.
Cliché thoracique et
échographie abdominale sont réalisés de concert avec l’équipement
du blessé et la réanimation.
Cette dernière a pour objectifs de traiter
un choc hémorragique non compensé, de restaurer une oxygénation
tissulaire satisfaisante et d’éviter l’apparition du cercle vicieux du
choc irréversible.
Par ailleurs, son efficacité est un élément
déterminant pour une décision opératoire.
1- Abords vasculaires
:
Deux voies veineuses périphériques de gros calibre (16 G) en secteur
cave supérieur, permettent, après les prélèvements usuels, d’assurer
un remplissage important.
Cet abord est complété dans un deuxième
temps par une voie centrale cave supérieure (préférée à une voie
fémorale, plus septique) de calibre permettant si nécessaire des
prises de pressions et la mise en place d’une sonde de Swan-Ganz.
Une pression artérielle radiale est mise en place précocement (avant
un collapsus majeur) si le risque hémorragique semble important.
Elle guide la réanimation et facilite les prélèvements.
2- Remplissage
:
Ce dernier s’appuie surtout sur les HEA (< 33 mL/kg), l’albumine
humaine.
Le recours à la transfusion est classiquement décidé quand
le taux de l’hémoglobine est inférieur à 7 g/100 mL
(microhématocrite), mais le seuil doit être plus haut situé quand
existe une atteinte respiratoire ou sur terrain débilité.
Les troubles
de coagulation sont compensés par les produits sanguins
correspondants en ne tolérant pas une thrombopénie inférieure à 90
G/L.
Les antifibrinolytiques peuvent être utilisés pour compléter
l’hémostase médicale.
Les espoirs impressionnants que suscite le
facteur VII recombinant, très efficace selon quelques travaux
expérimentaux et cliniques, doivent être validés.
3- Assistance respiratoire
:
Pour assurer une sédation et une analgésie suffisantes, pour
améliorer l’hématose et l’oxygénation tissulaire menacées par le
collapsus et l’anémie, le blessé grave est rapidement endormi,
intubé, ventilé.
4- Lutte contre l’hypothermie
:
L’hypothermie menace ce type de blessé en raison des conditions
du traumatisme, du ramassage et du transport, de la polytransfusion, de la ventilation artificielle, de l’anesthésie générale.
Sa prévention et sa correction sont fondamentales et s’appuient sur
la mesure précise de la température centrale (qui doit être supérieure
ou égale à 35 °C), le réchauffement de tous les liquides perfusés, la
ventilation en air tiède, la couverture à air pulsé.
5- Sondage vésical
:
Le sondage vésical est réalisé après l’échographie abdominale et
l’élimination d’une lésion de l’urètre.
La mesure de la diurèse est un
élément de la réanimation, et la prise de la pression vésicale permet
la surveillance de la pression intra-abdominale.
6- Stratégie diagnostique
:
Elle cherche à faire le bilan de toutes les lésions chez un patient
souvent polytraumatisé, sans multiplier les déplacements et surtout
sans laisser passer l’heure de l’intervention.
C’est en effet en raison
d’une réanimation, d’un équipement, ou d’explorations trop
prolongées que peut survenir un retard à la laparotomie qui reste
un facteur de « perte de chances ».
* Échographie abdominale
:
Toujours réalisable, elle permet d’aider à décider l’intervention pour
les patients instables, et contribue à éviter les laparotomies inutiles.
Elle affirme l’épanchement abdominal avec une sensibilité et une
spécificité élevées, mais la quantification est plus délicate.
Elle
explore le foie et peut déceler un hématome intrahépatique ou souscapsulaire,
plus difficilement une fracture du parenchyme, vérifie
l’état de la vésicule, de la rate, du pancréas parfois visible, et surtout
des reins et du rétropéritoine.
* Tomodensitométrie
:
Elle nécessite une stabilisation hémodynamique. Les coupes abdominothoraciques avec injection doivent être pratiquées après
les coupes cranioencéphaliques.
Cet examen est très performant : il
renseigne à la fois sur l’épanchement péritonéal, sur les autres
organes et le diaphragme, et bien sûr les lésions du foie en
permettant une appréciation de la gravité de celles-ci.
Les
temps vasculaires permettent de rechercher une hémorragie
persistante par image d’extravasation, qui doit faire décider une
artériographie et une embolisation.
* Ponction-lavage du péritoine (PLP)
:
Sa technique est bien codifiée.
Sous anesthésie locale, le cathéter
introduit en sous-ombilical permet d’abord de vérifier si une
quantité de 10 mL de sang est libre dans la cavité et peut être aspirée
d’emblée.
Sinon, 1 L de sérum physiologique à 37 °C est instillé
lentement.
L’effluent récupéré ensuite par siphonnage est analysé
macro- et microscopiquement : l’examen est positif s’il est
franchement hémorragique ou s’il contient plus de 100 000 globules
rouges/mm3.
Si sa performance dans la recherche de l’hémopéritoine avoisine
100 %, son intérêt actuel est modéré dans les premières heures,
puisque l’hémopéritoine ne constitue plus à lui seul une indication
de laparotomie systématique.
La PLP est rarement utilisée de
manière systématique en France, où l’échographie est depuis
longtemps très efficace.
Elle a parfois un intérêt pour
déterminer la nature de l’épanchement abdominal à la recherche
d’une perforation intestinale ou d’une fuite biliaire, mais cela
intervient en général dans les heures ou les jours qui suivent.
* Laparoscopie en urgence
:
Elle est parfois présentée comme un moyen de diagnostic.
Étant
capable de préciser le caractère minime ou modéré de l’hémopéritoine, d’apprécier l’importance de la lésion responsable,
et parfois de permettre des gestes d’hémostase très superficiels et
localisés, la laparoscopie peut permettre d’éviter une laparotomie
inutile.
Elle peut aussi détecter relativement tôt des lésions
d’organes creux jusque-là insoupçonnées.
Mais on ne peut lui
accorder l’exhaustivité d’une laparotomie.
Parmi les inconvénients de cette technique, on peut souligner
l’utilisation de l’anesthésie générale, qui ne peut être anodine chez
un polytraumatisé et singulièrement un traumatisé crânien.
L’utilisation du pneumopéritoine pourrait, en théorie, et en présence
de rupture d’un organe comme le foie, être responsable d’embolie
gazeuse.
En cas de rupture diaphragmatique, le pneumopéritoine
peut provoquer un pneumothorax sous pression, et il faut y être
particulièrement attentif au début de l’insufflation.
Par ailleurs, le
risque d’augmentation de la pression intracrânienne par le
pneumopéritoine doit probablement faire considérer l’existence d’un
traumatisme crânien sévère comme une contre-indication à la
coelioscopie.
Dans les cas où l’hémopéritoine apparaît modéré, l’hémodynamique
conservée, et en absence de lésion diaphragmatique, la laparoscopie
peut donc constituer une aide au choix entre la surveillance non
opératoire et la laparotomie en précisant l’abondance de
l’épanchement, le caractère actif ou non de l’hémorragie hépatique,
et en renseignant sur l’existence de lésions associées.
Mais elle ne
peut être considérée comme suffisamment sûre et exhaustive pour,
si elle est négative, faire écarter avec certitude l’existence d’une
lésion imposant un geste... et elle ne dispense donc pas d’une
surveillance.
Option non opératoire
:
A - CONDITIONS NÉCESSAIRES AU CHOIX DU TRAITEMENT
NON OPÉRATOIRE
:
La condition principale de ce choix est la stabilité hémodynamique ou
une réponse satisfaisante à la réanimation initiale : un adulte de
poids moyen porteur d’un traumatisme fermé du foie, sans lésion
hémorragique associée, et dont le choc ne répond pas à la perfusion
de 2 L de liquides réchauffés doit en général être transfusé, et s’il
« résiste » à un volume total de 3 L, la laparotomie s’impose.
Ailleurs, le traitement non opératoire peut être envisagé.
L’exploitation de l’échographie et de la TDM au niveau du foie a alors
une place importante, non pas tellement pour la décision de
traitement non opératoire, mais pour le choix du secteur
d’hospitalisation où sera prise en charge la surveillance : le type
anatomique des lésions du foie, classé selon Mirvis, peut,
dans les cas où le traumatisme fermé du foie est isolé, faire décider
du passage en secteur de soins intensifs dès que les lésions sont du
type III à V (car le risque de décompensation et de laparotomie
ultérieure est nettement plus élevé que pour les grades inférieurs).
Le polytraumatisme à lui seul plaide pour la prise en charge
en soins intensifs, de même que la connaissance d’un traumatisme
majeur telle qu’en atteste l’existence de décès dans le même accident.
D’autres conditions doivent être remplies pour décider du
traitement non opératoire :
– absence de lésion d’organes creux ;
– possibilité de surveillance clinique rapprochée ;
– disponibilité de l’échographie, de la TDM et de l’artériographie
avec embolisation ;
– capacité à déclencher à tout moment une laparotomie en urgence.
B - SURVEILLANCE DU TRAITEMENT NON OPÉRATOIRE
ET DÉTECTION DES COMPLICATIONS :
En milieu chirurgical classique, la surveillance est avant tout clinique
(douleurs, météorisme, transit, pouls, tension, diurèse, qualité de la
ventilation) mais aussi biologique (hématocrite avec son seuil de
30 %, hémoglobine avec celui de 100 g/L, numération et formule à
la recherche d’une leucocytose, bilan hépatique à la recherche de
rétention et de cytolyse…).
En milieu de soins intensifs, la surveillance est complétée par le
contrôle de l’hématose, par l’appréciation du volume des pertes
sanguines attribuables au foie dans le cas où des transfusions ont
déjà été déclenchées, et où d’autres lésions plus ou moins
hémorragiques existent.
La mesure de la pression intravésicale, reflet
fidèle de la pression intra-abdominale, pourra permettre de détecter
précocement et avant ses complications systémiques (rénales
surtout, ventilatoires et cardiovasculaires plus tard) une
hyperpression abdominale.
Cette surveillance a pour but la
recherche de la poursuite de l’hémorragie, de fuites biliaires, de
perforations intestinales, et d’autres complications.
1- Poursuite ou déclenchement d’une hémorragie
hépatique :
Si la dégradation hémodynamique est sévère : elle conduit à la
laparotomie d’urgence.
Si l’instabilité hémodynamique est contrôlable mais que l’hémorragie
paraît se poursuivre : une nouvelle échographie précise le volume de
l’hémopéritoine.
Une TDM injectée (à la recherche d’une
modification de l’hématome hépatique et/ou d’un blush) ou une
artériographie d’emblée, décidées sur la clinique, permettent de
déterminer l’importance de l’hémorragie : si elle est active et son
site repéré, l’embolisation de la branche artérielle en cause doit être
proposée, associée presque toujours à une transfusion ; en cas
d’échec, la laparotomie s’impose.
Si l’hémorragie semble modérée
selon ces examens, de même que dans les cas où c’est la biologie
qui, par une chute continue de l’hémoglobine, fait évoquer à elle
seule la fuite sanguine persistante, il faut discuter une simple
transfusion (l’hémorragie modérée est difficile à détecter en
artériographie) : cette transfusion permet pour de nombreux auteurs
de passer le cap (dans plus de la moitié des cas pour Pachter), les
autres patients étant embolisés ou opérés.
Il est une catégorie
« moderne » de blessés pour lesquels une réanimation très active
contribue à maintenir un état hémodynamique « limite » alors que
les lésions paraissent sévères (grades IV et V) en TDM : pour eux,
l’artériographie systématique permet, selon Ciraulo, de contribuer à
leur épargner une laparotomie évitable grâce à l’embolisation
précoce qu’elle permet.
Dans tous les cas, il faut systématiquement rechercher des
hémorragies d’autre origine (rate, rein, bassin…) et tout aussi
systématiquement envisager l’embolisation à titre de traitement
temporaire ou définitif.
L’hématome sous-capsulaire constitue un cas particulier. S’il est
associé à un hémopéritoine modéré ou non évolutif, il constitue très
rarement une indication opératoire, même lorsqu’il atteint un
volume impressionnant.
La douleur, qui peut être importante
les premiers jours, doit être traitée.
Mais une ischémie du
parenchyme peut survenir, sous l’effet d’une compression excessive :
elle se manifeste par une augmentation importante des alanineaminotransférases
(ALAT) et aspartate-aminotransférases (ASAT) et
doit conduire à l’intervention de décompression-hémostase.
Elle peut aussi correspondre à un véritable syndrome de Budd-Chiari dû à la compression cave et/ou à la torsion des veines sushépatiques
à leur confluence.
En pratique, la complication hémorragique du traitement non
opératoire survient dans une proportion inférieure à 5 % des cas.
Elle n’impose la laparotomie que rarement, et la laparoscopie peut,
dans les ambiances les plus « sereines », permettre de laver
l’hémopéritoine et de contrôler l’hémorragie de manière simple
(pulvérisation de fibrine ou coagulation par argon).
2- Syndrome péritonéal
:
– Le cholépéritoine, ou péritonite biliaire, correspond à la forme
diffuse de la fuite biliaire.
Il apparaît le plus souvent entre le
deuxième et le cinquième jour, mais peut survenir tardivement
(jusqu’à 21 jours dans le rapport de l’AFC) : souvent douloureux,
affirmé par la ponction sous échographie, il impose une exploration
par laparotomie ou laparoscopie.
Le but de ce geste est limité :
il est très rare qu’un petit pédicule glissonnien sous-segmentaire soit repéré et lié.
Il n’est ni utile ni souhaitable de chercher à explorer la
fracture, et il faut au contraire limiter le geste à l’organisation d’une
fistule biliaire externe.
Cela est réalisé par un large drainage externe
après une toilette péritonéale complète, et la fistule biliaire ainsi
obtenue guérira dans la majorité des cas après ablation progressive
du drainage, ce qui peut prendre plusieurs semaines ; une cholangiographie rétrograde perendoscopique peut montrer le
niveau de la fuite sur l’arbre biliaire, et pourrait permettre, par un
drain nasobiliaire ou une prothèse, d’accélérer la guérison de la
fistule.
– La perforation intestinale associée est rare en pratique, et souvent
évoquée devant l’apparition de douleurs abdominales.
Elle est
détectée par la découverte d’un pneumopéritoine en TDM et
affirmée si nécessaire par une ponction échoguidée à la recherche de
fibres végétales à l’examen direct et d’un dosage de bilirubine.
La PLP peut aussi permettre de l’affirmer grâce à la même recherche
lorsque le patient est difficilement transportable (polytraumatisé en
réanimation) et le tableau peu net.
Si un doute persiste, on doit
considérer qu’une laparotomie ou une laparoscopie secondaires ont
plus d’avantages que d’inconvénients.
Le choix du geste sur ces
lésions tient compte de la gravité de la rupture, de l’ensemble des
lésions associées et de l’état péritonéal : il balance entre sutures
intestinales et stomies.
– La laparoscopie trouve probablement une de ses meilleures
indications dans ces tableaux d’inflammation péritonéale qui
surviennent après 1 jour ou 2 de surveillance, avec une fièvre sans
signe évident d’infection, ou bien une douleur abdominale excessive
non expliquée.
Ce tableau serait observé dans près des deux tiers
des patients avec des lésions de grade IV ou V et non opérés, et le
liquide péritonéal serait stérile pour 90 % d’entre eux selon Carillo.
L’amélioration de leur état par une laparoscopie avec lavage et
drainage si nécessaire est telle que cet auteur propose de la réaliser
relativement tôt (2 à 4 jours après le traumatisme), d’autant plus
volontiers que les lésions sont sévères (VI et V), que l’hémopéritoine
est volumineux, et qu’il existe un état inflammatoire.
3- Syndrome d’hyperpression intra-abdominale (HIA)
et du compartiment abdominal
:
L’HIA menace classiquement les patients traités par laparotomie,
surtout après laparotomie écourtée avec tamponnement périhépatique.
Mais le traitement non opératoire de traumatisme
fermé du foie sévère et la compensation des hémorragies par
transfusions peuvent conduire à cette complication par le
développement d’un hémopéritoine sous pression.
Il y a HIA
lorsque la pression est mesurée dans la vessie à plus de 25 cm d’eau.
Si cette pression entraîne un dysfonctionnement rénal et une gêne ventilatoire, le syndrome du compartiment abdominal survient, qui
s’accompagne d’une défaillance multiorganes par l’apparition d’un
cercle vicieux dû à l’ischémie des organes abdominaux, et à l’oedème
réactionnel de ces derniers, comme dans un syndrome des loges.
Sa gestion dans le cadre du traitement non opératoire est
superposable à celle suivie dans le cadre de la réanimation des
patients porteurs d’un tamponnement périhépatique, et elle est
dominée par la décompression par laparotomie et par
l’utilisation de procédés de relâchement de la paroi.
4- Tableaux atypiques
:
Des tableaux plus atypiques peuvent survenir, de causes très variées.
– Un bilome correspond à une collection localisée de bile, due à une
fuite biliaire.
Il est le plus souvent juxtahépatique, et se développe
dans la cavité abdominale, mais il peut aussi se développer en
intrahépatique et peut entraîner une compression du foie ou,
rarement, une compression de la veine cave inférieure.
Il relève
le plus souvent de la ponction-drainage échoguidée, qui peut
conduire à l’installation d’une fistule biliaire externe.
– Un abcès correspond en général à l’évolution d’un bilome associé
à la nécrose d’un fragment de foie.
Le drainage percutané n’évitera
pas toujours la laparotomie pour nécrosectomie, et drainage large.
– Un traumatisme du pancréas associé doit rester à l’esprit.
Il n’est
pas toujours détecté sur les TDM précoces ; il est évoqué sur une
hyperamylasémie et la TDM pratiquée secondairement est
performante.
– Une hémobilie, rare, correspond à une plaie artérielle qui
s’extériorise dans les voies biliaires.
Évoquée devant la triade douleur-ictère-hémorragie digestive, elle relève de l’embolisation
artérielle dans la majorité des cas.
Elle peut nécessiter, en cas
d’échec, la ligature d’une branche de l’artère hépatique, voire la
classique hépatectomie secondaire, pratiquement toujours évitée.
– Les autres complications vasculaires correspondent à des
anévrismes artériels et surtout à des fistules artérioportales,
responsables d’hyperpression portale inconstamment, et imposant
alors embolisation ou ligature artérielle (mais lorsqu’elles sont
distales et silencieuses, elles peuvent guérir spontanément en
quelques semaines).
Les fistules artério-sus-hépatiques sont rares
mais bruyantes avec insuffisance cardiaque, et leur embolisation est
délicate.
– La bilhémie correspond à une fistule bilio-sus-hépatique qui
aboutit à un ictère par passage de bile dans le sang.
Elle est
exceptionnelle, guérit spontanément le plus souvent, mais une sphinctérotomie et un drainage nasobiliaire poussé jusqu’au secteur
incriminé pourraient accélérer cette guérison par la baisse de
pression biliaire ainsi obtenue.
– La rupture de la coupole diaphragmatique droite associée permet
le plus souvent de différer la réparation, permettant de « réduire »
la luxation du foie sans risque sérieux de provoquer une hémorragie.
C - RÉSULTATS
:
– Mortalité : elle est, pour ces patients d’emblée non opérés, en
général inférieure à 9 %, et celle directement liée au traumatisme
hépatique est inférieure à 1 %.
– Échecs : on considère classiquement comme un échec de cette
option le recours à la laparotomie, plus ou moins précoce, et qui est
dû à la lésion hépatique dans la moitié des cas environ.
Sa fréquence
est de 7 à 10% des cas dans l’expérience récente.
Mais il faut
souligner que la plupart de ces laparotomies secondes se déroulent
dans des conditions plus favorables que celles d’une intervention
immédiate, et que la « perte de chance » observée chez ce type de
patients, dont la laparotomie serait considérée comme retardée, est
très faible ou nulle.
Au total, on peut affirmer que la fréquence de
ces laparotomies secondes tend à baisser, grâce à une meilleure
compréhension des signes, au recours à la transfusion sanguine, et
surtout à l’utilisation large de l’artériographie avec embolisation
artérielle, de même que la ponction-drainage percutanée, et le
cathétérisme rétrograde de la papille.
– Durée de la surveillance en milieu hospitalier : elle tient compte en
principe de la sévérité radiologique des lésions car deux tiers des
échecs dus à la lésion hépatique dans l’option non opératoire
correspondent à des grades élevés de Moore.
Un patient porteur
d’une lésion sévère type IV par exemple, et totalement
asymptomatique, ne peut sortir en milieu familial qu’à partir du 10e
jour, sous surveillance médicale.
Pour autant, la pratique d’une
surveillance systématique par TDM n’a pas de justification si la
clinique est satisfaisante, et n’influence pas la durée de
l’hospitalisation.
L’image résiduelle intrahépatique (kystique le
plus souvent), dont la taille n’a pas d’influence sur la date de reprise
des activités, peut persister plusieurs mois et sa ponction secondaire
est exceptionnellement justifiée.
Le sport peut être autorisé à 2 mois,
même lorsque les lésions initiales étaient sévères et lorsque les
images résiduelles restent impressionnantes.
Option opératoire
:
A - INSTALLATION ET INCISIONS
:
Les deux bras sont en général écartés pour permettre des abords
veineux et artériels.
La préparation cutanée est thoracoabdominale.
L’incision princeps est une longue médiane sur laquelle peut être
« branchée » sans inconvénient une transversale droite.
Une
fois la cavité ouverte, la conduite à adopter doit être adaptée aux
situations rencontrées.
B - FOIE NE SAIGNANT PLUS À L’OUVERTURE
DE L’ABDOMEN :
Moins fréquente que par le passé, cette situation rassurante ne doit
pas pousser à un activisme excessif.
Après évacuation de
l’hémopéritoine, on procède à un contrôle complet de la cavité
abdominale sans aborder le foie, à la recherche de lésions associées.
Les caillots situés autour du foie intact sont prudemment enlevés,
mais on évite de le faire au niveau de la fracture qui ne saigne plus.
Il n’y a pas de raison valable de vouloir libérer et explorer ces lésions
à tout prix car le risque de déclencher une hémorragie importante
est réel.
Après irrigation de la cavité abdominale au sérum chaud,
un simple drainage et la fermeture de la paroi sont de mise.
C - HÉMORRAGIE DU FOIE ACTIVE
:
L’opérateur cherche avant tout à stopper l’hémorragie, et non pas à
essayer de comprendre le type exact des lésions en mobilisant le
foie.
Son réflexe est tout d’abord de comprimer le foie en le
refermant sur lui-même et en le plaquant contre le diaphragme.
Son
aide le remplace.
Un lacs est mis sur le pédicule.
L’exploration rapide de l’abdomen vérifie l’absence d’autre foyer hémorragique.
L’incision est adaptée à l’exploration.
Un renfort peut être alors
demandé tant au niveau chirurgical qu’anesthésique.
À ce stade de
l’intervention, plusieurs situations peuvent être décrites, qui vont
dicter la conduite opératoire.
1- Situation « favorable »
:
Ce sont les cas où la compression hépatique manuelle est efficace et
où la lésion du foie est antérieure, bien visible, et ne semble pas trop
profonde.
Surtout, et c’est le plus important peut-être, le patient n’est
pas choqué ni hypothermique, il n’a pas été largement transfusé (il
a reçu moins de cinq culots), les lésions associées sont bénignes ou
facilement traitées, et l’ensemble de l’équipe a l’habitude de cette
chirurgie.
On peut décider alors d’effectuer l’exploration et
l’hémostase définitive de la lésion.
Un clampage pédiculaire est pratiqué dont l’heure est
soigneusement notée.
S’il réalise une hémostase satisfaisante, on
peut écarter les bords de la plaie, et pratiquer des sutures
hémostatiques électives, geste économique et peu invasif.
La
fermeture à larges points n’est pas à recommander.
Si, de l’avis de la grande majorité des auteurs, l’hépatectomie
anatomique large (plus de trois segments) n’a pas de place en
traumatologie, une simple régularisation ou l’achèvement d’une
hépatectomie traumatique atypique peut être discutée.
Mais ce type d’option ne doit être prise que si elle aboutit à une
hémostase définitive dans un temps modéré.
La durée du clampage
doit en effet être courte, car les durées classiques édictées pour la
chirurgie hépatique programmée ne s’appliquent pas sans risque à
un foie qui a déjà saigné, et subi des épisodes d’ischémie en cas de
collapsus.
Cela justifie probablement de préférer les clampages
séquentiels au clampage continu.
Mais si ce clampage doit durer,
si l’hémorragie reprend, si la lésion est profonde et si des signes
d’hypocoagulabilité apparaissent, alors il faut discuter sans
s’obstiner la compression bimanuelle itérative, et la mise en place
d’un tamponnement périhépatique.
Lorsque la situation reste favorable, et lorsque le chirurgien est
habitué à la chirurgie hépatobiliaire, il peut décider, pour mieux
exposer la lésion, de mobiliser le foie droit.
Il faut reprendre la
compression, agrandir l’incision.
Cette libération hépatique
droite, bien codifiée en chirurgie hépatique réglée, peut être
dangereuse si la lésion semble intéresser la zone du segment VII et du segment VIII et, donc, la région de la veine sus-hépatique
droite et de ses affluents.
Elle doit être réalisée ici de bas en haut et
de droite à gauche, à partir de la pointe du ligament triangulaire : la
main qui libère le foie comprime et ferme en même temps la lésion
hémorragique, le foie droit est repoussé vers le haut et en direction
de la veine cave, et la libération doit être poussée jusqu’au bord
droit de celle-ci.
Cette option doit être réservée à des cas
extrêmement favorables, et il faut aussi savoir comprendre que le
projet était trop ambitieux, et que le tamponnement périhépatique
« de rattrapage » ou de sauvetage doit être décidé sans délai.