Les maladies génétiques de l’hémoglobine sont classées
en 2 grandes catégories : les thalassémies, et les hémoglobinopathies
dont la forme la plus répandue est la
drépanocytose.
Structure et organisation des gènes
de l’hémoglobine
:
Le chromosome 16 porte 2 gènes
alpha-globine dénommés
respectivement, de 5’ en 3’, alpha2-globine et alpha1-globine.
Ces gènes sont composés de 3 exons et de 2 introns.
Chacun des 4 gènes
alpha-globine code environ 25 % des
chaînes alpha-globine synthétisées dans l’érythroblaste.
Chaque chromosome 11 porte les gènes « non
alpha-globine ».
On distingue, de 5’ en 3’, un gène g dupliqué (Gg et Ag),
un gène d, et un gène b. Dans l’érythroblaste normal, il
y a toujours un équilibre de synthèse parfait entre les
chaînes alpha-globine et les chaînes « non alpha-globine ».
Formules moléculaires
et commutation des hémoglobines :
L’hémoglobine foetale (HbF) est composée de 2 chaînes
a et 2 chaînes g (a2g2) ; cette hémoglobine est majoritaire
pendant la vie foetale et à la naissance où son taux est voisin
de 85 %.
Dans le globule rouge normal adulte, il existe
moins de 1 % d’hémoglobine foetale avec 97 à 98 %
d’hémoglobine A (HbA) faite de 2 chaînes a et 2 chaînes
b (a2b2) et 2 à 3 % d’hémoglobine A2, (HbA2) faites de 2
chaînes a et de 2 chaînes d (a2d2).
Le passage de l’hémoglobine
foetale à l’hémoglobine A (commutation des
hémoglobines) est progressif et se fait de la fin
de la vie foetale jusqu’à l’âge de 6 à 12 mois.
Thalassémies
:
A - Définition – Épidémiologie – Génétique
:
Les thalassémies sont définies par une diminution de
synthèse des chaînes de globine.
Elles sont désignées par
la chaîne de globine déficiente : bêta-thalassémie, alpha-thalassémie.
Les bêta-thalassémies sont répandues du bassin
méditerranéen au Sud-Est asiatique et les alpha-thalassémies
sont particulièrement fréquentes dans le Sud-Est asiatique.
Les syndromes thalassémiques sont transmis génétiquement
selon le mode mendélien autosomique.
B - Bêta-thalassémies
:
1- Physiopathologie des lésions moléculaires :
Les mutations naturelles se traduisant par un défaut de
synthèse de la chaîne bêta-globine sont très nombreuses
(plus de 100 actuellement).
La classification retenue
considère l’étape finale de la synthèse protéique selon
qu’il persiste (bêta+-thalassémie) ou pas (bêta0-thalassémie)
une production de chaînes bêta-globine.
• Bêta0-thalassémies : les formes délétionnelles de
bêta-thalassémie
sont rares, à l’exception de celle qui affecte un
groupe ethnique du sous-continent indien et qui correspond
à la délétion de 0,6 kb amputant une partie 3’ du
gène b.
Les 3 autres défauts moléculaires les plus courants
se traduisant par une absence de synthèse de
chaînes bêta-globine, sont les suivants :
– la mutation d’une base créant un codon non-sens
provoque l’apparition d’un signal stop au niveau de la
synthèse protéique ;
– les délétions ou insertions mineures de 1, 2, 3 ou 4
nucléotides créant un décalage du cadre de lecture provoquent
l’apparition d’un codon non-sens plus en aval
avec une synthèse protéique avortée ;
– les mutations des jonctions exon-intron sont responsables
d’une bêta0-thalassémie quand elles touchent les
séquences consensus obligatoires, GT en 5’ et AG en 3’
de l’intron, en empêchant de ce fait un épissage normal.
• bêta+-thalassémies : 2 types principaux de lésions moléculaires
peuvent se traduire par un défaut partiel de synthèse
de chaînes bêta-globine :
– les processus anormaux de maturation des ARN messagers
sont les mécanismes les plus fréquents.
La forme
la plus habituelle est une mutation dans l’intron 1 en
position 110.
Cette mutation crée un site dinucléotidique
AG utilisé pour l’épissage et produit un ARN messager
anormal rapidement détruit.
À côté de cet ARN
messager non fonctionnel, il y a production d’une quantité
diminuée d’un ARN messager normal pour la synthèse
d’une chaîne bêta-globine ;
– la diminution quantitative de la transcription est responsable
d’un défaut de production de l’ARN messager.
Elle est due à des mutations survenant dans les
séquences flanquantes en 5’ correspondant aux régions
promotrices d’interaction entre le gène bêta-globine et les
protéines du complexe d’initiation de la transcription
avec l’ADN polymérase.
2- Physiopathologie des principaux signes
hématologiques :
• bêta-thalassémie hétérozygote : la diminution de la synthèse
de la chaîne b d’hémoglobine entraîne une réduction
de la quantité d’hémoglobine contenue dans chaque
hématie et explique la microcytose (diminution du volume
globulaire moyen), la diminution de la teneur corpusculaire
moyenne en hémoglobine (TCMH) et la
réduction de la concentration corpusculaire moyenne en
hémoglobine (CCMH).
On observe une pseudopolyglobulie
avec 5 à 7 millions d’hématies/mm3 sans anémie.
La réticulocytose est normale ou un peu augmentée.
Il
existe une élévation du taux de l’HbA2 (> 3,5 %).
• bêta-thalassémie homozygote :
– anémie : c’est au cours des premiers mois, lors de la
commutation des hémoglobines, que le déficit de synthèse
en chaînes b entraîne une augmentation relative
des chaînes a au sein de l’érythroblaste qui précipitent
sous la forme d’inclusions (corps de Fessas) toxiques
pour les membranes cellulaires et nucléaires.
La lésion
de ces membranes est responsable d’une destruction de
l’érythroblaste dans la moelle.
L’érythropoïèse inefficace
qui en résulte est le principal mécanisme de l’anémie
dans la bêta-thalassémie homozygote.
Certains érythroblastes,
notamment ceux qui synthétisent l’hémoglobine
foetale, parviennent à donner naissance à un réticulocyte,
puis à un globule rouge qui passe dans le sang périphérique.
L’hématie circulante, appauvrie en hémoglobine
(hypochromie), déformée (poïkilocytose), a une
demi-vie raccourcie et rend compte du deuxième mécanisme
de l’anémie : l’hyperhémolyse.
La plupart des
érythroblastes étant détruits dans la moelle, l’anémie est
peu régénérative, moins que ne le voudrait le taux d’hémoglobine
si la moelle fonctionnait correctement ;
– déformations morphologiques et hypertrophie de la
lignée érythroblastique : l’anémie profonde de la bêta-thalassémie
homozygote induit une augmentation de la
sécrétion d’érythropoïétine dont le rôle est de favoriser la
différenciation et la multiplication des cellules souches
hématopoïétiques vers le compartiment érythroblastique.
Il résulte de cette stimulation hormonale une inflation
importante du secteur érythroblastique médullaire.
Cette
expansion est à l’origine de la déformation des os qui
fabriquent le sang chez l’enfant : crâne, régions malaires,
maxillaires, extrémités des os longs principalement.
L’expansion érythroblastique s’exprime aussi dans le
sang périphérique, l’érythroblastose circulante pouvant
atteindre 50 à 100 000 éléments nucléés/mm3 ;
– splénomégalie et hépatomégalie ; hypersplénisme : la
splénomégalie et l’hépatomégalie apparaissent dans les
premiers mois de vie et sont responsables du gros ventre
des enfants atteints de thalassémie majeure.
Le mécanisme
de la splénomégalie est complexe : l’hyperhémolyse
et l’hyperplasie du système des phagocytes mononucléés
(anciennement système réticulo-endothélial),
l’érythropoïèse ectopique et la circulation anormale des
cellules thalassémiques engorgeant la rate sont les principales
causes de l’hypertrophie splénique.
L’hypersplénisme est un état hématologique caractérisé
par une grosse rate associée à une anémie et (ou) une
leucopénie et (ou) une thrombopénie, et par la disparition
des signes de cytopénie périphérique après splénectomie.
Chez les patients thalassémiques, la leucopénie et
la thrombopénie ne sont observées aujourd’hui que chez
les malades insuffisamment transfusés.
Chez les
malades correctement traités, c’est l’augmentation régulière
des besoins transfusionnels mesurés chaque année
en mL/kg de poids/an qui témoigne de l’hypersplénisme.
Un patient régulièrement transfusé, dont les besoins
transfusionnels dépassent 200 mL/kg/an, est atteint d’un
hypersplénisme et doit être splénectomisé ;
– surcharge en fer : elle est constante dans la
bêta-thalassémie
homozygote.
Deux mécanismes en sont responsables :
l’hyperabsorption digestive du fer et la transfusion sanguine.
Puisqu’un malade atteint de thalassémie homozygote
reçoit 150 à 200 mL/kg de poids de concentrés globulaires,
il accumule 0,75 à 1 g de fer/kg de poids en 10 à
12 ans.
Ce fer se répartit dans l’organisme et altère certains
tissus.
Le principal organe cible de la surcharge en
fer est le myocarde.
Le foie est toujours surchargé en fer.
Le parenchyme des glandes endocrines constitue une
autre cible tissulaire de la surcharge en fer post-transfusionnelle,
l’infiltration martiale de la thyroïde, des parathyroïdes,
des cellules b des îlots de Langerhans, des
gonades, de l’hypophyse et de l’hypothalamus étant responsables
respectivement d’hypothyroïdie, d’hypoparathyroïdie,
de diabète sucré et d’insuffisance gonadotrope.
3- Diagnostic de la bêta-thalassémie :
• bêta-thalassémie hétérozygote : les sujets sont bien portants.
Le diagnostic biologique repose sur les signes suivants
: microcytose sans anémie ou avec une anémie
modérée entre 10-12 g/dL et augmentation du taux de
l’HbA2 au-delà de 3,5 %.
• bêta-thalassémie homozygote : les formes cliniques
dépendantes de la transfusion sanguine définissent
l’anémie de Cooley (ou thalassémie majeure).
Les
signes cliniques apparaissent dans les premiers mois de
vie chez le nourrisson.
La pâleur est constante, associée
parfois à un ictère.
L’hépatosplénomégalie se développe
progressivement, pouvant acquérir un volume considérable et déformer l’abdomen.
L’hyperplasie des os de la
face confère aux enfants un aspect disgracieux : les
régions malaires sont élargies, la base du nez aplatie ; il
existe un hypertélorisme et une protrusion du maxillaire
supérieur.
Le traitement transfusionnel maintenant le taux
d’hémoglobine moyen autour de 12 g/dL évite l’apparition
de ces signes cliniques.
L’hémogramme montre une
anémie souvent inférieure à 7 g/dL, microcytaire ou normocytaire,
hypochrome (TGMH < 26 pg par cellule et
CCMH < 33 g/dL) avec une anisocytose et une poïkilocytose.
L’érythroblastose sanguine est habituelle.
La moelle
est riche et très érythroblastique.
L’électrophorèse de l’hémoglobine
permet le diagnostic de la bêta-thalassémie : le
pourcentage d’HbF est constamment augmenté, le taux
d’HbA dépend de la synthèse résiduelle de chaînes b dans
les bêta+-thalassémies, il est nul dans les b0 thalassémies.
Le
pourcentage d’HbA2 est normal ou parfois élevé.
Le diagnostic génotypique des lésions moléculaires
responsables de la bêta-thalassémie est établi par les
méthodes de la biologie moléculaire.
Si cette identification
n’est pas indispensable pour le diagnostic clinique,
elle est en revanche nécessaire lorsqu’un diagnostic prénatal
est envisagé.
C - Alpha-thalassémies
:
1- Physiopathologie des lésions moléculaires :
Dans la majorité des cas, la lésion moléculaire responsable
d’une alpha-thalassémie est une délétion.
Puisqu’il
existe 4 gènes alpha-globine, on observe 4 types d’alpha-thalassémie.
• alpha+-thalassémies : elles sont le résultat d’un crossingover
inégal entre des régions homologues et dupliquées
des gènes alpha-globine.
Les alpha+-thalassémies sont plus rarement
dues à des mutations ponctuelles.
• a0-thalassémies : l’absence d’expression des 2 gènes
a contigus sur le même chromosome correspond à alpha-thalassémie hétérozygote.
Ces thalassémies sont
dues à des délétions qui emportent la totalité des gènes
a en cis et qui s’étendent de part et d’autre du locus a
sur une longueur variable allant de 5,2 à 62 kb.
La plus
fréquente est la délétion asiatique (– –SEA).
2- Physiopathologie des principaux signes
hématologiques :
• Délétion d’un gène
alpha-globine : il n’y a pas de traduction
clinique, hématimétrique ou électrophorétique de la
délétion d’un gène alpha-globine.
• Délétion de 2 gènes
alpha-globine : le défaut de synthèse
de l’hémoglobine résultant de la délétion de 2 gènes a
explique la microcytose (VGM diminué), l’hypochromie,
la diminution de la TCMH et la réduction de la CCMH.
• Délétion de 3 gènes
alpha-globine (hémoglobinose H) :
– l’anémie est présente dès la naissance, microcytaire
et hypochrome.
Le taux d’hémoglobine est voisin de
7 à 8 g/dL.
Pendant la vie foetale, à la naissance et dans
les premières semaines de vie, les chaînes g en excès
relatif se tétramérisent pour donner une molécule
d’hémoglobine appelée hémoglobine Bart’s.
Plus tard,
lorsque la commutation des hémoglobines est achevée,
l’excès relatif de chaînes b se tétramérise pour donner
l’hémoglobine H.
Le taux d’hémoglobine Bart’s à la
naissance est voisin de 20 à 30 % ; chez les patients
plus âgés, celui de l’hémoglobine H varie de 3 à 30 %
selon les cas.
Dans la moelle, il existe une hypertrophie
de la lignée érythroblastique avec un certain degré
d’érythropoïèse inefficace.
Les hématies circulantes
sont anormales et ont une demi-vie raccourcie. Ainsi,
l’anémie a un double mécanisme, mais l’hyperhémolyse
domine sur l’érythropoïèse inefficace ;
– le mécanisme des déformations squelettiques est semblable
à celui de la bêta-thalassémie ;
– les mécanismes responsables de l’hépatomégalie, de
la splénomégalie et de l’hypersplénisme sont identiques
à ceux qui ont été décrits dans la bêta-thalassémie ;
– les deux mécanismes responsables de la surcharge en
fer dans les alpha-thalassémies sont l’hyperabsorption
digestive du fer et la transfusion sanguine, comme dans
la bêta-thalassémie.
• Délétion des 4 gènes
alpha-globine (hydrops fetalis) :
l’anémie apparaît pendant la période foetale. Elle est
intense et se complique d’anasarque foeto-placentaire.
La maladie est incompatible avec la vie et le décès
survient in utero ou juste après la naissance.
Si le sang
de l’enfant peut être prélevé avant qu’il ne meure, l’électrophorèse
note la présence d’hémoglobine Bart’s (au
moins 80 %) et d’hémoglobine H (environ 10 %) sans HbA ni HbF.
Chez la mère, l’évolution vers la
toxémie avec son risque mortel est fréquente.
Le risque
d’hydrops fetalis justifie le diagnostic prénatal dans
les alpha-thalassémies.
3- Diagnostic des alpha-thalassémies :
• Délétion de 1 ou 2 gènes
alpha-globine : il n’y a pas de
symptomatologie clinique de la délétion de 1 ou de 2
gènes alpha-globine.
En cas de délétion de 1 gène
alpha-globine,
l’hémogramme est normal ; le taux d’HbA2, peut être
abaissé. La biologie moléculaire montre une alpha+-thalassémie
hétérozygote.
En cas de délétion de 2 gènes
alpha-globine, il existe une microcytose aux alentours de 70 fl
sans anémie ou avec une anémie modérée entre 10 et 13 g/dL d’hémoglobine.
Le taux d’HbA2 est diminué.
La
présence d’hémoglobine Bart’s à la naissance est transitoire.
La biologie moléculaire fait le diagnostic entre une alpha+-thalassémie homozygote et une a0-thalassémie hétérozygote.
• Délétion de 3 gènes
alpha-globine (hémoglobinose H) :
l’hémoglobinose H est caractérisée par une anémie
hémolytique chronique par des déformations morphologiques
de type thalassémique, mais atténuées.
L’évolution clinique est celle d’une thalassémie modérée,
et les enfants atteignent l’âge adulte en règle générale.
La complication la plus fréquente est la splénomégalie
avec ses risques d’hypersplénisme ; les autres sont
l’aggravation de l’anémie due à une infection surajoutée
ou une prise médicamenteuse, les ulcères de jambe,
les complications habituelles de l’hémolyse comme
la lithiase biliaire et le déficit en acide folique.
L’hémoglobinose H est caractérisée par une anémie
hémolytique d’intensité modérée (7 à 9 g/dL).
L’anémie
est microcytaire, hypochrome avec des hématies ponctuées.
La précipitation de l’hémoglobine H dans les
hématies apparaît sous la forme de corps de Heinz, mais
uniquement chez les malades splénectomisés.
L’électrophorèse
de l’hémoglobine met en évidence l’hémoglobine
H.
La biologie moléculaire établit le diagnostic
génotypique.
• Délétion des 4 gènes
alpha-globine (hydrops fetalis ) :
l’abolition complète de l’expression des 4 gènes alpha-globine
n’est pas compatible avec la vie.
Le décès survient
in utero ou juste après la naissance dans un tableau
d’anasarque foeto-placentaire.
L’anémie est intense à moins de 6 g/dL d’hémoglobine
avec un volume globulaire moyen de 110-120 fl.
À
l’électrophorèse, on note la présence d’hémoglobine
Bart’s, d’hémoglobine H et d’hémoglobine embryonnaire
de type Portland, sans hémoglobines A et F.
Drépanocytose
:
A - Définition – Épidémiologie
:
La drépanocytose est une maladie génétique de l’hémoglobine
due à la mutation du 6e codon de la chaîne b
globine (b6 Glu Val).
Cette affection est fréquente
en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud, dans les
Antilles, dans les pays du Maghreb, en Sicile, en Grèce,
dans tout le Moyen-Orient, et on la rencontre aux Indes.
Depuis quelques décennies, la drépanoctyose est également
présente en Europe de l’ouest.
B - Génétique :
La drépanocytose est une affection transmise selon le
mode mendélien récessif autosomique.
Les sujets hétérozygotes
sont dits AS et les homozygotes dits SS.
Il existe d’autres anomalies de l’hémoglobine pouvant
s’associer à la drépanocytose : l’hémoglobine C et la bêta-thalassémie, des anomalies génétiques de l’hémoglobine qui se transmettent également sur le mode autosomique
récessif.
Lorsque ces anomalies s’associent,
elles donnent naissance à des hétérozygotes composites SC ou Sb thalassémiques.
La drépanocytose homozygote
et les hétérozygotes composites SC et Sb thalassémiques
sont regroupées dans le cadre des syndromes
drépanocytaires majeurs.
C - Physiopathologie moléculaire, cellulaire
et vasculaire de la drépanocytose :
1- Polymérisation des molécules d’hémoglobine
drépanocytaire :
Dans l’hémoglobine drépanocytaire S, le remplacement
d’un acide glutamique par une valine en position b6
à la surface de la molécule provoque une série de
modifications structurales qui rendent compte de la
diminution de sa solubilité, et de la polymérisation de sa
forme déoxygénée.
La polymérisation s’observe in vitro
dans des solutions d’hémoglobine concentrées, ainsi
que in vivo dans le globule rouge.
Cette polymérisation
aboutit à la formation d’un gel.
Il a été montré in vitro
que la formation du gel par les molécules de déoxyhémoglobine
S n’était pas un phénomène instantané,
mais qu’elle était précédée d’une période de latence
d’une durée variable, allant de la milliseconde à plusieurs
minutes.
Des facteurs physicochimiques favorisent
la polymérisation et la formation du gel : augmentation
de la température, abaissement du pH et augmentation
de la concentration ionique.
La concentration en hémoglobine est un facteur essentiel
influençant la polymérisation des molécules de déoxyhémoglobine S.
C’est pour cette raison que les
alpha-thalassémies, souvent associées à la drépanocytose,
ont un effet défavorable sur 1a polymérisation puisqu’elles
diminuent la concentration en hémoglobine
intraérythrocytaire.
L’hémoglobine F est un autre facteur biologique important
à considérer car cette molécule ne copolymérise pas
avec l’hémoglobine S.
L’effet inhibiteur de l’hémoglobine
F sur la polymérisation se manifeste dès le stade
initial de la formation du polymère ; ainsi, à titre
d’exemple, une augmentation du pourcentage d’hémoglobine
foetale passant de 10 à 25 % de l’hémoglobine
totale multiplie par 100 le temps de latence in vitro.
2- La polymérisation déforme la cellule :
Dans le globule rouge normal, l’hémoglobine est à une
concentration voisine de 33 g/dL, qui correspond à la
valeur de la CCHM.
La polymérisation des molécules
d’hémoglobine S dans leur configuration déoxygénée
provoque la formation intracellulaire de longues fibres
allongées.
La formation de ces fibres intracellulaires
entraîne une modification de forme du globule rouge qui
acquiert un aspect en faux : le drépanocyte.
Les cellules falciformées sont hétérogènes, tant en ce
qui concerne leur aspect morphologique que leur densité.
Le pourcentage des cellules denses (d > 1,120) est faible, voire nul chez le sujet normal ; il est plus ou
moins élevé chez le sujet drépanocytaire.
Les cellules
les plus denses contiennent les drépanocytes, qui, après
avoir subi plusieurs cycles de falciformation, sont
déformés de façon définitive.
En effet, le phénomène
de falciformation-défalciformation est réversible pendant
plusieurs cycles jusqu’à la fixation définitive de la
cellule sous la forme d’un drépanocyte irréversible.
Les
drépanocytes irréversibles sont des cellules dans lesquelles
on note des concentrations d’hémoglobine supérieures
à 40 g/dL.
3- Conséquences rhéologiques
de la falciformation :
Les principales anomalies rhéologiques caractérisant la
drépanocytose sont une augmentation constante de la
viscosité et une diminution de la déformabilité cellulaire.
Ces deux phénomènes sont très dépendants de l’hématocrite
et d’autant plus nets qu’il est élevé.
L’hématocrite
bas (20-25 %) observé chez les drépanocytaires homozygotes
atténue l’effet de ces anomalies.
4- Anomalies de la microcirculation dans la
drépanocytose : adhérence des globules rouges
drépanocytaires à l’endothélium vasculaire
L’adhérence des cellules drépanocytaires à l’endothélium
vasculaire a été démontrée initialement in vitro
dans un système de culture de cellules endothéliales
provenant de veines ombilicales et d’aorte de boeuf.
Cette observation initiale a ensuite été confirmée dans
d’autres systèmes expérimentaux et notamment dans
des expériences de perfusion de mésocæcum de rats et
de chambres endothélialisées.
Le phénomène d’adhérence des cellules drépanocytaires
à l’endothélium est dépendant des caractéristiques du
flux sanguin.
Dans des conditions de flux laminaire,
l’adhérence cellulaire est très limitée, voire inexistante,
à l’inverse de ce qui se passe dans les zones de flux turbulent
de certaines zones de la circulation capillaire.
L’adhérence la plus importante est observée dans les
vaisseaux de 7 à 10 µm de diamètre.
L’adhérence des globules rouges drépanocytaires à
l’endothélium provoque un ralentissement circulatoire et
induit la falciformation et la vaso-occlusion.
Les molécules
protéiques intervenant dans les phénomènes
d’adhérence ont été identifiées, au moins pour certaines
d’entre elles.
Elles concernent essentiellement des cellules
jeunes, réticulocytaires, et impliquent les molécules
proadhésives telles que l’intégrine VLA-4 et la glycoprotéine
CD36.
Les partenaires à la surface de l’endothélium
sont également CD36 et, après activation de ces
cellules, la protéine VCAM-1.
L’interaction VLA-4
VCAM-1 est directe, tandis que celle qui concerne les
2 molécules CD36 sur le globule rouge et l’endothélium
fait intervenir un pontage par la thrombospondine plasmatique.
D’autres mécanismes d’interaction ne sont pas
exclus, mais ne sont pas encore identifiés.
5- Anomalies vasculaires artérielles
dans la drépanocytose :
Certaines complications neurologiques de la drépanocytose
sont attribuées à une obstruction plus ou moins complète
des artères irriguant le cerveau : les carotides, les
cérébrales antérieures et les vertébrales.
Il s’agit d’occlusion
partielle ou totale de la lumière des vaisseaux avec
des aspects de « moya-moya » (réseaux de suppléance)
chez certains malades.
Des études histologiques ont montré
que le rétrécissement ou l’occlusion de ces vaisseaux
étaient dus à une hyperplasie de l’intima comportant une
prolifération des cellules musculaires lisses et des fibroblastes,
associée à une destruction partielle de la lamina
élastique interne et à des foyers de fibrose de la média.
Des anomalies artérielles dues à une hyperplasie de l’intima
ont aussi été décrites dans les vaisseaux spléniques,
les artères pulmonaires, les artères rénales, les artérioles
des tissus entourant les ulcères de jambe, et surtout les
artérioles de la rétine dont l’occlusion est considérée
comme étant à l’origine de la rétinopathie drépanocytaire.
D - Physiopathologie des principaux signes
cliniques de la drépanocytose
:
Les principaux signes cliniques de la maladie drépanocytaire
sont l’anémie et les complications aiguës ou
chroniques dues à la vaso-occlusion.
1- Physiopathologie de l’anémie :
Les conséquences directes de la polymérisation des molécules
d’hémoglobine S dans la drépanocytose sont la déformation
et la fragilisation du globule rouge, cette dernière
expliquant l’anémie hémolytique.
Le taux moyen d’hémoglobine
chez les patients drépanocytaires homozygotes est
entre 6 et 10 g/dL, avec un pourcentage de réticulocytes de
5 à 15 %.
Ce taux d’hémoglobine permet une fourniture
tissulaire en oxygène proche de la normale, en raison de
l’augmentation de la dynamique circulatoire et d’une diminution
de l’affinité de l’hémoglobine drépanocytaire pour
l’oxygène.
L’augmentation de la production médullaire
requiert une supplémentation des apports en acide folique
pour éviter le développement d’une anémie mégaloblastique.
L’hyperhémolyse se traduit cliniquement par un
ictère à bilirubine libre qui s’observe avec une prévalence
d’autant plus élevée que les sujets sont plus âgés.
Le flux de
bilirubine dans les voies biliaires contribue à la formation
d’une lithiase biliaire pigmentaire qui est constatée chez
30 % des malades avant vingt ans.
Plusieurs mécanismes
peuvent aggraver l’anémie : toute situation inflammatoire
ralentit la production érythrocytaire médullaire, comme
l’illustre la diminution de la réticulocytose ; les carences en folates secondaires à l’anémie hémolytique ; les déficits en
fer ; les crises d’érythroblastopénie, le plus souvent imputables
au parvovirus B19, survenant fréquemment dans
l’enfance ; le syndrome de séquestration splénique, dû à
une séquestration rapide d’une grande partie de la masse
globulaire dans la rate, symptôme fréquent qui se traduit
par une anémie aiguë chez le petit enfant.
2- Physiopathologie de la vaso-occlusion :
On désigne sous le terme de vaso-occlusion les conséquences
du défaut de perfusion des tissus de l’organisme
résultant de l’ensemble des phénomènes moléculaires,
cellulaires et vasculaires décrits ci-dessus.
Le caractère
rapide ou progressif de l’anomalie de la circulation est à
l’origine de complications aiguës ou chroniques.
Les
complications sont différentes selon les territoires vasculaires
intéressés, microcirculation, artère ou veine.
• Physiopathologie de la crise osseuse douloureuse : le
ralentissement ou l’arrêt de la vascularisation des os est
à l’origine d’un infarctus osseux provoquant la douleur.
Le phénomène peut être dû à la séquence des événements,
adhésion des globules rouges drépanocytaires à
l’endothélium, engorgement de la lumière vasculaire,
ralentissement circulatoire.
On admet aussi qu’il peut
être initié par un réflexe neurovasculaire provoqué par le
froid, l’effort, le stress, etc., qui expliquerait le caractère
multifocal de certaines crises douloureuses.
• Physiopathologie des infections : la sensibilité aux
infections ne répond pas aux mêmes mécanismes selon
les types d’infections et les germes en cause :
– septicémies et méningites : les cellules drépanocytaires
provoquent un engorgement de la circulation splénique
et des infarctus itératifs qui altèrent la fonction de
défense anti-infectieuse de la rate.
Ainsi, comme chez
tout patient splénectomisé, les malades drépanocytaires
sont exposés au risque d’infections graves post-splénectomie,
notamment les septicémies et les méningites dues
à des germes encapsulés, Streptococcus pneumoniæ et
Hæmophilus influenzæ ;
– ostéomyélites : chez les patients drépanocytaires, les
ostéites sont volontiers multifocales et rapidement
extensives.
Dans plus de la moitié des cas, elles sont
dues à des salmonelles dites mineures : Typhi murium,
Typhi Panama, etc., puis aux staphylocoques, colibacilles,
etc. Le mécanisme admis de ces infections est le
suivant : à l’occasion d’une bactériémie, le germe survenant
dans une zone osseuse non ou mal vascularisée en
raison d’un phénomène de vaso-occlusion va se développer
et être à l’origine de l’ostéomyélite.
• Physiopathologie des atteintes organiques :
– complications aiguës : la séquestration aiguë des
hématies drépanocytaires dans la rate, le foie ou les corps
caverneux est à l’origine des syndromes de séquestration
aiguë splénique ou hépatique et du priapisme.
L’oblitération aiguë de l’artère centrale de la rétine provoque
l’amaurose.
Les nécroses papillaires rénales sont
dues à des défauts de perfusion des artères des pyramides
rénales (vasa-recta).
Les accidents ischémiques cérébraux
sont la conséquence de l’obstruction des artères
cérébrales.
Le syndrome thoracique aigu correspond à
plusieurs causes (vasculaire, infectieuse, thrombo-embolique...)
; l’origine vasculaire étant due à l’oblitération de
la microcirculation pulmonaire par les drépanocytes.
– complications chroniques : le défaut de perfusion chronique
de certains tissus et organes est à l’origine de leur
dégénérescence ou de leur nécrose.
C’est ainsi que l’on explique les ulcères de jambe, la rétinopathie, les nécroses
osseuses avasculaires notamment de la hanche, les altérations
du rein, du poumon, du coeur, à l’origine d’insuffisances
chroniques intéressant ces différents organes.
E - Diagnostic :
1- Clinique
:
La description clinique de la maladie drépanocytaire
comporte l’état de base des malades, les complications
aiguës et les complications chroniques.
• L’état de base est caractérisé par une anémie hémolytique
chronique.
La splénomégalie constatée dès les premiers
mois de vie persiste quelques années pour disparaître
spontanément par « autosplénectomie ».
La
croissance staturo-pondérale est normale, mais les sujets
drépanocytaires sont volontiers maigres.
La puberté se
fait de façon satisfaisante avec, cependant, un retard par
rapport à la population non drépanocytaire du même
âge.
La fertilité est normale chez les adultes.
• Les complications aiguës sont dominées par les crises
douloureuses qui associent fièvre et douleurs.
Les douleurs
sont localisées ou plurifocales.
Elles sont d’intensité
variable, parfois exigeant l’utilisation d’antalgiques
majeurs (morphine) pour leur traitement.
Les infections,
responsables d’une part importante de la mortalité et de
la morbidité, sont caractérisées chez les jeunes enfants
par la fréquence des méningites et des septicémies à Streptococcus pneumoniæ et Hæmophilus influenzæ.
Les ostéomyélites, volontiers plurifocales et extensives,
sont dues à des salmonelles mineures ou aux staphylocoques.
On doit connaître la gravité des infections pulmonaires
à Mycoplasma pneumoniæ.
L’anémie chronique de la drépanocytose est une anémie
hémolytique modérée.
Certaines situations indiquées cidessus
peuvent l’aggraver.
Les accidents vaso-occlusifs graves regroupent une série
de complications caractérisées par un déficit organique : accidents vasculaires cérébraux responsables de déficits
neurologiques ou sensoriels, syndromes thoraciques
aigus définis par l’association de signes fonctionnels et
physiques respiratoires à une image radiologique pulmonaire
anormale, priapisme, amaurose, hématurie,
nécrose papillaire.
• Les complications chroniques sont plus volontiers
observées chez les adolescents et les adultes que chez
l’enfant.
Il s’agit des ulcères de jambe, des nécroses
osseuses des hanches et des épaules, de la rétinopathie
drépanocytaire, des atteintes rénales allant de l’hyposténurie
et la microalbuminurie jusqu’à l’insuffisance rénale terminale, les
insuffisances chroniques pulmonaire ou cardiaque.
La lithiase
biliaire est rattachée aux complications chroniques.
2- Biologie :
• Diagnostic
phénotypique :
On retiendra
les points suivants : le taux moyen de l’hémoglobine circulante
chez les patients drépanocytaires homozygotes
est proche de 8 g/dL ; il existe des variations importantes
selon les malades de 6 à 10 g/dL ; le taux d’HbF
est important à déterminer en raison de sa signification
pronostique.
La mortalité et la morbidité de la maladie
sont d’autant moins sévères que le taux d’HbF est élevé.
Les patients hétérozygotes composites SC ne sont pas
anémiques, leur réticulocytose est comprise entre 140 et
200 000/mm3, témoignant d’une hyperhémolyse compensée
; la leucocytose est souvent élevée à 10 000-
20 000 éléments/mm3, en particulier chez les patients
drépanocytaires homozygotes, en raison d’une hyperleucocytose
à polynucléaires neutrophiles ; cette particularité
est observée même en dehors de toute complication
infectieuse ou inflammatoire ; le taux des plaquettes
est normal ou légèrement augmenté en raison de l’autosplénectomie
qui survient dans la maladie.
• Le diagnostic génotypique comporte les 3 analyses
suivantes :
– identification de la mutation drépanocytaire : l’identification
de la mutation du 6e codon du gène bêta-globine est
faite par amplification génique suivie d’une digestion
enzymatique (par MstII, par exemple) ; les fragments
générés par l’enzyme sont différents selon que le gène b
est normal ou muté.
Cette identification est faite chez les
malades transfusés lorsque le diagnostic phénotypique
n’est pas possible, pour établir le diagnostic de certaines
formes génétiques complexes (par exemple, l’association
du trait drépanocytaire à une persistance héréditaire de
l’HbF), et dans le cadre du diagnostic prénatal ;
– recherche d’une
alpha-thalassémie associée à la drépanocytose
: elle fait partie du diagnostic biologique de la
drépanocytose.
En effet, la délétion de 1 ou de 2 gènes
alpha-globine provoque des modifications phénotypiques
(augmentation du taux d’hémoglobine circulante, diminution
du volume globulaire moyen, réduction de la réticulocytose).
L’association de la drépanocytose à l’alpha-thalassémie est courante.
L’identification d’une
alpha-thalassémie a également une valeur pronostique relative
; en effet, il a été montré que les patients drépanocytaires
homozygotes porteurs d’une alpha-thalassémie
étaient statistiquement plus exposés que les autres à
faire des crises douloureuses et des nécroses osseuses, et
qu’en revanche, ils l’étaient moins au risque de faire des
accidents vasculaires cérébraux ;
– détermination de l’haplotype de restriction lié à la
mutation drépanocytaire : l’haplotype de restriction lié à
la mutation bS correspond à des sites de restriction
enzymatiques positifs ou négatifs, ordonnés de façon
identique dans un contexte génique donné.
On définit
ainsi les haplotypes béninois, sénégalais, bantous et
indiens.
On a montré une liaison entre l’haplotype et le
taux d’expression de l’HbF ; le taux d’HbF est fort chez
les Sénégalais et les Indiens, faible chez les Bantous, et
intermédiaire chez les Béninois.
En 1999, les haplotypes ne doivent pas être considérés chez un patient donné
comme un marqueur individuel prédictif de la sévérité
clinique, mais comme une donnée biologique importante
à connaître dans l’analyse des facteurs multigéniques
de la variabilité clinique de la maladie.