Traitements chirurgicaux des poches parodontales
(Suite)
Cours de Médecine Dentaire
5- Chirurgie régénératrice
:
Les principes de la chirurgie régénératrice ont
consisté dans un premier temps à placer au sein de
la lésion un matériau osseux, de façon à favoriser
une reconstruction osseuse et la formation d’une
nouvelle attache.
Ensuite, le principe de l’exclusion
épithéliale et conjonctive pour privilégier la
colonisation du site par les cellules desmodontales
et osseuses a permis le développement de la régénération
tissulaire guidée.
Plus récemment, l’emploi
de protéines amellaires a aussi permis la régénération
de telles lésions.
En fait, tous ces principes ont prouvé leur efficacité
clinique pour parvenir à une régénération parodontale,
même si celle-ci est partielle dans la plupart
des cas.
* Indications :
Les techniques régénératrices ne s’adressent
qu’aux lésions intraosseuses angulaires ou circonférentielles
égales ou supérieures à 3 mm.
Indépendamment
de la profondeur et de la largeur de la
lésion, le nombre de parois osseuses résiduelles
ainsi que leur morphologie et leur situation vont
être déterminantes pour l’application de ces techniques.
Les lésions intraosseuses à une, deux ou trois
parois ainsi que les lésions interradiculaires
pourront être traitées par ces thérapeutiques en
sachant que la prévisibilité des résultats est fonction
des caractéristiques de la lésion.
Un défaut intraosseux étroit, profond à trois parois (ou combiné
deux-trois parois) offre un pronostic favorable.
De plus, il est nécessaire de corréler ces données
à d’autres facteurs tels que le rapport couronne-racine, l’état pulpaire (en présence
d’une lésion endoparodontale, il faut réaliser préalablement
le traitement endodontique) l’environnement
osseux des dents adjacentes ou encore la
situation stratégique de cette dent si la lésion est
peu favorable à l’application d’une technique régénératrice.
Pour les lésions interradiculaires, c’est essentiellement
les classes II mandibulaires qui offrent un
pronostic raisonnable de régénération.
* Techniques et résultats
:
+ Greffes osseuses
:
Matériaux : un matériau de comblement doit être
biocompatible, ostéogénique (ostéoconducteur
et/ou ostéo-inducteur) résorbable, et être disponible
en quantité suffisante.
De plus, il doit pouvoir
se manipuler aisément. Parmi les matériaux utilisables, on distingue les matériaux osseux et non
osseux (alloplastiques).
– Autogreffes.
Extraorales.
Introduites par Schallhorn et Hiatt
en 1970 à partir de moelle de crête iliaque, elles
sont ostéo-inductrices mais peuvent entraîner des
résorptions radiculaires ou des ankyloses même
après congélation du matériau.
Ces complications,
ajoutées au geste chirurgical du prélèvement, ont
fait abandonner cette technique en chirurgie parodontale.
Ces autogreffes intraorales seraient les matériaux
de choix pour le traitement des lésions intraosseuses.
Pour certains auteurs elles seraient
à l’origine d’une véritable régénération du
parodonte, avec néoformation osseuse et présence
d’une nouvelle attache.
L’obligation d’un
deuxième site chirurgical et la faible quantité d’os
disponible sont les inconvénients de cette technique.
Les sites donneurs sont nombreux (crêtes
édentées, tubérosités, symphyse mentonnière, sites
d’extraction récents 8 à 12 semaines, ramus,
exostoses) et sont choisis en fonction du cas clinique,
de la qualité et de la quantité d’os nécessaire.
Les protocoles de prélèvement varient du « coagulum
osseux », récupéré avec une fraise boule, au
«bone-blend » prélevé à l’aide d’un trépan ou
encore avec un filtre à os monté sur la canule
d’aspiration.
Toutes ces techniques sont efficaces,
la commercialisation de filtres (Praxis®, Astra® ou
OCT®) a rendu la technique plus fiable en améliorant
la quantité d’os prélevé.
– Allogreffes.
Il s’agit d’os d’origine humaine.
Ce matériau est
distribué par des banques d’os qui prélèvent sur un
donneur sélectionné et selon des conditions stériles
dans les 24 heures qui suivent le décès.
En dépit du
traitement rigoureux de cet os, il ne faut pas
oublier qu’il pourrait exister un risque potentiel de
contamination même si, à ce jour, aucune preuve
de transmission virale n’a été signalée en dépit
d’une large utilisation de ce matériau.
À l’heure actuelle, le risque de transmission
d’agents non conventionnels (Creutzfeldt-Jakob)
ne peut pas être totalement écarté.
Ces allogreffes sont constituées d’os lyophilisé,
congelé et déminéralisé (demineralized freeze
dried bone allograft ou DFDBA) ou non déminéralisé
(freeze dried bone allograft ou FDBA).
Ces matériaux
seraient, selon Mellonig, biocompatibles et
résorbables.
Pour certains auteurs, l’emploi du DFDBA permet une régénération importante des
lésions de par ses propriétés ostéo-inductrices,
pour d’autres, le pouvoir ostéo-inducteur de ces matériaux est faible.
Il est probable que la variabilité
des résultats peut être expliquée par la nature
de l’allogreffe utilisée.
– Xénogreffes.
Essentiellement d’origine bovine, elles sont
constituées d’une trame minérale osseuse déprotéinée
par un traitement à l’ammoniaque et une
cuisson entre 250 °C et 600 °C.
Une étude de Wenz
et al. analyse les risques de transmission de
l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) par les
greffes osseuses d’origine bovine, et confirme la
sécurité du matériau notamment par l’absence de
protéines dans le Bio-Oss® et par le pouvoir d’inactivation
des prions éventuels lors du traitement
alcalin.
Le Bio-Oss® est commercialisé sous trois formes :
cortical, spongieux et spongieux associé à du collagène.
Ces matériaux sont très proches de l’os spongieux
humain.
Ils possèdent une excellente
conductivité et se résorbent lentement.
Ces
matériaux peuvent être utilisés en remplacement
des allogreffes et/ou pour pallier le manque de
disponibilité d’os autogène intraoral.
Les résultats
cliniques sont encourageants et les études histologiques
chez l’homme ont montré un certain
degré de régénération sur des lésions intraosseuses.
– Greffes alloplastiques.
Ce sont pour la plupart des matériaux synthétiques
ou organiques utilisés pour pallier aux inconvénients
des autres matériaux d’origine animale ou
humaine.
Depuis une vingtaine d’années, nombre
de ces matériaux ont été testés (carbonates de
calcium, phosphates tricalciques, hydroxyapatites,
bioverres...).
La plupart de ces matériaux présentent
une bonne biocompatibilité et sont ostéoconducteurs.
Cliniquement, une réduction significative
des profondeurs de poches, un gain d’attache clinique
et un maintien de ces résultats ont été montrés
mais l’histologie n’a jamais pu démontrer
de réelle régénération avec ces matériaux alloplastiques.
Dans l’avenir, ces matériaux pourraient servir de
support pour véhiculer in situ des protéines morphogénétiques
osseuses (rhBMP-2) qui auraient un
rôle dans la régénération des lésions intraosseuses.
Les techniques de lambeaux utilisés pour ces
greffes osseuses sont superposables et vont inclure
des tracés d’incision visant à conserver la quasitotalité
des tissus mous pour favoriser la cicatrisation
des plaies par première intention.
L’incision intrasulculaire est festonnée et respecte
les papilles. Dans les zones antérieures où
l’esthétique est déterminante, nous réalisons un
lambeau esthétique d’accès ou de préservation papillaire.
Les incisions de décharge (non impératives si les
incisions initiales donnent un accès suffisant au
site) sont biseautées.
Le débridement de la lésion
est méticuleux et il est suivi du surfaçage des
racines concernées.
La mise en place de la greffe
osseuse se fait graduellement à l’aide de fouloirs
jusqu’au remplissage de la lésion sans réaliser de surcomblement qui pourrait entraîner une mauvaise
coaptation des berges des lambeaux lors de la
fermeture du site, ce qui retarderait la cicatrisation
et entraînerait une fuite du matériau.
Les
sutures seront les plus hermétiques possibles
(points de matelassier) afin d’éviter toute exposition
du matériau et tenter une cicatrisation par
première intention.
Les soins postopératoires comprennent
une antibiothérapie (6 jours) et des bains
de bouche à la chlorhexidine (0,12 %).
Après dépose
des sutures, une reprise progressive de l’hygiène
est instaurée.
+ Régénération tissulaire guidée (RTG)
:
Les travaux de Melcher puis de Nyman sont à la
base du concept de la RTG.
Le principe consiste à
promouvoir les cellules desmodontales et osseuses
lors de la cicatrisation en retardant la migration des
cellules épithéliales et conjonctives au moyen
d’une membrane.
Des études cliniques et histologiques
ont montré qu’une régénération parodontale était
patente au niveau de lésions intraosseuses et interradiculaires
(essentiellement les classes II mandibulaires).
Pour cela, la membrane doit respecter
plusieurs impératifs.
Parmi ceux-ci, le maintien
d’un espace sous la membrane et la protection du
caillot constitué dans cet espace de cicatrisation
sont déterminants.
Les membranes peuvent se classer en deux grandes
catégories : non résorbables et résorbables.
– Membranes non résorbables.
Constituées de polytétrafluoroéthylène expansé
(ePTFE) et commercialisées par la firme Gore®,
elles présentent une partie occlusive aux cellules
(mais pas aux fluides) qui se termine, dans leur
portion coronaire, par un étroit bandeau semiperméable.
Ces membranes présentent différentes
formes adaptées à plusieurs types de lésions en
fonction des dents concernées.
Pour éviter leur
affaissement dans l’espace cicatriciel, ces membranes
peuvent aussi être armées de lamelles en
titane.
L’inconvénient de ces membranes est la
nécessité d’une deuxième intervention afin de les
déposer (28 jours).
– Membranes résorbables.
Elles sont constituées principalement de copolymères
d’acide polylactique et d’acide polyglycolique
(Resolut®) ou de collagène d’origine bovine ou
porcine (Bio-Gide®).
Ces membranes se résorbent
lentement (cycle de Kreps : de 15 à 120 jours) sans
signes inflammatoires.
La technique chirurgicale comprend des incisions intrasulculaires et de décharges qui permettent
l’élévation de lambeaux mucopériostés, donnant
un large accès à la lésion afin que la membrane la
recouvre largement (3-4 mm).
Après débridement
soigneux de la lésion, des pertuis sont aménagés
dans les parois du défaut si celui-ci est corticalisé
de façon à favoriser la formation d’un caillot.
La membrane la mieux adaptée est ajustée puis
suturée autour de la dent par un point suspendu
pour assurer sa tenue et la meilleure sertissure
possible autour du collet de la dent.
Le lambeau est
ensuite repositionné sur le site de façon à recouvrir
de façon parfaite la membrane, il est souvent positionné coronairement de façon à recouvrir parfaitement
la membrane, ce qui limite les risques
d’exposition donc de contamination bactérienne
génératrice de mauvais résultats.
La prescription d’antibiotiques par voie systémique
et d’antiseptiques locaux à la chlorhexidine
(0,12 %) est de rigueur.
Les sutures sont déposées à
10-12 jours puis un nettoyage professionnel hebdomadaire
est instauré pendant 4 à 6 semaines date à
laquelle une deuxième intervention est programmée
si une membrane non résorbable a été choisie.
– Résultats.
Le nombre de parois osseuses délimitant la lésion
semble être un facteur déterminant dans la prévisibilité
du comblement osseux et du gain d’attache
bien que les résultats ne semblent pas forcément
liés à ces critères.
En ce qui concerne les
lésions interradiculaires, la RTG apparaît prédictible
pour les lésions de classe II mandibulaires si la
« cellularité » des lésions (composante verticale ;
présence d’os interproximal ; hauteur du tronc
radiculaire...) permet la bonne mise en place de la
membrane et le maintien d’un espace de cicatrisation.
C’est cependant une technique difficile dans
laquelle l’indication et la rigueur opératoire sont
de mise.
Les résultats en termes de régénération sont
semblables, que les membranes soient résorbables
ou non.
+ Association membrane :
– greffe osseuse
Cette association a pour but d’empêcher l’effondrement
de la membrane dans la lésion, elle contribue
donc au maintien d’un espace cicatriciel conséquent.
De plus, selon les propriétés du matériau mis
en place, la néoformation osseuse pourrait être
améliorée.
Les auteurs rapportent des résultats
variables.
Ainsi, Nevins assure que la prédictiblité
des traitements des lésions intraosseuses profondes
s’en trouve améliorée alors que pour Luepke et
al. cette association n’améliore pas les résultats
de l’une des deux techniques utilisée seule.
D’autres auteurs comme Sato limitent cette technique
aux lésions pour lesquelles l’espace sous la
membrane ne peut être maintenu du fait de la
morphologie de la lésion.
+
Protéines dérivées de la matrice de l’émail :
C’est un concept récent dans lequel ni un apport
osseux ni une exclusion épithéliale ne sont impliqués
pour obtenir une régénération.
Embryologiquement,
les protéines de l’émail ont un rôle clé
dans le développement des tissus de soutien des
dents en induisant la cémentogenèse.
L’application
d’amélogénines sur la(ou les) paroi(s) radiculaire(s)
décontaminée(s) d’une lésion intraosseuse peut
permettre la régénération de cette lésion.
Elles sont commercialisées sous le nom d’Emdogain
®.
Bien qu’étant d’origine porcine, ces protéines
sont reconnues par l’organisme.
– Technique.
Elle comporte une chirurgie d’accès conventionnelle
; les incisions intrasulculaires respectent les
papilles pour favoriser la coaptation intime des
berges lors de la fermeture de la plaie.
Un lambeau
de pleine épaisseur est décollé des surfaces vestibulaire
et palatine (ou linguale) des dents concernées.
Les incisions de décharge se font à distance
du site.
La lésion est soigneusement débridée puis
les racines sont mordancées avec un gel neutre
d’éthylène-diamine-tétra-acétique (EDTA) pendant
2 minutes.
Après rinçage abondant, Emdogain®
peut être appliqué à l’aide d’une seringue munie
d’une aiguille mousse sur les racines concernées et
dans la lésion.
Les lambeaux sont ensuite suturés soigneusement.
Les soins postopératoires comprennent
des bains de bouche à la chlorhexidine
(0,12 %).
Les sutures sont déposées à 10-12 jours.
Le résultat clinique (profondeur de sondage) et
radiographique s’observe à long terme.
– Résultats.
Les études cliniques et histologiques ont montré
que le traitement des lésions intraosseuses par
amélogénines donnait des résultats superposables à
ceux obtenus par RTG, cependant, cette régénération
demande de longs mois et peut être entravée
par l’affaissement du lambeau dans des lésions peu
favorables à une et à deux parois.
Pour pallier ce
problème, certains auteurs ont proposé d’associer
à ce traitement des greffes osseuses dans le dessein
de maintenir l’espace de cicatrisation mais les résultats
ne semblent pas montrer un résultat significatif
versus une greffe osseuse seule.
En présence d’une lésion intraosseuse, diverses
techniques permettent l’obtention d’une régénération
plus ou moins significative.
Pour les lésions
angulaires sur les monoradiculées, le pronostic dépend
avant tout de la morphologie des lésions et de
l’appréciation de leur potentiel de cicatrisation.
Pour les lésions interradiculaires moins favorables les techniques de RTG semblent plus prédictibles.
Conclusions
:
Face à une parodontite, l’élimination des facteurs
étiologiques effectuée par le praticien et le patient
constitue la base de nos traitements.
Lors de la
réévaluation, la réduction ou la suppression chirurgicale
des poches résiduelles doit être réalisée au
moyen de techniques adaptées permettant la stabilisation
de la maladie parodontale.
Pour les lésions intraosseuses, la chirurgie régénératrice
est appliquée après avoir précisé les paramètres
cliniques et techniques permettant d’obtenir
des résultats fiables.
Dans tous les cas, la maintenance des sites traités
est incontournable pour valider à long terme
nos traitements chirurgicaux.