Toxi-infection alimentaire Cours de santé publique
Les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) sont
définies par l’apparition d’au moins 2 cas groupés ayant
la même symptomatologie digestive et survenant après
ingestion d’un aliment commun.
Cette définition peut
être élargie lorsqu’il s’agit d’une infection rare et sévère
pour laquelle une contamination collective peut être
suspectée dès l’apparition du premier cas (botulisme).
Deux types peuvent être distingués :
– les toxi-infections alimentaires collectives avec
confirmation et identification par le laboratoire du
micro-organisme en cause ;
– les toxi-infections alimentaires collectives sans identification
du germe mais dont l’enquête épidémiologique
a permis de confirmer l’origine alimentaire.
Cette
deuxième catégorie représente 20 à 30 % des toxi-infections
alimentaires collectives.
Épidémiologie
:
Les toxi-infections alimentaires collectives constituent
un problème de santé publique et représentent une cause
de morbidité importante.
Ainsi, en France, on compte en
moyenne 500 à 600 foyers épidémiques déclarés par an,
représentant 8 000 à 10 000 sujets atteints.
Aux États-Unis, 45 000 cas ont été rapportés entre 1983 et 1986
représentant 785 foyers épidémiques confirmés, mais
les résultats des études épidémiologiques systématiques
suggèrent que le nombre réel d'infections est au moins
10 fois supérieur au nombre déclaré.
Si la morbidité des toxi-infections alimentaires collectives
est élevée, la létalité qui leur est attribuable est en
revanche faible.
En France, le nombre de décès dus à
ces toxi-infections est d’environ 10 ‰, et 6 % des sujets
atteints ont été hospitalisés car ils présentaient des
signes d’intoxication grave.
Les toxi-infections alimentaires
collectives sont observées dans différents types de
restauration collective, telle qu’en milieu scolaire, en
entreprise, en institutions médico-sociales (hôpitaux,
maisons de retraite…), en restaurants commerciaux, ou
en foyers familiaux.
Étiologie
:
En France, les 3 bactéries les plus fréquentes sont par
ordre décroissant Salmonella (espèces typhimurium et
enteritidis), Clostridium perfringens, et Staphylococcus
aureus qui représentent à eux seuls 90 % des cas d’infections
documentées et les trois quarts du nombre total
de foyers épidémiques déclarés.
Parmi ces bactéries,
certaines sont pathogènes par un mécanisme toxinique,
d’autres sont pathogènes par un mécanisme entéro-invasif.
Si la plupart des bactéries sont facilement identifiées en
routine dans les laboratoires de bactériologie, certaines
comme Bacillus cereus, Vibrio parahaemolyticus ou Yersinia enterocolitica nécessitent des techniques
d’identification plus spécifiques et leur fréquence peut
ainsi être volontiers sous-estimée.
De la même façon, C.
perfringens dont la culture est facile mais dont l’incubation
est de quelques heures et nécessite un milieu de
transport anaérobie peut ne pas être isolé au laboratoire
lorsque le prélèvement n’a pas été fait dans de bonnes
conditions au cours d’une épidémie.
A - Toxi-infections alimentaires collectives
à Salmonella
:
En France et dans les pays anglo-américains (Royaume-
Uni, États-Unis), les Salmonella représentent de 50 à
plus de 90 % des toxi-infections alimentaires collectives.
En France, elles sont la première cause (5 611
infections sur un total de 12 020 cas représentant 514
foyers déclarés en 1992).
Parmi les différents sérotypes
de Salmonella, S. enteritidis est prédominant (plus de
50 %) suivi de S. typhimurium (20 %) et le nombre d’infections
à ce sérotype s’est accru depuis les 5 dernières
années en France comme au Royaume-Uni et aux États-
Unis.
Il existe une recrudescence des cas en période
estivale.
Les départements français qui comptent le plus
de foyers déclarés sont : l’Ain, le Calvados, Paris, la
Manche, les Bouches-du-Rhône, et les Landes.
Les
toxi-infections alimentaires collectives à salmonelles
surviennent plus souvent en restauration familiale
(80 %) qu’en restauration collective scolaire ou commerciale.
Dans deux tiers des cas, les aliments responsables
sont les oeufs et les ovo-produits frais (mayonnaise,
pâtisseries), le plus souvent de fabrication artisanale.
Les viandes et les volailles ainsi que les poissons
et les fruits de mer sont parfois incriminés.
Dans plus de la moitié des cas, le principal facteur favorisant est le
non-respect de la chaîne du froid, en particulier le stockage
des repas en air ambiant pendant plus d’une heure
avant consommation.
Il peut aussi s’agir d’une erreur
dans la préparation ou la cuisson des repas.
Après une incubation de 24 à 48 h, le tableau clinique
est celui d’une diarrhée aiguë invasive souvent fébrile
pouvant prendre l’aspect d’un syndrome dysentérique.
Le diagnostic de salmonellose est fait par la coproculture
avec identification des colonies en 24-48 h sur
milieux usuels.
Le sérotypage qui permet d’identifier
l’espèce nécessite la contribution d’un laboratoire spécialisé
(Centre national de référence des salmonelles,
Institut Pasteur, 28, rue du Docteur-Roux, 75724 Paris
cedex 15).
B - Toxi-infections alimentaires collectives
à Clostridium perfringens
:
En France, il s’agit du deuxième agent le plus fréquemment
responsable de toxi-infections alimentaires collectives
(1 587 infections sur un total de 12 020 cas représentant
23 foyers déclarés en 1992).
Contrairement aux
salmonelles, les foyers épidémiques sont déclarés le
plus souvent en restauration collective, notamment en
milieu scolaire et le plus souvent en période hivernale.
Les aliments responsables sont principalement les
viandes, la langue, et les volailles en sauce ou en
bouillon, surtout lorsqu’elles sont consommées tièdes
après une période de refroidissement à température
ambiante.
Après une incubation de 6 à 12 h, le tableau clinique est
celui d’une diarrhée cholériforme le plus souvent sans
fièvre correspondant à un mécanisme de type toxinique.
L’identification du germe dans les aliments consommés
et les selles des malades nécessite des conditions
strictes d’anaérobiose. C. perfringens type A est le type
responsable des toxi-infections alimentaires chez
l’homme. Le sérotypage permet de caractériser la
souche responsable de l’épidémie.
C - Toxi-infections alimentaires collectives
à Staphylococcus aureus
:
S. aureus est, avec C. perfringens, le deuxième agent le
plus fréquemment responsable des toxi-infections alimentaires
collectives en France (836 infections sur un
total de 12 020 cas représentant 42 foyers déclarés en
1992).
Aux États-Unis, il est l’agent le plus fréquemment
identifié.
Le maximum de cas survient en période
estivale.
Les aliments responsables sont les plats ayant
subi des manipulations importantes par des cuisiniers
(pâtisseries, salades composées).
Après une incubation courte de 1 à 6 h, le tableau clinique
débute brutalement par des vomissements abondants
associés à des crampes abdominales, suivis rapidement
d’une diarrhée aiguë cholériforme en général
sans fièvre.
L’identification de S. aureus dans les coprocultures
n’a pas de valeur isolément.
Le lysotypage de
la souche (groupe phagique 3) et, si possible, l’identification
de l’entérotoxine (laboratoire spécialisé) dans les
aliments suspectés et éventuellement dans les selles ou
les vomissements des sujets malades, permettent d’affirmer
la responsabilité du germe.
L’identification de la
même souche au niveau des fosses nasales chez le personnel
qui a manipulé les aliments permet, si nécessaire,
d’identifier la source de l’épidémie.
D - Autres micro-organismes responsables
de toxi-infection alimentaire collective :
En dehors des 3 bactéries précédemment citées qui représentent
plus des trois quarts des toxi-infections alimentaires
collectives, un certain nombre de micro-organismes
peuvent aussi être responsables.
En France, B. cereus est
parfois incriminé dans des foyers de toxi-infections alimentaires
collectives, en particulier à la suite de consommation
de riz frit ou insuffisamment cuit.
En France et aux États-Unis, Shigella sonnei est volontiers
responsable de toxi-infections alimentaires collectives
survenant à la suite d’absorption d’eau de puits
contaminée.
Plusieurs petits foyers de botulisme sont régulièrement
signalés en France à la suite de consommation de
conserves alimentaires, de charcuterie ou de jambon de
fabrication familiale.
Des épidémies de trichinose touchant plusieurs centaines
de cas ont été observées depuis ces 15 dernières
années en France après consommation de viande de
porc ou de cheval peu ou non cuite.
Une épidémie de listériose a été observée en 1992 en
France à la suite de consommation de langue de porc en
gelée.
Au Japon, V. parahaemolyticus est souvent responsable
de toxi-infections alimentaires collectives après
consommation de poissons crus ou de crustacés.
Signalons enfin, en dehors des foyers familiaux isolés
d’intoxication phalloïdienne, certaines épidémies dues à
des toxiques contenus dans l’alimentation (ex. : intoxication
due à la présence de résidus de clenbutérol dans le
foie de veau, en France, en 1991, intoxications à l’histamine
dues à la consommation de poissons mal cuits).
Diagnostic d’une toxi-infection
alimentaire collective :
Il repose sur l’investigation épidémiologique.
Cette
investigation suppose non seulement de connaître l’épidémiologie
spécifique des germes les plus souvent responsables
(cf. chapitre précédent), mais également de
suivre une méthode épidémiologique rigoureuse.
Cette
démarche comprend différentes étapes qui s’enchaînent de façon logique pour aboutir à une présomption sur
l’aliment responsable de la toxi-infection alimentaire
collective.
Cette présomption sera si possible confirmée
par l’identification du germe dans l’aliment.
L’enquête épidémiologique à mettre en oeuvre devant
une épidémie suspectée d’origine alimentaire doit comporter
5 grandes étapes :
– affirmer qu’il s’agit bien d’une épidémie, c’est-à-dire
d’une augmentation inhabituelle de cas similaires groupés
dans le temps et dans l’espace ;
– identifier l’aliment responsable en réalisant une
enquête épidémiologique complétée par des prélèvements
microbiologiques alimentaires ;
– prendre les premières mesures de prévention en supprimant
le ou les aliments suspects afin d’enrayer le
phénomène épidémique ;
– réaliser une enquête sur la chaîne alimentaire afin
d’identifier les procédures défectueuses ;
– déclarer la toxi-infection alimentaire collective aux
autorités sanitaires et prévenir les responsables de l’établissement
(directeur, médecins…).
A - Affirmer l’épidémie
:
La première étape de l’investigation doit débuter par la
confirmation du diagnostic d’infection.
Les éléments cliniques du diagnostic associés aux renseignements
administratifs (nom, âge, sexe) et à l’heure
de début et de fin des symptômes sont consignés sur un
questionnaire pour chaque malade.
En général, il s’agit
d’infections digestives se traduisant par des diarrhées,
nausées, vomissements, douleurs abdominales, accompagnés
ou non de fièvre.
Le caractère sanglant de la
diarrhée oriente vers des germes invasifs (salmonelles, shigelles, Campylobacter, colibacilles entéro-hémorragiques),
son caractère aqueux vers un mécanisme toxinique.
Le diagnostic d’infection est si possible confirmé par
une enquête bactériologique permettant l’isolement
d’un germe ou de sa toxine dans les excreta des malades
(selles, vomissements).
Parfois, il peut s’agir d’atteintes extradigestives (listériose, brucellose, trichinose, botulisme).
Pour la plupart des germes, l’origine alimentaire de l’infection
est suspectée, dans un premier temps, sur la
notion de déclenchement des signes chez des sujets
ayant consommé simultanément le même repas, dans un
délai assez bref après la consommation de celui-ci.
Les
cas seront définis en fonction des données cliniques ou
microbiologiques disponibles, les cas certains étant
éventuellement distingués des cas probables.
Une fois le cas défini, il faut identifier l’ensemble des
cas similaires, les compter et décrire leur répartition sur
une échelle de temps et dans une même unité de lieu.
Cette répartition est représentée au mieux en dessinant
une courbe épidémique.
La durée moyenne d’incubation
correspond au délai entre le premier et le dernier
cas de l’épidémie.
L’allure de la courbe épidémique
doit permettre de formuler des hypothèses sur la source et le mode de transmission.
Les toxi-infections alimentaires
collectives représentent en général un modèle de
source unique et brève.
Des cas secondaires par transmission
croisée peuvent parfois survenir pour certaines
infections (salmonelloses).
Le nombre total de cas doit ensuite être rapporté au
nombre total de sujets présents sur le lieu de l’épidémie
à son début afin de calculer un taux d’attaque.
Celui-ci
permet de rendre compte de l’importance de l’épidémie
et peut être utilisé pour déterminer le risque relatif (voir
étape suivante).
Une recherche de porteurs asymptomatiques peut être
effectuée en réalisant des coprocultures chez les sujets
exposés.
Cette recherche a surtout un intérêt en collectivités
(hôpital, foyers, crèches) pour évaluer le risque
de transmission secondaire entre les individus.
B - Déterminer le ou les aliments
responsables
:
Cette étape comporte 2 volets : une enquête épidémiologique
et une étude microbiologique.
1- Enquête épidémiologique
:
L’enquête épidémiologique proprement dite comprend
un interrogatoire alimentaire qui doit être orienté par les
connaissances théoriques que l’on a de l’épidémiologie
du germe identifié.
Cet interrogatoire est consigné sur le
questionnaire établi initialement pour chaque cas.
Il
comporte une liste des menus des repas pris en commun,
en général dans les 3 jours précédant l’apparition
des signes. Deux stratégies d’enquête analytique sont
alors possibles.
Si le taux d’attaque de l’infection est
élevé (O 50 %), l’interrogatoire alimentaire sera effectué
sur l’ensemble des sujets (cas et non-cas) ayant consommé le ou les mêmes repas.
Si le taux
d’attaque est faible, l’interrogatoire alimentaire est effectué chez
tous les cas et chez les témoins représentés par les sujets n’ayant
pas l’infection.
Ces comparaisons nécessitent une analyse statistique, réalisée
au mieux à l’aide de l’outil informatique (logiciel TIAC, Bureau des maladies transmissibles, Direction
générale de la Santé, Paris).
Au terme de cette enquête, un ou plusieurs aliments sera
ou seront considéré(s) comme le(s) plus probablement
responsable(s) de la toxi-infection alimentaire collective
et devra ou devront être contrôlé(s) ou éliminé(s).
2- Étude microbiologique
:
L’étude microbiologique comprend 2 aspects : des prélèvements
d’échantillons alimentaires et une recherche
de portage bactérien chez les sujets exposés.
Après conservation au froid (+ 4°C) des aliments servis
à la collectivité depuis les 3 derniers jours, un échantillon
alimentaire d’au moins 50 g par produit doit être
effectué à l’aide d’instruments stériles, puis placé dans
des récipients en verre fermés, et transporté immédiatement
au laboratoire de microbiologie.
L’analyse doit
être effectuée par un laboratoire mandaté par la
DDASS.
Une recherche de portage chez le personnel de cuisine
est effectuée dans certaines toxi-infections alimentaires
collectives, soit par des coprocultures dans le cas de salmonelles,
soit par des prélèvements bactériologiques
spécifiques (nez, gorge) dans le cas d’un staphylocoque.
Cette recherche est effectuée en collaboration avec la
médecine du travail.
Traitement des toxi-infections
alimentaires collectives
:
Il est avant tout préventif et repose sur le dépistage et la
surveillance des procédures alimentaires défectueuses.
À partir des résultats de l’enquête épidémiologique et
microbiologique, une enquête vétérinaire est effectuée
sur l’ensemble de la chaîne alimentaire.
Cette enquête
doit porter sur tous les maillons de la chaîne : production, traitement, conservation, préparation, conservation
et distribution des aliments.
Elle permet de repérer
essentiellement les ruptures d’asepsie et les dysfonctionnements
au niveau de la chaîne du chaud et du froid
après la préparation des plats.
Les résultats de cette
enquête doivent permettre de revoir les erreurs de conditionnement
des aliments et d’améliorer les procédures
d’hygiène collective et individuelle des personnels travaillant
aux différents maillons de la chaîne alimentaire,
afin d’éviter les récidives.
Afin de diminuer et de prévenir le risque de toxi-infections
alimentaires collectives, une réglementation prévoit
une surveillance régulière des reliefs des repas.
L’arrêté du 26 juin 1974 prévoit pour les établissements
où sont préparés des plats cuisinés à l’avance un contrôle
microbiologique hebdomadaire.
L’arrêté du 21 décembre 1979 et la circulaire du 4 avril
1980 précisent les critères microbiologiques auxquels
doivent satisfaire les denrées d’origine animale.
Enfin, toute toxi-infection alimentaire collective doit
faire l’objet d’une déclaration au médecin-inspecteur de
la Direction départementale des affaires sanitaires et
sociales (DDASS) et, le cas échéant, au Service vétérinaire
d’hygiène alimentaire.
Les DDASS, les Directions
des services vétérinaires (DSV), et les centres nationaux
de référence tels que le Centre national de référence des
salmonelles sont les 3 organismes recueillant ces déclarations
en France.
La médecine du travail devrait jouer
un rôle important dans la prévention des toxi-infections
alimentaires collectives en restauration collective, en
particulier en assurant le contrôle des personnels manipulant
les aliments.