Le groupe de travail réuni par le National institute of
Neurological and Communicative Disorders and Stroke
(NINCDS) et par l’ Alzheimer’s Disease and Related
Disorders Association (ADRDA) a tenté de définir la démence comme « le déclin,
sur une période donnée, de la mémoire et d’autres fonctions
cognitives en comparaison avec l’état antérieur du patient » et
d’établir des critères de diagnostic clinique de cette affection.
Mais pour la recherche clinique, l’épidémiologie, les
essais thérapeutiques et aussi pour le diagnostic clinique,
les critères de syndrome démentiel les plus utilisés
sont désormais ceux de l’American Psychiatric
Association (APA) dans le DSM III-R (Diagnostic and
Statistical Manual third edition) et le DSM IV, et ceux
de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans la
Classification Internationale des Maladies, 10e révision
(CIM 10).
Dans le DSM III-R, les critères diagnostiques comprenaient
3 éléments principaux : les troubles de la mémoire,
d’autres troubles des fonctions mentales, dont des
modifications de la personnalité, et un retentissement de
ces troubles sur les activités socio-professionnelles.
Il
fallait en outre que les troubles ne surviennent pas de
façon exclusive au décours d’une confusion mentale et qu’il n’y ait pas de dépression majeure pouvant expliquer
les altérations des fonctions cognitives.
Dans le DSM IV, le syndrome démentiel correspond au
développement de multiples déficits cognitifs, mémoire
altérée et un (ou plusieurs) désordre(s) cognitif(s) suivant(
s) : une aphasie, une apraxie, une agnosie ou un
trouble des fonctions exécutives (difficultés d’abstraction,
de planification, de séquençage, d’initiation et
d’organisation d’actions complexes).
Ces déficits cognitifs
entraînent une altération significative dans le fonctionnement
occupationnel et social et représentent un
déclin significatif par rapport au niveau antérieur.
L’altération de la personnalité n’y figure plus et à l’encontre
des recommandations actuelles, les symptômes
psychiatriques et comportementaux sont complètement
absents de ces critères.
Ces déficits ne doivent pas survenir exclusivement au
cours de l’évolution d’un état confusionnel.
Enfin, le
trouble présent ne doit pas être mieux catégorisé par un
autre diagnostic de l’axe I (par exemple un trouble
dépressif majeur).
Dans le « type Alzheimer », l’évolution est caractérisée
par un début progressif et un déclin cognitif continu et
les déficits ne doivent pas être dus à d’autres atteintes du
système nerveux central, à des maladies générales (systemic
conditions) et à des toxiques.
Dans le « type vasculaire
», il y a des signes et des symptômes neurologiques
focaux ou des images évidentes d’atteinte
vasculaire cérébrale, qui sont jugés avoir un lien étiologique
avec le trouble.
Dans la CIM 10, le principal critère de démence est la
constatation d’un déclin touchant à la fois la mémoire et
la pensée, d’un degré suffisant pour retentir sur les activités
personnelles de la vie quotidienne. La CIM 10 précise
le « trouble du traitement de l’information » retrouvé
dans tout syndrome démentiel : il s’agit de difficultés à
« saisir plus d’un stimulus à la fois » et à « déplacer l’attention
d’un sujet à l’autre ».
Elle introduit la notion de
durée des troubles : plus de 6 mois ; et pour la démence
dans la maladie d’Alzheimer, elle précise que c’est une
maladie dégénérative primaire du cerveau d’origine inconnue
et propose des critères proches du DSM IV.
Diagnostic positif
:
Un syndrome démentiel peut donc être curable ou non
selon la cause, justifiant une démarche diagnostique systématique.
La suspicion diagnostique impose un examen clinique complet et un interrogatoire soigneux du patient et de
son entourage permettant de préciser les modalités d’apparition
des divers troubles, leur évolutivité et les éventuels
antécédents familiaux et personnels du sujet.
Un
bilan biologique est parfois nécessaire.
Les conséquences cliniques dépendent surtout de la
topographie des lésions.
À un stade précoce, l’examen clinique permet d’observer
un affaiblissement global acquis des fonctions corticales
supérieures, y compris de la mémoire, de la capacité
de résoudre les problèmes quotidiens de l’existence,
des facultés perceptivo-motrices acquises, de la capacité
à vivre en société, de tous les aspects du langage et de la
communication, et du contrôle des réactions émotionnelles,
en l’absence de troubles flagrants de la conscience.
Au début, ces signes sont souvent discrets en raison de
la persistance de certains automatismes et d’une tendance
à minimiser le trouble ; ce qui masque la symptomatologie
déficitaire.
Par la suite, on peut souvent distinguer 2 grandes catégories
de syndromes démentiels : ceux en rapport avec une
atteinte corticale (dont le prototype serait la maladie
d’Alzheimer) et ceux dus à une atteinte sous-corticale
(dans la démence corticale, le sujet a perdu ses outils ; dans
le dysfonctionnement sous-cortical, il les a toujours mais ne
les utilise pas).
Cette distinction reste cependant controversée, notamment
parce que de nombreuses démences sont dues à des lésions
corticales et sous-corticales, et parce que les atteintes neuropsychologiques
ne paraissent pas vraiment toujours spécifiques
de l’une ou de l’autre localisation.
L’intérêt reste clinique car il permet de distinguer des patterns
de performance de type cortical ou sous-cortical.
A - Topographie des lésions
:
1- Syndrome temporo-pariétal
:
Le syndrome temporo-pariétal, assez typique de la démence
de type Alzheimer, a pour tableau clinique prédominant
l’association :
• de troubles de la mémoire qui touchent d’abord les faits
récents, les détails de la vie quotidienne, puis des faits plus
significatifs comme les noms des personnes familières avec
une perte d’acquisitions plus anciennes (personnages
célèbres, dates historiques…), puis l’évocation des souvenirs
personnels s’appauvrit ;
• de désorientation progressive avec d’abord une altération
de la discrimination des grandes durées puis des petites,
avec une désorientation spatiale plus tardive mais qui suit le
même processus (le sujet peut se perdre dans l’espace familier),
et avec enfin une perte de la reconnaissance des personnes
d’abord peu familières, puis des proches (prosopagnosie
ou incapacité de reconnaître les visages) ;
• de troubles de l’efficience intellectuelle qui regroupent les
troubles du jugement, de l’attention et de la concentration,
et la difficulté à résoudre des problèmes et à faire face à des
situations nouvelles ;
• des troubles des fonctions instrumentales réalisant des troubles du langage (d’abord un manque du mot
puis des troubles plus massifs), des troubles des gestes
(apraxies) et constructifs (par exemple objectivés par la
mauvaise réalisation de la reproduction d’une figure
géométrique) et des troubles gnosiques (mauvaise
reconnaissance de stimulus normalement perçu) ;
• à ce tableau cognitif, se surajoutent fréquemment des
troubles dépressifs, des troubles du comportement
(apathie, indifférence, déambulations, fugues, irritabilité,
agressivité, qui sont souvent des manifestations brutales
et inadaptées…) et parfois des phénomènes délirants
interprétatifs, imaginatifs (particulièrement à
thème de préjudice, et concernant souvent l’entourage
immédiat du patient, sa famille ou ses voisins) ou de
type hallucinatoire.
2- Syndrome fronto-temporal
:
Le syndrome fronto-temporal correspondrait à un certain
nombre d’entités anatomopathologiques distinctes
(maladie de Pick, dégénérescence aspécifique des lobes
frontaux et temporaux, démence frontale avec maladie
du motoneurone…) avec cependant un tableau clinique
relativement homogène.
Il est de début insidieux avec
une progression lente :
• d’abord marquée par une négligence personnelle ;
puis des perturbations des conduites sociales avec désinhibition
(parfois des conduites incongrues à conséquences
médico-légales), impulsivité et perte de la flexibilité mentale.
Le comportement alimentaire devient perturbé (avec
excès et incohérence) et les conduites deviennent répétitives
et stéréotypées ;
• une indifférence totale avec perte de toute spontanéité et
un grand manque d’attention complètent le tableau dans
lequel mémoire, orientation et praxies sont longtemps préservées.
Il est à noter que dans la CIM 10, seule la maladie de Pick
est individualisée.
Elle s’y définit ainsi : « Démence évoluant
progressivement, débutant à l’âge moyen de la vie
(habituellement entre 50 et 60 ans), caractérisée par des
modifications précoces, lentement progressives, du caractère,
et par une dégradation sociale suivie d’une altération des
fonctions intellectuelles, de la mémoire et du langage,
accompagnées d’une apathie, d’une euphorie et, plus rarement,
de symptômes extrapyramidaux.
Le tableau neuropathologique
est celui d’une atrophie sélective des lobes frontaux
et temporaux, mais sans majoration des plaques séniles
et des dégénérescences neurofibrillaires par rapport au
vieillissement normal.
Les cas à début précoce ont habituellement
une évolution plus défavorable.
Les manifestations
sociales et comportementales précèdent souvent les altérations
manifestes de la mémoire ».
Les démences fronto-temporales sont encore curieusement
méconnues (la prévalence serait pourtant d’environ 1 pour 6
maladies d’Alzheimer).
3- Syndrome sous-cortical
:
Le syndrome sous-cortical est généralement décrit dans
l’évolution de pathologies dégénératives sous-corticales
comme la maladie de Parkinson, la chorée de Huntington, la paralysie supranucléaire progressive.
Il s’agit d’une pathologie de l’anticipation. Les symptômes
principaux sont représentés par une lenteur intellectuelle,
une aboulie, une grande apathie, des troubles
de la mémoire de rappel principalement, et par de nombreux
éléments du syndrome dysexécutif frontal [dissociation
entre la volition (penser l’action) et l’action ellemême].
Le langage est en grande partie préservé.
B - Conséquences cliniques
:
Les conséquences cliniques de ces distinctions sont
cependant relativement modestes.
D’une part, on estime
que dans 60 à 70 % des cas, la maladie d’Alzheimer est
la cause de la démence et que souvent, il y a un facteur
vasculaire surajouté, dans un contexte d’hypertension
artérielle, de diabète ou de troubles cardiovasculaires,
réalisant une atteinte corticale par infarctus multiples ou sous-corticale par maladie de Binswanger (12 à 35 %
des cas de démences autopsiés).
D’autre part, l’hétérogénéité
clinique et évolutive de la démence ne permet
pas toujours de corréler une symptomatologie clinique
donnée avec l’atteinte d’une région cérébrale.
En outre,
l’examen anatomopathologique post mortem, qui est
rarement fait, rapporte assez souvent une combinaison
d’atteintes lésionnelles qui ne sont pas toujours spécifiques
de la maladie d’Alzheimer et qui ne se situent pas
toujours dans les régions pariéto-temporales où elles
devraient dominer.
Enfin, on observe parfois des
démences ayant plutôt une allure clinique de type frontal,
qui n’ont pas d’altérations histologiques caractéristiques.
• La démarche clinique repose donc sur une anamnèse
la plus précise possible, une recherche de signes neurologiques
focaux et d’atteintes somatiques générales et
sur l’exploration des fonctions supérieures.
Il est à noter
que le diagnostic de démence se pose rarement au
décours d’une épilepsie tardive. Parfois, premier signe
patent de la maladie, la crise comitiale constitue plutôt une
complication évolutive.
• L’examen neurologique est donc indispensable.
Il s’attache
plus à rechercher des signes objectifs : réapparition
des réflexes archaïques (réflexe palmo-mentonnier, réflexe
de préhension, réflexe de succion) et surtout des troubles
moteurs (hypertonie oppositionnelle, incoordination motrice)
plutôt présents à un stade avancé de la maladie.
Diagnostic différentiel
:
1- Plainte mnésique
:
La plainte d’avoir une diminution de ses capacités mnésiques
est une des plaintes les plus communément rencontrées.
Sa fréquence augmente avec l’âge (environ
9 % autour de 55 ans contre 23 % après 85 ans).
Elle est
souvent liée à la crainte que ces troubles de la mémoire
soient dus à une atteinte du cerveau pour laquelle il n’y
aurait pas de ressource thérapeutique.
Elle fait cependant
intervenir des facteurs non cognitifs comme la présence
d’une symptomatologie dépressive, l’influence de
l’anxiété et du stress, la personnalité et le niveau de santé général (en particulier lorsqu’il existe une incapacité
fonctionnelle, des perturbations de la vue ou de
l’audition, ainsi qu’une hypertension artérielle).
Des
facteurs psychosociaux comme la sensation d’isolement,
le peu d’importance accordée au rôle du sujet âgé
dans la société, une conception négative du vieillissement,
interviennent également.
2- Oubli bénin du sujet âgé
:
Le sujet a des difficultés à se rappeler des détails d’événements,
des noms propres, qui peuvent cependant être
restitués à d’autres moments.
Il a plutôt tendance à s’en
plaindre et à s’en irriter, et à côté de cela, il demeure
bien orienté et son autonomie est bien conservée. Cet
état est lié au processus de sénescence physiologique.
Il
correspond aussi au concept de “déficit mnésique lié à
l’âge” (age-associated memory impairment).
3- Syndrome confusionnel
:
Il correspond à une désorganisation aiguë du fonctionnement
cérébral, liée à un trouble majeur du contrôle
attentionnel.
Il entraîne des troubles de la vigilance
(obnubilation de la conscience), une désorientation temporo-spatiale, un onirisme vécu et agi, fluctuant, à l’origine
de moments de grande perplexité anxieuse.
Le
rythme veille-sommeil est très altéré et il existe des
symptômes généraux.
Il est le plus souvent d’installation
brutale et réversible.
Il est généralement secondaire
à une cause organique ou médicamenteuse, mais chez le
sujet âgé, une cause émotionnelle est possible. Il peut
compliquer l’évolution du trouble démentiel.
4- Trouble isolé d’une fonction symbolique
:
Il peut s’agir d’apraxie ou d’agnosie isolées mais surtout
d’aphasie (les troubles du langage rendent alors malaisée
l’appréciation de l’efficience intellectuelle) au
décours d’un accident vasculaire cérébral et plus rarement
du fait d’un processus tumoral.
Un argument diagnostique
important est l’attitude du patient vis-à-vis de
son trouble : il réagit de façon anxieuse et coopérative,
contrairement au sujet dément qui est plutôt indifférent
et distrait.
La cause la plus fréquente d’une démence curable est la
dépression.
Elle correspond à une forme de survenue
tardive où les symptômes majeurs sont des perturbations
cognitives qui masquent le noyau dépressif (perte de
l’élan vital, humeur triste, ralentissement psychomoteur,
idées noires…).
Pour faciliter le diagnostic différentiel, Wells a proposé
22 critères cliniques (portant sur l’évolution des
troubles, les doléances du patient, les anomalies du
comportement et les caractéristiques cliniques de l’affaiblissement
intellectuel).
Des éléments neuropsychologiques
caractéristiques peuvent aussi être repérables
(dans la dépression, la mémoire sémantique, la mémoire
implicite et la mémoire indicée sont conservées tandis que dans la démence, ces 3 mémoires sont souvent altérées),
ainsi que des modifications visibles lors de l’enregistrement électroencéphalographique du sommeil (latence d’apparition
du sommeil paradoxal, pourcentage de sommeil paradoxal,
précocité des éveils matinaux) dont la réalisation
technique est difficile. D’autres examens neurophysiologiques
comme l’électroencéphalogramme quantifié ou les
potentiels évoqués cognitifs s’avèrent être dans certains cas
une aide diagnostique utile.
Le diagnostic entre dépression et démence est toujours difficile
et le plus souvent, c’est l’évolution favorable du déficit
cognitif des patients sous traitement antidépresseur dit «
d’épreuve », soit par chimiothérapie ou par électroconvulsivothérapie
qui permet de confirmer le diagnostic de dépression.
Mais la dépression n’est pas le seul trouble psychiatrique à
pouvoir mimer une démence, puisque le terme de « pseudodémence
» s’applique aussi à des situations cliniques qui
renvoient plutôt à une pathologie névrotique (états crépusculaires
de nature hystérique) ou psychotique (formes évoluées
de certains délires chroniques ou de schizophrénies
parfois insuffisamment traités).
Diagnostic étiologique
:
A - Causes éventuellement curables
:
1- Hématome sous-dural (chronique)
:
Il peut s’exprimer par une symptomatologie d’allure
démentielle, parfois associée à des céphalées et des périodes
d’obnubilation.
L’examen neurologique peut rester très
pauvre.
L’interrogatoire du sujet et de son entourage peut
parfois retrouver un traumatisme crânien dans les semaines
qui précèdent.
Il faut se méfier de la chute sur les fesses qui
peut entraîner un hématome du vertex.
Alcoolisme, traitement
anticoagulant et grand âge sont des éléments qui doivent
le faire évoquer.
Une imagerie cérébrale affirmera ce
diagnostic qui justifie une sanction chirurgicale.
2- Hydrocéphalie à pression normale
:
Elle se caractérise habituellement par la triade symptomatique
: fléchissement intellectuel avec apathie croissante,
troubles de la marche et de l’équilibre avec rétropulsion,
troubles sphinctériens.
Des antécédents d’hémorragie
méningée ou de méningite sont régulièrement retrouvés.
L’imagerie cérébrale montre une dilatation ventriculaire et
des sillons normaux.
Un transit isotopique du liquide céphalo-
rachidien (LCR) montre une mauvaise résorption du
liquide.
Des ponctions lombaires évacuatrices améliorent
les troubles.
Une intervention pour dérivation ventriculopéritonéale
est parfois envisageable.
3- Tumeurs et abcès cérébraux
:
Ils ne posent de problèmes diagnostiques avec une symptomatologie
démentielle que dans leur localisation frontale.
Un syndrome focal neurologique, des céphalées persistantes,
des signes d’hypertension intracrânienne incitent à
réaliser une imagerie qui affirmera la lésion.
4- Troubles endocriniens et métaboliques
:
L’hypothyroïdie est la cause à éliminer en premier car elle
peut se développer insidieusement, et donc évoluer vers un
état démentiel.
Il faut y penser devant un tableau initial fait
d’apathie, d’indifférence, de ralentissement idéique, voire
d’une tendance à la somnolence.
Elle peut aussi entraîner
des troubles neurologiques, un état dépressif atypique, des
idées délirantes et un onirisme.
Le diagnostic peut être évoqué
sur certains signes cliniques : peau sèche infiltrée, dépilation,
frilosité, pouls lent, et confirmé par la biologie [dosage
de thyroxine libre plasmatique et de TSH (thyroid
stimulating hormone) pour préciser l’origine].
Il existe
d’autres causes beaucoup plus exceptionnelles : hyperthyroïdie,
hypo- ou hyperparathyroïdie, hypoglycémies à répétition,
carences en folates, en vitamine B12, syndrome
d’apnées du sommeil, syndrome de Pickwick…
5- Causes infectieuses
:
Outre la « présentation » démentielle, les atteintes infectieuses
aiguës réalisent selon les cas un syndrome tumoral,
méningitique ou méningo-encéphalitique dont l’évolution
favorable va dépendre de la rapidité du diagnostic, du traitement
et de l’agent causal.
On peut classer ici les atteintes infectieuses chroniques,
même si leur curabilité n’est actuellement pas envisageable.
Antérieurement, on évoquait d’abord la méningo-encéphalite
d’origine syphilitique qui est désormais devenue rarissime.
Une pénicillinothérapie intensive pouvait atténuer les
troubles.
• L’infection par le virus de l’immunodéficience humaine
(VIH) est par contre devenue une cause plus fréquente de
pathologie démentielle dont la gravité des troubles cognitifs
est souvent proportionnelle à celle de l’atteinte somatique.
Ils sont associés à un ralentissement psychomoteur, à un
déficit de l’attention et à des manifestations d’allure psychiatrique.
• La maladie de Creutzfeldt-Jakob (encéphalopathie spongiforme
transmissible) est d’évolution mortelle en quelques
mois.
Elle réalise un tableau démentiel plutôt présénile
associé à un syndrome neurologique (troubles pyramidaux
et extrapyramidaux, myoclonies et mouvements anormaux).
L’électroencéphalogramme est caractéristique avec
des anomalies à type de « décharges pseudo-rythmiques »
(activités lentes pseudo-périodiques de type pointes-ondes
généralisées au rythme de 1 cycle/s).
Le responsable est un
prion (structure protéique sans acide nucléique).
• Enfin plus rarement, la panencéphalite sclérosante subaiguë,
due au virus de la rougeole, est rare.
Elle provoque
une évolution démentielle subaiguë chez l’enfant
et l’adolescent.
Elle comporte aussi des myoclonies rythmées,
des troubles de la motricité et du tonus.
L’électroencéphalogramme révèle des décharges périodiques
très caractéristiques.
6- Causes toxiques
:
• Le syndrome de Korsakoff, qui réalise d’abord un trouble
mnésique spécifique lié à une atteinte focale de l’encéphale,
peut se compliquer d’une évolution démentielle.
Il comporte une amnésie antérograde de mémoration, des
fausses reconnaissances et des fabulations. La mémoire des
faits anciens est longtemps préservée puis progressivement
modifiée, réorganisée, fabulée pour aboutir à un véritable «
délire de la mémoire ».
Il est dû à une carence en vitamine
B1, responsable d’une destruction bilatérale des corps
mamillaires.
L’alcoolisme en est la principale cause et
entraîne conjointement des symptômes polynévritiques.
Un traumatisme crânien peut aussi en être responsable.
• La démence alcoolique entraîne une déchéance intellectuelle
progressive associée régulièrement à des troubles
graves du caractère et à des troubles neurologiques d’atteinte
pyramidale, extrapyramidale, cérébelleuse et polynévritique.
Des crises convulsives sont aussi fréquentes.
• La dégénérescence centrale du corps calleux (maladie
de Marchiafava-Bignami), complication plus rare de l’alcoolisme
chronique, peut aussi réaliser un syndrome
démentiel.
• Au décours d’un coma oxycarboné, il peut exister un
tableau démentiel séquellaire, parfois stable, parfois évolutif
avec confusion progressive, hypertonie et coma.
• Il existe d’autres causes toxiques plus rares : maladie de
Wilson ou dégénérescence hépato-lenticulaire (secondaire
à une anomalie génétique du métabolisme du cuivre) ;
intoxication chronique avec des solvants (glue sniffing) ;
encéphalopathie à l’aluminium (des dialysés), bismuthique,
mercurielle…
7- Certaines affections neurologiques
:
• La maladie de Parkinson
• La chorée de Huntington
• La maladie de Steele-Richardson-Olszewski
• Certaines formes évoluées de sclérose en plaques présentent
parfois une évolution d’allure démentielle avec des
troubles de la mémoire évolutifs explicables par des
plaques périventriculaires étendues et des foyers de démyélinisation
au niveau des piliers du trigone.
• La sclérose latérale amyotrophique (SLA), bien qu’étant
au départ une maladie du motoneurone, présente une
atteinte démentielle dans 4% des cas. Le syndrome clinique
est fronto-temporal.
Chez les indigènes de race
Chamorro de l’île de Guam (Océanie), on a observé une
affection associant une démence, un syndrome parkinsonien
et une sclérose latérale amyotrophique (une cause
toxique alimentaire a été retenue).
• Certaines affections cérébelleuses peuvent comprendre
une évolution démentielle : hérédo-dégénérescence spinocérébelleuse
(maladie de Friedrich), maladie de Ramsay-
Hunt, maladie de Déjerine-Thomas (atrophie olivo-pontocérébelleuse)…
B - Causes considérées comme non curables
:
1- Affections dégénératives corticales
:
• La maladie d’Alzheimer
Historiquement, elle concernait les patients entre 45 et 60
ans atteints d’une pathologie démentielle dégénérative progressive
avec confirmation anatomo-clinique des lésions
histologiques (décrites en 1906 par Aloïs Alzheimer).
Actuellement, la démence sénile, qui apparaît en moyenne
vers l’âge de 75 ans, est considérée comme étant une affection
identique ou très proche (même lésions histologiques,
cependant avec une répartition topographique parfois différente,
même hypothèses étiopathogéniques, symptomatologie
assez proche autrefois appelée « presbyophrénie ») mais
d’évolution plus lente.
Aussi, il est commun de regrouper
désormais démence présénile d’Alzheimer et démence sénile
dégénérative sous le terme de « démence de type
Alzheimer » (DTA).
On décrit classiquement à la période d’état un syndrome aphaso-apraxo-agnosique.
L’évolution sur plusieurs années
se fait vers un tableau de démence profonde avec grabatisation.
• Les altérations anatomo-pathologiques caractéristiques
mais non spécifiques de cette affection (appelées « lésions
séniles ») peuvent être retrouvées (surtout dans l’amygdale,
les structures hippocampiques, le cortex cérébral et la partie
basale du cerveau antérieur) lors d’un examen post mortem
ou lors d’une biopsie stéréotaxique rarement effectuée car
dangereuse et très aléatoire.
Il s’agit de la dégénérescence neurofibrillaire, des plaques séniles, de la dégénérescence
granulo-vacuolaire et de lésions capillaires.
De nombreuses hypothèses étiologiques ont
été proposées pour expliquer cette affection.
L’imagerie cérébrale retrouve parfois une atrophie corticale
et une dilatation ventriculaire globales ou prédominantes au
niveau des carrefours et des cornes occipitales, mais ces
signes ne sont ni nécessaires, ni spécifiques.
Le diagnostic de maladie d’Alzheimer est un diagnostic
d’élimination.
Les vérifications anatomopathologiques des démences de
type Alzheimer retrouvent dans 25 % des cas, des corps de Lewy comme dans la maladie de Parkinson.
La démence à
corps de Lewy fait en effet désormais l’objet de plus en plus
de travaux. Elle serait considérée maintenant comme la
seconde cause de démence chez le sujet âgé.
Les corps de Lewy se retrouvent dans l’hippocampe,
dans les lobes temporal et cingulaire en plus de sites
classiques que sont les régions sous-corticales et la substance
noire comme dans la maladie de Parkinson.
En
dehors d’une confirmation anatomopathologique, il faut
actuellement rester prudent pour poser le diagnostic de
cette démence car il existerait des formes associées avec
la démence de type Alzheimer.
Certains signes cliniques
sont cependant à retenir : une symptomatologie plus
fluctuante, plus d’hallucinations surtout visuelles, plus
de signes extrapyramidaux, une fréquente rigidité précoce
et sur le plan cognitif, plus de déficits visuospatiaux
de l’attention et de la fluence verbale et enfin de fréquentes
chutes et une très grande sensibilité au traitement
neuroleptique.
2- Démences fronto-temporales
:
• La maladie de Pick qui représente un diagnostic différentiel
de la démence de type Alzheimer reste la plus
connue, mais elle est beaucoup plus rare.
L’atrophie est
de localisation fronto-temporale.
Le malade a de graves troubles du jugement, une boulimie et de nombreuses stéréotypies.
Les fonctions mnésiques restent préservées pendant
un certain temps, de même que les fonctions gnosiques
et praxiques.
Les modifications de l’humeur sont fréquentes
sous forme de niaiserie, d’euphorie (moria) ou d’indifférence
affective.
La maladie évolue vers un tableau de palilalie, d’écholalie
alternant avec des épisodes de mutisme et d’akinésie [syndrome PEMA (palilalie, écholalie, mutisme et amimie) de
Guiraud].
L’électroencéphalogramme est normal tout au long de
l’évolution.
L’imagerie cérébrale montre plutôt une atrophie
à prédominance frontale et une dilatation parfois considérable
des cornes frontales et temporales.
Elle permet d’éliminer
une tumeur frontale qui peut donner le même tableau
clinique.
L’examen anatomopathologique montre une déperdition
neuronale avec gonflements des neurones restants (spongiose),
des inclusions argyrophiles, une gliose astrocytaire.
Il
n’existe pas de lésions séniles.
Toutefois la possibilité de démence de type Alzheimer avec
atteinte frontale prédominante rend le diagnostic clinique
difficile en l’absence de confirmation anatomopathologique.
Il est donc désormais admis qu’il existe d’autres formes de
démences fronto-temporales ne répondant pas aux critères
de maladie de Pick.
En particulier, la dégénérescence aspécifique
des lobes frontaux et temporaux antérieurs serait
6 à 7 fois plus fréquente.
Elle serait liée dans certains cas à
une mutation sur le chromosome 17.
Enfin, la troisième
forme est représentée par la démence associée à une maladie
du motoneurone (par exemple lors de la sclérose latérale
amyotrophique).
3- Affections dégénératives sous-corticales
:
Elles sont caractérisées par des lésions sous-corticales prédominantes.
Il y a une altération des connexions entre
les structures sous-corticales et cortico-frontales
(« désafférentation » ou « démodulation » du cortex frontal).
Le cortex restant intact, il y manque les déficits instrumentaux.
On retrouve une franche altération des facultés mnésiques
et de la capacité d’utiliser les connaissances acquises,
un ralentissement intellectuel (bradyphrénie) et des modifications
de la personnalité et de l’humeur.
On y regroupe la maladie de Parkinson, la chorée de Huntington et la paralysie supranucléaire progressive.
• La maladie de Parkinson peut se compliquer de démence
dans 40 à 80 % des cas.
Même si l’on sait qu’il y a une diminution
de la quantité de cellules du locus niger, une dégénérescence
des voies dopaminergiques et une réduction des
taux de dopamine, la cause reste inconnue.
Ce trouble idiopathique
du mouvement (bradykinésie, tremblement de
repos, visage figé, rigidité en « roue dentée », marche à
petits pas traînants) qui débute le plus souvent tard dans la
vie s’associe aussi très fréquemment à une dépression
considérée comme un trouble thymique organique.
• La maladie de Huntington est une affection héréditaire
(autosomique dominante à pénétrance complète, avec
une séquence d’acides nucléiques spécifiques sur le chromosome 4) qui débute généralement vers 35-40 ans,
parfois par un syndrome dépressif.
Elle se caractérise par
des mouvements choréiques touchant la musculature axiale
et proximale et des troubles du tonus extrapyramidal, puis
apparaissent des modifications de la personnalité et une
détérioration intellectuelle.
L’évolution se fait vers la mort
en 10 à 15 années.
La physiopathogénie la plus probable
serait l’existence d’une hyperactivité dopaminergique au
niveau du circuit nigro-strié, conséquence d’une hypoactivité
gaba-ergique.
• La maladie de Steele-Richardson-Olzewski (ophtalmoplégie
supranucléaire progressive) débute entre 50 et 65 ans
et associe une dystonie axiale à des manifestations oculaires
évocatrices, notamment une paralysie de la verticalité du
regard.
L’évolution est marquée par l’apparition de troubles
extrapyramidaux, d’une dysarthrie et d’une altération du
rendement intellectuel, puis par la mort en 4 à 8 ans.
4- Atteintes vasculaires
:
• La démence par infarctus multiples est due à l’artériosclérose
cérébrale responsable d’infarctus parfois minimes
et disséminés expliquant la variabilité des troubles cognitifs
et neurologiques associés.
Le début est progressif ou brutal
(par un accident vasculaire cérébral) et l’évolution se fait par
à-coups chez des sujets exposés (hypertension artérielle surtout).
Il peut donc exister des signes neurologiques focaux
(hémiparésie, hémianopsie latérale homonyme, signes
pseudo-bulbaires).
Le scanner cérébral peut montrer de petites zones hypodenses
arrondies, bien limitées, multiples, principalement
dans les noyaux gris centraux et le tronc cérébral.
À l’électroencéphalogramme,
l’asymétrie entre les 2 hémisphères
est souvent importante, mais le rythme de fond alpha est
mieux préservé que dans la démence de type Alzheimer.
Le traitement est d’abord préventif pour limiter de noveaux
accidents vasculaires.
Les formes mixtes associant lésions
dégénératives et atteinte vasculaire sont en fait très fréquentes
surtout chez le sujet âgé (1 cas sur 3).
• La leuco-encéphalopathie de Binswanger est une maladie
considérée comme une démence “sous-corticale”.
Les
sujets atteints sont âgés de plus de 50 ans et présentent généralement
une hypertension artérielle, un diabète et (ou) une
affection cardiovasculaire.
L’hypoperfusion entraîne une
destruction des connexions sous-corticales avec pour résultat
un isolement fonctionnel du cortex cérébral.
Son expression clinique est variable associant troubles du
comportement et de l’humeur à des signes frontaux, des
troubles de la mémoire et des troubles neurologiques
(troubles de la marche, signes pseudo-bulbaires, syndrome
pyramidal, déficits). Des convulsions et des myoclonies sont
relativement fréquentes.
L’évolution fluctuante est émaillée
de brusques aggravations (déclenchées par une hypotension,
une arythmie, une intervention chirurgicale…).
L’imagerie peut montrer des zones hypodenses dans la substance
blanche périventriculaire (« leuco-araïose » : halo
ventriculaire très brillant, hétérogène à contours irréguliers).
Ces anomalies de la substance blanche augmentent cependant en nombre et en intensité avec l’âge et plusieurs autres
affections peuvent en être responsables (en particulier la
démence de type Alzheimer).
Enfin, il existerait des mutations de l’APP (amyloid precursor
protein) qui ne provoquerait pas la démence de type
Alzheimer mais l’angiopathie amyloïde cérébrale hémorragique
héréditaire.
D’autres pathologies vasculaires beaucoup plus rares peuvent
toucher le sujet jeune (angiopathie amyloïde, malformations artério-veineuses, encéphalopathie vasculaire familiale
chronique…).
5- Cas particuliers
:
• Une évolution démentielle peut compliquer certains
traumatismes crâniens uniques mais importants, généralement
après un intervalle libre de quelques mois, et plutôt s’il
y a eu un syndrome confusionnel initial. On parle alors de
démences post-traumatiques.
Elles surviennent cependant
plutôt après des traumatismes répétés (démence des
boxeurs) et s’associe facilement à un syndrome parkinsonien.
• Il faut aussi citer certaines autres causes très rares :
insuffisance antéhypophysaire, maladie ou syndrome de
Cushing, états post-anoxiques, collagénoses (lupus érythémateux
disséminé), maladies systémiques (maladie de
Horton, angéites nécrosantes, sarcoïdose), leucodystrophies
et lipofuscinoses…