Traitement médical de la rétinopathie diabétique
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
L’évolution des connaissances en matière d’ophtalmologie et de diabétologie
a permis, ces dernières années, une meilleure compréhension de la RD
notamment en ce qui concerne sa relation avec l’hyperglycémie chronique.
Dans les pays développés, on observe une croissance continue du nombre de
cas de diabète dépistés, principalement non insulinodépendant (DNID), type
2.
La RD est estimée être la première cause de cécité légale acquise chez
les personnes entre 20 et 74 ans et représente donc un problème majeur
de santé publique.
Son traitement et sa prévention sont donc des priorités.
Rétinopathie diabétique et normoglycémie
:
Il est maintenant admis pour la RD, comme pour d’autres complications liées
au diabète, que le niveau d’hyperglycémie, mesuré par l’hémoglobine
glyquée (HbA1c), est le facteur de risque dominant.
Il est mis en
évidence dans la plupart des grandes études épidémiologiques de la littérature
et notamment dans la Wisconsin Epidemiologic Study of Diabetic
Retinopathy (WESDR).
A - Intensification du traitement dans le diabète
:
1- Efficacité
:
Un bon équilibre glycémique diminue le risque d’évolution vers une RD ou
le risque d’aggravation d’uneRDdéjà présente.
Cette démonstration peut être considérée comme acquise pour le diabète insulinodépendant (DID), type 1,
grâce aux résultats de l’étude du DCCT.
Cette étude a consisté à suivre, de
façon prospective et randomisée, 1 441 patients DID pendant une durée
moyenne de 6,5 années.
Il s’agissait d’évaluer l’efficacité de l’intensification
du traitement, et en particulier de l’insulinothérapie, sur la survenue des
complications liées au diabète.
Concernant la RD dans le groupe traité de
façon intensive, comparé au groupe traité conventionnellement, on notait à la
fin des 6,5 années de suivi des patients une réduction du risque de voir
apparaître une RD de 76 %, une réduction du risque de progression d’une RD
déjà installée de 54 % et une diminution du risque d’apparition d’une RD
proliférante ou non proliférante sévère de 47 %.
Pour le DNID type 2,
l’efficacité d’un bon équilibre glycémique sur la prévention du risque de
survenue ou d’aggravation d’une RD est probable et l’intensification du
traitement recommandée.
Une étude japonaise récente portant sur 107
patients confirme cette impression : 110 patients ont été suivis pendant 6 ans,
55 en prévention primaire, 55 en prévention secondaire.
Les stades
d’aggravation de la RD ont été définis selon les recommandations de l’Early
Treatment Diabetic Retinopathy Study (ETDRS).
Les patients de chaque
groupe ont été randomisés en deux groupes : un groupe bénéficiant d’un
traitement intensifié (TI) avec multi-injections d’insuline et objectif
glycémique strict et un groupe traité par insuline de façon conventionnelle
(TC).
Dans le groupe TI en prévention primaire, le pourcentage cumulé
d’apparition d’une RD est au bout de 6 ans de 7,7 % contre 32 % pour le
groupe TC.
En prévention secondaire, le pourcentage cumulé d’aggravation
d’une RD est de 19,2 %dans le groupe TI contre 44 %dans le groupe TC.
L’hyperglycémie chronique est donc un facteur de risque majeur pour la RD,
aussi bien dans le DID que dans le DNID, et son contrôle strict est
indispensable.
2- Moyens
:
Une collaboration active multidisciplinaire entre le médecin généraliste,
l’ophtalmologiste et le diabétologue est recommandée.
Le
développement de l’éducation à l’autosurveillance glycémique par glycémie
capillaire est un préalable indispensable.
L’amélioration individuelle de
l’hygiène alimentaire et le développement d’une activité physique régulière est nécessaire.
Pour le diabète de type 1, le consensus actuel est d’obtenir une
quasi-normalité glycémique. Une attention particulière sera apportée au
contrôle des hypoglycémies.
Cet objectif glycémique nécessite la
multiplication des injections ou le recours aux systèmes d’infusion continue
d’insuline (pompe à insuline) pour l’atteindre.
Pour le diabète
de type 2, les mêmes recommandations d’objectif glycémique devront être
vraisemblablement appliquées.
Une utilisation optimalisée des
antidiabétiques oraux classiques (biguanides, sulfamides, inhibiteurs de l’alpha-glucosidase), futurs (thiazolidinediones...) et de l’insulinothérapie, doivent
permettre d’obtenir les mêmes résultats glycémiques que chez le DID.
3- Précautions
:
Des précautions particulières devront être prises chez les patients présentant une RD en cas d’intensification du traitement.
Une normalisation glycémique
trop brutale peut aggraver les lésions rétiniennes indépendamment du type de
diabète.
Un bilan ophtalmologique précis avec fond d’oeil détaillé et
angiographie rétinienne est un préalable indispensable.
Rétinopathie diabétique et facteurs de risque
en dehors de l’hyperglycémie :
A - Lipides :
La sévérité des exsudats rétiniens dans le diabète est positivement corrélée au
taux de cholestérol plasmatique et à l’augmentation du LDL (low density
lipoprotein) comme le démontre l’ETDRS.
La diminution du HDLcholestérol
constitue également un bon marqueur de risque d’exsudats.
Le
traitement médical de ces dyslipidémies par des mesures diététiques adaptées
et un traitement hypolipidémiant par statines (inhibiteurs de l’HMG Co-A
[hydroxy-3-méthyl glutaryl coenzymeA] réductase) peut améliorer certaines
lésions rétiniennes.
B - Hypertension artérielle :
L’HTA est un facteur de risque reconnu pour le développement de l’oedème
maculaire et est associée avec la présence d’une RD proliférante.
Dans le DID, un chiffre de pression artérielle diastolique (PAD) inférieure à 74 mmHg
serait un facteur protecteur contre l’aggravation de laRD. Dans tous les cas,
le traitement de l’hypertension artérielle est impératif.
C - Inhibiteurs de l’enzyme de conversion :
L’augmentation de la microalbuminurie chez le sujet diabétique, supérieure à
30 mg/24 h (témoin d’un risque rénal) est concomitante d’une
augmentation de la sévérité d’une RD.
Même en l’absence d’HTA,
l’action des IEC est favorable sur l’hémodynamique rénale.
Il existe un
système rénine-angiotensine tissulaire et vasculaire rétinien dont les
perturbations pourraient participer à l’aggravation de la RD.
Une
amélioration de l’évolution de la RD a été constatée avec le captopril et
plus récemment, avec le lisinopril.
Au total, l’utilisation, dans le diabète,
des IEC en première intention pour le traitement de l’HTA est souhaitable
même si la preuve définitive de leur efficacité directe sur la RD n’est pas
acquise.
Rétinopathie diabétique et traitements
découlant de la physiopathologie :
A - Facteurs à action pariétale :
L’origine des altérations structurales pariétales et tissulaires de la rétine dans
le diabète est encore mal connue.
La voie des polyols est une voie métabolique
accessoire chez le sujet normal qui devient prépondérante en cas
d’hyperglycémie chronique.
Le glucose intracellulaire en excès est
transformé en sorbitol par une aldose réductase.
Il s’accumule dans la cellule
et entraînerait des altérations de son métabolisme.
1- Inhibiteurs de l’aldose réductase :
Chez l’animal, ont été étudiés principalement les effets préventifs des
inhibiteurs de l’aldose réductase sur la rétinopathie expérimentalement
induite (Sorbinil, Tolrestat...).
Ils retardent la dégénérescence des péricytes
ainsi que la formation secondaire de microanévrismes.
Chez l’homme, les
essais cliniques se sont concentrés sur l’étude d’un éventuel effet positif sur
la réversibilité de lésions déjà installées.
Les résultats sont décevants.
À
ce jour, aucun traitement n’est disponible en pratique clinique courante.
2- Inhibiteurs de la glycation des protéines
:
Chez l’animal, l’inhibition de la glycation des protéines par l’aminoguanidine
semble efficace sur la protection rétinienne.
Ce mécanisme jouerait un rôle
important dans la toxicité de l’hyperglycémie sur les péricytes rétiniens et
pourrait être accessible à des thérapeutiques spécifiques non encore élaborées
pour la pratique clinique à ce jour.
3- Stress oxydatif, radicaux libres et rétinopathie diabétique
:
On connaît le rôle toxique de l’hyperoxygénation et des radicaux libres sur
les cellules rétiniennes.
Plusieurs molécules ont été proposées comme antiradicaux libres.
Des études contrôlées prolongées sont nécessaires pour
apprécier leur efficacité réelle (dérivés du ginkgo biloba, vitamine E,
trimétazidine...).
B - Facteurs à action vasculaire
:
1- Facteurs antiangiogéniques (interféron...)
:
Récemment, des agents antiangiogéniques ont été utilisés avec succès dans le
traitement d’hémangiomes sévères de l’enfant.
Des études chez le
singe et préliminaires chez l’homme ont montré une efficacité de cette
approche thérapeutique sur la RD proliférante.
Ils pourraient être proposés
pour certains cas particuliers (rubéose irienne, prolifération vasculaire
intravitréenne...).
2- Correcteurs de l’hyperagrégabilité plaquettaire
:
* Acide acétylsalicylique
:
Les résultats les plus intéressants proviennent de l’ETDRS.
Ils montrent
l’absence d’effets bénéfiques de l’aspirine sur l’évolution de laRDmais aussi
l’absence d’effets délétères, l’aspirine peut donc être utilisée en prévention
des complications cardiovasculaires même en présence d’une RD.
Pour des
RD moins évoluées, l’étude DAMAD montre une certaine efficacité de
l’aspirine sur l’évolution du nombre de microanévrismes.
* Ticlopidine
:
La ticlopidine (Ticlidt) a été étudiée au cours de deux grandes études faisant
référence.
L’étude multicentrique randomisée américaineTIMAD publiée en
1990 (453 patients diabétiques) et l’étude belge BTRS (Belgium
Ticlopidine Retinopathy Study Group) plus récente qui comportait
100 patients diabétiques.
Dans ces deux études, il s’agissait de RD peu
sévères, mais leur évolution était significativement freinée par la ticlopidine.
* Au total
:
Il pourrait donc exister une efficacité propre aux antiagrégants plaquettaires
sur la progression de la RD, surtout débutante.
Pour les RD plus
évoluées, cela semble exclu au moins pour l’aspirine.
Une précision des
indications est cependant nécessaire pour la pratique quotidienne.
3- Vasodilatateurs :
Il pourrait exister un bénéfice de ces produits sur la progression de la RD.
Klein le constate sur une série limitée avec le naftidrofuryl (Praxilènet).
D’autres vasodilatateurs ont depuis été testés, comme le chlorhydrate de buflomédil (Fonzylanet)...
Les travaux de la littérature sont cependant
restreints concernant ces molécules, et leur prescription ne peut être codifiée.
C - Facteurs hormonaux : inhibiteurs de l’hormone
somatotrope (GH)
L’utilisation de l’hypophysectomie ou de l’hypophysiolyse radioactive dans
le traitement de la RD proliférante a été abandonnée dès les années 1970.
L’efficacité du traitement par laser, la morbidité sur la fonction hypophysaire
et l’absence d’efficacité déterminante démontrée ont motivé cet abandon.
L’inhibition pharmacologique de l’axe somatotrope par la somatostatine puis par ses dérivés synthétiques (Sandostatinet, Somatulinet LP) a été étudiée
par la suite.
La démonstration de l’efficacité de ces produits sur la RD est
insuffisante et l’utilisation en routine ne peut être envisagée actuellement.
La responsabilité de nombreux mécanismes a été mise en avant pour
expliquer la survenue d’une rétinopathie chez un patient diabétique.
Peu d’interventions thérapeutiques contrôlées ont pu à ce jour
permettre l’émergence de thérapeutiques efficaces pour les cliniciens
et la pratique médicale courante.
Pour prévenir et améliorer le
pronostic de la RD, les recommandations sont d’obtenir une quasinormalité
glycémique dans le diabète (type1 ou type 2).
Une
normalisation des chiffres de pression artérielle et le traitement des
sujets hyperalbuminuriques même normotendus avec utilisation des
IEC en première intention est souhaitable.
La place des autres
molécules et les stratégies thérapeutiques pour les utiliser restent
encore à définir.