Syndromes myélodysplasiques et leucémies secondaires
(Suite) Cours
d'hématologie
Diagnostic différentiel
:
La présence d’une dysérythropoïèse isolée ne suffit pas à porter le
diagnostic de SMD, car elle est peu spécifique.
On élimine
facilement une carence en vitamine B12 ou en folates grâce aux
dosages appropriés.
En effet, certaines anémies réfractaires peuvent
avoir un aspect mégaloblastique au niveau des érythroblastes de la
moelle, mais l’aspect typique des granuleux ou au contraire les
anomalies non mégaloblastiques associées permettent le diagnostic.
Divers médicaments peuvent être responsables de dysérythropoïèse
(isoniazide, chloramphénicol, pyrazinamide, dapsone et bien
entendu la majorité des chimiothérapies antinéoplasiques), mais le
contexte clinique aide à faire le diagnostic.
Au cours des carences en
fer, des maladies inflammatoires ou infectieuses, la moelle peut avoir
un aspect prêtant à confusion avec une AR, mais dans ces circonstances il n’y a guère d’indication au myélogramme et les
anomalies régressent avec le traitement adapté.
Les intoxications par le plomb et l’alcoolisme peuvent parfois
donner un aspect médullaire proche d’une myélodysplasie vraie.
Les anomalies des granuleux et des plaquettes sont en revanche très
spécifiques des SMD.
Facteurs pronostiques :
Les choix thérapeutiques doivent tenir compte des éléments du
pronostic initial.
A - CLASSIFICATION FRANCO-AMÉRICANO-BRITANNIQUE :
La valeur pronostique de la classification FAB s’appuie en grande
partie sur la blastose médullaire, avec une survie moyenne de 5 ans
dans les AR, de 6 à 8 ans dans les ASIA, de 18 mois dans les AREB,
de 9 mois dans les AREB-T et de 18 à 30 mois dans les LMMC.
Mais
elle semble insuffisante.
Elle a en particulier le défaut de ne pas tenir
compte des données cytogénétiques, qui sont un facteur de pronostic
indépendant en termes de survie et de transformation leucémique.
C’est pourquoi plusieurs scores pronostiques ont été proposés
après analyse de grandes séries de patients.
Il faut souligner
d’emblée qu’aucun de ces systèmes d’évaluation du pronostic ne
tient compte de l’âge, en dépit de la gravité plus grande des SMD
après 60 ans.
B - BLASTOSE MÉDULLAIRE
:
La blastose médullaire est un facteur important et, d’un point de
vue pronostique, on distingue les patients ayant moins de 5 % de
blastes médullaires, ceux ayant de 5 à 10% et ceux ayant plus de
10 %, pour lesquels la survie moyenne est respectivement d’environ
5 ans, 3 ans et 1 an.
Il n’avait pas été mis en évidence, jusqu’à
une date récente, de différence de survie selon que la blastose
médullaire est comprise entre 10 et 20 % ou entre 20 et 30 %.
Le
score international prend maintenant en compte cette différence : la
présence de plus de 20 % de blastes dans la moelle est un facteur de
très mauvais pronostic.
C - VALEUR PRONOSTIQUE DU CARYOTYPE :
Une seule anomalie est nettement associée à un pronostic favorable :
la del 5q (en l’absence d’un excès de blastes médullaires).
La del 20q ou la perte de l’Y isolée semblent aussi être associées à un
pronostic plutôt favorable.
En revanche, la monosomie 7, les
anomalies des régions 3q ou 17p et les anomalies complexes (plus
de trois anomalies cytogénétiques) ont un pronostic très défavorable.
D - SCORE DE BOURNEMOUTH :
C’est l’un des plus simples.
Il se fonde uniquement
sur les données de l’hémogramme et sur le pourcentage de blastes
médullaires pour un classement en trois groupes, dont la médiane
de survie varie de 62 mois dans le groupe le plus favorable à 8 mois
dans le plus défavorable.
E - SCORE DE LILLE :
Le score mis au point par l’équipe de Lille s’appuie sur le nombre
des plaquettes, le pourcentage de blastes médullaires et les données
du caryotype pour définir trois catégories pronostiques.
La
médiane de survie varie de 55 mois dans le groupe de faible risque
à 6 mois dans le groupe à haut risque.
F - SCORE IPSS :
Mis au point en 1997, l’International Prognostic Scoring System
(IPSS) a été établi après compilation de sept études portant sur une
vaste population de SMD non traités, suivis à long terme.
Le nombre
de patients évaluables est de 759 (294 AR, 125 ASIA, 208 AREB, 61
AREB-T, 126 LMMC) et la médiane de suivi de 2 ans (0,1 à 17 ans).
Les variables prises en compte pour ce score sont le pourcentage de
blastes médullaires, le caryotype (favorable, défavorable ou
intermédiaire) et le nombre et l’importance des cytopénies.
Quatre groupes pronostiques sont ainsi définis, qui diffèrent à la
fois par la médiane de survie et par le délai de transformation aiguë.
Dans le groupe le plus favorable, qui regroupe 31 % des patients, la
médiane de survie est de 5,7 ans et 25 % des sujets ont développé
une LAM après un délai médian de 9,4 ans.
Dans les groupes de
risque intermédiaire-I (39 % des sujets) et intermédiaire-II (22 % des
sujets), les valeurs correspondantes sont respectivement de 3,5 ans
et 1,2 an pour la survie, 3,3 ans et 1,1 an pour l’acutisation.
Dans le
groupe défavorable (8 % seulement des sujets), la médiane de survie
ne dépasse pas 3 mois et 25 % des patients sont en acutisation après
moins de 2 mois.
L’IPSS représente un progrès dans l’évaluation pronostique par
rapport aux autres systèmes.
Surtout, il établit un cadre de référence
solide pour les futures études destinées à évaluer la valeur d’une
thérapeutique ou la valeur pronostique de différents paramètres,
notamment des anomalies moléculaires telles que l’expression
d’oncogènes, de gènes suppresseurs de tumeurs, de cytokines.
En pratique quotidienne, le calcul du score IPSS permet d’orienter
les décisions thérapeutiques.
G - FACTEURS PRONOSTIQUES MOLÉCULAIRES :
D’autres facteurs pronostiques sont en cours d’étude.
Il s’agit
essentiellement de marqueurs moléculaires comme les mutations du
gène RAS, les anomalies du gène P53 ou d’autres anomalies de
gènes suppresseurs de tumeurs.
Les mutations des gènes RAS sont l’anomalie moléculaire connue la
plus fréquente dans les SMD (15 % lors du diagnostic).
Elles ne s’accompagnent généralement pas d’anomalie caryotypique des
chromosomes où sont situés ces gènes.
Elles sont plus fréquentes
dans les SMD de mauvais pronostic (excès de blastes médullaires
et/ou anomalies cytogénétiques).
Une anomalie du gène P53 est retrouvée dans environ 5 % des SMD.
Les mutations touchent les exons 5 à 8 comme dans les tumeurs
solides malignes.
Il existe en général une perte de l’autre allèle
non muté qui se traduit en cytogénétique par une délétion du bras
court du chromosome 17.
Quand cette délétion est présente, on
observe en général une dysgranulopoïèse très typique associant un
aspect pseudo-Pelger et des vacuoles dans les polynucléaires
permettant de définir le « syndrome 17p ».
Ces formes sont de
mauvais pronostic : souvent associées à un excès de blastes, elles
sont extrêmement résistantes à la chimiothérapie.
La survie n’excède
pas quelques mois.
De nombreuses recherches de gènes suppresseurs de tumeur sont
menées au niveau de 7q, 5q et 20q, les chromosomes le plus souvent
touchés dans les SMD.
Malgré leur intérêt potentiel, les anomalies moléculaires ne sont pas
recherchées systématiquement en pratique courante et n’entrent pas
dans le calcul des scores pronostiques actuels.
Traitement :
De très nombreux traitements ont été proposés dans les SMD, le
plus souvent avec des résultats décevants.
Il s’agit d’une maladie
chronique dont les espoirs de guérison sont limités à certains sujets
jeunes éligibles pour une transplantation allogénique.
Pour les sujets
âgés, tant que la cytopénie n’est pas symptomatique, aucun
traitement ne s’impose, seule la surveillance clinique et
hématologique est justifiée.
A - TRAITEMENTS SYMPTOMATIQUES :
1- Anémie
:
Quand l’anémie devient symptomatique ou lorsque le taux
d’hémoglobine devient inférieur à un seuil généralement fixé à
8 g/dL, les transfusions s’imposent.
Elles font appel à des concentrés
érythrocytaires phénotypés, déleucocytés et déplaquettés par
filtration pour diminuer le risque d’allo-immunisation.
Ces
transfusions doivent être régulières. Généralement programmées,
elles ont pour objectif de permettre aux patients de mener une vie la
plus normale possible.
Le rythme transfusionnel est très variable
d’un patient à l’autre ; c’est un élément pronostique important.
La
vaccination contre l’hépatite B est justifiée.
La recherche régulière
d’anticorps dirigés contre le virus de l’immunodéficience humaine
(VIH) et le virus de l’hépatite C est une obligation légale.
La
surveillance doit aussi porter sur l’allo-immunisation (recherche
d’agglutinines irrégulières obligatoire avant toute transfusion) et sur
la surcharge martiale.
2- Thrombopénie :
Lorsque la thrombopénie devient symptomatique, les transfusions
de plaquettes peuvent être envisagées.
Leur réalisation pratique est
toutefois limitée par la brève durée de vie des plaquettes du
donneur et par le risque cumulatif de développement d’alloanticorps,
rendant tôt ou tard les transfusions inefficaces.
C’est la
raison pour laquelle les transfusions de plaquettes ne sont pas
prophylactiques, mais réservées à la maîtrise d’un syndrome
hémorragique avéré ou à l’encadrement d’un geste chirurgical.
Lorsque les conditions le permettent, le recours à des concentrés
unitaires de plaquettes, obtenus par cytaphérèse chez un donneur
unique, est souhaitable car il diminue le risque d’immunisation.
Le danazol (Danatrolt) à la dose de 600 à 800 mg/j a pu entraîner
dans 25 à 30 % des cas une augmentation significative du nombre
des plaquettes.
Cette amélioration est essentiellement observée
dans les anémies réfractaires sans excès de blastes et dans les
anémies sidéroblastiques.
3- Neutropénie :
Les complications infectieuses apparaissent habituellement pour un
nombre de polynucléaires inférieur à 1 X 109/L et le risque devient
très élevé en dessous de 5 X 109/L.
Cependant, dans certains cas, les
complications infectieuses à répétition peuvent survenir pour des
chiffres plus élevés, en rapport avec des anomalies de la phagocytose
ou du chimiotactisme des polynucléaires et des monocytes.
Dans
tous les cas, il faut être attentif à la prévention des infections
(traitement des portes d’entrée éventuelles, soins dentaires, hygiène
de vie, vaccination antigrippale).
En cas d’infection, l’antibiothérapie
probabiliste de première intention doit être active sur les bactéries à
Gram négatif.
4- Surcharge ferrique :
Dans 30 à 40 % des cas de SMD se développe une hémochromatose
post-transfusionnelle. Son dépistage repose sur la surveillance
régulière du taux de ferritine.
Il est habituel de commencer un
traitement chélateur lorsque ce taux dépasse 1 600 à 2 000 µg/L.
En
effet, la surcharge en fer peut être responsable de cirrhose,
d’hépatocarcinome, d’insuffisance cardiaque, de diabète et
d’hypopituitarisme.
La survie s’en trouve par conséquent diminuée.
Les dommages organiques sont corrélés à la surcharge en fer.
L’utilisation de chélateurs de fer vise à maintenir des stocks de fer
en dessous des seuils critiques.
* Déféroxamine :
La déféroxamine (Desféralt) est actuellement le médicament de
choix.
Différentes modalités d’administration sont possibles :
– par voie intramusculaire, à la dose de 40 à 50 mg/kg une ou deux
fois par semaine ; l’efficacité est médiocre et l’administration est
douloureuse ; cette voie est peu recommandée, d’autant que ces
patients sont souvent thrombopéniques ;
– par voie intraveineuse durant la transfusion, à la dose de 40 à
50 mg/kg ; c’est la voie la plus simple, généralement proposée en
première intention, mais elle ne permet pas dans la majorité des cas
d’empêcher l’augmentation de la ferritine ;
– par perfusion sous-cutanée, à l’aide d’une seringue portable, à la
dose de 50 à 80 mg/kg pendant 12 à 16 heures par jour, 5 ou 6 jours
sur 7 ; c’est le seul traitement qui ait fait la preuve de sa capacité à négativer le bilan ferrique et à faire régresser les signes cardiaques,
hépatiques et endocriniens de l’hémochromatose ; le coût élevé, la
tolérance difficile et les effets indésirables possibles sont de sérieuses
limitations ;
– par voie sous-cutanée ; l’injection biquotidienne de 50 mg/kg/j
dans 10 mL de sérum physiologique semble donner des résultats
intéressants et pourrait représenter une alternative à la perfusion
sous-cutanée.
La toxicité la plus fréquente de Desféralt est l’allergie locale, avec
même le risque d’un état de choc.
Celui-ci est essentiellement
observé lors des passages trop rapides.
La toxicité cumulative
oculaire (rétinopathie, opacités cornéennes) justifie un examen
ophtalmologique systématique une fois par an et l’arrêt du
traitement en cas de toxicité.
Des effets indésirables neurologiques,
auditifs, pulmonaires et rénaux ont été décrits.
* Autres chélateurs du fer :
La défériprone ou L1t est actuellement le seul chélateur disponible
par voie orale.
La dose recommandée est de 50 à 70 mg/kg.
Il ne
permet pas de diminuer de façon importante le stock de fer, mais
seulement de le stabiliser.
La toxicité essentielle est articulaire. L’incidence des neutropénies
est de 0,2 %.
B - TRAITEMENTS DIFFÉRENCIANTS
NON MÉDULLOTOXIQUES :
Leur utilisation repose essentiellement sur des données
expérimentales de culture où l’effet prédominant est une
différenciation des cellules anormales.
Aucun d’entre eux n’a fait
l’objet d’une évaluation rigoureuse dans le cadre d’études
randomisées.
La corticothérapie aggrave le pronostic en augmentant le risque
infectieux.
Les dérivés de la vitamine D3, comme la 1,25-(OH)2-D3,
ont été utilisés comme agents différenciants.
Ils n’ont pas apporté
d’amélioration en termes de survie dans la plupart des études
contrôlées.
L’acide tout-transrétinoïque n’a permis d’obtenir, dans
une étude pilote, qu’une réponse marginale en termes de cytopénie,
sans amélioration apparente de la survie.
Les rétinols (dérivés de
la vitamine A) peuvent entraîner dans les SMD de faible risque une
correction partielle des cytopénies, surtout de l’anémie.
Les
interférons alpha ou gamma n’ont jamais fait la preuve de leur
efficacité.
La 5 azacytidine est une drogue qui permet d’induire
une différenciation des cellules myéloïdes.
Elle a été utilisée dans
plusieurs essais cliniques au cours des SMD.
Le taux de réponse
rapporté est de 50 % avec une disparition des besoins
transfusionnels et une remontée du chiffre des plaquettes ou des
granuleux.
Mais les effets secondaires sont importants puisqu’il est
rapporté entre 15 et 25 % de mortalité due à l’aplasie induite.
Dans une étude portant sur un faible nombre de patients, l’hème arginate a entraîné une faible augmentation de l’hémoglobine. Le
butyrate n’entraîne que des corrections marginales et transitoires.
L’hexaméthylène bisacétamide entraîne une différenciation in vivo chez
un petit nombre de patients, avec correction des cytopénies.
L’amifostine est un dérivé thiol doté de propriétés chimioprotectrices
et radioprotectrices préférentielles pour les cellules saines par
rapport aux cellules tumorales. In vitro, elle diminue l’apoptose des
cellules de SMD.
Plusieurs essais cliniques préliminaires ont montré
des réponses hématologiques périphériques dans plus de 80 % des
cas de neutropénie et dans 40 % des cas d’anémie ou de
thrombopénie.
Ces résultats n’ont pas toujours été confirmés.
C - TRAITEMENTS CYTOTOXIQUES À FAIBLE DOSE
:
Les traitements cytotoxiques employés à doses faibles dans les SMD
sont réputés agir par un mécanisme différenciant.
Toutefois, la
réalité de ce mécanisme in vivo est discutée.
Un effet cytotoxique
direct est également impliqué, au moins en partie.
L’utilisation de la cytarabine en thérapeutique s’appuie sur les
propriétés différenciantes observées in vitro avec la cytarabine à
faible concentration dans des lignées leucémiques en culture.
La cytarabine est prescrite à la dose de 10 ou 20 mg/m2, voire moins,
deux fois par jour pendant 14 jours chaque mois.
Les critères de
réponse sont la diminution, voire l’arrêt, des transfusions et
l’augmentation de la survie. Un taux de rémission complète de 16 à
25 % a été rapporté.
Des réponses ont été obtenues dans tous les
sous-types de SMD, mais la cytarabine semble plus efficace dans les
AREB et AREB-T en termes de survie, au prix d’une cytopénie
importante et d’un certain nombre de complications, puisque, dans
la plupart des études comportant un nombre suffisant de patients,
le pourcentage de décès par infection ou par hémorragie est de 20 à
25 %.
La réponse est généralement de courte durée, avec une
médiane de 5,9 mois (1,4-33,5 mois).
La survie n’est
significativement prolongée que chez les répondeurs.
Pour tenter de diminuer la toxicité, différentes études ont été mises
en place pour juger de l’intérêt d’associer la cytarabine à des facteurs
de croissance des granuleux (granulocyte-colony stimulating factor
[G-CSF] ou granulocyte macrophage-colony stimulating factor [GMCSF]).
Aucune d’elles n’a pour le moment montré de diminution
des complications infectieuses et de la mortalité.
D - FACTEURS DE CROISSANCE :
1- G-CSF et GM-CSF seuls
:
De nombreuses études ont montré que le G-CSF et le GM-CSF
sont capables de corriger la neutropénie des SMD dans 60 %
des cas, lorsqu’ils sont utilisés à dose conventionnelle (5 µg/kg par
jour par voie sous-cutanée).
L’effet est rapide et généralement obtenu
en moins d’une semaine.
L’hyperéosinophilie est particulière au GMCSF.
Un effet favorable sur la lignée rouge ou sur les plaquettes n’a
été observé que dans 5 à 10%des cas.
Certaines études montrent au
contraire une aggravation de la thrombopénie, chez un certain
nombre de patients, jusqu’à 30 %.
L’effet du G-CSF et du GMCSF
sur la neutropénie ne semble pas s’épuiser avec le temps, sauf
en cas d’évolution du SMD vers l’acutisation.
Ni le G-CSF ni le GMCSF
ne semblent favoriser la transformation aiguë dans les SMD.
Dans les cas où une augmentation de la blastose médullaire a été
rapportée, celle-ci semblait pouvoir être mise sur le compte de
l’évolution naturelle de la maladie plutôt que d’un effet du produit.
Des doses de G-CSF ou de GM-CSF de l’ordre de 0,25 à 0,50 µg/kg
par jour pourraient être aussi efficaces que les doses
conventionnelles : dans les différentes études utilisant le GM-CSF,
elles ont permis d’obtenir une correction de la neutropénie dans
60 % des cas environ.
Outre l’augmentation de leur nombre, le G-CSF et le GM-CSF sont
capables d’améliorer les fonctions des polynucléaires, souvent
défectueuses dans les SMD.
Cet effet pourrait contribuer à diminuer
le risque infectieux.
Deux études randomisées menées avec le G-CSF et le GM-CSF ont
eu pour critères de jugement la fréquence des infections et la survie.
Il a été constaté une diminution significative de la fréquence
des infections sévères au cours des 3 mois de traitement chez les
patients recevant les facteurs de croissance, mais aucune
augmentation de la survie.
Les quelques études cherchant à définir les critères de prédiction de
la réponse au G-CSF et au GM-CSF ont montré que la correction de
la neutropénie était moindre dans les AREB et les AREB-T, lorsque
la neutropénie était sévère (inférieure à 0,5 X 109/L) et lorsqu’il
existait des anomalies cytogénétiques (données du Groupe français
des myélodysplasies).
Ainsi, les malades ayant le risque évolutif le
plus grave et exposés aux infections les plus sévères pourraient être
ceux qui bénéficieraient le moins de ces produits.
2- G-CSF ou GM-CSF en association
à une chimiothérapie
:
Le G-CSF et le GM-CSF ont tous deux été utilisés après
chimiothérapie intensive ou après chimiothérapie à faible dose,
principalement la cytarabine, pour réduire la durée de la période de
neutropénie.
En association à la cytarabine à la dose de
10 ou de 3 mg/m2 toutes les 12 heures, le GM-CSF n’a pas apporté
de bénéfice significatif par rapport à la cytarabine seule, que ce soit
en termes de réponse ou de toxicité.
3- Autres facteurs de croissance des granuleux :
En raison de leurs propriétés stimulantes, l’interleukine (IL) 3 et l’IL6
ont été utilisées chez l’homme in vivo.
En plus de son effet sur
les autres lignées, d’ailleurs assez modeste, l’IL3 permet de corriger
au moins partiellement la neutropénie dans environ 70 % des cas,
mais de façon moins importante que le G-CSF ou le GM-CSF et avec
des effets secondaires plus importants dès que la dose dépasse 2 à
3 mg par kg et par jour.
L’IL6 a un effet très limité sur la lignée
granulocytaire et s’associe de plus à des effets secondaires
importants.
4- Érythropoïétine (EPO)
:
L’EPO a été largement étudiée.
Quelle que soit la dose testée
(jusqu’à 300 unités/kg par voie sous-cutanée trois fois par semaine),
le taux de réponse ne dépasse pas 15 %.
Deux facteurs principaux
de prédiction de la réponse ont été dégagés : le faible rythme
transfusionnel (inférieur à deux concentrés érythrocytaires par mois)
et le faible taux sérique d’EPO (inférieur à 500 unités/mL).
Lorsque
ces deux éléments sont réunis, le taux de réponse avoisine 50 %.
À
l’inverse, il est presque nul lorsqu’ils sont tous deux absents.
Le taux
de réponse est également plus élevé dans les AR et les AREB que
dans les ASIA et les AREB-T.
5- EPO et G-CSF ou GM-CSF :
Le G-CSF et le GM-CSF sont capables de potentialiser l’effet de
l’EPO sur la lignée rouge, tant in vitro qu’in vivo.
Des taux de
réponse de l’ordre de 40 à 50 % sont rapportés avec l’association G-CSF et EPO ou GM-CSF et EPO.
De plus, la réponse s’est
maintenue lorsque le traitement s’est poursuivi, avec un recul de
plusieurs mois.
Dans la moitié des cas, la réponse a persisté à l’arrêt
du G-CSF, mais chez les autres répondeurs, le G-CSF doit être
maintenu.
Ici encore, le rythme transfusionnel avant traitement et le
taux sérique d’EPO ont une valeur prédictive, avec des taux de
réponse variant de 7 % lorsque la fréquence transfusionnelle est de
plus de deux concentrés érythrocytaires par mois et le taux sérique
d’EPO supérieur à 500 unités/mL, jusqu’à 70 % lorsque le rythme
transfusionnel est de moins de deux concentrés globulaires par mois
et le taux d’EPO inférieur à 500 unités/mL.
L’association de G-CSF
et d’EPO fait actuellement l’objet d’études prospectives dans les
SMD, avec pour critères de jugement l’amélioration fonctionnelle, la
modification du rythme transfusionnel et l’impact économique.
6- Effets des facteurs de croissance sur la thrombopénie
:
Le G-CSF, le GM-CSF et l’EPO n’ont pas d’effet sur la thrombopénie,
sauf dans 5 à 10% des cas où une augmentation modérée du taux
de plaquettes peut être observée.
L’IL3 améliore la thrombopénie
dans 40 % des cas environ, mais principalement lorsque celle-ci est
modérée.
Cet effet est parfois retardé.
Les effets secondaires
deviennent importants dès que la dose dépasse 2 à 3 µg/kg/j.
Un essai de phase I/II comportant l’administration successive d’IL3
puis de GM-CSF a conduit à conclure à une discrète supériorité de
l’association par rapport à l’IL3 seule, mais avec des effets
secondaires très importants.
L’IL6, jusqu’ici testée sur un petit
nombre de patients, semble améliorer la thrombopénie dans environ
35 % des cas.
Quelques cas d’aggravation paradoxale de la
thrombopénie ont cependant été rapportés.
Les effets secondaires
sont importants dès que l’on dépasse la dose de 3,5 µg/kg/j.
E - TRAITEMENTS CYTOTOXIQUES INTENSIFS :
L’efficacité limitée des approches thérapeutiques précédentes et
l’évolution défavorable des SMD de score 2 ou 3 de l’index
international ont conduit à proposer à des patients sélectionnés un
traitement intensif à visée curative.
L’allogreffe hématopoïétique
demeure actuellement la seule option thérapeutique curative dans
les SMD, mais elle n’est applicable qu’à une minorité de patients.
1- Chimiothérapie intensive
:
Lorsque l’âge et l’état général des patients le permettent, les SMD à
risque élevé ou les leucémies aiguës secondaires à un SMD sont de
plus en plus souvent traités par chimiothérapie intensive.
Le
traitement d’induction fait le plus souvent appel aux associations
d’anthracyclines et de cytarabine (dose standard ou haute dose)
utilisées pour les leucémies aiguës de novo.
Dans la littérature, les taux de rémission complète (RC) rapportés
après une chimiothérapie d’induction se situent autour de 40 à 60 %,
les durées médianes de rémission complète sont de 10 à
15 mois et seuls 10 % des patients environ obtiennent une rémission
prolongée. Ces résultats sont
inférieurs à ceux obtenus au cours des LAM de novo.
Les taux de
RC et de survie diminuent encore lorsqu’il s’agit d’un SMD
secondaire avec anomalies cytogénétiques défavorables.
La survie des patients répondeurs complets est significativement
améliorée et sa durée médiane atteint 24 à 30 mois.
De plus, les résultats suggèrent que l’obtention d’une rémission partielle
s’accompagne, chez certains patients au moins, d’une prolongation
de la survie.
En effet, le retour à un état de SMD sans excès de
blastes ou de SMD non transformé allonge la durée de réponse
partielle jusqu’à 2 ou 3 ans.
Les taux élevés (25 à 30 %) de décès d’origine toxique après
chimiothérapie rapportés dans les premières séries ont maintenant
diminué de plus de 10 %, mais demeurent toujours un facteur
limitant.
L’effet de la chimiothérapie intensive reste encore limité dans les SMD, mais certains patients semblent en bénéficier plus que
d’autres.
L’étude des facteurs pronostiques sous chimiothérapie
intensive permet de dégager des sous-groupes de patients ayant une
plus forte probabilité de réponse.
Dans la littérature, de façon
concordante, on retrouve l’âge (inférieur à 50 ans), le stade de la
maladie (non transformé en leucémie aiguë), le type de SMD lors
du diagnostic (les AREB-T répondent mieux au traitement), le
caryotype médullaire (risque favorable) et l’absence d’expression du
gène mdr.
Selon une étude française, l’absence d’expression du
gène mdr est associée à un taux de RC de 69 %, contre 14 % lorsque
ce gène est exprimé (p = 0,003).
Ces résultats ont suscité des essais
cliniques visant à restaurer un phénotype de sensibilité aux anthracyclines par l’utilisation d’un « revertant ». Un essai prospectif
randomisé français a montré l’intérêt de la quinine comme
« revertant » de mdr chez les patients mdr +.
Le taux de RC a été de
52 % avec la quinine contre 18 % dans le groupe témoin et la durée
médiane de survie a été de 13 mois contre 8 mois (p = 0,01).
Différentes approches sont proposées pour améliorer ces résultats.
Par exemple, de nouvelles molécules sont utilisées en association à
la chimiothérapie de référence.
La fludarabine ne semble pas
augmenter le taux de RC ou la survie.
Le topotécan fait
actuellement l’objet de nombreuses études.
C’est un inhibiteur de la topo-isomérase I utilisé essentiellement dans les cancers solides.
Une
étude récente portant sur 51 patients atteints de SMD et 27 de
LMMC, traités par l’association de topotécan et de cytarabine a fait
état de 56 % de rémision complète, sans différence significative selon
le risque.
La médiane de survie était de 60 mois.
L’utilisation de G-CSF, surtout après la chimiothérapie, permet
théoriquement de diminuer les infections bactériennes pendant la
durée de l’aplasie.
Les facteurs de croissance ont aussi été utilisés
dans certaines études pilotes pour leur effet stimulant sur les cellules blastiques, avec l’idée de sensibiliser ces cellules aux chimiothérapies
spécifiques de cycle utilisées en parallèle.
Les études publiées ne
semblent pas confirmer une augmentation significative de la RC et
de la survie.
De même, l’adjonction d’acide transrétinoïque au traitement
d’induction n’augmente pas le taux de RC.
Des essais utilisant la cytarabine à forte dose en induction et en consolidation sont en
cours.
Les autogreffes de cellules souches circulantes ou médullaires
prélevées en RC font l’objet d’études de plus en plus nombreuses.
2- Autogreffe :
La quasi-totalité des patients atteints de SMD entrés en RC après
une chimiothérapie conventionnelle rechutent dans les 18 mois à
2 ans qui suivent.
C’est la raison pour laquelle des intensifications
thérapeutiques de consolidation, suivies d’autogreffe de cellules
souches hématopoïétiques, ont été proposées.
Leur mise en place
s’était heurtée jusqu’à une date récente à la notion de persistance
d’une hématopoïèse médullaire clonale chez les patients en RC.
Il
était dès lors à craindre que le repeuplement des cellules
hématopoïétiques ne se fasse à partir du clone pathologique.
La mise
au point des techniques de recueil de cellules souches circulantes
par cytaphérèse en période de reconstitution après aplasie chimioinduite
ou sous l’effet de facteurs de croissance a relancé les études
d’autogreffe de cellules souches dans les SMD.
La comparaison de
l’intensification lourde suivie d’autogreffe à une chimiothérapie
intensive de consolidation fait actuellement l’objet d’études
randomisées.
Quatre grandes études ont permis d’évaluer la faisabilité,
la durée de survie sans maladie, la survie globale et le taux de
rechute des patients atteints de SMD et traités par une
chimiothérapie myéloablative suivie d’autogreffe.
Les
conditionnements utilisés dans ces différentes études étaient en
général équivalents et comportaient une irradiation corporelle totale.
À 2 ans, le taux de survie se situe entre 33 et 39 % et le taux de
survie sans maladie entre 29 et 34 %.
Le taux de mortalité lié au
traitement ne dépasse pas 10 %, mais les résultats à long terme
restent grevés par la persistance d’un taux élevé de rechutes, se
situant selon les études entre 38 et 64 %.
Malgré l’insuffisance actuelle du recul, l’intensification suivie
d’autogreffe est une proposition thérapeutique envisageable, de
préférence dans le cadre d’essais thérapeutiques, chez les patients
jeunes ne pouvant pas bénéficier de l’allogreffe.
3- Allogreffe hématopoïétique intrafamiliale :
La greffe de moelle allogénique est le seul traitement des SMD
véritablement curatif à ce jour.
La situation idéale est celle d’un
donneur génotypiquement identique, mais les conditions de
faisabilité ne sont réunies que pour une minorité de patients jeunes
(moins de 55 ans) ayant un donneur human leukocyte antigen (HLA)
compatible dans leur fratrie.
Il en résulte que moins de 10 % des
patients en bénéficient.
Environ 40 % des patients allogreffés avec un donneur familial HLA
identique ont une survie prolongée sans événement (rechute ou
complication).
Les taux de rechute varient de 17 à 23 % selon les
séries et le taux de mortalité d’origine toxique, due à la greffe, de 38
à 42%.
Les complications mortelles liées à la greffe restent
la principale cause d’échec et sont essentiellement le fait de la
réaction du greffon contre l’hôte (RGCH).
Celle-ci apparaît plus
fréquente après allogreffe de moelle dans les SMD que dans les
leucémies aiguës.
Les conditionnements le plus souvent utilisés
sont l’association cyclophosphamide/irradiation corporelle totale ou
busulfan/cyclophosphamide.
Bien que la première association
semble donner de meilleurs résultats en termes de RGCH et de
toxicité, la supériorité de l’une d’entre elles n’a pu être affirmée dans
les différentes séries.
Les essais d’intensification du conditionnement
pour diminuer la RGCH se sont soldés par une augmentation du
taux de mortalité d’origine toxique.
Un certain nombre d’études ont permis d’évaluer les facteurs
influençant le devenir des patients allogreffés.
Les facteurs
pronostiques favorables pour la survie sans événement sont le jeune
âge, la faible blastose lors de la greffe et un caryotype de faible
risque ou intermédiaire.
Dans l’étude réalisée par la Société française
de greffe de moelle, le taux de survie sans événement à 7 ans de
la greffe atteint 73 % dans les AR simples.
Le taux de rechute est
inférieur à 10 % dans les formes sans excès de blastes médullaires
(AR et ASIA) et de l’ordre de 40 % dans les AREB et les AREB-T
(jusqu’à 71 % dans les AREB-T).
En cas de transformation en
leucémie aiguë, le taux de rechute est proche de 100 %. L’existence
d’un caryotype de haut risque semble également accroître le taux de
rechute.
Le taux de mortalité dû à la transplantation augmente si le patient
est blastique au moment de la greffe, suggérant l’intérêt d’une
chimiothérapie de cytoréduction préalable et d’une greffe précoce.
Si l’on tient compte des facteurs pronostiques connus dans les SMD
et en particulier de l’IPSS, la réalisation assez rapide de l’allogreffe,
lorsqu’elle est possible, semble se justifier (patient jeune avec un
caryotype défavorable ou un SMD secondaire).
Chez les patients
non blastiques avec un caryotype normal ou non défavorable, il
semble plus raisonnable de différer l’allogreffe, compte tenu de ses
risques.
4- Allogreffe de moelle avec un donneur non apparenté
:
Les études dans les SMD sont encore trop peu nombreuses pour
que l’on puisse réellement évaluer les résultats à long terme de
l’allogreffe à partir de donneurs non familiaux.
Deux séries de
32 patients chacune ont été publiées : dans celle de Kernan, le
taux de survie sans rechute est de 18 % à 2 ans ; dans celle d’Anderson, il atteint 40 % à 3 ans.
La différence semble liée au
pourcentage de blastes médullaires au moment de la greffe.
Le taux
de mortalité d’origine toxique reste encore très élevé mais les
progrès en termes de prévention de la maladie du greffon contre
l’hôte laissent espérer que la greffe de donneur non apparenté
pourra prendre dans l’avenir une place importante.
5- Traitements immunosuppresseurs :
Le traitement par immunosupresseurs s’applique aux SMD
présentant une forme hypoplasique.
Ces formes ont la particularité
d’associer une moelle hypocellulaire et les caractéristiques
morphologiques et cytologiques des SMD.
Peu d’études ont
jusque-là été réalisées pour conclure quant à l’efficacité du traitement
immunosuppresseur dans ces formes.
Molldrem et al ont traité
25 patients par sérum antilymphocytaire (SAL).
Onze patients (44 %
dont 64 % d’AR) ont répondu et sont devenus indépendants des
transfusions.
La durée médiane de réponse est de 10 mois et la durée
médiane de survie globale à 38 mois est de 84 %.
Les facteurs
prédictifs d’une bonne réponse au SAL sont : l’âge inférieur à
60 ans, la normalité du caryotype, l’importance de l’hypocellularité
et le fait d’avoir une AR.
Une seule étude rapporte l’efficacité de la cyclosporine dans le
traitement des SMD hypoplasiques.
Dix-sept patients (16 AR, une AREB) ont reçu de la cyclosporine entre 5 et 31 mois.
Douze sont
devenus indépendants des transfusions pendant un temps variable.
Actuellement, des essais associant le SAL et la cyclosporine dans le
traitement des SMD hypocellulaires sont en cours.