Syndrome dépressif : orientation diagnostique et principes du traitement Cours de psychiatrie
Les syndromes dépressifs peuvent être définis comme
des états pathologiques centrés par une altération pathologique
de l’humeur, orientée dans le sens de la tristesse.
Classiquement, cette altération est décrite comme un
fléchissement du tonus psychique, au sens de Janet, dont
témoignent tout à la fois la dépression de l’humeur et
l’inhibition psychomotrice.
Depuis les travaux de Jean
Delay, l’accent est mis sur la dimension affective du
trouble décrit comme un état affectif douloureux,
l’hyperthymie douloureuse, témoignant d’une exagération
de cette fonction plus que d’une réduction de
celle-ci.
Il s’agit d’une pathologie psychiatrique parmi
les plus fréquentes.
Orientation diagnostique
:
A - Sémiologie
:
La sémiologie des syndromes dépressifs est centrée par
une triade symptomatique associant l’altération pathologique
de l’humeur (trouble fondamental), l’inhibition
psychomotrice ou ralentissement et des signes somatiques
exprimant l’atteinte des fonctions instinctuelles.
1- Tristesse de l’humeur
:
L’humeur se définit comme la « disposition affective
fondamentale… qui donne à chacun de nos états d’âme
une tonalité agréable ou désagréable, oscillant entre les
deux pôles extrêmes du plaisir et de la douleur »
(J. Delay).
Au cours des états dépressifs, l’altération particulière
de l’humeur se manifeste soit par une intensité
anormale de cet affect, de tonalité particulièrement
pénible et pouvant susciter une souffrance intense
(« douleur morale »), soit par son caractère inapproprié
sans lien avec une situation ou un événement particulier,
soit encore par sa permanence, l’humeur ayant perdu sa
capacité à fluctuer avec les circonstances et restant fixée
de façon inamovible au pôle de la tristesse.
La tristesse dépressive est souvent verbalisée par un discours
pessimiste centré par des ruminations morbides
concernant des fautes réelles ou supposées commises
par le passé, les difficultés du présent et celles à venir.
L’anticipation est toujours altérée avec péjoration plus
ou moins marquée de l’avenir qui n’est le plus souvent
conçu que comme ne pouvant apporter que soucis
supplémentaires et souffrances.
Dans les cas les plus
sévères, toute anticipation est devenue impossible, le
temps vécu du déprimé reste comme suspendu entre un
passé source de remords ou de regrets, un présent fait
d’une souffrance indicible et un avenir disparu.
L’altération de l’humeur s’accompagne de perturbations
des fonctions supérieures, décrites sous le terme de distorsions
cognitives par les tenants d’une approche cognitivo-comportementale.
Il existe ainsi un ensemble
de jugements pessimistes sur soi, le monde extérieur et le futur (triade cognitive de Beck) alimentant, dans certains
cas, l’hostilité et les récriminations envers l’entourage,
notamment lorsque les mécanismes de projection
prédominent.
En fonction de l’intensité de la dépression
et de la structure de personnalité sous-jacente, ces perturbations
peuvent prendre une tonalité franchement
pathologique avec idées délirantes de préjudice voire
véritable délire de persécution.
La perte de l’estime de
soi est le plus souvent au premier plan, avec idées d’indignité,
de culpabilité, pouvant également atteindre,
dans les dépressions les plus graves du registre mélancolique,
une intensité délirante.
La tristesse de l’humeur est également exprimée sur un
mode non verbal avec expression triste du visage,
attitude abattue et pleurs faciles. Elle imprègne tous les
instants de la vie du déprimé mais son intensité peut être
fluctuante.
Le repérage des variations nycthémérales de
l’humeur et de la persistance, dans certains cas, d’une
certaine réactivité à l’ambiance, fournit des informations
utiles sur la nature du syndrome dépressif .
2- Inhibition psychomotrice ou ralentissement
psychomoteur :
Au plan physique, elle est de façon presque constante
exprimée au travers d’une impression de fatigue plus
ou moins permanente, ne s’améliorant pas au repos
et représentant une gêne dans toutes les activités du
quotidien, même les plus simples.
La présentation du
déprimé témoigne de ce ralentissement : le maintien est
abattu, les traits du visage tombants reflètent tout
à la fois la fatigue et la tristesse, les gestes sont lents et
parcimonieux.
La parole est également atteinte par ce
ralentissement : le débit verbal est réduit de même que
son intensité, le ton est monotone, les échanges tendent
à devenir laconiques.
Dans les cas les plus graves,
l’inhibition motrice peut être telle qu’elle aboutit à un
état de sidération où toute action ou échange verbal sont
impossibles, comme dans le tableau classique de la
mélancolie stuporeuse.
Le fonctionnement psychique est également le siège
d’une inhibition plus ou moins intense décrite sous le
terme de bradypsychie.
Tous les registres de l’activité
mentale
– capacités d’idéation, d’évocation, d’associations
et de synthèse
– peuvent être atteints plus ou moins
profondément.
Dans les dépressions les moins graves,
ces altérations sont exprimées le plus souvent au travers
de difficultés mnésiques ou de troubles de la concentration
pouvant gêner, par exemple, la lecture ou le suivi
d’un film, voire même interférer avec la capacité à
suivre une conversation.
Dans les cas les plus graves,
la bradypsychie peut être extrême amenant à un état
d’hébétude comme dans la stupeur mélancolique où elle
va de pair avec un ralentissement moteur extrême.
Le vécu émotionnel est également inhibé avec réduction
de la capacité à éprouver du plaisir décrite sous le terme
d’anhédonie.
Le déprimé est, de façon très constante,
dans l’impossibilité d’éprouver le sentiment habituel de
satisfaction ou de plaisir dans ses relations avec son
entourage ou dans ses activités, y compris celles qui étaient les plus investies auparavant.
Cette gêne contribue
à alimenter le vécu d’insatisfaction pénible et l’atteinte
de l’estime de soi.
La diminution de l’acuité des
éprouvés affectifs (« émoussement » affectif) est souvent
douloureusement ressentie et vécue sur un mode de
culpabilité lorsqu’elle touche aux êtres les plus proches
et les plus chers.
Dans les dépressions sévères, on peut
ainsi observer une véritable « anesthésie affective », tout
sentiment semblant être devenu impossible.
La place de
l’anhédonie dans le tableau clinique de la dépression a
connu une évolution récente considérable.
Les critères
diagnostiques actuels la mettent en effet sur le même
plan que la tristesse de l’humeur, sa seule présence étant
suffisante pour porter le diagnostic de dépression majeure
(DSM IV : Diagnostic and statistical manual of mental
disorders 4th edition), de façon équivalente à la tristesse
de l’humeur.
Dans certains cas, moins typiques, le ralentissement
peut être remplacé par une agitation psychomotrice,
notamment lorsqu’une anxiété importante est associée à
la dépression.
Dans ces situations, la fébrilité du comportement
et du discours remplace l’abattement et l’inhibition
dépressive et reflète l’intensité de l’anxiété.
Ces
situations comportent un risque particulièrement élevé
de passage à l’acte suicidaire.
3- Symptômes somatiques
:
• Certains témoignent de l’atteinte des fonctions instinctuelles.
Les troubles du sommeil sont la règle au
cours des états dépressifs.
Le plus souvent il s’agit d’une
insomnie, classiquement de la seconde partie de la nuit,
avec réveil précoce en seconde partie de nuit.
Incapable
de se rendormir, le déprimé est alors en proie à des
ruminations morbides sur les difficultés de la journée à
venir ou les remords concernant le passé.
Ces heures
d’insomnie sont une période à risque élevé de passage à
l’acte suicidaire.
Ailleurs, il s’agira d’une insomnie
d’endormissement, notamment lorsque l’anxiété associée
est importante.
Souvent l’insomnie apparaît mixte,
mêlant difficultés d’endormissement et réveil matinal
précoce.
Ces troubles du sommeil sont sous-tendus par
des perturbations biologiques de la structure du sommeil,
objectivées par les études consacrées aux électroencéphalogrammes
de sommeil des déprimés.
Dans
certains cas, on observe une hypersomnie qui peut remplacer
l’insomnie habituelle ou, parfois, se manifester
pendant la journée et s’associer alors à une réduction du
sommeil nocturne, réalisant une inversion plus ou moins
complète du rythme veille-sommeil.
• La réduction de l’appétit est également habituelle,
associée ou non à une perte de poids.
Parfois, l’anorexie
fait place à une hyperphagie avec conduites boulimiques
et appétence marquée pour certains aliments, souvent
les sucres.
• La baisse de la libido est également une constante
des tableaux dépressifs, liée tout à la fois à une atteinte
instinctuelle et à l’anhédonie.
Elle peut contribuer fortement,
dans certains cas, à alimenter les sentiments de
dévalorisation et l’atteinte de l’estime de soi.
• D’autres signes somatiques reflètent l’intensité du
ralentissement.
Les troubles digestifs sont fréquents avec
état saburral des voies digestives supérieures, lenteur de
la digestion, ralentissement du transit intestinal avec
constipation.
L’asthénie physique peut s’accompagner de
sensations musculaires pénibles (« jambes en coton »,
« lourdeur de plomb » dans les membres) voire de douleurs
musculaires erratiques.
La frilosité est également
souvent rencontrée accentuant le sentiment d’inconfort
plus ou moins permanent du patient déprimé.
À ces
signes peuvent s’associer également les manifestations
somatiques de l’anxiété lorsque celle-ci est présente.
4- Signes associés
:
• L’anxiété est fréquemment associée aux troubles
dépressifs.
On estime notamment qu’environ 30 % des
sujets présentant un état dépressif majeur relèvent également
d’un diagnostic de trouble anxieux, avec dans la
moitié des cas, survenue initiale du trouble anxieux.
Dans ces cas, la symptomatologie anxieuse se superpose
aux symptômes de la dépression, pouvant les modifier
de façon assez substantielle, comme lorsqu’une agitation
psychomotrice anxieuse vient masquer le ralentissement
dépressif.
L’association anxiété-dépression
constitue un facteur de gravité du trouble, avec sévérité
plus grande de la symptomatologie, gêne fonctionnelle
plus marquée et moins bonne réponse aux traitements.
De plus, la présence concomitante de troubles anxieux,
notamment du registre panique, constitue un facteur de
risque important au regard des conduites suicidaires.
La
nature exacte des liens entre les 2 types de pathologie
reste discutée.
Le diagnostic de syndrome anxiodépressif
appartient à la nosographie psychiatrique classique et
représente même l’un des diagnostics les plus fréquemment
portés en pratique.
Toutefois, les propositions
modernes de classification ont le plus souvent écarté ce
diagnostic, ne retenant que la possibilité d’une association comorbide entre les 2 types de troubles.
La Classification internationale des maladies (CIM 10) de
l’Organisation mondiale de la santé a récemment réintroduit
un diagnostic de trouble anxieux et dépressif
mixte, correspondant à des situations où les 2 ensembles
de symptômes peuvent être observés mais sans que
l’intensité de chacun d’entre eux soit suffisante pour
porter un diagnostic plus spécifique.
• Certains troubles dépressifs peuvent s’accompagner
de l’apparition d’un délire plus ou moins structuré.
Les
distorsions cognitives habituelles au cours des dépressions
– alimentent de façon banale les idées de référence,
de persécution, les tendances interprétatives dont
font montre les patients déprimés.
Dans certains cas de
dépressions sévères ou survenant sur une personnalité
fragile, organisée sur un mode sensitif notamment, ces
idées peuvent prendre une dimension particulière, aboutissant
à une construction délirante authentique sous la
forme, par exemple, de délires de persécution ou de
ruine.
Un cas particulier est représenté par le délire
mélancolique.
Ici, le délire s’organise autour de thématiques centrées par des idées de ruine, de fautes commises
par le passé et de châtiment inéluctable.
Les idées
délirantes d’indignité et de culpabilité sont au centre des
préoccupations.
On peut alors assister dans ces cas à des
suicides avec homicide altruiste de l’entourage, particulièrement
dramatiques.
Une forme particulière de délire
mélancolique est représentée par le syndrome de Cotard
(« délire de négation »), caractérisé par des idées délirantes
de négation d’organe
– les viscères ont cessé de
fonctionner, ils sont pourris ou ont disparu
– d’énormité
et d’immortalité. Une forme mineure est souvent observée
sous la forme de plaintes concernant une constipation
rebelle, sous-tendues par la conviction quasi délirante
que les intestins sont bouchés ou ne fonctionnent
plus.
Rare et grave, le syndrome de Cotard n’est pourtant
pas spécifique des dépressions mélancoliques et
peut être observé dans d’autres cadres nosographiques.
Si les thématiques délirantes sont habituellement de
tonalité négative, congruentes à l’humeur, on peut
observer, dans certains cas plus rares, des élaborations
délirantes à thèmes non congruents à l’humeur, posant
alors de délicats problèmes de diagnostic différentiel
avec d’autres troubles délirants.
Dans tous les cas, le
développement de symptômes délirants au cours d’un
état dépressif représente un facteur de gravité important,
notamment en raison de la moindre réponse aux traitements
médicamenteux de ces troubles.
B - Formes cliniques
:
1- Formes évolutives
:
Si classiquement le modèle de l’épisode dépressif, accident
unique et transitoire, prévalait, de nombreuses
études cliniques et épidémiologiques aux résultats
convergents ont montré que cette éventualité était en fait
rare et que les modalités évolutives les plus fréquentes
étaient représentées par la répétition d’épisodes dépressifs
(dépressions récurrentes) et la chronicisation.
• L’épisode dépressif : la symptomatologie dépressive
s’installe le plus souvent progressivement, en l’espace
de quelques jours à quelques semaines, 2 semaines étant
considérées comme le délai minimal nécessaire avant de
pouvoir avancer un diagnostic de dépression.
En phase
d’état, l’intensité de la symptomatologie peut être fluctuante,
soit spontanément soit en relation avec les circonstances
extérieures.
Ces fluctuations sont également
observées au cours de l’amélioration sous traitement
pouvant parfois faire penser à un échec du traitement
lors d’une période d’exacerbation transitoire des symptômes.
Spontanément, un épisode dépressif évolue vers
la guérison après plusieurs mois, 6 ou davantage.
Les
traitements, notamment biologiques, interviennent principalement
en raccourcissant le délai d’amélioration, la
guérison étant obtenue habituellement en quelques
semaines, en pratique 1 à 2 mois.
• Dépressions récurrentes : la survenue d’un nouvel
épisode dépressif après guérison d’un premier état
dépressif concernerait 50 à 85 % des sujets.
Suivant le délai qui sépare le premier épisode (dit épisode index)
du suivant, il faut distinguer la « rechute » qui correspond
à la réapparition de la symptomatologie avant que
la guérison ait été atteinte (la guérison étant elle-même
définie par une disparition significative des symptômes
dépressifs pendant au moins 6 mois), à un niveau d’intensité
suffisant pour permettre de remplir les critères
diagnostiques d’un état dépressif caractérisé.
On considère
alors que la rechute correspond à la réapparition du
même épisode, un temps contenu par le traitement.
La
« récidive » ou « récurrence » désigne l’apparition d’un
nouvel épisode dépressif après que la guérison de l’épisode
index a été constatée, soit après au moins les 6
mois de rémission définissant la guérison.
La moitié des
patients environ ferait une récidive dans les 2 ans
suivant un accès dépressif.
Au fil de la répétition des
épisodes dépressifs, la durée qui sépare 2 épisodes
consécutifs tend à se réduire et ce d’autant plus que
l’âge lors du premier épisode est plus précoce.
Le risque
d’une récurrence augmente également avec la répétition
des accès dépressifs et a été estimé à 50-60 % après un
épisode unique, 70 % après 2 épisodes et 90 % après
3 épisodes.
Les facteurs de risque d’une évolution récurrente
ont été identifiés : sexe féminin (multiplication par
2 du risque), âge supérieur à 30-40 ans, statut matrimonial
(veuvage, divorce…), antécédents familiaux de
dépression, antécédents personnels d’épisodes dépressifs,
sévérité et durée de l’épisode index, trouble de la
personnalité associé, coexistence d’une pathologie organique,
existence d’événements de vie stressants, absence
de support social et, chez la femme, période de gestation
et du post-partum.
• Dépressions chroniques : certains états dépressifs se
caractérisent par une évolution de long cours, soit spontanément
soit en dépit des traitements entrepris, sur une
période égale ou supérieure à 2 ans.
Dans certains cas, il
s’agit initialement d’un accès dépressif répondant aux
critères de sévérité d’un épisode dépressif majeur,
imparfaitement amélioré par le traitement entrepris, que
le traitement soit en lui-même insuffisamment efficace
ou, plus souvent, qu’il soit insuffisant en posologie et
(ou) en durée ou encore que l’observance en soit incomplète.
Cette éventualité évolutive serait observée, pour
certains, dans environ 20 % des dépressions majeures
traitées.
Ces cas, considérés comme des dépressions
majeures chroniques sont à distinguer d’autres dépressions
de long cours, d’intensité plus modérée connues,
depuis les travaux de H. Akiskal aux États-Unis, sous le
terme de « dysthymie ».
La symptomatologie des dysthymies a de nombreux
points communs avec celle de la dépression majeure,
s’en distinguant par l’intensité modérée de la symptomatologie,
par la place importante occupée par des
signes subjectifs appartenant au « vécu » du déprimé
ainsi que par la discrétion habituelle des troubles de
l’appétit et de la libido et du ralentissement psychomoteur.
Ces états dépressifs n’ont en général pas de début
ni de fin bien marqués apparaissant en continuité directe avec la façon d’être habituelle du sujet.
Cela explique
que le débat reste vif pour situer ces troubles dépressifs
particuliers dans le cadre des troubles de l’humeur
proprement dits ou dans celui des troubles de la personnalité.
La possibilité d’obtenir une amélioration
substantielle de ces états sous traitement antidépresseur
seul dans 50 à 60 % des cas, amène à rattacher au moins
un sous-groupe de ces dépressions chroniques aux
troubles de l’humeur (« dysthymie subaffective primaire »
d’Akiskal).
Dans les autres cas (« troubles du spectre
caractériel » d’Akiskal), l’absence d’efficacité des traitements
biologiques actuels des dépressions associée à
des profils de personnalité et des antécédents familiaux
différents de ceux des patients présentant une pathologie
autonome de l’humeur, rattacherait plutôt, pour certains
auteurs, ces dépressions chroniques aux troubles de la
personnalité du registre histrionique-antisocial voire
borderline.
Un épisode dépressif répondant au critère de
dépression majeure peut survenir sur le fond d’un
trouble dysthymique réalisant ce qui est décrit sous le
terme de « dépression double ».
Sous traitement, l’évolution
se fait dans ces cas le plus souvent vers le retour
à l’état dysthymique antérieur, l’amélioration complète
de l’état dépressif, avec retour à l’euthymie, étant souvent
difficile et nécessitant des traitements énergiques et
soutenus.
• Complications évolutives
Le suicide : l’existence d’idées suicidaires est une
constante dans les troubles dépressifs et l’éventualité
d’un passage à l’acte suicidaire est donc à redouter dans
tous les cas.
En France, chaque année, environ 12 000
personnes décèdent par suicide.
Parmi ces morts, 60 %
sont directement à mettre en relation avec un état
dépressif. Inversement, on estime à environ 15 % le
pourcentage de sujets déprimés qui décéderont par suicide.
Il s’agit donc d’une complication évolutive majeure
de la dépression.
Le suicide peut survenir à tout moment de l’évolution
mais plus souvent dans les premiers temps d’évolution
de celle-ci (un tiers pendant les 6 premiers mois, la moitié
au cours de la 1re année).
Le geste suicidaire peut être
impulsif sous la forme d’un raptus au moment d’un
paroxysme anxieux.
Difficile sinon impossible à anticiper,
il justifie un traitement sédatif lorsqu’une anxiété
importante est associée à la dépression.
Ailleurs, il s’agit
d’un acte prémédité, minutieusement préparé et accompli
avec des moyens radicaux (armes à feu, pendaison,
noyade…) pour garantir les chances de réussite.
Dans
des cas plus rares, chez des sujets mélancoliques délirants,
le suicide est accompagné du meurtre altruiste des
personnes proches.
Si le plus souvent le suicide intervient
en début d’évolution, avant traitement ou avant
que celui-ci ait pu être efficace, il peut également compliquer
la phase terminale de l’épisode, à un moment où
l’amélioration obtenue semble avoir mis le malade à
l’abri de ce danger (classique « queue de mélancolie »).
Évolution bipolaire : 10 à 15 % des malades présentant
un trouble dépressif caractérisé feraient à un moment de
leur évolution un épisode maniaque ou hypomaniaque et
appartiendraient de ce fait au groupe des malades bipolaires.
Cette évolution peut être favorisée par les traitements
antidépresseurs notamment tricycliques correspondant
au classique « virage de l’humeur » définissant
la catégorie des troubles bipolaires de type III.
L’existence d’antécédents personnels ou familiaux de
trouble bipolaire constitue un facteur de risque pour
l’apparition d’un virage de l’humeur sous traitement et
doit donc être systématiquement recherchée pour mettre
en place une surveillance adaptée.
Dans d’autres cas, le
potentiel bipolaire d’un épisode dépressif peut conduire
au développement de cycles rapides, définis par la survenue
d’au moins 4 épisodes thymiques en l’espace de
1 an, ou d’états mixtes associant des symptômes dépressifs
et maniaques selon des configurations variables.
Ces
derniers cas sont de diagnostic particulièrement délicat et
de traitement difficile.
Ces modalités évolutives sont
favorisées par les traitements antidépresseurs, en particulier
tricycliques et, dans ces cas, un traitement par normothymiques, notamment antiépileptiques, serait
préférable.
Ces complications évolutives seraient plus
fréquentes chez la femme et seraient également favorisées
par l’hypothyroïdie.
Dépression résistante : les traitements modernes des
dépressions s’appuient principalement sur la prescription
de médicaments antidépresseurs.
Un antidépresseur
donné permet de guérir environ 2 déprimés sur 3, ou 3
sur 4, et ceux qui ne bénéficient pas d’un premier traitement
ont toute chance de répondre favorablement à un
second médicament prescrit à la suite.
Dans certains cas,
il apparaît impossible d’obtenir une amélioration suffisante
en dépit de la multiplication des traitements, faisant
parler alors de dépression « résistante ».
La définition
précise de ce cadre a fait l’objet de multiples débats portant
notamment sur le type de traitement devant être tenté
avant de retenir le diagnostic.
Un consensus s’établit
aujourd’hui pour considérer que le diagnostic de dépression
résistante ne peut être valablement porté avant
d’avoir essayé au moins 2 traitements majeurs différents
dont un traitement tricyclique et un traitement par inhibiteur
de la mono-amine-oxydase (IMAO) classique (irréversible,
non sélectif).
Ces traitements doivent avoir été
prescrits à doses efficaces, au besoin vérifiés par dosage
plasmatique du médicament lorsque cela est possible,
pendant suffisamment longtemps (4 à 6 semaines étant le
plus souvent la durée minimale recommandée) et l’observance
du traitement étant vérifiée.
De nombreux
auteurs ajoutent également la nécessité d’inclure dans la
définition une tentative de sismothérapie mais le consensus
est ici moins fort.
Enfin, il semble légitime pour certains
d’ajouter aujourd’hui un essai de traitement par
antidépresseur de nouvelle génération, notamment de la
classe des inhibiteurs de recapture de la sérotonine.
Ces
dépressions résistantes sont de traitement difficile et
représentent un des rares cas où l’association de plusieurs
antidépresseurs peut être justifiée.
2- Formes symptomatiques
:
• Dépressions anxieuses ou inhibées : cette distinction
classique a été validée par des travaux plus récents qui
apportent des arguments cliniques, psychophysiologiques
et thérapeutiques.
Les premières sont dominées
par une anxiété marquée et par un état d’hyperesthésie
douloureuse avec agitation et débordement émotionnel
facile.
Ces formes comportent un risque non négligeable
de raptus suicidaire.
Elles répondraient préférentiellement
aux traitements à action sérotoninergique prédominante.
Les secondes comportent au premier plan un
« émoussement » émotionnel important avec inhibition
psychomotrice plus ou moins profonde.
Le substratum
biologique reposerait ici sur un déficit fonctionnel dopaminergique.
• Dépressions mélancoliques : la conception actuelle de
la mélancolie, sous l’influence des travaux nosographiques
nord-américains, amène à un risque de confusion
sémantique.
Au sens de la nosologie classique, le
terme de mélancolie renvoie aux épisodes dépressifs de
la psychose maniaco-dépressive (PMD).
Les caractéristiques
cliniques sont bien connues : intensité de la tristesse
pathologique (la « douleur morale »), du ralentissement,
des symptômes somatiques et présence
habituelle d’idées délirantes de ruine ou de culpabilité.
Le sens moderne renvoie davantage à un ensemble de
signes témoignant du caractère « endogène » de la
dépression (d’accord en cela avec le sens classique)
mais indépendamment d’une étiologie supposée.
Ces
signes sont des facteurs prédictifs d’une bonne réponse
aux traitements biologiques, antidépresseurs ou à la sismothérapie.
Ils associent l’anhédonie et l’absence de
réactivité aux stimulus agréables, une qualité particulière
de l’humeur différente du sentiment usuel de tristesse
ou de découragement, l’intensité du ralentissement psychomoteur
parfois remplacé par une agitation (« mélancolie
anxieuse » à haut risque suicidaire) et de l’anorexie
ainsi que par des fluctuations nycthémérales de l’humeur
avec dépression régulièrement plus marquée le
matin avec réveil matinal précoce.
Enfin, des idées de
culpabilité et une perte de l’estime de soi sont souvent
présentes.
• Dépressions délirantes : la présence d’idées délirantes
au cours d’un épisode dépressif est classiquement admise
pour la mélancolie.
Actuellement, l’évolution des
conceptions nosographiques permet de reconnaître la
présence d’idées délirantes dépressives indépendamment
du rattachement de l’épisode à la psychose maniaco-dépressive (on parle dans ces cas de « dépression
avec caractéristiques psychotiques »).
Deux formes de
dépression délirante sont décrites.
Les dépressions avec
caractéristiques psychotiques congruentes à l’humeur
regroupent les idées délirantes mélancoliques classiques,
à thème de ruine ou d’indignité, de culpabilité et
de punition méritée ou encore de nihilisme et de transformation
corporelle (le classique syndrome de Cotard).
Les formes avec caractéristiques psychotiques non congruentes à l’humeur rassemblent les autres thématiques
délirantes : persécution, pensée imposée ou syndrome
d’influence.
Si les premières ne posent généralement
pas de problème diagnostique majeur, les secondes
sont plus délicates parfois à reconnaître, pouvant faire
discuter d’autres troubles délirants, du registre schizophrénique
notamment (schizophrénie dysthymique en
particulier).
Dans les 2 cas, l’évolution se fait habituellement
sur un mode récurrent, souvent bipolaire, et la
réponse au traitement antidépresseur seul est le plus
souvent mauvaise, nécessitant le recours à des associations antidépresseurs-neuroleptiques.
Les formes avec
délire non congruent ont le plus mauvais pronostic.
D’autres formes symptomatiques peuvent également
être décrites.
3- Formes suivant le terrain
:
• Dépressions de l’enfant et de l’adolescent : la description
détaillée des caractéristiques cliniques propres aux
troubles dépressifs de l’enfant et de l’adolescent dépasserait
le cadre de ce simple article.
La reconnaissance de
ces troubles est, de façon surprenante, relativement
récente.
Les classifications modernes ont pris le parti de
retenir pour l’essentiel, des critères diagnostiques comparables
pour la dépression de l’enfant ou de l’adolescent
et pour celle de l’adulte, seuls changeant le plus
souvent les critères de durée, plus courts lors de l’application
des critères à l’enfant, et la place réservée à l’irritabilité
qui peut remplacer la tristesse de l’humeur chez
l’enfant.
Cet « adultomorphisme » de la dépression du
sujet jeune reste cependant peu satisfaisant si l’on veut
bien tenir compte des différences de maturité émotionnelle,
de capacité de verbalisation et d’expression des
affects ou encore de celles qui existent dans l’établissement
des liens sociaux entre l’enfant, l’adolescent et
l’adulte.
• Dépressions du sujet âgé : chez le sujet âgé, la dépression
peut parfois poser des problèmes diagnostiques
particuliers du fait des modifications pathoplastiques
liées à l’âge.
Dans certains cas, les troubles cognitifs
prennent le devant du tableau clinique avec troubles
majeurs de la concentration et de la mémoire pouvant en
imposer pour un diagnostic de démence (« pseudodémence
dépressive »).
De même, dans d’autres cas,
l’agitation anxieuse peut être à l’origine de troubles du
comportement faisant égarer le diagnostic dans la même
direction.
Dans ces cas, la rapidité d’installation du
tableau clinique, l’existence d’antécédents personnels
ou familiaux de troubles de l’humeur, la survenue d’événements
de vie dépressogènes (veuvage, déménagement,
hospitalisation, etc.) doivent faire évoquer le diagnostic
de dépression et mettre en place un traitement
antidépresseur d’épreuve.
Accessibles au traitement, les
dépressions du sujet âgé sont parfois, notamment chez le
grand vieillard, une indication préférentielle de sismothérapie
du fait de l’altération des fonctions organiques
rendant délicat le maniement des molécules antidépressives
et de la rapidité, dans certains cas, de la dégradation
de l’état somatique (syndrome de glissement) imposant un traitement majeur.
Les dépressions du sujet âgé
comportent un potentiel de récurrence marqué justifiant,
pour certains auteurs, la mise en place d’un traitement
prophylactique après un premier épisode dépressif, lorsqu’il
survient au-delà de 50 ans.
• Dépressions chez la femme : les troubles dépressifs
ont une prévalence féminine retrouvée dans toutes les
études épidémiologiques.
Ce fait peut être relié, au
moins pour partie, au rôle des hormones sexuelles dont
l’influence sur la neurotransmission est actuellement
mieux connue (les stéroïdes sexuels agissent notamment
au niveau des récepteurs mono-aminergiques).
Au plan
clinique, les principaux épisodes de la vie génitale féminine
peuvent être émaillés de troubles de l’humeur, principalement
du registre dépressif.
On décrit ainsi des épisodes dysphoriques contemporains
des menstruations (syndrome dysphorique prémenstruel)
marqués par l’irritabilité et un infléchissement
dépressif de l’humeur pouvant atteindre le niveau
de gravité d’un épisode dépressif authentique et comportant
en germe tous les risques évolutifs notamment
suicidaires.
Au cours de la grossesse les épisodes dépressifs francs
(dépression gravidique) sont rares et, lorsqu’ils surviennent,
sont observés principalement en début de grossesse
(1er mois) ou dans la période précédant l’accouchement.
Les dépressions du post-partum peuvent venir compliquer
l’évolution, habituellement favorable d’un « blues
du post-partum ».
Elles surviennent dans les 3 à 6 mois
qui suivent l’accouchement et leur fréquence est estimée
à 10 à 15% des accouchements (soit environ 2 fois plus
qu’en population féminine générale).
Dans un certain
nombre de cas (1 à 2 sur 1 000 naissances), l’épisode
dépressif a un caractère délirant, l’apparentant au cadre
des psychoses du post-partum.
Il s’agit alors d’une
situation clinique grave, comportant des risques potentiels
de suicide ou d’agression envers l’enfant et posant
des problèmes délicats de prise en charge.
Le plus
souvent un tel épisode dépressif délirant dans le postpartum
inaugure une évolution bipolaire et le risque
de récidive, lors d’une grossesse ultérieure, est élevé,
50 % ou plus.
Enfin, la période de la ménopause est également une
période à risque au regard du risque dépressif chez la
femme, la survenue d’un épisode dépressif faisant intervenir
tout autant des facteurs psychologiques liés à
l’évolution de l’image de soi que des facteurs biologiques
liés aux modifications hormonales.
Dans ce dernier
cas, la prise en compte de ces modifications physiologiques
et leur correction dans toute la mesure du
possible sont une dimension importante du traitement.
4- Formes étiologiques
:
• Dépressions symptomatiques ou secondaires : un état
dépressif peut venir émailler l’évolution de nombreuses
affections somatiques mais aussi psychiatriques.
Parmi
les maladies organiques les plus souvent rencontrées il
faut citer les pathologies endocriniennes (dysthyroïdie notamment), métaboliques
(diabète en particulier), néoplasiques (cancers digestifs notamment)
ou encore neurologiques (maladie de Parkinson par exemple).
Pour des raisons
particulières, toutes les affections somatiques chroniques et (ou)
invalidantes peuvent, de la même façon se compliquer d’un trouble
dépressif parfois torpide, difficile à distinguer sur le fond du
handicap lié à la maladie physique.
L’éventualité
d’une dépression symptomatique impose un bilan somatique soigneux
devant tout épisode dépressif survenant chez un sujet à risque ou ne
s’améliorant pas de la façon attendue sous traitement. Certains
troubles mentaux peuvent également se compliquer d’un état
dépressif.
C’est ainsi une
complication fréquente des troubles de la personnalité, en
particulier du registre névrotique.
Cette
association est au centre de la discussion nosologique sur le cadre
de la dépression névrotique.
Certaines
psychoses, notamment la schizophrénie, peuvent également voir leur
cours émaillé d’épisodes dépressifs.
Enfin, les
troubles mentaux organiques, en particulier les syndromes
démentiels, peuvent se compliquer d’une dépression secondaire
souvent délicate à traiter. D’autres dépressions peuvent avoir une
origine toxique.
Il faut
souligner ici la fréquence des troubles dépressifs au cours des
conduites toxicomaniaques, notamment l’éthylisme.
Ces états
dépressifs sont souvent difficiles à améliorer, l’intoxication étant
un facteur important de résistance au traitement.
Dans la même
rubrique doit figurer l’ensemble des dépressions iatrogéniques
directement reliées à un traitement prescrit.
Un certain
nombre de substances médicamenteuses peut en effet déclencher
l’apparition d’un accès dépressif, en particulier chez des sujets à
risque ayant des antécédents de trouble de l’humeur.
Parmi ceux-ci,
il faut citer certains antihypertenseurs, les bêtabloquants, les
neuroleptiques, les anorexigènes, certaines hormones notamment les
corticoïdes, etc..
• Dépressions
primaires : les
classifications diagnostiques modernes retiennent principalement
2 grands groupes de troubles dépressifs
majeurs de l’humeur.
Le premier, caractérisé par la survenue
au cours de l’évolution d’épisodes maniaques ou
hypomaniaques correspond au cadre homogène des
troubles bipolaires s’accordant au cadre classique de la
psychose maniaco-dépressive.
Au trouble bipolaire est
opposé le trouble dépressif majeur (unipolaire) caractérisé
par la survenue d’un épisode unique ou, plus souvent,
d’épisodes récurrents de dépression.
À ces 2
grands ensembles s’ajoutent des formes mineures de
dépression caractérisées par une évolution chronique,
trouble dysthymique et trouble cyclothymique.
Principes du traitement
:
Les syndromes dépressifs sont, dans leur immense
majorité, curables, le traitement s’appuyant aujourd’hui
principalement sur les thérapeutiques biologiques, au
premier rang desquelles les antidépresseurs.
A - Cadre du traitement
:
La grande majorité des états dépressifs relève d’un traitement
ambulatoire.
1- Hospitalisation
:
L’hospitalisation doit être envisagée pour les états
dépressifs sévères lorsque notamment le risque suicidaire
apparaît important (idéation suicidaire marquée, idées
de culpabilité exagérées, antécédents de tentatives de
suicide, anxiété importante, mauvais support social…).
De même l’intensité du retentissement somatique, surtout
chez le sujet âgé, peut imposer une hospitalisation.
Ailleurs la gravité du tableau clinique (dépression délirante
ou stuporeuse, mélancolie agitée ou bien encore
dépression résistante) conduira à proposer l’hospitalisation.
Dans certains cas, un environnement délétère
(conflits conjugaux ou familiaux) peut amener à recourir
à l’hospitalisation pour interrompre des interactions
pathogènes aggravant l’état dépressif.
L’hospitalisation
se fera en milieu psychiatrique au besoin en recourant à
un mode d’hospitalisation par contrainte (hospitalisation
à la demande d’un tiers – loi du 27 juin 1990) dans le cas
d’un état dépressif particulièrement sévère avec réticence
délirante à l’hospitalisation.
2- Traitement ambulatoire
:
Si les états dépressifs non compliqués et d’intensité
modérée peuvent relever d’un traitement ambulatoire
par un omnipraticien, le recours au spécialiste s’impose
dans tous les autres cas : états dépressifs sévères, récurrents,
non améliorés par un premier traitement ambulatoire,
associés à une autre pathologie psychiatrique
notamment un trouble de la personnalité, etc.
Dans le
cadre d’une prise en charge ambulatoire, le problème de
l’arrêt de travail peut se poser.
Évidemment nécessaire
lorsque l’intensité de la symptomatologie, notamment
du ralentissement, interfère avec la capacité à accomplir
sa tâche ; il peut se discuter parfois pour écarter le
patient déprimé d’un milieu où les exigences de rendement,
voire les conflits interpersonnels, peuvent contribuer
à entretenir l’état dépressif et alimenter les idées
d’autodévalorisation.
Toutefois, la pondération doit toujours
être de mise, en veillant à ne pas renforcer la tendance
au repli ou les sentiments d’échec ni rompre les
liens sociaux indispensables à la guérison.
B - Choix du traitement
:
Les traitements biologiques de la dépression reposent
principalement sur les médicaments antidépresseurs
mais le recours à la sismothérapie (électro-convulsivothérapie)
est parfois nécessaire.
1- Antidépresseurs
:
Découverts à partir de 1957, il existe aujourd’hui une
trentaine de médicaments commercialisés.
Ces produits
peuvent être classés en 3 catégories principales.
• Les antidépresseurs tricycliques ou imipraminiques
forment la première catégorie (le chef de file étant
l’imipramine ou Tofranil).
Ces produits sont pour la
plupart des antidépresseurs particulièrement puissants,
considérés pour certains comme des produits de référence.
Leur maniement reste délicat du fait de nombreux
effets secondaires, notamment liés à leur action anticholinergique,
nécessitant une bonne expérience de
leur prescription.
Ils possèdent de nombreuses contreindications
liées à certains effets pharmacologiques
qui imposent par ailleurs une surveillance attentive du
traitement.
Enfin, leur toxicité en cas de surdosage
accidentel ou volontaire est très importante imposant la
prudence en cas de traitement ambulatoire de sujets
déprimés suicidaires.
Ils sont aujourd’hui peu adaptés
au traitement ambulatoire en première intention.
• Les inhibiteurs de la mono-amine-oxydase dits
classiques, c’est-à-dire non sélectifs et irréversibles
forment la deuxième classe thérapeutique.
Il n’existe
plus qu’un seul composé commercialisé, l’iproniazide
ou Marsilid.
Ce médicament garde des indications
particulières, notamment dans le domaine des dépressions
résistantes.
Son maniement est difficile du fait des
nombreuses interactions pharmacologiques entre le
médicament et certaines substances d’origine alimentaire
ou certains médicaments.
Sa prescription est affaire
de spécialiste et ne relève jamais de la pratique du généraliste.
• Les antidépresseurs dits de nouvelle génération
constituent le troisième groupe et ont connu une expansion
considérable au cours de la dernière décennie.
Bien que peu homogène sur le plan pharmacologique,
ce groupe rassemble néanmoins plusieurs médicaments
qui ont en commun une grande simplicité d’emploi et
une toxicité très inférieure aux produits classiques.
Ils
présentent tous peu d’effets secondaires rendant leur
maniement aisé et leurs contre-indications sont très
limitées, ce qui en fait des produits bien adaptés à la
pratique de ville.
Lors d’un surdosage, leur faible toxicité
apporte une sécurité toute particulière.
De plus, ils
ont pour la plupart d’entre eux des présentations galéniques
simples et des posologies relativement standardisées
qui diminuent le risque d’une prescription insuffisante
et inadaptée.
Ce groupe est dominé par les
produits inhibiteurs de recapture de la sérotonine.
Les
inhibiteurs mixtes de recapture de la sérotonine et de la
noradrénaline représentent un sous-groupe de plus en
plus important.
Enfin, signalons l’existence également
parmi ces antidépresseurs de nouvelle génération, d’inhibiteurs
de la mono-amine-oxydase réversibles et
sélectifs de la mono-amine-oxydase de type A, plus
sûrs d’emploi que les inhibiteurs de la mono-amineoxydase
classiques mais aux effets difficilement superposables
à ceux-ci.
Ces antidépresseurs de nouvelle
génération sont les médicaments de choix en première
intention, notamment dans le cas d’un traitement ambulatoire.
2- Sismothérapie ou électroconvulsothérapie
:
L’électroconvulsothérapie figure parmi les traitements
classiques de la dépression (travaux de Cerletti et Bini,
1938).
Bénéficiant d’une mauvaise image dans le public,
cette thérapeutique reste insuffisamment utilisée.
Les
techniques modernes d’électroconvulsothérapie avec,
outre l’anesthésie brève et la curarisation employées
depuis plusieurs décennies, les appareils modernes permettant
le calibrage très précis de l’énergie délivrée lors
du choc électrique et l’enregistrement simultané de
l’électroencéphalogramme, en font une méthode aujourd’hui
particulièrement sûre et de grande innocuité.
Les
indications de l’électroconvulsothérapie concernent
d’une part les dépressions graves soit du fait de l’intensité
de la symptomatologie (dépression délirante ou mélancolie
stuporeuse par exemple), soit du fait de leur survenue
sur un terrain fragile (sujet âgé notamment).
Les
dépressions résistantes peuvent également bénéficier de
cette thérapeutique de choc.
Bien évidemment leur utilisation
relève de la pratique du spécialiste et la mise en
oeuvre du traitement nécessite toujours une hospitalisation.
Certains malades, ne répondant pas aux traitements médicamenteux,
peuvent bénéficier, après la cure de l’épisode
dépressif par électroconvulsothérapie, d’une sismothérapie
dite d’entretien où les chocs sont effectués à intervalles
plus espacés à titre de traitement de consolidation
voire de traitement prophylactique.
Cette pratique est du
ressort de certaines équipes hospitalières spécialisées.
3- Place de la psychothérapie
:
L’utilisation des techniques psychothérapiques est intimement
liée aux hypothèses étiopathogéniques qui peuvent
être faites sur les différentes maladies dépressives.
L’évolution moderne de ces conceptions a donc naturellement
réduit le champ de ces thérapeutiques que l’on
estime s’adresser aujourd’hui davantage à certains
troubles associés, troubles de la personnalité notamment.
Par ailleurs, la mobilisation psychique nécessaire à une
démarche psychothérapique efficace est de toute évidence
difficile voire impossible à l’acmé de la dépression,
rendant vain le recours à ces méthodes en tant que traitement
curatif.
Les écoles d’inspiration cognitivo-comportementaliste
ont développé certaines méthodes psychothérapiques
structurées, spécifiquement construites pour
les sujets déprimés (psychothérapie interpersonnelle par
exemple), qui auraient montré une efficacité significative
dans le traitement d’épisodes dépressifs aigus.
Toutefois,
ces techniques restent peu répandues, leur mise en oeuvre
est l’affaire de psychothérapeutes entraînés et leurs indications,
vraisemblablement assez limitées, restent à préciser
de façon opératoire.
En pratique, le recours aux
psychothérapies peut être justifié, après résolution de
l’épisode dépressif, lorsque des troubles de la personnalité,
en particulier du registre névrotique, semblent avoir fait
le lit de la dépression et constituent un facteur important
de rechute, ou encore pour limiter l’influence de facteurs
psychologiques pathogènes dans le cas de dépressions
chroniques ou récurrentes.
C - Durée du traitement
:
Le traitement d’un état dépressif peut être décomposé en
plusieurs phases : traitement d’attaque initial qui doit
permettre d’obtenir une rémission significative de la
symptomatologie (le malade n’est plus cliniquement
déprimé), traitement de consolidation ensuite qui vise à
fixer le résultat acquis avec le traitement d’attaque et à
éviter la rechute, suivi dans certains cas d’un traitement
d’entretien ou traitement prophylactique visant à éviter
les récidives ou récurrences.
1- Traitement d’attaque
:
Il dévoile ses effets après un délai d’action incompressible,
relativement constant quel que soit le type de traitement
antidépresseur choisi, de l’ordre de 2 à 3
semaines.
Avant de conclure à l’inefficacité d’un traitement
donné (dans 20 à 30 % des cas en moyenne), il est
donc nécessaire d’attendre au moins ce délai-là avant de
changer d’antidépresseur.
En pratique, il est souvent
nécessaire de prolonger le traitement sur 4 ou mieux
6 semaines, nombre d’améliorations pouvant être retardées
au-delà du délai habituel.
Dans ces cas, un juste
équilibre doit être trouvé entre la rigueur thérapeutique et
la déontologie qui impose de ne pas poursuivre indûment
un traitement inefficace.
Cette phase de traitement d’attaque
dure en moyenne 2 mois mais souvent davantage.
2- Traitement de consolidation
:
Une fois l’amélioration obtenue, marquée par la disparition
de la symptomatologie dépressive (seuls peuvent
persister quelques symptômes résiduels insuffisants
pour faire considérer le patient comme toujours déprimé),
le traitement doit être poursuivi à la même dose
que celle qui a permis d’atteindre la rémission.
La durée
de ce traitement de consolidation est maintenant bien
codifiée et doit être de 4 à 6 mois (recommandations de
l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en
santé) à compter de la rémission complète.
3- Traitement préventif
:
Chez les patients présentant une dépression récurrente, un
traitement préventif doit être mis en place pour éviter les
récidives dépressives.
Le risque de récurrence doit être
évalué sur le nombre d’épisodes antérieurs.
On considère
que, chez l’adulte, des antécédents de 2 ou 3 épisodes
dépressifs signent le caractère récurrent du trouble dépressif.
Chez les sujets plus âgés, le risque de récurrence
augmente et le nombre d’épisodes antérieurs nécessaire
pour évaluer le risque diminue, certains proposant même
de mettre en place un traitement prophylactique après un
seul épisode lorsqu’il survient au-delà de 50-60 ans.
Le
traitement prophylactique doit être conduit avec le même
antidépresseur que celui utilisé pour le traitement de
l’épisode et à la même posologie.
Les antidépresseurs de
nouvelle génération, du fait de leur tolérance habituellement
excellente, sont particulièrement adaptés à ces prescriptions
de long cours.
La durée du traitement de consolidation
est mal codifiée, affaire de cas particulier, et déterminée en fonction de l’âge du patient, du nombre
d’épisodes antérieurs, de la sévérité de ceux-ci et de la
durée des intervalles intercritiques.
D - Arrêt du traitement
:
L’arrêt du traitement antidépresseur doit être envisagé à
l’issue de la période de traitement de consolidation ou
d’entretien.
Il sera toujours progressif et assorti d’une
surveillance renforcée du patient, attentive à la résurgence
des symptômes dépressifs.
Cette surveillance sera
étendue au-delà de l’arrêt complet du traitement, les
rechutes étant souvent différées et survenant le plus souvent
dans les 2 mois qui suivent l’arrêt du traitement.
Elle sera davantage renforcée dans le cas de dépressions
récurrentes ou sévères, surtout si le support social du
malade est de qualité médiocre.