Le syndrome pseudoexfoliatif ou pseudoexfoliation capsulaire (PEC)
est connu depuis 1917.
Pourtant, son étiopathogénie exacte reste
encore inconnue.
Décrit tout d’abord au niveau oculaire, il s’agit en
fait d’un processus systémique dégénératif lié à l’âge, impliquant la
matrice extracellulaire, mais ne faisant pas partie du processus
normal de vieillissement.
Au stade évolué, il existe deux aires
givrées à la face antérieure du cristallin, l’une centrale, l’autre
périphérique, séparées par un intervalle clair indemne de tout
matériel floconneux.
Si les complications oculaires, médicales et chirurgicales sont
largement décrites, pouvant compromettre la vision du sujet âgé,
seuls quelques travaux récents explorent son éventuelle expression
clinique extraoculaire.
Terminologie
:
Les différentes dénominations au cours du siècle passé sont
l’expression des théories étiopathogéniques successives. Même à
l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus, car la pathogénie précise reste inconnue.
Le terme de « syndrome pseudoexfoliatif » semble
pour l’instant le plus approprié, dans la mesure où le matériel
pseudoexfoliatif est surajouté d’une part (production et
accumulation de matériel aberrant) à une capsule antérieure de
structure normale, et qu’il s’agit d’un processus dépassant largement
le cadre oculaire d’autre part.
A - EXFOLIATION SÉNILE, THÉORIE
DE L’EXFOLIATION VRAIE :
Même si la description princeps revient à Lindberg en 1917, le
terme d’« exfoliation sénile » n’est proposé qu’en 1925 par Vogt.
Le matériel floconneux proviendrait d’après lui du vieillissement et
de la dégénérescence progressive de la capsule cristallinienne
antérieure.
Selon Gifford, il existerait en plus une exfoliation secondaire à la dégénérescence zonulaire.
Devant la forte
proportion de glaucome chronique à angle ouvert chez les porteurs
de PEC, Vogt associe la notion de glaucoma capsulare.
B - THÉORIE HUMORALE
ET PSEUDOEXFOLIATION CAPSULAIRE
:
Ce terme est proposé en 1954 par Dvorak-Theobald pour marquer
la différence avec l’exfoliation capsulaire vraie, comme elle
pouvait survenir chez les souffleurs de verre.
En effet, l’exposition
prolongée à des températures élevées provoque une desquamation
des lamelles appartenant à la capsule antérieure (rôle des
infrarouges).
Il résulte de la théorie humorale de Busacca de 1928.
Le matériel floconneux pseudoexfoliatif proviendrait plutôt d’une
substance inconnue en suspension dans l’humeur aqueuse, se
déposant secondairement à la surface antérieure du cristallin, sans
dégénérescence associée de la capsule.
C’est le terme le plus employé actuellement, d’où l’abréviation
française de « PEC ».
C - AUTRES DÉNOMINATIONS :
Les termes de « fibrillopathia epitheliocapsularis », ou de basement
membrane exfoliation, impliquaient des théories pathogéniques
diverses, respectivement la production exclusive de matériel
pseudoexfoliatif par le cristallin, ou la dégénérescence des
membranes basales.
Le terme de « syndrome exfoliatif » reste
toujours très employé par les Scandinaves.
Données physiopathogéniques
actuelles
:
L’apport de la microscopie électronique a été déterminant.
La PEC
peut actuellement être considérée comme une fibrillopathie
dégénérative généralisée liée à l’âge, et le matériel pseudoexfoliatif
comme le produit complexe de la synthèse d’une matrice
extracellulaire aberrante.
Sa production est multifocale et
systémique, et son accumulation remplace et détruit
progressivement la matrice extracellulaire normale.
Ceci conduit à
une involution des cellules.
La théorie des microfibrilles élastiques
de Streeten compare la PEC à une forme particulière d’élastose,
en raison de la composition chimique et de l’association structurelle
fréquente du matériel pseudoexfoliatif aux composantes élastiques
dans différents tissus.
Au niveau oculaire, la production résulte non seulement de
l’épithélium cristallinien, mais aussi de l’épithélium pigmentaire de
l’iris et du corps ciliaire.
Ceci explique l’apparition possible
de matériel pseudoexfoliatif sur l’hyaloïde antérieure chez l’aphaque, ou sur les implants intraoculaires de chambre postérieure.
De plus, une partie du matériel est en suspension dans
l’humeur aqueuse et se dépose secondairement sur toutes les
structures du segment antérieur.
Pour l’instant, le matériel pseudoexfoliatif n’a pas pu être mis en évidence au niveau du
segment postérieur.
Le matériel pseudoexfoliatif est également présent dans les tissus
extraoculaires, ainsi que dans la plupart des organes vitaux.
Les
analogies immunohistochimiques et en microscopie électronique du
matériel pseudoexfoliatif en intra- et en extraoculaire plaident pour
un mécanisme pathogénique commun.
A - ASPECT EN MICROSCOPIE ÉLECTRONIQUE :
Les fibrilles de la PEC sont disposées de façon anarchique.
Elles sont
non ramifiées mais peuvent être droites, courbes ou angulées.
Deux
types peuvent être isolés :
– les fibrilles de type A, longues et fines, ont un diamètre de
15-20 nm, une longueur de 1 μm et une périodicité de 50 nm, parfois
25 nm ;
– les fibrilles de type B sont plus courtes, 0,3-0,5 μm, plus épaisses
(30-45 nm), plus denses et sans périodicité.
Ces fibrilles sont
associées à des microfibrilles, soit de 8-10 nm, soit de 3-6 nm de
diamètre, avec une micropériodicité de 10 à 12 nm, au sein d’une
matrice extracellulaire amorphe.
B - ORIGINE DU MATÉRIEL PSEUDOEXFOLIATIF :
HYPOTHÈSES
La production se fait probablement par différents types de cellules
épithéliales et mésenchymateuses. Bien que les fibrilles n’aient
encore jamais été mises en évidence en intracellulaire strict, elles
semblent apparaître dans des vacuoles d’exocytose à la surface des
cellules.
Dans un premier temps, il s’agit de microfibrilles qui
s’épaississent pour former les agglomérats typiques du matériel
pseudoexfoliatif, de structure pseudoarborisée et se répandent
dans l’humeur aqueuse pour former des dépôts secondaires.
En intraoculaire, le matériel pseudoexfoliatif est en association
étroite avec l’épithélium non pigmenté du corps ciliaire,
l’épithélium pigmenté de l’iris, l’épithélium prééquatorial du
cristallin, l’endothélium cornéen et trabéculaire, ainsi que presque toutes les
cellules du stroma irien.
En extraoculaire, il existe une association particulière avec les
cellules musculaires, les péricytes et l’endothélium vasculaires, ainsi
que les cellules conjonctivales.
C - COMPOSITION CHIMIQUE :
Elle n’est pas encore totalement élucidée.
Les difficultés rencontrées
sont la non-solubilité et la quantité insuffisante du matériel, ainsi
que l’absence de modèle expérimental.
Les études immunohistochimiques permettent d’envisager un noyau protéique
entouré de chaînes polysaccharidiques, amalgame complexe de
glycoprotéines et de protéoglycanes, résistant aux
enzymes, associé à de l’acide hyaluronique.
Le profil
d’acides aminés est compatible avec des microfibrilles élastiques et des composantes non collagéniques de membranes
basales et amyloïdes.
Le matériel pseudoexfoliatif comprend
des composantes des membranes basales ainsi que des composantes
élastiques.
Classification clinique
:
SIGNES CLINIQUES :
L’expression oculaire est asymétrique, mais on peut considérer que
les deux yeux sont impliqués à des stades différents.
La bilatéralisation intervient dans 6,8 -16,8 % à 5 ans, voire 30-43 % chez
les Scandinaves.
Le diagnostic de la PEC est surtout clinique et s’effectue au
biomicroscope.
Outre l’existence des flocons grisâtres dans le
segment antérieur, de nombreux signes indirects, pigmentaires, sont
déjà associés à la PEC dans les stades précoces.
En effet, même en
l’absence de flocons visibles sur la capsule ou l’iris, les signes
pigmentaires sont corrélés à la présence objective de matériel pseudoexfoliatif, par exemple dans des biopsies de conjonctive
ou de paupière, ainsi qu’à la présence d’une couche microfibrillaire
précapsulaire antérieure, visible en microscopie électronique.
Ces
signes pigmentaires sont les suivants :
– dispersion mélanique à partir de l’épithélium irien lors des
mouvements de l’iris ;
– dépôts mélaniques sur les structures du segment antérieur ;
– mydriase difficile avec tyndall pigmentaire ;
– defects focaux mélaniques du stroma irien et atrophie du rebord
pupillaire ;
– pigmentation du trabéculum, prédominant dans la moitié
inférieure et irrégulière ;
– présence de plusieurs lignes pigmentées au niveau de l’anneau
de Schwalbe (ligne de Sampaolesi).
La PEC représentant un risque accru de complications lors de
chirurgies intraoculaires et une forte proportion de glaucomes, un
diagnostic le plus précoce possible est de grande valeur.
La
classification proposée par GO Naumann repose sur l’aspect
des altérations morphologiques présentes à la surface antérieure du
cristallin et la corrélation clinicomicroscopie électronique conduit à
considérer quatre stades distincts évolutifs.
1- Stade A préclinique :
Indétectable en biomicroscopie mais visible en microscopie
électronique, il s’agit d’une fine couche de microfilaments en avant
de la cristalloïde antérieure.
Cette couche provient probablement
d’un dysfonctionnement du métabolisme de la matrice
extracellulaire et le dépôt se fait à partir de l’humeur aqueuse.
La
structure de l’iris est normale à ce stade.
2- Stade B ou « suspicion de PEC »
:
La même couche de microfilaments est retrouvée en microscopie
électronique sur toute la surface de la capsule cristallinienne, mais
plus épaisse, et commence à être visible au biomicroscope (aspect
dépoli et diffus du cristallin).
Les signes pigmentaires associés
débutants sont présents, le plus important étant la pigmentation trabéculaire.
Il existe également quelques defects iriens et de la
marge pupillaire, visibles en transillumination.
La mydriase est
incomplète après instillation d’un collyre mydriatique, avec
dispersion pigmentaire nette.
3- Stade C ou « mini-PEC »
:
Les frottements produits par le contact entre l’épithélium
pigmentaire de l’iris et de la face antérieure du cristallin conduisent
à l’apparition d’un defect focal de la couche précapsulaire
microfibrillaire.
Cette véritable abrasion débute classiquement dans
le quadrant nasal supérieur, là où les frottements seraient les plus
importants.
En périphérie, l’aspect granulaire de la couche précapsulaire se précise.
Les signes pigmentaires associés
précités sont tous présents à des stades plus marqués.
4- Stade D ou « PEC classique »
:
Il correspond à la description de Mailing et Vogt par
agrandissement et multiplication des zones de defects dans la
couche précapsulaire.
Il existe trois zones individualisées : la zone
centrale où persiste du matériel pseudoexfoliatif est un disque
homogène, dont le diamètre correspond au diamètre pupillaire
physiologique (absence de frottements).
Elle est séparée de la zone
périphérique granulaire, visible seulement en mydriase, par une
zone intermédiaire indemne.
Sous l’action des mouvements
pupillaires, les rebords de la zone périphérique peuvent s’enrouler
de façon centrifuge, ceux de la zone centrale de façon
centripète.
De plus, les flocons de matériel pseudoexfoliatif sont également
présents sur l’appareil zonulaire, au niveau du trabéculum et sur
l’endothélium cornéen, pouvant simuler d’autres pathologies.
Prévalence
:
La PEC a été décrite en premier dans les pays scandinaves. Mais de
nombreuses études ont démontré une répartition
mondiale.
La prévalence générale se situe entre 3 et 8 %.
Il existe
une forte variabilité en fonction des pays, des ethnies et des régions
au sein d’un même pays.
De nombreux biais (méthodologie
variable, sélection des patients, critères diagnostiques...) compliquent
la comparabilité des résultats.
A - RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE :
La prévalence est variable, allant de 0 % (Esquimaux), 2-18 % dans
l’Europe de l’Ouest, aux États-Unis ou au Japon, 16 % chez les
aborigènes australiens et 38 % chez les Indiens Navajos.
En
Scandinavie, la prévalence est importante, 10 à 43 % pour des
patients de plus de 60 ans, ainsi que dans certaines ethnies, Bantous
d’Afrique, Indiens Navajos, aborigènes australiens.
La seule
étude comparative randomisée à grande échelle, sur 11 000 yeux,
a montré une prévalence élevée (20 %) chez les Lapons, les Islandais,
Finlandais, Russes de Novosibirsk, Tunisiens du désert, mais une
prévalence faible, voire nulle chez les Péruviens (altitude supérieure
à 4 000 m), les peuplades de l’Himalaya et les Esquimaux du
Groenland.
Forsius avance comme hypothèse à cette variation des causes génétiques, mais aussi des causes environnementales, en
particulier la radiation aux utraviolets (UV).
B - CORRÉLATION À L’ÂGE :
Dans toutes les études, on constate une nette augmentation de la
prévalence avec l’âge.
D’après Forsius, l’incidence double à
chaque décade après 50 ans, quelle que soit la structure
démographique du pays.
L’étude de cohorte (2 940 personnes) de la Framingham Eye Study retrouve cette augmentation de la
prévalence avec l’âge, de 0,6 % entre 52 et 64 ans, de 2,6 % entre
65 et 74 ans et de 5 % de 75 à 85 ans, confirmant les résultats de
Aasved dans une étude de 8 537 Norvégiens.
En Europe, la PEC est rare chez le patient jeune.
Cependant elle a
été décrite dès 30 ans chez les Bantous, mais aussi dans des
circonstances particulières post-traumatiques : à 22 ans dans les
suites d’une plaie transfixiante de cornée, ou encore à 17 ans
après trabéculectomie pour glaucome congénital.
Dans les deux
cas, l’apparition d’une PEC précoce est en relation probable avec
des lésions traumatiques vasculaires de l’iris (iridectomie).
C - CORRÉLATION AU SEXE :
La corrélation au sexe est assez controversée.
Dans l’étude de Framingham, la prévalence est plus fréquente chez la femme après
65 ans, contrairement à l’étude d’Aasved.
En fait, la distribution du sexe dans la PEC semble dépendre de la
coexistence ou non d’un glaucome : plus fréquent chez la femme
dans une population non glaucomateuse.
En revanche, les PEC
de sexe masculin semblent plus fréquemment développer un
glaucome.
Facteurs de risques et facteurs facilitants
:
Le risque de présenter une PEC, outre l’âge et les facteurs
traumatiques, semble influencé par des facteurs génétiques,
personnels et environnementaux.
A - FACTEURS GÉNÉTIQUES :
La mise en évidence des facteurs héréditaires est d’autant plus
difficile que la PEC est fréquente dans la population générale, avec
de fortes variations de prévalence.
La prévalence élevée en
Scandinavie, en Bretagne et chez les Bantous suggère l’existence
d’un facteur génétique, de même que l’existence de PEC familiale et
de PEC chez des couples de vrais jumeaux.
Pour de nombreux
auteurs, les facteurs héréditaires sont indéniables, et la PEC serait
de transmission autosomique dominante, à expressivité variable.
Récemment, publiée en mai 1999, une étude multicentrique a
identifié pour la première fois une localisation chromosomique
précise, très probablement impliquée dans l’hérédité du syndrome pseudoexfoliatif, soit deux loci sur le chromosome 2.
Cette étude
portait sur 17 familles, dont 42 membres étaient atteints de PEC.
Les
régions génétiques concernées sont la région 2p14-2C et la région
2q35-q36.
Auparavant, les études HLA ont donné des résultats
controversés.
Il n’y a pas non plus de différence de distribution
des groupes ABO Rhésus chez les porteurs de PEC.
B - FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX
:
Ils semblent également indéniables.
En effet, en 1988, Ringvold
montre que l’apparition d’une PEC chez deux conjoints dépasse de
3,2 % la valeur attendue.
Exposition aux ultraviolets :
L’exposition au rayonnement UV, en particulier, semble être
impliquée dans l’apparition de la PEC.
Dans des populations
fortement exposées aux UV comme les aborigènes australiens,
Taylor retrouve une forte prévalence (16,5 %), notamment chez
les dockers.
Il a de plus établi une corrélation entre l’apparition de
la PEC et un taux annuel global de radiations supérieur à
600 mW/h/cm2, pour une population de plus de 60 ans.
Par ailleurs, il existe une inversion du sex-ratio en faveur de la
population masculine, dans des zones où les hommes sont plus
exposés au climat par leur activité professionnelle.
C’est le cas chez
des pêcheurs, des montagnards ou des nomades du désert.
C - FACTEURS PERSONNELS :
1- Couleur de l’iris :
Aucune corrélation avec une couleur particulière de l’iris n’a pu être
établie avec certitude.
Par exemple, les Esquimaux ont un iris foncé
mais peu de PEC, à l’inverse des Bantous. Le rôle protecteur du
pigment irien contre les UV suspectés dans l’apparition de la PEC
n’a donc pas été établi.
2- Dégénérescence maculaire liée à l’âge
:
Récemment, une corrélation positive entre PEC et dégénérescence
maculaire liée à l’âge (DMLA) dans les populations crétoise ou
bretonne a été montrée pour la première fois.
En Crête, PEC et
DMLA étaient directement corrélées à l’âge, mais aussi à l’altitude,
ce qui renforce l’hypothèse des UV.
Il existe en effet de nombreuses
similitudes épidémiologiques entre ces deux pathologies.
Modifications structurelles
et conséquences :
A - CRISTALLIN :
Modifications histologiques
:
Au stade A de la couche précapsulaire, il existe une fine couche de
microfibrilles sur toute la surface de la cristalloïde antérieure, dont
l’épaisseur est de 0,1-3,5 μm. Elle ne contient pas les fibrilles
caractéristiques A et B.
Au stade D, la zone centrale ressemble à la couche microfibrillaire,
d’une épaisseur de 1,5 à 3,5 μm, mais avec quelques fibres A et B.
La
zone intermédiaire présente quelques mottes isolées à la surface lisse
de la capsule.
La zone périphérique granulaire consiste en de
nombreuses mottes de matériel PE typique, produites par
l’épithélium pigmentaire irien, pouvant se détacher lors des
mouvements iriens.
La zone capsulaire prééquatoriale est la seule
partie de la capsule à être modifiée en profondeur et produisant
activement du matériel PE : il existe des fibrilles dans les deux
tiers antérieurs de la capsule, produites par l’épithélium
cristallinien et s’agrégeant en fibrilles pseudoarborisées à la surface
des cellules pour ensuite infiltrer la capsule secondairement.
B - ZONULE ET CORPS CILIAIRE
:
1- Modifications histologiques :
Les flocons de matériel pseudoexfoliatif sont visibles en gonioscopie
dans la plupart des yeux, même lorsque la PEC n’est pas encore
visible sur le cristallin.
Les fibrilles recouvrent et s’incrustent dans
les fibres zonulaires et leur accumulation les dilacère.
La production
se fait à partir des cellules de l’épithélium non pigmenté du corps
ciliaire.
L’ancrage des fibres zonulaires est ainsi fragilisé par
destruction progressive des membranes basales, au niveau du corps
ciliaire et au niveau du cristallin, et la dilacération des fibres les rend
friables.
Conjointement aux modifications de la capsule dans la zone prééquatoriale, ceci est à l’origine de ruptures de certaines de ces
fibres.
2- Conséquences cliniques
:
La fragilité de la zonule peut se traduire par un phacodonésis, voire
même une luxation du cristallin, spontanée ou après traumatisme
léger.
Vers l’avant, cette luxation entraîne un glaucome aigu par
fermeture de l’angle ou par bloc pupillaire, vers le vitré une
cataracte hypermûre avec risque de glaucome phacolytique.
Les
risques pendant la chirurgie de la cataracte sont plus élevés, comme
la dialyse zonulaire ou la perte de vitré.
C - TRABÉCULUM :
1- Modifications histologiques
:
Il existe de façon précoce une pigmentation du trabéculum,
importante, irrégulière, prédominant dans la partie inférieure, à
partir de la mélanine en provenance de l’iris en suspension dans
l’humeur aqueuse.
L’importance de la pigmentation est
indépendante du stade de la PEC.
Le matériel pseudoexfoliatif est présent d’une part dans le tissu
jouxtant le canal de Schlemm, d’autre part dans la partie uvéale du
trabéculum.
Les fibrilles sont produites puis s’accumulent
passivement dans les cellules endothéliales du canal de Schlemm.
Ne pouvant pas être phagocytées comme la mélanine, les cellules se
« ballonnisent » progressivement, avec protrusion dans la lumière
du canal.
De plus, leur dégénérescence entraîne des oblitérations
partielles endocanaliculaires par accolement des cellules entre
elles.
2- Conséquences cliniques :
L’augmentation de résistance à l’écoulement de l’humeur aqueuse,
associée à l’augmentation de sa viscosité est à l’origine d’une
prédisposition au développement de glaucomes chez les patients
porteurs d’un syndrome pseudoexfoliatif.
D - IRIS :
1- Modifications histologiques
:
Le matériel pseudoexfoliatif se trouve dans toutes les structures de
l’iris : épithélium pigmenté, stroma, vaisseaux, sphincter et
muscle dilatateur de l’iris.
Tous les types cellulaires participent : fibrocytes, mélanocytes, cellules endothéliales vasculaires, péricytes,
cellules musculaires.
La dégénérescence de l’épithélium pigmentaire
conduit à la libération de mélanine, et celle des cellules musculaires
à la pauvreté de la mydriase.
Celle des vaisseaux conduit à des microthromboses capillaires avec hypoperfusion et réduction de
la pression partielle d’oxygène dans la chambre antérieure et rupture
de la barrière hématoaqueuse.
2- Modifications en angiographie à la fluorescéine :
Il existe une raréfaction des vaisseaux iriens radiaires, avec hypoperfusion, micronéovascularisation et extravasation de
fluorescéine surtout au niveau de la marge pupillaire.
3- Conséquences cliniques
:
Les mouvements iriens, en particulier la mydriase diagnostique,
conduisent à une dispersion mélanique en chambre antérieure.
Il
existe des dépôts secondaires de grains de mélanine sur l’iris.
L’hypoxie conduit probablement à l’atrophie péripupillaire et
stromale et la vasculopathie irienne à des hémorragies spontanées ou lors de la mydriase, pouvant conduire à un hyphéma
total.
Le matériel pseudoexfoliatif ayant des propriétés adhésives, la
survenue de synéchies postérieures spontanées est possible,
aggravée par l’instillation de traitements hypotonisants miotiques.
E - CORNÉE :
1- Modifications histologiques :
Il existe parfois quelques flocons de matériel pseudoexfoliatif accolés
à l’endothélium de façon isolée, voire intégrés dans la
membrane de Descemet.
Il existe une raréfaction des cellules
endothéliales avec polymorphisme et polymégatisme, une
dégénérescence cellulaire avec proliférations cellulaires focales (rôle
de l’hypoxie du segment antérieur ?) et production active de
microfibrilles in situ, ainsi qu’une production anormale de matrice
extracellulaire amorphe.
La densité cellulaire chute significativement
chez un patient porteur de PEC, d’autant plus qu’il présente un
glaucome associé.
Dans les stades tardifs, l’endothélium peut
même devenir une source de production des fibrilles.
2- Conséquences cliniques :
La kératopathie est présente précocement dans la PEC.
L’altération
de l’endothélium peut conduire à une décompensation oedémateuse,
en particulier lors de pics pressionnels minimes ou lors de chirurgie
intraoculaire.
Cette décompensation est diffuse, contrairement à celle
de la cornea guttata ou de la dystrophie de Fuchs, qui commence au
centre pour s’étendre vers la périphérie.
F - HUMEUR AQUEUSE :
Il existe une rupture de la barrière hématoaqueuse, avec discret
tyndall (tyndallométrie), pouvant simuler une pseudo-uvéite.
La
concentration en protéines est multipliée par trois, augmentant
encore lors de chirurgies intraoculaires (filtrante ou cataracte).
G - FILM LACRYMAL
:
L’involution des cellules conjonctivales augmente le risque de
xérophtalmie, surtout s’il existe un traitement bêtabloquant local
associé.
En effet, le test de Schirmer et le temps de rupture du film
lacrymal sont significativement altérés dans la PEC.
Syndrome pseudoexfoliatif
et glaucome
:
Environ 40 à 60 % des patients PEC présentent un glaucome
chronique à angle ouvert (GCAO) secondaire. S’il survient un
glaucome dans un cas de PEC unilatérale, alors celui-ci survient du
côté où la PEC est manifeste. Inversement, parmi les
glaucomateux, 10-85 % présentent une PEC.
Il existe de nombreuses différences avec le glaucome pigmentaire et avec le GCAO primitif : le glaucome pseudoexfoliatif
est souvent asymétrique, avec un fond hypertonique plus marqué,
des pics pressionnels, une altération précoce de la papille et du
champ visuel, une résistance rapide au traitement médical, une
trabéculorétraction initiale très efficace mais transitoire, un
pronostic plus péjoratif avec conséquence chirurgicale
(trabéculectomie) plus fréquente, et enfin des différences HLA, ABO
Rhésus, ainsi que des différences histologiques.
Outre le GCAO secondaire, la PEC peut se compliquer de glaucome
aigu à angle ouvert chez 25 % des sujets glaucomateux chroniques.
L’augmentation aiguë du tonus oculaire (souvent supérieur à
50 mmHg sans mydriase) provient de l’oblitération aiguë du
trabéculum par dispersion de mélanine et de flocons de PEC,
d’autant plus s’il existe déjà une subluxation du cristallin vers le
vitré.
Par ailleurs, peut également survenir, dans une proportion plus
faible, un glaucome à angle fermé sur blocage pupillaire (10 %), ou
sur blocage ciliaire par instabilité zonulaire.
Il semblerait que les
yeux porteurs d’un syndrome pseudoexfoliatif présentent une
proportion plus importante d’angle étroit, ainsi qu’un volume
plus petit de la chambre antérieure : microphtalmie antérieure
relative, cristallin plus gros, longueur axile plus petite ?
Une subluxation minime du cristallin vers l’avant peut entraîner un
blocage pupillaire, et ce d’autant plus que la mydriase est déjà
médiocre et qu’il existe des synéchies postérieures.
Si la subluxation du cristallin vers l’avant est plus importante, la
contraction du muscle ciliaire la majore et engendre un blocage
pupillaire aigu.
Une extraction du cristallin en urgence est
indispensable si le bloc ciliaire n’est pas rapidement levé par une cycloplégie médicamenteuse énergique.
Syndrome pseudoexfoliatif
et cataracte
:
La PEC semble favoriser la survenue d’une cataracte nucléaire, mais les deux pathologies apparaissent chez le sujet âgé.
A - COMPLICATIONS CHIRURGICALES :
1- Risques peropératoires :
La PEC est un facteur de risque de complications peropératoires.
Elles sont liées à la mydriase médiocre, aux synéchies
postérieures, à la structure plus rigide de l’iris et surtout à la fragilité zonulaire.
* Risque de rupture zonulaire peropératoire
:
Il est surtout important dans les PEC évoluées.
Le chirurgien
s’attachera à rechercher en préopératoire un phacodonésis.
Le risque
de survenue de rupture zonulocapsulaire est multiplié par quatre si
le diamètre pupillaire maximal est inférieur à 6 mm.
* Risque de perte de vitré
:
Il est également augmenté. Une dilatation pupillaire maximale
inférieure à 6,5 mm multiplie par deux le risque d’issue de vitré.
Si
elle est inférieure à 4,5 mm, le risque est multiplié par cinq.
Ceci
pourrait augmenter les risques de décollement de rétine du pseudophaque (hypothèse non encore vérifiée).
2- Risques postopératoires
:
* Hypertonie oculaire transitoire.
– Inflammation postopératoire
:
Réaction inflammatoire de la chambre antérieure plus importante et
plus longue (rupture de la barrière hématoaqueuse), après chirurgie
de la cataracte ou chirurgie filtrante, avec formation fréquente de
fibrine, pouvant simuler une pseudo-uvéite.
– Cataracte secondaire
:
Elle est d’environ 46,5 % à 1 an chez les patients porteurs d’une PEC,
contre 29,6 % sans PEC, et est probablement également liée à la
rupture de la barrière hématoaqueuse.
L’une des hypothèses pour la stimulation de la prolifération des cellules épithéliales du cristallin
serait, outre les phénomènes d’hypoxie, l’augmentation importante
de la concentration en protéines sériques et en facteurs de croissance
dans l’humeur aqueuse.
* Autres complications
:
– Décentrement tardif de l’implant de chambre postérieure par
décentrement fibrotique de tout le sac capsulaire en raison de
l’insuffisance de l’appareil zonulaire.
– Décompensation endothéliale cornéenne diffuse, mais perte
cellulaire comparable lors de la chirurgie.
– Résultats visuels postopératoires inférieurs chez les patients
porteurs de PEC en comparaison de ceux qui sont indemnes.
B - CHOIX DE LA TECHNIQUE CHIRURGICALE :
1- Type d’extraction :
Il est primordial de savoir s’il existe un phacodonésis franc
préopératoire.
En cas d’absence ou en cas de phacodonésis léger, l’extraction
extracapsulaire est la règle.
Si la dilatation pupillaire est insuffisante
(inférieure à 6 mm), des sphinctérotomies ou des écarteurs à iris sont
nécessaires.
La phacoémulsification peut être utilisée en routine
car elle présente peu de risques de complications chez des
chirurgiens expérimentés.
J Colin applique le protocole opératoire
suivant : dilatation pupillaire, capsulorhexis large, hydrodissection
complète du noyau, anneau en polymétacrylate de méthyl (PMMA)
pour tendre le sac et diminuer éventuellement la rétraction du
capsulorhexis.
Pour l’instant, l’implantation d’implants de chambre
postérieure avec des haptiques en PMMA, n’a pas permis de réduire
significativement le « capsulophimosis ».
S’il existe un phacodonésis majeur avec subluxation du cristallin,
une extraction intracapsulaire est de mise, avec implant suturé à la
sclère.
De même, si la dilatation pupillaire est nulle avec synéchies
circulaires, une iridectomie sectorielle est en plus nécessaire, avec
suture en fin d’intervention.
2- Implantation
:
Le cristallin artificiel est implanté en chambre postérieure chaque
fois que cela est possible, c’est-à-dire en cas d’intégrité de la zonule
et de la capsule postérieure.
Sinon, il faut préférer une implantation dans le sulcus à une
implantation en chambre antérieure, en raison de la diminution du
comptage endothélial et du risque important de GCAO secondaire.
L’inconvénient de l’implantation dans le sulcus est l’augmentation
de la dispersion mélanique par frottement de l’implant contre l’iris,
avec contact direct avec le corps ciliaire pouvant entraîner des
hypertonies.
Syndrome pseudoexfoliatif
systémique
:
A - LOCALISATIONS :
Elles sont démontrées depuis le début des années 1990.
Le
matériel pseudoexfoliatif est en particulier présent dans des biopsies
de conjonctive et de peau des paupières.
Les fibrilles pseudoexfoliatives sont en rapport structurel étroit avec les fibres
élastiques, les fibroblastes et le collagène des viscères.
1- Répercussions cliniques ?
L’implication de la PEC dans des manifestations pathologiques
extraoculaires reste floue.
Celles-ci font l’objet de nombreuses études
actuelles, mais peu de résultats sont connus.
La PEC peut pourtant
être considérée comme indicateur d’un terrain à risque
cardiovasculaire.
* Thrombose veineuse rétinienne ?
Une seule étude récente a étudié rétrospectivement l’existence ou
non d’une PEC lors de la survenue de thrombose veineuse
rétinienne.
Environ 6 % des patients présentaient une PEC.
L’auteur
met en cause la PEC comme véritable facteur de risque de survenue
d’une thrombose rétinienne de branche à proximité de la papille, et
ce d’autant plus qu’il existe un glaucome associé (rôle de
l’hypertonie et de l’angle plus aigu des vaisseaux au niveau de
l’excavation d’une papille glaucomateuse).
Une autre hypothèse est
la possible vasculopathie des vaisseaux rétiniens, dans la mesure où
du matériel pseudoexfoliatif a été mis en évidence en extrabulbaire,
à proximité des vaisseaux nourriciers du nerf optique.
* Pathologies carotidiennes et vasculaires cérébrales ?
Pour certains auteurs, la transillumination irienne anormale serait
associée aux maladies cérébrovasculaires extracrâniennes.
La PEC étant plus fréquente chez les patients présentant un AIT,
l’hypoperfusion oculaire pourrait être incriminée comme facteur de
développement de PEC.
En effet, les patients ayant présenté un AIT
indiquent une augmentation de l’indice de résistivité dans l’artère
ophtalmique, suggérant des modifications au niveau de la
circulation ciliaire.
+ Pathologie carotidienne
:
D’autres auteurs n’ont pas retrouvé de différence entre les index
de résistance au niveau des carotides interne et externe et des artères
ophtalmiques, mais une augmentation significative de l’épaisseur de
l’intima-média (versus GCAO primitifs) au niveau de la carotide
primitive dans le groupe PEC, suggérant un épaississement de la
paroi par du matériel pseudoexfoliatif dans des vaisseaux à destinée
céphalique.
Dans une récente étude cas-témoins, 14 % des patients PEC ont
présenté un AVC avec séquelles hémiplégiques, contre 1,5 % dans le
groupe témoin.
* Terrain cardiovasculaire
:
En Australie, 4 433 individus de plus de 49 ans ont été examinés
dans une étude de cohorte. Une PEC a été retrouvée dans 2,3 %
des cas, avec une prévalence augmentant avec l’âge, le sexe féminin
et le glaucome.
Une association statistiquement significative était
montrée pour la première fois, après appariement au sexe, à l’âge, à
la tension artérielle systolique, au diabète, à la cholestérolémie, au
tabagisme et à la masse corporelle, entre la PEC et des anamnèses
positives d’hypertension artérielle, d’angine de poitrine d’une part,
ou la combinaison angine de poitrine-infarctus ou angine de
poitrine-syndrome de menace d’autre part.
Une deuxième étude
mettait en évidence l’existence d’antécédents personnels de
pathologies cardiovasculaires graves dans le groupe PEC, incluant
en particulier des troubles du rythme cardiaque, infarctus, angine
de poitrine, ainsi que des antécédents de chirurgie cardiaque.
Conclusion
:
La PEC présente un tableau clinique ophtalmologique décrit et connu
depuis de nombreuses années, du fait de sa fréquence et de sa répartition
mondiale.
L’identification de certains de ses facteurs de risques, comme
l’hypoperfusion oculaire ou les facteurs génétiques et environnementaux
a été possible, mais ne permet pas d’élucider précisément
son étiopathogénie.
Les complications oculaires peuvent compromettre la vision du sujet
âgé.
En effet, la PEC est à considérer comme un facteur de risque de
glaucome, ainsi que de complications diverses de la chirurgie
intraoculaire.
Ceci impose sa recherche systématique en préopératoire.
Si la PEC se confirme à l’avenir comme indicateur de terrains à risque
particuliers, notamment cardiovasculaire, qui mettent en jeu des
pathologies graves, sa détection précoce oculaire deviendra primordiale
pour une meilleure prise en charge multidisciplinaire des facteurs
véritables de risques respectifs.