Le torticolis, ou cou tordu (tortum collum) et, par déformation
italianisante, « torti colli » est une attitude vicieuse de la tête et du
cou, comportant une inclinaison et une rotation.
On parle également
d’inclinaison, de flexion, d’extension de latéroflexion droite ou
gauche, de torticolis horizontal, vertical, oblique ou torsionnel.
On
peut aussi ne parler de torticolis que lorsque la position anormale
de la tête est fixée.
De plus, toutes les attitudes vicieuses du port de
tête ne sont pas au sens strict des torticolis, mais elles justifient de la
même enquête.
C’est pourquoi on regroupe dans cette étude sous le
nom de torticolis l’ensemble de ces attitudes anormales, en utilisant
ce terme au sens large et non restrictif.
Trois particularités sont à souligner d’emblée : le torticolis peut être
tout à fait bénin, mais a contrario être le témoin d’une souffrance
cérébrale grave ; le torticolis désigne un symptôme mais aussi un
syndrome, véritable entité chez le nourrisson par exemple en
orthopédie ; enfin, un simple examen clinique bien conduit apporte
dans la majorité des cas le diagnostic étiologique.
Les étiologies sont diverses : oculaires-orbitaires, orthopédiques, otorhino-laryngologiques, neurologiques.
Ceci explique aisément la
nécessité pour l’ophtalmologiste et l’orthoptiste de recourir à
diverses disciplines (radiologue, orthopédiste, chirurgien plastique,
neurologue, neurochirurgien, oto-rhino-laryngologiste, [ORL]…)
pour traiter ces patients au mieux, que ce soit des enfants tout au
long de leur croissance ou des adultes.
Cette interdisciplinarité
comprend également la kinésithérapie, qui a un rôle capital dans la
prise en charge de tout torticolis quelle qu’en soit l’étiologie.
Après une classification et un examen clinique, nous abordons les
différentes étiologies des torticolis.
Classification
:
Dans le cas du torticolis oculaire, plusieurs classifications sont
proposées.
Ainsi, Campos propose une classification où il existe
deux types de torticolis :
– syndrome de blocage du nystagmus et parésie bilatérale de
l’abduction.
Pour Spielmann, il existe trois types de torticolis oculaire :
– torticolis de type paralytique ;
– torticolis du nystagmus congénital ;
– torticolis des ésotropies précoces.
Pour Goddé-Joly, le torticolis oculaire a quatre étiologies :
– paralysies oculomotrices ;
– syndrome de rétraction ;
– syndrome alphabétique ;
– strabisme congénital.
Pour Jeanrot, il existe deux types de torticolis oculaire :
– le torticolis dans les strabismes avec et sans vision binoculaire ;
– les torticolis dans les nystagmus.
Bien qu’il existe des formes frontières difficiles à classer et des
formes associées, dans une première classification nous avions
séparé les torticolis avec déséquilibre oculomoteur orbitaire et non
orbitaire, et les torticolis sans déséquilibre oculomoteur.
Mais ceci
mettait les causes réfractives sur le même plan que les causes
orthopédiques, ORL, neurologiques…
Nous avons alors proposé de
séparer le torticolis en deux groupes : torticolis avec ou sans atteinte
oculaire.
Dans les torticolis avec atteinte oculaire sont rangés les torticolis
avec trouble oculomoteur (strabique, paralytique, fibrosique,
nystagmique, orbitaire) et les torticolis sans trouble oculomoteur
(réfractif, ptosis).
Dans les torticolis sans atteinte oculaire, on retrouve les causes
orthopédiques, ORL, neurologiques, médicamenteuses.
Examen clinique
:
Quel que soit l’âge du sujet, l’examen clinique doit être conduit de
façon précise et méthodique, ceci pour poser le diagnostic de
torticolis et orienter le diagnostic étiologique.
Reconnaître le torticolis
:
Le diagnostic de torticolis peut être facile dans la forme typique avec
inclinaison latérale du cou et rotation controlatérale, mais aussi dans
la forme atypique avec une attitude guindée du port de tête,
mobilisation en bloc du cou, inclinaison ou rotation isolée de la tête.
A - EXAMEN CLINIQUE :
Il faut prendre le temps de faire un interrogatoire et un examen
clinique soigneux et minutieux.
1- Interrogatoire
:
Il précise les caractères propres du torticolis, les signes
d’accompagnements et le contexte personnel et familial.
* Caractères propres
:
Ils sont importants à préciser, car ils peuvent être évocateurs de
certaines pathologies.
Ce sont :
– l’âge d’apparition : il permet d’emblée de distinguer les torticolis
congénitaux (présents à la naissance ou apparus pendant la période
néonatale) des torticolis acquis ;
– le caractère constant ou intermittent de l’attitude, son aspect aigu
ou chronique, permanent, transitoire ou paroxystique ;
– les circonstances déclenchantes ou d’apparition (traumatisme,
prise de médicaments, contexte pathologique connu…) ;
– les aspects douloureux ou non du torticolis avec douleurs
médianes osseuses, paramédianes musculaires, ou de type
radiculaire voire médullaire.
* Signes d’accompagnement
:
Ils sont essentiels à dépister : vomissements, tableau inflammatoire
ou infectieux dans un contexte récent ou présent de la sphère ORL,
troubles de la marche, équilibre, céphalées, troubles de la vision de
l’écriture et du relief.
* Contexte personnel et familial du sujet
:
À la recherche d’antécédents : accouchement, déroulement de la
période néonatale, pathologie déjà connue (aberration
chromosomique, maladie de système, malformation viscérale ou
osseuse, fibrose musculaire oculaire), absorption médicamenteuse en
particulier de neuroleptiques.
2- Inspection
:
Les signes d’inspection peuvent être très significatifs.
* Configuration du torticolis
:
Le torticolis peut être horizontal, vertical, oblique, ou torsionnel :
– un torticolis horizontal, où la composante horizontale du torticolis
est une rotation de la tête vers la droite ou vers la gauche entraînée
par une excentration horizontale du regard vers la droite ou vers la
gauche ;
– un torticolis vertical, où la composante verticale du torticolis est
une flexion ou une déflexion de la tête entraînée par une
excentration verticale du regard vers le haut ou vers le bas ;
– un torticolis oblique, où la composante du torticolis est une
inclinaison de la tête due à une déviation verticale et horizontale du
regard ;
– un torticolis torsionnel où la composante du torticolis est une
inclinaison de la tête due à une cyclorotation des yeux.
De toute
façon, les composantes oblique et torsionnelle sont intriquées,
puisqu’un déplacement oblique s’accompagne d’un certain degré de
torsion.
Il en est de même pour l’inclinaison, qui vise à corriger un
déséquilibre vertical.
* Degré
:
On peut évaluer l’importance du torticolis en fonction de son degré :
– très sévère : > 30° :
– sévère : de 15 à 30° ;
– modéré : de 10 à 15° ;
– minime : de 5 à 10°.
Les formes très sévères et sévères sont évidentes dès l’inspection.
Quel que soit le degré du torticolis, dès qu’il est supérieur à 5°, il est
inesthétique, dangereux pour le rachis cervical et le développement
de la face.
* Étude de la morphologie orbitofaciale
:
Elle consiste à rechercher toute anomalie du massif orbitofacial
pouvant être responsable d’un déséquilibre oculomoteur.
On pourra
étudier l’écart entre les yeux, les dissymétries orbitaires et l’obliquité
des fentes palpébrales.
En effet, la configuration des fentes
palpébrales est importante à vérifier, car elle peut révéler une torsion
des orbites associée à un syndrome A ou V.
En fonction de la
morphologie orbitofaciale, il ne faut pas hésiter à s’entourer d’une
imagerie des orbites, notamment dans les hypotélorismes, les
hypertélorismes et les malformations à type de craniosténoses et de
craniofaciosténoses.
* Examiner un sujet avec torticolis
:
Bien que cela sorte du cadre de l’examen ophtalmologique
proprement dit, l’ophtalmologiste, devant un torticolis associé à un
examen ophtalmologique normal, se doit de regarder l’enfant de
face, de dos et d’effectuer une palpation du sterno-cléido-mastoïdien
(SCM) à la recherche d’une contracture de ce muscle, d’une raideur,
de points douloureux recherchés au niveau des apophyses
épineuses, des muscles antérieurs et postérieurs du cou.
Par ailleurs, l’inspection du corps en entier va étudier la
morphologie globale de l’enfant, locorégionale (tête, cou, face
et globes oculaires) avec recherche d’anomalies associées au niveau
du tronc et des membres.
Cet examen se termine par une radiographie simple du cou face et
profil, avec une orientation vers une consultation orthopédique
lorsque l’examen ophtalmologique est normal.
Variabilité : on note la variation du torticolis si elle existe :
– la variabilité peut se faire :
– selon le muscle atteint, qui se manifeste soit en vision
monoculaire, soit en vision binoculaire (afin de retrouver une
position de vision binoculaire [VB]) ;
– selon l’oeil fixateur ;
– la variabilité peut se faire suivant la fatigabilité ;
– la variabilité peut se faire en prandial et postprandial ;
– mais le torticolis peut être aussi invariable.
B - EXAMEN OPHTALMOLOGIQUE :
1- Acuité visuelle
:
Elle se fait en vision de loin, de près, en monoculaire, en binoculaire
avec et sans correction, avec étude du torticolis parallèlement.
En
effet, le torticolis peut être induit par la fixation d’un oeil en
particulier ou n’apparaître que les deux yeux ouverts.
Dans ce cas,
l’utilisation de la vision binoculaire ou sa recherche peuvent être
incriminées.
2- Étude de l’équilibre oculomoteur
:
Le bilan de l’état moteur et sensoriel, en plus du bilan du torticolis,
permet :
– d’infirmer ou confirmer une déviation, et dans ce cas de l’étudier
(mesure dans l’espace : étude des reflets, étude de la déviation par
écran unilatéral, par écran alterné) ;
– de noter l’état de la motilité (ductions, versions, dominance
oculaire) ;
– de mesurer la déviation si elle existe (mesure par prismes, verre
rouge, synoptophore) ;
– de préciser l’état sensoriel (recherche d’une amblyopie, étude de
la fixation, de la vision binoculaire en position de torticolis et en
position primaire, étude de la vision stéréoscopique en position de
torticolis et en position primaire).
Sur le plan pratique, l’examen orthoptique face à un torticolis
étudie l’élément vertical, horizontal et torsionnel par :
– la mesure selon le cover test ;
– la manoeuvre de Bielchowski ;
– le test à l’écran en position primaire ;
– la motilité ;
– le Hess-Lancaster, le coordimètre de Weiss (si la correspondance
rétinienne est normale) ;
– le synoptophore : évaluation de la verticalité, de la cyclodéviation,
de la déviation associée et de l’état binoculaire ;
– la baguette de Maddox : étude de l’inclinaison de la raie
lumineuse ou d’une raie par rapport à l’autre (si la correspondance
rétinienne est normale) ;
– le repérage de la tache aveugle (examen ophtalmologique, champ
visuel) ;
– l’examen de la torsion au fond d’oeil.
3- Étude de la réfraction
:
Elle doit être systématiquement contrôlée sous cycloplégiques.
En
cas de strabisme associé on évalue aussi l’acuité sous cycloplégiques
avec correction optique totale.
4- Examen à la lampe à fente
:
L’examen à la lampe à fente avec fond d’oeil en ophtalmoscopie
indirecte termine l’examen ophtalmologique.
5- Photographies du torticolis
:
Des photographies du torticolis sont effectuées, mais aussi du crâne
et de la face, avec rachis cervicodorsal face et profil.
6- Mesure du torticolis
:
Actuellement, les méthodes classiques utilisées pour mesurer le
torticolis sont :
– l’étude clinique et orthoptique de la déviation des yeux et du
torticolis, seule méthode actuelle comprenant à la fois une mesure de l’acuité visuelle en position normale (position primaire : regard
droit devant), en position de torticolis, et la recherche d’une position
de blocage ou de diminution significative du mouvement oculaire
en cas de nystagmus.
C’est une méthode subjective, peu
reproductible et peu fiable dans le temps, car le plus souvent, les
mesures ne sont pas effectuées par le même examinateur
(orthoptiste, médecin, ophtalmologue…), et le degré est évalué
approximativement ;
– le torticolimètre de Gracis, règle plane qui se place sous le menton
et permet de mesurer l’angle du torticolis par rapport au cou,
uniquement dans le sens de la rotation droite gauche ;
– Goddman propose une mesure en degrés de l’inclinaison de la
tête, à partir de photographies des patients.
La valeur de l’angle
formé par la ligne médiane de la face et la verticale de la
photographie mesure le torticolis.
Nous faisons une étude prospective sur 2 ans pour la mise en oeuvre
d’une exploration fonctionnelle adaptée à la mesure du torticolis
dans les nystagmus et les paralysies oculomotrices.
Cette exploration
fonctionnelle repose sur l’utilisation d’un dispositif qui peut, grâce
à des capteurs, déterminer précisément, objectivement et
quantitativement la position anormale de la tête, c’est-à-dire du
torticolis, dans les trois plans de l’espace.
Ces données quantitatives
recueillies du torticolis apportent des indications thérapeutiques
précises, que cette thérapeutique soit chirurgicale ou médicale
(traitement optique par prismes).
De plus, dans le cas du traitement
chirurgical, les paramètres expérimentaux obtenus renseignent sur
les muscles oculomoteurs à opérer, et sur l’importance du geste
chirurgical à effectuer.
Ainsi, une relation entre le degré de torticolis
et l’acte chirurgical millimétré peut être établie, afin de rendre cette
chirurgie plus précise et moins empirique.
À la fin de cet examen, on souligne l’importance d’un bon examen
clinique, qui peut orienter d’emblée vers le diagnostic étiologique.
Cet examen clinique est essentiel, il doit être précis, car il permet au
moindre signe évocateur, l’orientation vers un examen orthopédique
avec examen global de l’appareil locomoteur, mais aussi vers un
examen neurologique, une exploration de la sphère ORL, expliquant
toute la notion d’interdisciplinarité et son intérêt.
À la fin de cet examen, on peut définir le torticolis comme un signe
clinique de compensation, de situation, ou un véritable syndrome.
Plusieurs points méritent d’être soulignés :
– l’importance des examens orthoptique et ophtalmologique qui
permettent de distinguer les torticolis avec atteinte oculaire et sans
atteinte oculaire ;
– l’importance du nombre de disciplines avec lesquelles il faut
collaborer, afin d’adopter la conduite à tenir la plus efficace possible
pour obtenir la meilleure prise en charge thérapeutique ;
– la gravité potentielle de l’étiologie du torticolis, qui peut être bénin
mais aussi très grave par son évolution ou par la révélation d’une
pathologie tumorale ;
– la gravité potentielle des conséquences du torticolis qui, par leurs
répercussions sur la croissance osseuse du crâne, de la face
(dentition), des vertèbres cervicodorsales et des muscles du cou chez
l’enfant, et sur la statique vertébrale chez l’adulte, constitue une
pathologie qui lui est propre.
En d’autres termes, le torticolis est
lui-même responsable d’une pathologie « iatrogène » associée.
Selon notre classification, nous envisageons dans un premier temps,
les torticolis avec atteinte oculaire avec et sans déséquilibre
oculomoteur, puis ceux sans atteinte oculaire.