Thérapeutique foetale
(Suite) Cours de
Gynécologie
Obstétrique
5- Hyperplasie congénitale des surrénales
:
Parmi les nombreuses erreurs innées du métabolisme, l’hyperplasie
congénitale des surrénales est l’une des plus fréquentes, survenant
une fois sur 10 000 naissances.
Elle est dans 95 % des cas secondaire
à un déficit en 21 hydroxylase dont il existe deux gènes situés sur le
bras court du chromosome 6 et qui contribue à la synthèse du
cortisol à partir du cholestérol.
Le déficit de cette enzyme est
transmis sur le mode autosomique récessif et est lié au complexe
majeur d’histocompatibilité (HLA).
Outre une synthèse de cortisol
absente ou insuffisante, il est responsable :
– d’une accumulation des précurseurs en amont et notamment
d’une élévation de la 17-OH progestérone ;
– d’une activation de synthèse des androgènes, en particulier de
D4 androstènedione et de testostérone ; cette production accrue
d’androgènes entraîne une virilisation des foetus féminins ; elle
débute dès la septième semaine, conduisant parfois dans ce cas à
une masculinisation complète des organes génitaux externes ;
– d’une stimulation de la secrétion d’adrenocorticotropic hormone
(ACTH), par levée du rétrocontrôle exercé sur cette secrétion par le
cortisol, responsable de l’hyperplasie des grandes surrénales ;
– d’une absence de métabolites en aval du bloc enzymatique et, en
particulier, de production d’aldostérone, pouvant entraîner un
syndrome de « perte de sel » associé à une déshydratation parfois
sévère dès la période néonatale.
Le syndrome de perte de sel est réversible et peut bénéficier d’un
traitement substitutif, la virilisation des organes génitaux externes
ne l’est pas ; l’ambiguité sexuelle qui en résulte chez les foetus
féminins constitue une malformation grave, qui nécessite des
interventions chirurgicales délicates et est à l’origine de
perturbations psychologiques familiales importantes.
C’est pour
prévenir cette virilisation qu’un traitement anténatal de cette
affection a été proposé.
Ce traitement ne peut être envisagé que pour des grossesses
survenant après la naissance d’un enfant atteint, avec l’accord des
parents et après un conseil génétique éclairé.
Son principe est basé
sur la freination de l’hyperproduction foetale d’androgènes par une supplémentation maternelle de glucocorticoïdes.
La dexaméthasone
semble actuellement le médicament le mieux adapté pour réaliser
ce traitement :
– elle ne se lie pas à la transcortine ;
– elle n’est pratiquement pas inactivée par le placenta ;
– son transfert placentaire est efficace avec un gradient mère-enfant
proche de 1 ;
– l’action suppressive sur l’ACTH est plus marquée.
Il doit être débuté le plus tôt possible vers la 6e semaine avant que
le bourgeon génital ne soit sensible à l’action masculinisante des
androgènes et donc avant toute possibilité de diagnostic anténatal.
La première tentative de traitement anténatal a été réalisée en 1979
et publiée par l’équipe de David et Forest en 1984.
Les doses de dexaméthasone proposées étaient de 0,5 mg deux fois par jour.
Par
la suite, d’autres études ont montré qu’une augmentation du
traitement à 0,5 mg toutes les 8 heures entraînait un effondrement
plus marqué du cortisol et une meilleure efficacité ; toutefois, à la
suite des résultats des 10 premières années de traitement, il a été
suggéré, en raison de disparités corporelles, d’ajuster la posologie
en fonction du poids et d’administrer une dose de 20 mg/kg
fractionnée en deux ou trois prises.
Ce traitement doit être poursuivi au minimum jusqu’aux résultats
des investigations diagnostiques anténatales, ce qui implique
l’éventualité de traiter un foetus sain ; or, le risque d’avoir un foetus
féminin atteint étant de 1/8, sept foetus sont donc traités inutilement.
Ce diagnostic anténatal repose sur deux méthodes :
– une méthode bioclinique basée sur le dosage amniotique de la
17-OH progestérone, à partir de la 10e semaine ; mais le résultat est
faussé par la corticothérapie instituée antérieurement ; elle ne sert
donc que comme témoin d’une bonne freination surrénalienne ;
– une méthode génétique, basée sur des techniques de biologie
moléculaire :
– par typage HLA des cellules foetales sur biopsie de trophoblaste
avec détermination du caryotype ;
– par l’étude de l’acide désoxyribonucléique extrait des villosités
choriales des gènes CYP 21 et C4 ; la détection de mutations
responsables de la maladie dans la famille est possible par la
méthode de polymerase chain reaction.
Les résultats du diagnostic anténatal conditionnent la poursuite de
la corticothérapie maternelle, ainsi :
– si le foetus est de sexe masculin et qu’il soit atteint ou non, le
traitement doit être arrêté ;
– si le foetus est de sexe féminin, hétérozygote ou homozygote sain,
il doit aussi être arrêté ;
– si le foetus est de sexe féminin et atteint, il doit être poursuivi
jusqu’à la fin de la grossesse.
Dans tous les cas, l’arrêt du traitement doit se faire à dose
décroissante, par paliers réguliers de 4 ou 5 jours sur une période
d’environ 2 semaines.
Une surveillance biologique stricte est nécessaire, les dosages
hormonaux répétés devant apporter la preuve d’une bonne
freination surrénalienne.
L’efficacité thérapeutique est jugée sur :
– l’effondrement des taux plasmatiques maternels de cortisol, déhydro-épiandrostérone et 17-alpha OH-pregnénolone sur des
prélèvements faits avant le début du traitement et après 15 jours ;
– la normalisation des taux amniotiques de 17 OH-progestérone, D4-androstènedione et testostérone ;
– le maintien de taux très bas d’oestriols maternels au troisième
trimestre (si le traitement est poursuivi), témoignant d’une freination
foetale.
Des échecs partiels ont été signalés, objectivés par l’existence d’un
certain degré de virilisation (stade 1 et 2 de Prader), mais moins
marqués toutefois.
Ils ont été rapportés à une mise en route
trop tardive du traitement, une dose insuffisante ou pas assez
fractionnée, un arrêt trop prolongé après amniocentèse.
D’autres raisons ont été invoquées :
– le degré de virilisation des filles atteintes peut varier à l’intérieur
d’une même famille ;
– le passage transplacentaire des corticoïdes peut être influencé par
leur affinité avec la transcortine ;
– la fonction stéroïdogénique de la surrénale n’est pas seulement
régulée par l’ACTH ;
– la quantité de corticoïdes transférée chez le foetus varie selon la
clairance maternelle.
L’ensemble des travaux fait apparaître l’efficacité remarquable de ce
traitement, qui a transformé l’évolution de beaucoup d’enfants : la
multiplication des essais dans une étude européenne confirme ces
résultats.
Mais, le risque d’atteinte foetale étant de 1/8, la durée
du traitement doit être la plus courte possible, même si aucun effet
secondaire n’a été rapporté chez des foetus sains.
Ceci souligne
l’importance des techniques modernes de diagnostic anténatal par
un prélèvement sur villosités choriales.
Aucune complication n’a été
constatée à la naissance ; aucun effet tératogène, même minime, n’a
été signalé.
Les nouveau-nés avaient des mensurations normales
dans l’ensemble et les quelques retards de croissance modérés
observés ne paraissent pas devoir être imputables au traitement.
Le suivi ultérieur de ces enfants a montré une croissance staturopondérale et un développement psychomoteur normaux,
même si le recul est peut-être encore insuffisant.
La tolérance
maternelle au traitement a dans l’ensemble été bonne, bien que
certains inconvénients aient été constatés : une prise de poids
nécessitant un régime strict, des douleurs gastriques, un faciès cushingoïde, une tendance hyperglycémique, une élévation de la
tension artérielle, une irritabilité.
Ces effets doivent être connus des
parents avant que ne soit débuté le traitement et justifie une
surveillance appropriée, même s’ils sont transitoires.
6- Phénylcétonurie :
La phénylcétonurie est une aminoacidopathie transmise sur le mode
récessif autosomique.
Sa fréquence est de 1 pour 15 000 naissances,
soit environ 40 nouveaux cas annuels en France.
Elle provient d’un
déficit enzymatique de la phénylhydroxylase qui transforme la
phénylalanine en tyrosine, dont il résulte un excès de phénylalanine
responsable d’un trouble du développement cérébral et d’une
encéphalopathie, et une insuffisance en tyrosine également délétère
pour le cerveau.
Le taux sanguin normal de phénylalanine est
de 1 à 2 mg/100 mL (60 à 120 mmoles/L) ; il peut dépasser
20 mg/100mL (1 200 mmoles/L) chez les sujets atteints de
phénylcétonurie classique, mais les formes modérées
s’accompagnent d’un taux inférieur à 10 mg/100 mL
(600 mmoles/L).
Le dépistage de cette maladie est effectué à la naissance en France
depuis 1977 par le test de Guthrie.
Il permet, en cas de positivité,
une prise en charge précoce des nourrissons atteints et une
prévention de l’encéphalopathie grâce à un régime approprié,
institué dès les premières semaines de vie.
Ce régime appauvri en
phénylalanine et enrichi en tyrosine vise à maintenir un taux de
phénylalanine inférieur à 10 mg/100 mL ; il doit aussi assurer à
l’enfant une croissance staturopondérale et un développement
psychomoteur normaux.
Sa durée est en moyenne de 8 ans ; mais à
son arrêt va se produire naturellement une remontée du taux de
phénylalanine.
Actuellement, les bénéfices indiscutables de ce dépistage pourraient
être remis en question depuis que des femmes atteintes de cette
maladie, traitées et perdues de vue, sont en âge de procréer.
En effet,
outre le risque d’être atteints de la même maladie, les nouveau-nés
de mères phénylcétonuriques sont menacés par un retard mental
dont les premiers cas ont été rapportés par Dent en 1957 puis par
Denniston en 1963.
Depuis, d’autres études ont permis
d’individualiser le syndrome du nouveau-né de mère phénylcétonurique, embryofoetopathie qui associe un retard mental,
une microcéphalie, un retard de croissance intra-utérin, une
malformation cardiaque (tétralogie de Fallot, communication
interventriculaire, coarctation de l’aorte) et inconstamment une
dysmorphie faciale évoquant celle de la foetopathie alcoolique, une
cataracte, des anomalies du squelette.
Le mécanisme profond
de cette atteinte foetale ferait intervenir une action directe et indirecte
de la phénylalanine sur la croissance du cerveau, en inhibant le
transport d’acides aminés neutres à travers le placenta jusqu’au
cerveau.
Il existe chez ces enfants des défauts de myélinisation et
des anomalies biochimiques (diminution des cérébrosides et des
sulfatides) identiques à celles des enfants atteints de
phénylcétonurie.
Enfin, l’insuffisance en tyrosine et l’excès de
certains métabolites de la phénylalanine, tels que l’acide phénylacétique, interfèrent avec un développement cérébral normal.
La sévérité de l’embryofoetopathie est corrélée au taux de
phénylalanine maternelle ; il semble que l’atteinte foetale soit
certaine lorsque ce taux dépasse 20 mg/100 mL.
Une étude a montré
à partir de 524 grossesses chez 155 mères atteintes de
phénylcétonurie que la fréquence du retard mental atteint 92 % si le taux est supérieur à 20 mg/100 mL, 73 % s’il est entre 16 et
19 mg/100 mL, 22 % s’il est entre 11 et 15 mg/100 mL, 21 % s’il est
inférieur à 10 mg/100 mL.
D’autre part, la dysmorphie faciale est un signe sensible ; il existe
une bonne corrélation entre les taux de phénylalanine entre la 8e et
la 12e semaine et la dysmorphie, présente dans 50 % des cas si les
taux sont normaux et dans 90 % des cas si les taux sont supérieurs à
12 mg/100 mL.
Il n’y a pas de cardiopathie lorsque le taux est
inférieur à 6 mg/100 mL jusqu’à 8 semaines.
Il apparaît ainsi cliniquement que le meilleur moyen d’éviter
l’incidence de ces problèmes est de maintenir un taux de
phénylalanine maternel toujours inférieur à 8 mg/100 mL grâce à
un régime appauvri en phénylalanine qui doit, en outre, obéir à des
impératifs bien précis :
– être poursuivi durant toute la grossesse, ce qui exige une
discipline stricte et un degré d’intelligence indispensables, ce qui
n’est pas toujours le cas, certaines mères gardant un retard mental
même modéré ;
– être débuté plusieurs semaines avant la conception afin d’obtenir
dès le début de la grossesse un taux de phénylalanine le plus bas
possible, entre 3 mg et 8 mg/100 mL ; plusieurs essais de régime
réalisés chez ces mères en tout début de grossesse ou dans les
premières semaines n’ont pas empêché la constitution d’une embryofoetopathie ; la différenciation cérébrale s’effectuant
entre la 4e et la 8e semaine de gestation, l’excès précoce de
phénylalanine va contrarier le développement cérébral et la
multiplication cellulaire, favorisant la survenue d’une
microcéphalie ;
– faire l’objet d’une surveillance rigoureuse clinique et biologique
par un dosage hebdomadaire du taux sanguin de phénylalanine et
un encadrement, assuré par les obstétriciens, les pédiatres et les
diététiciens, ainsi qu’un soutien psychologique ; il faut en effet tenir
compte :
– de la sévérité de l’atteinte maternelle, certaines femmes ayant,
pour un même équilibre du taux sanguin, une tolérance
différente ;
– de l’absence d’effet protecteur placentaire, les valeurs de
phénylalanine et de tyrosine étant deux fois plus élevées au
cordon que chez la mère ;
– de la nécessité de garder un équilibre protéique et énergétique
suffisant sans risque de malnutrition maternelle et foetale ni de
retentissement sur la croissance du foetus.
Les données de la littérature s’accordent pour proposer un
régime qui associe :
– un apport de phénylalanine de 5 mg/kg/j dans les 2 à 3 mois
précédant la grossesse ; puis de 10 mg/kg/j jusqu’au cinquième
mois, avec des aménagements selon la tolérance maternelle de
300 mg à 800 mg/j ; enfin, de 15 mg/kg/j jusqu’à la naissance, la
ration pouvant atteindre 1 500 mg en raison d’une meilleure
tolérance et de l’augmentation pondérale ;
– un apport protéique moyen de 1,5 g/kg/j (de 60 à 70 g), constitué
par des mélanges d’acides aminés dépourvus de phénylalanine et
enrichis en tyrosine ;
– un apport calorique de 2 500 à 3 000 kcal/j ;
– un apport de tyrosine de 3 g/j pour maintenir une tyrosinémie
supérieure à 0,5 mg/100 mL (30 µmoles/L) ;
– une supplémentation en vitamines, en sels minéraux, en
oligoéléments et en acide folique.
L’instauration de ce régime, débuté et équilibré avant le début de la
grossesse, a donné des résultats très satisfaisants.
Plusieurs enquêtes
rapportent les cas de mères ayant reçu un régime strict avant la
conception pour obtenir un taux de phénylalanine inférieur à
10 mg/100 mL et ayant mis au monde des nouveau-nés normaux
dont certains, suivis ultérieurement, ont eu un développement
psychomoteur normal.
Ces mesures diététiques essentielles ne doivent pas faire oublier
l’importance d’autres facteurs à caractère préventif.
La perte de vue,
en effet, d’un certain nombre de filles guéries et pouvant par défaut
d’information mettre au monde des nouveau-nés atteints ou
porteurs d’une embryofoetopathie devrait justifier :
– la mise en place d’une surveillance après l’arrêt du régime et à la
puberté grâce au médecin traitant ;
– une information et des conseils à l’intention des filles phénylcétonuriques et de leur parents vis-à-vis de cette maladie et
des risques sur la descendance ;
– une prise en charge, en cas de désir de grossesse, sous
encadrement médical et psychologique, afin que celle-ci soit
programmée dans les meilleures conditions d’équilibre diététique et
biologique.
7- Prévention des anomalies de la gouttière neurale
:
Les anomalies de la gouttière neurale résultent d’un défaut de neuralisation ou de canalisation du tube neural primitif.
Leur
fréquence a diminué depuis 20 ans mais reste non négligeable, en
particulier en Grande-Bretagne où la prévalence est environ deux
fois supérieure à celle de la plupart des autres pays.
Ces
malformations englobent plusieurs entités : l’anencéphalie, toujours
létale, dont l’incidence est de une pour 1 000 naissances ;
l’encéphalocèle, qui résulte d’un défaut de fermeture crânienne
entraînant une hernie des méninges et du tissu cérébral de très
mauvais pronostic ; le spina bifida, secondaire à l’absence d’arc
vertébral, responsable de séquelles lourdes et dont la fréquence est
de deux pour 1 000 naissances.
Les mécanismes conduisant à ces défauts de fermeture du tube
neural (DFTN) sont encore imprécis.
Certains éléments tels que le
diabète maternel ou des traitements antiépileptiques sont connus ;
le rôle d’une carence en zinc n’a pas été confirmé.
D’autres facteurs
ont été suggérés : génétiques, diététiques fondés sur
l’augmentation du taux de ces malformations dans des milieux
carencés et surtout biochimiques, en rapport avec une altération du
métabolisme de l’acide folique.
Le rôle d’une insuffisance maternelle en acide folique dans la genèse
des DFTN a été évoqué en 1964.
Plusieurs études ont révélé que
les femmes de niveau social bas, et donc possiblement sousalimentées,
et plus encore les femmes ayant mis au monde des
nouveau-nés porteurs d’un DFTN avaient un déficit en acide
folique dont le rôle dans le développement du système nerveux
central est bien connu.
L’aminoptèrine, antagoniste de l’acide
folique, a un effet tératogène sur le système nerveux central.
Des
travaux ont montré des discordances entre les taux de folates
sériques et érythrocytaires chez les femmes de nouveau-nés atteints,
expliqués par un transfert de l’acide folique vers la moelle pour y
être incorporé dans les hématies, entraînant ainsi un abaissement
du taux sérique disponible pour le foetus.
Enfin, une étude récente a
montré que les taux de folates sériques et érythrocytaires ainsi que
le taux de folate méthylé étaient significativement plus bas chez les
mères d’enfants atteints par rapport aux autres, alors que les taux
de folates étaient identiques chez tous les foetus ; l’existence d’un
métabolisme folique altéré maternel et non foetal s’associe à un
passage transplacentaire normal des folates : la baisse du taux de
méthylation des folates pourrait être en cause dans la pathogénie
des DFTN.
Le risque de récidives des DFTN lors d’une grossesse suivante existe
(récurrence de 1 % pour l’anencéphalie et de 5 % pour le spina
bifida).
Pour l’éviter, une supplémentation en acide folique a été
proposée pendant la période périconceptionnelle et les premières
semaines de grossesse correspondant à la durée de l’embryogenèse
du cerveau, pour les femmes ayant déjà eu un enfant porteur d’un
DFTN.
La première étude en 1980, non randomisée, a été réalisée
avec une supplémentation vitaminée contenant 0,36 mg/j d’acide
folique ; elle a montré une récurrence sept fois plus faible chez les
femmes supplémentées par rapport aux femmes témoins.
Cette
étude, reprise en 1983, a opposé 254 femmes supplémentées à 219 femmes témoins ; le taux de récurrence était notablement réduit
chez les premières (0,7 % versus 4,7 %).
Une autre étude a
montré, chez 44 femmes recevant 4 mg/j d’acide folique pendant les
8 premières semaines de grossesse, l’absence de récurrence de la
malformation alors qu’elle survenait six fois chez 51 témoins.
Enfin, une étude en double aveugle a été effectuée chez
1 195 femmes réparties en quatre groupes selon qu’elles recevaient
de l’acide folique (4 ng), de l’acide folique et des vitamines, des
vitamines seules ou un placebo ; elle a révélé 27 DFTN dont 21 chez
les femmes non supplémentées en acide folique.
Seule une étude
ne paraît pas confirmer l’intérêt de cette prévention chez les femmes
ayant eu un nouveau-né porteur d’un DFTN.
Le même auteur
n’a pas retrouvé de baisse significative du taux sérique des folates
chez les femmes dont le nouveau-né présentait un DFTN.
Aucun effet adverse n’a été rapporté, quelle que soit la dose d’acide
folique utilisée ; une dose élevée pourrait être plus efficace ;
l’association d’une dose plus faible avec d’autres vitamines aurait
un effet synergique. En revanche, la date du traitement est
essentielle.
La prévalence des DFTN chez les femmes ayant reçu
cette supplémentation après 7 semaines est identique à celle
observée chez les femmes non traitées.
Il semble donc justifié de
proposer l’administration quotidienne de 4 mg d’acide folique chez
les femnes ayant eu un enfant atteint de DFTN pendant les
2 premiers mois après la conception.
Il semble logique de l’étendre
aux femmes diabétiques ou qui reçoivent un traitement
antiépileptique.
Ce traitement pourrait-il être généralisé pour toutes les grossesses et
diminuer ainsi l’incidence d’un DFTN ?
Une étude randomisée hongroise a proposé de donner une dose
quotidienne de 0,8 mg d’acide folique chez 2 104 femmes sans
antécédents comparées à 2 052 témoins ; aucun cas n’est survenu
contre six chez les témoins.
En fait, ce problème n’est pas résolu
et les risques d’avoir un premier enfant atteint ou un deuxième ne
sont pas les mêmes.
La prévention est sans doute plus efficace contre
la récurrence ; les femmes ayant déjà un antécédent ont plus à
gagner de ce traitement que les autres et une toxicité éventuelle ne
serait pas acceptable.
La grande majorité des études a montré l’efficacité de l’acide folique
pour réduire la récurrence des DFTN.
Les recommandations de la
Direction générale de la santé en 2000 sont de supplémenter
systématiquement en folates (0,400 mg/j), au moins les 2 mois
prédécédant une grossesse et les 2 premiers mois de la grossesse.
8- Laparoschisis :
Défect pariétal abdominal latéro-ombilical droit avec éviscération de
l’intestin foetal, parfois de l’estomac, de la vessie et plus rarement
du foie, il s’agit d’une malformation congénitale fréquente : une sur
4 000 à une sur 10 000 naissances vivantes ; le sex-ratio est de un.
Si le pronostic vital de cette affection a été transformé ces
30 dernières années par le diagnostic anténatal échographique,
l’amélioration du suivi anténatal, les nouvelles techniques
chirurgicales et les progrès de la réanimation périopératoire, l’enjeu
actuel s’attache à diminuer la morbidité encore sévère en matière de
séquelles digestives (reprise de transit difficile mais surtout « grêle
court »).
Les lésions de l’intestin grêle sont secondaires à plusieurs
mécanismes :
– lésions de péritonite chimique par contact de la séreuse digestive
avec le liquide amniotique et les urines foetales ; selon les travaux
de Aktug et al, ce processus ne débuterait pas avant la 30e semaine
et serait d’autant plus important qu’il existerait un oligoamnios ;
– striction de l’intestin grêle au niveau du collet pariétal avec
strangulation mésentérique pouvant évoluer jusqu’à la nécrose
intestinale.
Le suivi échographique doit être rapproché et s’accentuer à partir
de la 28e semaine de façon à dépister le plus rapidement possible
des signes de souffrance intestinale et à prendre les mesures
thérapeutiques nécessaires.
L’examen échographique apprécie la
dilatation des anses intestinales (morbidité plus élevée pour un
diamètre intestinal supérieur à 18 mm), l’épaississement des parois
intestinales, l’existence d’anomalie du liquide amniotique (le plus
souvent un oligoamnios est observé en deuxième partie de grossesse
avec ses conséquences propres, mais l’apparition d’un
polyhydramnios peut être très péjorative dans ce contexte, surtout
s’il lui est associé un épaississement important des anses intestinales
et des signes de souffrance foetale, traduction d’un obstacle
mécanique irréductible.)
De plus, la croissance (en raison de la
fréquence des retards de croissance intra-utérins) et le bien-être foetal
sont suivis régulièrement.
L’attitude thérapeutique anténatale actuelle privilégie un
accouchement avant terme vers 36 à 37 SA lorsque le bilan
échographique ne montre pas d’anomalie intestinale.
Le mode
d’accouchement est controversé, mais le plus souvent une césarienne
programmée est réalisée de façon à optimiser la prise en charge
néonatale.
Si l’aspect échographique est tel qu’une
naissance prématurée paraît indispensable, l’enfant est extrait par
césarienne sans risque majeur à partir de la 34e SA ; avant ce terme,
la césarienne est réalisée après corticothérapie maternelle.
Compte tenu des résultats intéressants d’amnio-infusions itératives
rapportés par Dommergues et al, Sapin et al et Luton et
al chez des foetus porteurs de laparoschisis avec oligoamnios
(amélioration du bien-être foetal, aspect normal des anses
intestinales, non cartonnées, permettant le plus souvent une
réintégration et la fermeture pariétale en un temps, et une reprise
plus précoce de l’alimentation), cette attitude tend à se généraliser
dans la prise en charge anténatale des laparoschisis avec ou sans
oligoamnios.
Sur le plan pratique, on ponctionne après anesthésie locale, à l’aide
d’une aiguille de 16 à 18 G munie d’une tubulure et d’un robinet à
trois voies permettant l’amnio-infusion rapide de 500 à 3 000 mL de
sérum physiologique à 37°, geste éventuellement précédé d’un
amniodrainage si la quantité de liquide était normale avant
l’intervention.
L’ensemble de la procédure n’excède pas une demiheure.
Les amnio-infusions sont répétées avec une fréquence
variable (en moyenne une amnio-infusion par semaine à partir de
28 à 30 SA).
Une antibiothérapie prophylactique avant chaque
procédure et une corticothérapie maternelle avant 34 SA sont
instituées.
L’hypocalcémie néonatale n’est pas un trouble biologique rare.
Elle
doit être particulièrement évoquée dans des groupes de nouveaunés
à risque (prématurés, hypotrophes) et devant des convulsions.
Son mécanisme d’installation tient souvent à des particularités ou à
des pathologies du couple maternofoetal.
L’étude de la régulation du métabolisme phosphocalcique pendant
la grossesse permet de mieux comprendre comment se constitue le
stock en calcium et en vitamine D du foetus.
Le calcium et le
phosphore foetaux proviennent de la mère.
La calcémie foetale
augmente au cours de la grossesse pour approcher vers 28 semaines
la calcémie maternelle, puis la dépasser.
L’accumulation calcique
s’accélère à partir du sixième mois de la grossesse, puis se ralentit
après 38 semaines quand la vitesse de croissance diminue.
Les
besoins foetaux impliquent un gradient positif maternofoetal en
calcium et phosphore inorganique ; ceci est réalisé grâce à un
transport actif transplacentaire.
Les facteurs hormonaux de la
régulation de la calcémie et de la phosphorémie sont la
parathormone (PTH), la vitamine D (25[OH]-D) et la calcitonine.
La PTH maternelle ne traverse pas le placenta et on détecte une
sécrétion foetale dès 27 semaines ; la calcitonine est probablement
sécrétée par le foetus ; en revanche, la 25(OH)D semble être
exclusivement d’origine maternelle, même si une sécrétion foetale
faible peut être détectée vers 26 semaines.
De ces mécanismes de régulation découlent la physiopathologie des
hypocalcémies néonatales :
– les hypocalcémies néonatales précoces des 3 premiers jours de vie,
les plus fréquentes, sont reconnues par un dépistage chez les enfants
à risque (nouveau-nés de mère diabétique, prématurés, de faible
poids de naissance, ayant présenté une souffrance foetale anté- ou
périnatale), car elles sont rarement symptomatiques ; la
physiopathologie est complexe : réponse foetale à la PTH limitée,
retard à l’alimentation et faible absorption digestive du calcium ; la
principale cause chez l’enfant prématuré semble être la privation
calcique brutale qui s’installe chez un être en pleine croissance
squelettique ; la carence en vitamine D maternelle aggrave le risque
de survenue de ces hypocalcémies ; corrigées, elles ne récidivent
pas ;
– les hypocalcémies tardives, découvertes entre le troisième jour et
les premières semaines postnatales, sont le plus souvent symptomatiques
et bruyantes : convulsions, insuffisance cardiaque ; on
distingue classiquement les hypoparathyroïdies transitoires, les
formes chroniques d’atteinte parathyroïdienne (syndrome de Di
George) et le rachitisme maternofoetal ; le bilan biologique de la
mère et du nouveau-né est indispensable pour impliquer une
anomalie vitaminique anténatale.
* Hypocalcémie néonatale secondaire à une hyperparathyroïdie
maternelle :
L’hyperparathyroïdie maternelle n’entraîne aucune perturbation
obstétricale ou foetale dans 50 % des cas, mais un taux très élevé de
mort in utero (11 %), de décès en période néonatale (18 %) ou de
prématurité lui est attribué.
L’hypercalcémie chez la mère est
inconstante ; seul le dosage de la PTH intacte affirme l’anomalie
maternelle.
L’hypocalcémie néonatale est attribuée à la freination des glandes
parathyroïdes foetales sous l’influence de l’hyperparathyroïdie
maternelle.
Le pronostic de ces hypoparathyroïdies secondaires est
excellent, en dépit de la sévérité initiale du tableau et de la durée de
la symptomatologie neurologique.
Ces hyperparathyroïdies chez l’adulte sont liées quasi exclusivement
à des adénomes parathyroïdiens.
Leur traitement se résume souvent
à une surveillance clinique et biologique, mais la connaissance de la
pathologie maternelle permet de contrôler plus étroitement une
grossesse et surtout de ne pas attendre chez le nouveau-né une
hypocalcémie symptomatique.
* Hypocalcémie néonatale par carence en vitamine D
:
La pauvreté du pool vitaminique D foetal, tributaire des réserves
maternelles, est responsable de cette hypocalcémie.
Les taux de
25(OH)D des mères et des nouveau-nés sont abaissés.
Les calcémies,
normales à la naissance, chutent rapidement vers le cinquième jour :
à j5, elles sont positivement corrélées avec les taux de 25(OH)D.
La
prévalence de l’hypocalcémie par carence en vitamine D maternelle
est difficile à évaluer, mais il s’agit certainement de la première cause
d’hypocalcémie néonatale tardive.
Plusieurs facteurs exposent au risque de carence en vitamine D des
femmes enceintes :
– en France, la situation géographique à une latitude élevée et les
conditions climatiques ne favorisent pas une irradiation solaire
suffisante ; ceci explique la fréquence particulière des hypocalcémies
en hiver et au printemps ; l’origine ethnique ne semble pas
un facteur déterminant ;
– l’absence de supplémentation en vitamine D des femmes enceintes
et l’alimentation pauvre et non enrichie en vitamine D.
* Pathologie du squelette des mères traitées par antiépileptiques
:
Si des altérations de la voûte crânienne, de la face et des membres
ont été décrites chez les enfants nés de mères recevant un traitement
antiépileptique, le rachitisme néonatal est exceptionnel.
De plus, en
dehors de quelques observations d’hypocalcémie néonatale chez ces
enfants, la maladie épileptique et/ou son traitement ont des
répercussions mal connues sur le métabolisme phosphocalcique et
sur la minéralisation osseuse de la mère et de son enfant.
Sur la base des observations faites en période néonatale, on peut
proposer l’hypothèse que les traitements antiépileptiques chez la
mère puissent diminuer l’absorption intestinale de calcium
conduisant à une « carence calcique » responsable d’un retard à
l’acquisition de la masse osseuse du foetus.
Cette hypothèse n’a
actuellement pas été confirmée par des investigations biologiques et
cliniques.
De plus, l’épilepsie pourrait augmenter le risque de survenue d’une
carence en vitamine D compte tenu des effets hépatiques des
traitements antiépileptiques.
Compte tenu de ces données, on peut proposer une supplémentation
systématique en vitamine D à ces patientes.
* Prévention des anomalies phosphocalciques :
La supplémentation maternelle en vitamine D contribue à corriger
ces anomalies.
L’objectif du traitement préventif maternel est
d’éviter la chute de 25(OH)D au troisième trimestre des grossesses
en période hivernale : les taux de 25(OH)D maternel et foetal sont
plus élevés qu’en l’absence de traitement et la baisse de la calcémie
en période néonatale est moins importante ; les taux de calcium et
de PTH chez la mère et l’enfant au moment de la naissance ne sont
pas différents du groupe non supplémenté.
Divers protocoles de supplémentation sont proposés : soit un apport quotidien de
vitamine D (1 000 U/j) à partir du sixième ou du septième mois de
la grossesse, soit une dose unique variant selon les équipes (100 000
à 200 000 UI).
Les résultats de ces différents travaux confirment :
– la correction des taux bas maternels et néonataux de 25(OH)D,
ainsi que des concentrations sériques en calcium plus élevées chez
les patientes traitées ;
– dans les séries de grande taille, l’incidence réduite des
hypocalcémies néonatales après traitement maternel ;
– l’absence d’effet adverse maternel ou néonatal ;
– l’efficacité identique des différents protocoles.
Au total, ces données conduisent à préférer, pour une observance
thérapeutique parfaite, l’administration d’une dose unique de
100 000 UI au sixième ou septième mois des grossesses en période
hivernale et au printemps.
Les protocoles proposés sont simples et
efficaces ; ils sont dépourvus de toxicité, même appliqués à des
femmes non carencées.
11- Interruption sélective de grossesse (ISG) :
Cette technique peut être envisagée dans deux situations :
– en cas de grossesse multiple avec un foetus malformé ;
– dans les grossesses multiples (2) ; les morbidités maternelle et
foetale sont élevées avec un taux de prématurité supérieur à partir
de trois.
En cas de grossesse multiple (³ 3), le taux d’accouchements
prématurés et le terme moyen justifient la proposition d’une ISG
sur le plan médical.
En cas de grossesse triple, le bénéfice de
l’interruption sélective a longtemps été discuté jusqu’à la publication
de l’étude de Yaro et al en 1999.
Les conclusions sont les suivantes :
le taux de fausses couches est de 6,2 % versus 25 % sans ISG, le
terme moyen de naissance est de 35,6 SA versus 32,9 SA et le poids
moyen de 2 254g versus 1 636g sans ISG.
Les techniques sont différentes :
– dans la première situation, on peut réaliser des techniques
identiques à celles utilisées en cas de foetus acardiaque si la grossesse
est monochoriale (clip ou ligature du cordon, mise en place de colle
ou de système d’obstruction vasculaire) ; lorsque la grossesse est
bichoriale, la technique consiste à injecter sous contrôle
échographique dans le sang du foetus, par voie intrafuniculaire ou
intracardiaque, du chlorure de potassium après injection d’un
produit anesthésique type fentanyl ;
– en cas de grossesse multiple, la technique d’ISG consiste à injecter
sous contrôle échographique du chlorure de potassium par voie
intracardiaque à 10-11 SA par voie transabdominale ; les autres
techniques consistant en une aspiration sélective des cavités
ovulaires par voie vaginale où les injections par voie vaginale sont
responsables d’un taux de fausses couches légèrement plus
important.
Le taux moyen de pertes foetales est de 11,7 % : il varie en fonction
du nombre initial d’embryons et du nombre d’embryons restants.
Le taux moyen de prématuré (de 25 à 28 SA) est de 4,5 %.
B - SITUATIONS DANS LESQUELLES
UNE THÉRAPEUTIQUE CURATIVE EST PRATIQUÉE :
1- Arythmies
:
Les techniques d’investigations ultrasonores performantes ont
transformé le diagnostic anténatal des cardiopathies congénitales et
ouvert la voie au traitement in utero des troubles du rythme.
Le
diagnostic d’arythmie foetale peut être décelé par auscultation
systématique ou par échocardiographie de routine, dans le cadre de
la surveillance prénatale.
Parfois, c’est au cours du bilan d’une
défaillance cardiaque foetale ou d’une anasarque qu’est porté le
diagnostic.
Le type d’arythmie et son retentissement peuvent être
analysés par échographie mode-M et doppler.
La fréquence des principaux troubles du rythme est diversement
appréciée.
Les extrasystoles isolées, auriculaires et ventriculaires, sont les
arythmies les plus habituelles (de 70 à 75 %).
Elles ne mettent pas en
danger la vie du foetus (mortalité inférieure à 1 %) ; elles doivent
seulement faire éliminer une pathologie organique, malformative ou
tumorale.
La surveillance doit être régulière car une arythmie
soutenue peut être déclenchée par une extrasystole.
Les bradyarythmies (de 8 à 13 %) dont les fréquences
sont inférieures à 60/min sont à haut risque pour la survenue d’une
défaillance cardiaque ou le déclenchement d’un trouble du rythme
ventriculaire.
Il faut rechercher d’une part une cardiopathie
congénitale (de 40 à 60 %) et d’autre part une collagénose maternelle
qui impliquerait une thérapeutique spécifique.
Les tachyarythmies (de 12 à 16 %) ont une incidence estimée à
environ 1/10 000.
La plupart ont une origine supraventriculaire, la
plus fréquente étant la tachycardie supraventriculaire par rythme
réciproque ; peuvent également survenir un flutter, une fibrillation
auriculaire ou une tachycardie atriale chaotique.
Parmi les causes
possibles figurent les cardiomyopathies, les tumeurs cardiaques,
l’instabilité fonctionnelle auriculaire, les cardiopathies congénitales
(de 5 à 10%) et les myocardites virales (cytomégalovirus ou coxsackie B). Une insuffisance cardiaque responsable d’une
anasarque est fréquente (de 50 à 85 %).
C’est dans ce domaine
que les possibilités de traitement in utero se sont développées.
La prise en charge maternofoetale des tachycardies foetales doit être
réalisée dans les centres ayant l’expérience du diagnostic prénatal,
avec l’étroite collaboration des cardiopédiatres, des cardiologues
d’adultes, des pédiatres néonatologues et des obstétriciens.
* Analyse rythmologique et échographique
:
En l’absence d’électrocardiogramme foetal, méthode en cours de
développement, le diagnostic et la surveillance reposent sur
l’échocardiographie.
L’échocardiographie foetale permet d’étudier la
morphologie cardiaque et le mécanisme de la tachycardie supraventriculaire par l’analyse en mode-M et en doppler.
L’échographie s’impose également pour l’évaluation de la tolérance
hémodynamique et la surveillance du traitement.
Le monitoring
obstétrical du rythme cardiaque foetal permet de différencier les
formes intermittentes et permanentes (fréquence cardiaque
supérieure à 200 battements/min pendant plus de 30 minutes).
* Médicaments antiarythmiques :
Le médicament à utiliser doit répondre à certaines
caractéristiques :
– pharmacocinétique favorable à un bon passage transplacentaire et
taux sérique stable ;
– accumulation myocardique spécifique ;
– activité antiarythmique connue, cardiosélective, sans effet
sympathique intrinsèque.
Les principaux médicaments antiarythmiques les plus
employés sont les suivants.
+ Digoxine :
L’activité antiarythmique de la digoxine est liée au fait qu’elle
ralentit la conduction nodale (allongement de l’espace PR) et
prolonge la période réfractaire.
Aux doses élevées, elle ralentit
également la conduction dans le faisceau de His-Purkinje avec un
risque de trouble du rythme ventriculaire.
Par ailleurs, son activité inotrope positive est particulièrement intéressante en cas
d’insuffisance cardiaque consécutive à l’arythmie.
Le passage transplacentaire est important, de l’ordre de 60 à 100 %, mais il est
nettement diminué en cas d’anasarque (< 30 %).
La voie
intraveineuse semble préférable car elle permet d’obtenir des taux
thérapeutiques efficaces plus rapidement ; la posologie est variable
selon les différentes études, néanmoins les meilleurs résultats sont
obtenus après utilisation de fortes doses (1 à 2 mg par voie
intraveineuse), sans effet adverse maternel.
Il paraît nécessaire
d’obtenir une digoxinémie d’au moins 1 ng/mL.
Les signes de
surdosage chez la mère doivent être connus : troubles digestifs,
céphalées, vertiges, coloration en jaune de la vision et surtout
troubles de la conduction et de l’excitabilité.
L’analyse de l’efficacité de la digoxine est difficile pour plusieurs
raisons :
– les récepteurs foetaux sont moins sensibles à la digoxine et cela
justifierait parfois des doses plus élevées que celles tolérées par la
mère ;
– la présence de substances digoxine-like, de nature inconnue et
indépendante d’un traitement par digoxine, perturbe la surveillance
thérapeutique ; leur dosage maternel est un préalable nécessaire au
traitement.
+ Amiodarone :
L’amiodarone est un antiarythmique de classe III qui allonge la
durée du potentiel d’action, principalement par allongement de la
phase de repolarisation.
Dans les cellulles, elle bloquerait les canaux
sodiques lents ; il en résulte un allongement de l’espace QT et de la
durée de PR qui la rend particulièrernent efficace dans les
tachycardies jonctionnelles et les flutters.
Cette molécule possède une
action inotrope négative et provoque une vasodilatation coronaire.
Le passage placentaire de l’amiodarone maternelle est médiocre, de
l’ordre de 10 à 25 % ; la durée d’élimination est longue (demi-vie de
25 à 110 jours) avec un métabolite actif (N-déséthylamiodarone).
Il
existe des interférences cinétiques entre l’amiodarone et la digoxine
(responsable d’une élévation importante des digoxinémies
maternelles), la procaïnamide et la quinidine.
Elle est utilisée le plus
souvent en association avec la digoxine, à des doses initiales de 800
à 1 600 mg/j.
Ses effets adverses maternels (nausées, vomissements,
bloc auriculoventriculaire) et foetaux (hypothyroïdie consécutive à la surcharge
iodée) doivent rendre son utilisation très prudente.
+ Procaïnamide et quinidine :
Ce sont des antiarythmiques de la classe I qui dépriment le courant
sodique ; leur action électrophysiologique se traduit par un
allongement de la période réfractaire ainsi que du complexe QRS et
de l’espace QT ; ils bloquent la voie de conduction rétrograde.
Leurs
effets hémodynamiques sont particulièrement nets à fortes doses.
Ils
sont doués d’un effet inotrope négatif et peuvent être responsables
de troubles de la conduction.
Le passage transplacentaire de la
procaïnamide est d’environ 25 %.
Il existe un risque d’accumulation
foetale.
La posologie usuelle est de 6 mg/kg/4 h, permettant
d’obtenir un taux thérapeutique de 4 à 14 ng/mL. Les risques
d’hypotension maternelle et d’arythmie ventriculaire doivent être
pris en compte.
+ Bêtabloquant
:
Le propranolol possède des effets électrophysiologiques proches de
ceux de la digoxine : il diminue la durée du potentiel d’action,
augmente la période réfractaire auriculoventriculaire et déprime
l’automaticité du réseau de Purkinje.
Son passage transplacentaire
est d’environ 25 %. Les risques d’effets adverses anté- et périnataux
(hypoglycémie, instabilité tensionnelle, retard de croissance) en
limitent les indications.
Il est administré par voie orale à la mère, à
la dose de 100 à 800 mg/j, pour obtenir un taux sérique de 20 à
100 ng/mL.
L’association avec le vérapamil est à éviter.
Le sotalol possède une originalité par rapport aux autres
bêtabloquants, puisqu’il allonge la durée du potentiel d’action des
cellules du réseau de Purkinje (allongement de QT) ; sa
cardiosélectivité b1 en limite les effets secondaires. Son passage
transplacentaire est d’environ 45 %.
Il est utilisé per os à des doses variant de 160 à
320 mg/j.
+ Vérapamil :
Il s’agit d’un inhibiteur calcique dont l’action électrophysiologique
se traduit par un allongement des espaces PR et auriculohissien, et
par une prolongation des périodes réfractaires.
Une action
vasodilatatrice coronaire et un effet cardiodépresseur marqué sont
également décrits.
Il possède un métabolite actif, le norvérapamil.
De nombreux succès ont été rapportés dans les tachyarythmies
foetales (TAF), même avec anasarque, en association avec la digoxine, à la posologie de 80 à 120 mg toutes les 6 à 8 heures ; le
taux thérapeutique maternel est d’environ 50 à 100 ng/mL.
Il est
souvent utilisé en association avec la digoxine, dont il augmente le
taux sérique ; l’association avec le propranolol doit être évitée car
les deux ont un effet dépresseur myocardique.
Son effet inotrope
négatif doit faire proscrire la voie intraveineuse ou l’injection
intravasculaire foetale.
L’association avec le propranolol est à proscrire.
+ Flécaïnide :
Le flécaïnide est un antiarythmique de la classe Ic qui ralentit la
conduction et prolonge le QRS ; la conduction est également
allongée dans les faisceaux accessoires.
Le flécaïnide possède un effet
inotrope négatif et proarythmique, qui semble en fait limité (< 1 %)
si la posologie reste inférieure à 200 mg/m2/j et si les doses sont
augmentées progressivement.
Son efficacité sur les tachycardies supraventriculaires est très bonne (de 75 à 100 %).
En revanche, son
utilisation en cas de flutter doit être très prudente en raison de
risques de ralentissement et de passage en tachycardie ventriculaire ;
ces recommandations sont également applicables en cas d’anomalie
structurale cardiaque.
L’absorption digestive est presque complète.
Le médicament est fortement métabolisé.
La diffusion placentaire et
foetale est satisfaisante (de 70 à 83 %) ; le médicament s’accumule
dans le liquide amniotique.
Les métabolites n’ont pas d’effet antiarythmique.
La dose utilisée varie de 100 à 300 mg en deux
prises par voie orale.
* Stratégies thérapeutiques :
Depuis le premier succès de traitement in utero par digoxine,
presque toutes les drogues antiarythmiques connues ont été
essayées, seules ou le plus souvent associées à la digoxine.
L’objectif est d’éviter la survenue d’une anasarque foetale, d’une
mort in utero ou d’une naissance prématurée avec défaillance
cardiaque.
Mais l’histoire naturelle ou l’évolution sous traitement
reste problématique, une régression spontanée pouvant être
observée, même chez des foetus en anasarque, et des accès
intermittents de tachycardie foetale pouvant aboutir à une
décompensation.
De plus, tous les médicaments antiarythmiques
utilisés ont entraîné des complications maternelles ou foetales.
+ Décision de traitement :
Ainsi, la décision de mise en route d’un traitement médicamenteux
doit être bien pesée et prendre en compte l’âge gestationnel, le type
de tachycardie et la tolérance hémodynamique.
La stratégie
thérapeutique habituelle est de traiter tous les foetus avec
tachycardie intermittente ou permanente, avec ou sans défaillance
cardiaque, lorsque la tachycardie foetale survient à un terme
exposant à la prématurité.
D’autres protocoles en cours d’étude ne
proposent l’intervention thérapeutique qu’en cas de défaillance
cardiaque.
À partir de 35 semaines, la tolérance du traitement antiarythmique
est bonne, mais la survenue d’une anasarque peut conduire à
envisager le déclenchement de l’accouchement.
Deux principes thérapeutiques, non exclusifs, se dégagent des
données de la littérature : le traitement par voie transplacentaire, le
plus habituel, et la thérapeutique foetale directe, qui reste
exceptionnelle.
– Traitement de première intention
Le choix du premier médicament antiarythmique est un compromis
entre le risque iatrogène, pour la mère et le foetus, et l’efficacité
thérapeutique.
La digoxine est le médicament le plus employé, mais avec des
réponses au traitement à des posologies et à des taux sériques
variables.
Les données de pharmacocinétique maternelle et foetale
font préférer la voie intraveineuse et les fortes doses pour obtenir
un bon passage transplacentaire, surtout en cas d’anasarque.
La digoxine est le traitement de la phase initiale.
L’administration
maternelle intraveineuse semble préférable (1 mg/12 heures le
premier jour, puis 0,5 mg/12 heures).
Ensuite, il est nécessaire
d’ajuster la dose en fonction du taux résiduel de digoxine
(< 3 ng/mL) et de l’électrocardiogramme maternel.
L’efficacité du traitement doit être rapide.
En cas d’échec après
5 jours, la prise en charge thérapeutique doit être modifiée.
La réduction du trouble du rythme est obtenue dans 40 % des cas.
La réponse thérapeutique est déterminante pour la phase
d’entretien.
Le contrôle du trouble du rythme foetal permet d’envisager de
passer au traitement oral maternel.
Le traitement doit être poursuivi
jusqu’à l’accouchement.
La persistance d’accès intermittents ou
permanents, ou la survenue d’une défaillance cardiaque, imposent
une association médicamenteuse.
– Traitement de deuxième intention par association
médicamenteuse
L’association d’un second antiarythmique permet une normalisation
dans 80 % des cas.
L’amiodarone a été fréquemment utilisée en France, mais son
utilisation est plus limitée aux États-Unis en raison de sa toxicité
thyroïdienne.
Les complications suivantes peuvent survenir : 21 %
de retard de croissance intra-utérin, 12 % de prématurité, 9 %
d’hypothyroïdie, 9 % d’allongement de QT persistant en période
néonatale et 3 % de décès in utero ; dans 53 %, aucune complication
n’est rapportée.
Dans les neuf observations de traitement par amiodarone (200 mg/j per os) pour indication maternelle décrites
par Matsumura et al, une seule est compliquée d’hypothyroïdie
néonatale.
Plusieurs auteurs soulignent qu’il est préférable de
restreindre les indications de l’amiodarone aux formes les plus
sévères résistant aux autres traitements ou s’accompagnant de
décompensation oedématoascitique importante avec risque de mort
foetale.
Par ailleurs, le traitement ne doit pas être prolongé audelà
de 6 semaines et avec si possible des posologies basses (de 200
à 400 mg/j).
À l’heure actuelle, la mise à disposition du flécaïnide a modifié
l’abord thérapeutique.
Ce médicament est utilisé en deuxième
intention après échec de la digoxine ou d’emblée en première
intention.
Les séries publiées rapportent un taux de succès élevé,
le plus souvent rapide (travail inférieur à 48 heures) ; néanmoins,
les données pharmacologiques et toxiques sont encore insuffisantes
pour justifier d’un traitement en première ligne.
Ce médicament est recommandé en association à la digoxine après
échec de celle-ci.
On prescrit une dose de charge de 150 mg répartie en deux prises,
puis on augmente si nécessaire par paliers de 50 mg jusqu’à
300 mg/j au maximum, sous couvert d’une surveillance régulière
des taux sériques maternels, d’un électrocardiogramme quotidien au
début du traitement et d’une échocardiographie maternelle après
quelques jours de traitement.
Le traitement par digoxine est
maintenu pour utiliser son effet inotrope et limiter les effets
proarythmiques auriculaires du flécaïnide.
Les doses de digoxine
sont réduites et ajustées en fonction des taux résiduels maternels.
Le
rapport sérique foetus/mère varie de 0,55 à 0,83 (détermination par
ponction de sang foetal ou le plus souvent en postnatal immédiat).
L’utilisation prolongée du flécaïnide (indication maternelle) est bien
tolérée par le foetus ; le passage dans le lait de femme est
démontré.
L’encaïnide a pu être utilisé avec un succès partiel
dans un cas de tachycardie supraventriculaire résistant à la digoxine
seule.
En cas d’efficacité de l’association thérapeutique, le taux de récidive
à l’arrêt du flécaïnide reste important et, même si ces rechutes
répondent favorablement à la reprise du traitement, il semble
préférable de poursuivre l’association.
Les observations de traitement in utero par procaïnamide ou
quinidine sont en nombre réduit.
Des effets secondaires
maternels liés à un métabolite actif de la quinidine ont été décrits,
alors que le taux sérique maternel était dans la zone
thérapeutique.
L’arrivée des nouveaux agents antiarythmiques a
limité les indications de ces drogues.
L’association digoxine-propranolol est décevante.
Le sotalol donne
de meilleurs résultats, sans complication, ni foetale, ni néonatale.
L’emploi des bêtabloquants reste très limité.
Il est toujours associé à la digoxine et employé après échec de celle-ci
dans des cas d’anasarque importante, avec une bonne efficacité ; le
contrôle du trouble du rythme est cependant plus long à obtenir.
Deux cas de toxicité foetale viennent tempérer ces bons résultats : un
cas d’asystolie secondaire à une injection intravasculaire foetale ; un
décès in utero, après retour en rythme sinusal et disparition de
l’anasarque, probablement lié à un trouble de conduction secondaire
à l’association digoxine-vérapamil administrée à la mère.
– Traitements par abord direct du foetus
Le transfert transplacentaire passif de la digoxine ou des autres
antiarythmiques est réduit en cas d’anasarque, du fait de la forte
pression hydrostatique intravasculaire, de l’oedème placentaire et de
l’accroissement de l’espace de diffusion.
Le traitement par abord
direct du foetus offre dans ces cas une approche thérapeutique
intéressante.
Dans la série de Hansmann et al, 13 foetus en anasarque sévère
malgré le traitement transplacentaire par digoxine reçoivent une
association de digoxine, de vérapamil et d’amiodarone en injection
intravasculaire dans la veine ombilicale.
La ponction de sang foetal
initiale confirme une digoxinémie foetale basse, alors que le contrôle
effectué après résolution de l’anasarque montre un passage
placentaire plus important.
D’autres cas documentent l’intérêt de la
ponction de sang foetal dans l’évaluation et le traitement des
tachycardies supraventriculaires ne répondant pas au traitement
transplacentaire.
Plusieurs types d’abord foetal
sont décrits (injections intrapéritonéales, intramusculaires,
intravasculaires), ainsi que l’utilisation de drogues variées.
Le
principal intérêt est de permettre une correction du trouble du
rythme et du syndrome oedématoascitique qui assure une meilleure
efficacité du traitement transplacentaire ; l’indication de ce type de
traitement doit être réservée aux foetus à haut risque de mort in
utero et doit prendre en compte le caractère douloureux et le risque
de lésion organique lié à la répétition des ponctions foetales.
Ce
traitement ne peut être recommandé en routine.
+ Surveillance et poursuite du traitement :
Quel que soit le traitement employé, il faut toujours après guérison
instaurer une surveillance jusqu’au terme et après la naissance ; le
traitement antiarythmique est le plus souvent poursuivi après la
naissance avec le médicament qui s’est montré le plus efficace.