Toxoplasmose cérébrale chez un sujet infecté par le VIH Cours
d'infectieux
L’infection cérébrale à Toxoplasma gondii (toxoplasmose
cérébrale) était (en termes de fréquence) la 2e infection
opportuniste au cours du sida en France jusqu’en 1996.
Elle est due à un parasite ubiquitaire Toxoplasma gondii.
En France, où la séroprévalence, de 60 à 70 %, est parmi
les plus élevées du monde, un quart des patients développaient
une toxoplasmose au stade d’immunodépression
avancée de l’infection par le virus de l’immundéficience
humaine (VIH).
Cette toxoplasmose était la conséquence
de la réactivation de Toxoplasma gondii du fait de la
défaillance de l’immunité cellulaire.
Les progrès dans le
domaine de la prophylaxie primaire (depuis 1992) et
l’avènement des traitements antirétroviraux hautement
actifs (en 1996) ont permis de réduire considérablement
le nombre de cas de toxoplasmose cérébrale.
Diagnostic :
A - Données cliniques :
1- Toxoplasmose cérébrale :
Dans 90 % des cas, la réactivation de Toxoplasma gondii
a lieu au niveau cérébral, conduisant progressivement à
la formation d’un ou plusieurs abcès cérébraux collectés.
L’installation des manifestations est habituellement progressive,
en l’espace de plusieurs jours ou semaines.
Une évolution plus aiguë de quelques jours est plus rarement
observée.
Exceptionnellement, les manifestations
cliniques sont absentes, la toxoplasmose cérébrale étant
révélée par l’imagerie.
Le tableau clinique le plus évocateur associe un syndrome
infectieux et des signes d’encéphalite collectée (abcès
cérébraux) : fièvre (présente dans 60 à 70 % des cas),
céphalées (la moitié des cas environ), troubles de la
conscience de degré variable, parfois convulsions, et
(ou) signes neurologiques focaux.
Les signes focaux
sont très polymorphes, en fonction de la localisation du
ou des abcès, au niveau des voies motrices, sensitives,
sensorielles, ou cérébelleuses.
Parfois, c’est l’un de ces
signes, isolé, qui révèle la maladie.
2- Toxoplasmose extracérébrale :
Dans 10 % des cas, la toxoplasmose est une maladie
extracérébrale. Les manifestions cliniques sont très
diverses :
– fièvre, altération de l’état général, en cas de toxoplasmose
disséminée ;
– baisse de l’acuité visuelle en cas de toxoplasmose choriorétinienne ;
– fièvre, dyspnée, toux, pouvant évoluer vers un
syndrome de détresse respiratoire aiguë, en cas de
toxoplasmose pulmonaire ;
– syndrome d’épanchement péricardique, en cas de
toxoplasmose péricardique ;
– tachycardie, signes d’insuffisance cardiaque révélateurs
d’une myocardite ;
– douleurs musculaires en cas de localisation musculaire.
Les formes extracérébrales doivent faire rechercher une
localisation intracérébrale associée, asymptomatique au
plan clinique, par une exploration radiographique du système nerveux central.
Il n’est pas rare que ces formes extracérébrales soient peu parlantes au plan clinique et
de découverte anatomique lors de l’autopsie.
L’interrogatoire est capital. La notion d’une prophylaxie
primaire antérieure bien suivie par le cotrimoxazole est
un argument fort contre le diagnostic.
L’interrogatoire
attentif doit donc rechercher si la prise de la prophylaxie
a été régulière.
L’interruption ou l’irrégularité des prises
durant plusieurs jours est par contre un élément compatible
avec le diagnostic.
B - Examens paracliniques :
1- Scanner cérébral :
Il met en évidence des images évocatrices dans la quasitotalité
des cas.
L’anomalie la plus caractéristique est
l’image d’un abcès cérébral : prise de contraste annulaire
ou nodulaire au sein d’une hypodensité.
Ces
abcès sont d’emblée multiples (dans près de deux tiers
des cas), pouvant être associés à des signes de compression
et refoulement des cavités ventriculaires, d’engagement.
2- Résonance magnétique nucléaire (RMN)
:
Elle serait plus sensible pour visualiser les lésions.
Elle
peut en particulier montrer des anomalies là où le scanner
est normal.
L’aspect est celui d’un abcès sous la forme
d’un hyposignal en séquence T1 avec prise de gadolinium,
et hypersignal en séquence T2.
Les images scannographiques ou de résonance magnétique nucléaire
sont actuellement le principal critère du diagnostic de
toxoplasmose.
En effet, lorsqu’elles sont évocatrices, le
traitement antiparasitaire est débuté d’emblée.
3- Ponction lombaire :
Un argument diagnostique pourrait être apporté par la
mise en évidence d’une production intrathécale d’anticorps
contre Toxoplasma gondii, lorsqu’une ponction
lombaire est réalisée.
En fait, celle-ci est très souvent
contre-indiquée, du fait de l’existence de masses intracrâniennes, avec oedème périphérique, exposant au
risque d’engagement cérébral.
Cela explique que devant
toute suspicion clinique de toxoplasmose, un scanner ou
une imagerie par résonance magnétique doivent être
effectués avant la ponction lombaire.
4- Examens parasitologiques :
La sérologie est positive dans la plupart des cas.
Elle n’est
vraiment utile que si elle est négative (soit dans environ
5 % des cas), écartant alors avec une forte probabilité le
diagnostic de toxoplasmose (valeur prédictive négative).
La mise en évidence directe du parasite est rarement
effectuée.
Elle peut se faire par culture cellulaire ou inoculation
à l’animal.
La parasitémie est rare (7 % des cas)
au cours de la toxoplasmose cérébrale. Son intérêt pour
le diagnostic des formes extracérébrales est à évaluer.
La mise en évidence du parasite au niveau des abcès
cérébraux nécessite l’abord de ce tissu par biopsie.
Les techniques de détection des antigènes parasitaires et
d’amplification génique n’ont pas démontré leur intérêt.
5- Prélèvements tissulaires :
La biopsie chirurgicale de tissu cérébral effectuée lors
des premières observations de toxoplasmose a été
abandonnée du fait d’un taux élevé de complications.
La
biopsie stéréotaxique (aiguille fine avec guidage par
imagerie) est une technique moins invasive, mais qui
n’est pas non plus totalement dénuée d’effets secondaires.
Elle est réservée à des situations de diagnostic
incertain, essentiellement après échec d’un traitement
d’épreuve.
Exceptionnellement, le parasite a pu être mis
en évidence par biopsie d’autres tissus (ganglionnaire,
médullaire, hépatique).
6- Examen histopathologique :
La toxoplasmose réalise des lésions inflammatoires,
parfois accompagnées de nécrose, au sein desquelles le
parasite est visible en coloration standard de May-Grünwald-Giemsa.
La détection est améliorée par l’utilisation d’une coloration immunohistochimique utilisant des anticorps spécifiques
antiparasitaires marqués.
Diagnostic différentiel
:
Il se pose devant toute manifestation neurologique chez
un patient infecté par le VIH.
Le lymphome cérébral est le principal diagnostic différentiel
de la toxoplasmose cérébrale.
Ni les données
cliniques, ni les images radiologiques (image plus souvent
unique dans le lymphome) ne les distinguent de façon
formelle.
En l’absence de réponse au traitement spécifique antitoxoplasmique, le diagnostic histologique est
le seul élément permettant d’affirmer le lymphome.
D’autres infections peuvent réaliser des abcès intracérébraux
: tuberculose, cryptococcose, nocardiose.
Le
diagnostic de ces infections peut être porté lorsqu’il
existe des localisations extracérébrales.
Les abcès à pyogène (streptocoque, bacilles gram-négatifs, anaérobies)
sont exceptionnels.
Dans certains cas, seule
l’absence de réponse au traitement spécifique antitoxoplasmique,
conduisant à la biopsie, peut permettre
de redresser le diagnostic.
Les encéphalites diffuses à VIH, cytomégalovirus,
leuco-encéphalite multifocale progressive à papovavirus,
se traduisent souvent par des manifestations neurologiques
sans signe de localisation.
Les explorations
radiographiques mettent en évidence des lésions diffuses
du système nerveux central qui les différencient habituellement
aisément des lésions localisées de toxoplasmose.
Cependant, au début, ces encéphalites peuvent se
présenter sous forme localisée.
Exceptionnellement, la
toxoplasmose se présente sous forme d’une encéphalite
diffuse sans image d’abcès à l’examen radiologique.
Évolution
:
A - Évolution favorable :
Sous traitement adapté, l’évolution est favorable dans 70
à 80 % des cas.
La température se normalise dès les premiers
jours, les signes neurologiques s’atténuent plus
lentement, en 4 à 6 semaines, disparaissant totalement,
ou laissant des séquelles de gravité extrêmement
variable.
L’image radiologique s’améliore également de façon
souvent retardée, par rapport à la clinique, jusqu’à la
normalisation, ou la persistance d’images séquellaires,
pouvant se calcifier.
Le scanner ou la résonance magnétique nucléaire sont
habituellement recontrôlés vers la 3e semaine.
Il est
recommandé d’utiliser le même type d’examen que
celui réalisé avant traitement pour pouvoir comparer les
images observées.
Si l’ensemble des anomalies n’a pas
rétrocédé à ce stade, le traitement est poursuivi jusqu’à
un nouveau contrôle effectué après 6 à 8 semaines.
Au décours du traitement, il faut s’assurer de la déclaration
obligatoire de la maladie sida aux autorités sanitaires si
cela n’est pas déjà fait, de la mise en route de la prophylaxie
secondaire, de la mise en route ou de la poursuite
d’un traitement antirétroviral.
B - Évolution défavorable :
L’évolution spontanée en l’absence de traitement se fait
vers l’augmentation progressive de la taille des lésions,
la survenue d’une hypertension intracrânienne, se compliquant
d’engagement et du décès du patient.
L’évolution peut être défavorable, même en cas de
traitement adapté.
La mortalité au cours d’un épisode aigu de toxoplasmose
cérébrale traité est de l’ordre de 25 %.
Dans un certain
nombre de cas, les signes neurologiques ne s’améliorent
pas, voire s’aggravent après le début du traitement et un
contrôle radiologique est alors nécessaire précocement
vers le 10e jour.
L’aggravation des troubles de la conscience peut conduire à une détresse respiratoire, favorisant la
survenue d’autres complications nosocomiales.
Après la cure du 1er épisode, il existe un risque de rechute
favorisé par la mauvaise observance du traitement d’entretien.
Il a en effet été montré qu’en l’absence de celuici
et si l’immunodépression persiste, le risque de rechute
est de l’ordre de 5 à 20 %.
Les rechutes peuvent siéger
dans le même territoire que l’épisode initial, mais
presque toujours s’accompagnent de nouvelles localisations
intracérébrales.
Traitement :
A - Traitement curatif :
Le traitement anti-infectieux est urgent et impératif.
Il est institué dès les résultats de l’examen radiologique
(scanner ou résonance magnétique nucléaire) qui
doivent être transmis immédiatement.
Il s’agit donc
dans la plupart des cas d’un traitement empirique mis
en route sans avoir avec certitude identifié le parasite
responsable.
Il est utilisé en première intention en l’absence
de contre-indication (allergie connue).
La posologie,
après une dose de charge de 200 mg pendant les
premières 24 heures, est de 50 à 75 mg/j soit 1 mg/kg/j
de pyriméthamine par voie orale, et 4 à 6 g/j soit
100 mg/kg/j de sulfadiazine en 4 prises par voie orale.
Les effets secondaires sont fréquents (près de 60 % des
cas) : cytopénie (touchant une ou plusieurs lignes sanguines),
éruption cutanée, fièvre.
Ils peuvent nécessiter
l’interruption de l’un, voire des 2 médicaments pour une
durée variable.
Le risque de cristallurie, voire d’insuffisance
rénale due aux sulfamides, doit être prévenu par
une alcalinisation suffisante au cours du traitement.
La durée du traitement d’attaque est au minimum de
3 semaines, en cas de rémission complète.
Dans la
plupart des cas, 6 à 8 semaines sont nécessaires.
2- Autres traitements :
Ils sont utilisés d’emblée lorsque le traitement de
référence ne peut être employé, ou en relais lorsqu’un
effet secondaire a nécessité son interruption.
• Pyriméthamine-clindamycine (Dalacine) : la posologie
de pyriméthamine est la même que dans le schéma
standard, celle de la clindamycine est de 2,4 g/j per os.
L’efficacité est proche de celle du traitement de référence.
Les principaux effets secondaires de la clindamycine
sont : fièvre, éruption, troubles digestifs, colite pseudomembraneuse
à Clostridium difficile.
• Pyriméthamine-clarithromycine : pyriméthamine
(même posologie que précédemment), clarithromycine
2 g/j per os, évaluée seulement dans une étude pilote.
• Atovaquone (Wellvone) : posologie 750 mg 4 fois par
jour par voie orale, évaluée seulement dans une étude pilote.
3- Médicaments associés
:
Ce sont :
– l’acide folinique qui pourrait limiter les effets hématotoxiques
de la pyriméthamine à la posologie de 10 à
20 mg/j ;
– les corticostéroïdes qui sont indiqués en cas de
troubles graves de la conscience, d’oedème cérébral
important au scanner ;
– les anticonvulsivants qui sont indiqués chez les
patients ayant eu des convulsions.
4- Traitement antirétroviral :
Si la toxoplasmose inaugure l’infection par le VIH,
un traitement antirétroviral doit être mis en route.
Ce
traitement doit répondre aux recommandations en cours
concernant les stratégies thérapeutiques dans l’infection
par le VIH : actuellement une trithérapie comportant
l’association de 2 nucléosides inhibiteurs de transcriptase
inverse et un inhibiteur de protéase ou plus rarement un
inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse.
Si le patient était déjà sous traitement antirétroviral lors
de la survenue de la toxoplasmose, celle-ci témoigne
d’un échec clinique du traitement anti-VIH et invite à
modifier ce dernier, si cela est possible, en utilisant de
nouveaux antirétroviraux que le patient n’avait pas reçus
préalablement, ou, du moins, récemment.
B - Prophylaxie secondaire
:
Elle est indiquée après tout premier épisode de toxoplasmose,
pour éviter la survenue d’une rechute.
On estime
que le risque de rechute est de 50 à 80 % en l’absence de
traitement.
Le traitement d’entretien permet de réduire
ce risque à environ 20 %.
Le traitement doit être poursuivi
de façon ininterrompue, à vie.
Les posologies d’antiinfectieux
sont approximativement réduites de moitié.
Ainsi, le traitement de référence est l’association pyriméthamine-sulfadiazine : pyriméthamine 25 à 50 mg/j,
sulfadiazine 2 à 3 g/j.
Il protège également contre la
pneumocystose.
En alternative, la clindamycine peut
être utilisée à la dose de 1,2 g/j.
L’intérêt du cotrimoxazole
a été suggéré dans quelques études.
Sous traitement antirétroviral efficace, l’amélioration du
statut immunovirologique peut conduire à une relative
restauration immunitaire.
Les lymphocytes CD4 des
patients, à environ 50/mm3 au moment de la toxoplamose
cérébrale, peuvent augmenter quelquefois jusqu’à plus
de 300/mm3.
La question est de savoir si, chez de tels
patients ayant une charge virale indétectable, et une
restauration immunitaire stable, la prophylaxie secondaire
de la toxoplasmose peut être allégée.
C - Prophylaxie primaire :
Elle a pour but d’éviter la survenue d’une toxoplasmose
chez les patients à risque, c’est-à-dire ayant un taux de
lymphocytes CD4 inférieur à 200/mm3.
Le risque est
nettement majoré pour des lymphocytes CD4 inférieurs
à 100/mm3.
Ce risque concerne les patients ayant des anticorps contre Toxoplasma gondii.
Chez les patients
séronégatifs pour le parasite, la prophylaxie a pour
objectif d’éviter l’acquisition du parasite et repose sur
des recommandations : éviter le contact avec les chats,
la terre, manger la viande suffisamment cuite ou congelée.
Chez les patients à risque de toxoplasmose, des facteurs
de risque plus précis ont été mis en évidence : un titre
d’anticorps supérieur à 150 UI/mL serait associé à un
risque 3 fois plus élevé de survenue de toxoplasmose
cérébrale.
Il est possible également que le profil des
anticorps, étudié en western blot, contribue à définir ce
risque (la présence de certaines bandes semble associée
à un risque accru de survenue de l’infection).
L’association triméthoprime-sulfaméthoxazole (Bactrim)
est le traitement prophylactique recommandé de première
intention (480 mg/j ou 960 mg/j).
Ce traitement assurerait
également la prophylaxie primaire de la pneumocystose.
Il a été récemment montré que 1 comprimé de Bactrim
faible (480 mg/j) a un effet de prévention identique à
1 comprimé de Bactrim fort (960 mg/j), mais est associé
à une moindre survenue d’effets secondaires de type
fièvre et rash, imputables au cotrimoxazole.
L’intolérance
au Bactrim concerne en effet 30 % des patients,
le médicament devant être interrompu, étant donné le
risque de toxicité majeure d’évolution potentiellement
fatale.
L’association pyriméthamine 50 mg 1 fois/semaine
+ dapsone 50 mg/j est efficace pour prévenir la toxoplasmose
et la pneumocystose, mais doit être interrompue,
pour effet secondaire, chez 25 % des patients.
Les autres
traitements, pyriméthamine seule, atovaquone, sont en
cours d’évaluation.