Alcoolisme : syndrome de sevrage Cours de Neurologie
L’alcoolisme est la toxicomanie la plus répandue en
France.
L’alcool est une drogue « légale » dont l’usage
est non seulement admis mais enraciné dans les habitudes
de vie des Français.
Il représente ainsi un vecteur
presque obligatoire dans bon nombre de situations
sociales.
Si, dans notre pays, environ 65 % des hommes
et 30 % des femmes consomment régulièrement de
l’alcool, une minorité est dépendante psychologiquement
et physiquement de la prise du toxique à l’intérieur
de ce groupe.
La dépendance psychologique se définit
comme l’impossibilité pour l’individu de réduire ou
d’arrêter volontairement son intoxication, alors que la
dépendance physique correspond à l’apparition de
symptômes organiques lors du sevrage.
Après sevrage en boissons alcoolisées chez des sujets
physiquement dépendants, trois syndromes cliniques,
éventuellement associés, peuvent apparaître : les crises
convulsives, les « signes mineurs » de sevrage (souvent
qualifiés de « prédelirium » en France), et le delirium
tremens, la forme la plus grave.
Physiopathologie
:
L’alcool se comporte comme un agoniste des récepteurs GABA-A (gamma-aminobutyric acid), propriété qu’il
partage avec les benzodiazépines et les barbituriques.
Cela explique certaines similitudes dans les tableaux cliniques
des intoxications aiguës et chroniques avec ces
trois psychotropes, mais aussi lors du sevrage et en particulier
la possibilité de crises convulsives.
Il existe de plus
un phénomène de tolérance croisée entre ces substances.
Le système gaba-ergique étant globalement un système
inhibiteur, sa stimulation par l’alcool explique la dépression
corticale induite par l’intoxication.
Mais, et de façon
parallèle à la stimulation du GABA, l’alcool entraîne, à
concentration élevée, une inhibition du système glutamaergique,
principal système excitateur cérébral.
Le cerveau de l’alcoolique chronique se trouve donc en
état d’inhibition excessive du fait de cette stimulation
chronique du système GABA inhibiteur et de la dépression
du système glutamate excitateur.
Or les modèles
biologiques soumis à ce type de contraintes réagissent
en induisant une régulation négative (down-regulation)
du système stimulé (ici le système GABA), ce qui se
traduit par une réduction de la synthèse endogène du
médiateur et de la densité des sites récepteurs.
Des phénomènes
inverses se produisent pour le système inhibé glutama-ergique (up regulation).
Tant que le toxique se
trouve en concentration suffisante, ces mécanismes ne
s’expriment pas, à moins qu’ils n’expliquent la tolérance
aux fortes alcoolisations observée chez l’éthylique chronique.
Au contraire, le sevrage « libère » l’hyperactivité
latente du système excitateur glutama-ergique, luimême
non contrebalancée par les voies gaba-ergiques
qui se trouvent en situation d’inhibition fonctionnelle.
Quelques jours sont alors nécessaires pour permettre le
retour à un équilibre normal entre les neurotransmetteurs.
La question de la durée et de l’intensité de l’intoxication
nécessaire et suffisante pour entraîner un syndrome de
sevrage reste débattue.
De façon schématique, les symptômes
mineurs de sevrage peuvent survenir après une
semaine seulement d’intoxication « soutenue » et des
convulsions après 2 ou 3 mois.
Un delirium tremens ne
surviendrait par contre qu’après une plus longue durée de consommation d’alcool, un an environ, et supérieure
à 80 g/j.
Cependant la consommation des sujets victimes
d’un delirium tremens, vus en milieu hospitalier, est en
règle infiniment supérieure.
Convulsions de sevrage
:
Crises les plus fréquentes chez l’éthylique, elles représentent
une des principales causes de première crise épileptique
chez l’adulte européen.
Il s’agit dans la plupart des cas de crises convulsives
généralisées de type grand mal qui surviennent 7 à 30 h
après l’arrêt ou la réduction de l’intoxication.
Le
simple sevrage nocturne peut donc être à l’origine de
crises matinales.
Environ 50 % des sujets ne feront
qu’une seule crise, l’autre moitié fera 2 crises ou plus,
et 2 à 7 % un véritable état de mal convulsif.
Si les convulsions de sevrage sont vraisemblablement
liées à l’hyperexcitabilité corticale entraînée par le déséquilibre
entre les systèmes gaba-ergique et glutamaergique,
ceci n’exclut pas l’éventualité d’une lésion
cérébrale épileptogène, surtout en cas de crises partielles.
Toute crise inaugurale, même chez un alcoolique
impose la réalisation d’explorations neuroradiologiques
à la recherche d’une lésion.
La survenue d’une crise isolée n’impose pas de traitement
spécifique.
En cas de crises rapprochées et a fortiori
d’état de mal, l’administration d’une benzodiazépine
(BZD) permet le plus souvent de contrôler la situation.
Toutes les benzodiazépines sont efficaces, mais en
France, il est habituel d’utiliser le clonazépam (Rivotril,
1 à 2 mg par voie intramusculaire ou intraveineuse
lente) ou le diazépam (Valium, 10 mg par voie intramusculaire
ou intraveineuse lente).
L’administration intraveineuse
doit être réalisée avec du matériel de réanimation
à proximité, en raison du risque de dépression
respiratoire.
Delirium tremens
:
Selon l’ancienneté et la sévérité de l’intoxication, le
syndrome de sevrage alcoolique peut revêtir divers
aspects, depuis les « symptômes mineurs » de sevrage
(« prédelirium tremens ») jusqu’au delirium tremens
proprement dit.
A - Symptômes mineurs de sevrage :
Ils apparaissent quelques heures après un sevrage absolu
ou relatif chez un alcoolique chronique.
Le signe le plus
constant est un tremblement d’attitude, prédominant aux
extrémités supérieures et à la langue, rapide et un peu
irrégulier.
Il est habituel d’observer, selon une intensité
variable, une certaine irritabilité, des cauchemars et une
hypersudation nocturne. Ces signes sont à leur acmé
24 h après le sevrage.
Ils vont alors, soit régresser spontanément
pour disparaître en moins d’une semaine, soit évoluer avec apparition d’hallucinations qui augurent de
l’entrée dans le delirium tremens.
Ce continuum fait
envisager, pour certains auteurs, ces symptômes
mineurs comme un premier stade de delirium tremens.
Cependant, dans l’immense majorité des cas, les symptômes
mineurs résument le syndrome de sevrage.
Dans
la mesure où les problèmes de prise en charge et le pronostic
sont radicalement différents, il nous paraît justifié
de séparer ces deux entités.
B - Facteurs déclenchants
:
Le sevrage peut être volontaire mais, le plus souvent, il
se produit à l’occasion d’une pathologie intercurrente :
syndrome infectieux, hospitalisation, notamment pour
crise convulsive, traumatisme ou chirurgie.
La population
à risque doit autant que possible être identifiée par
l’examen clinique et la recherche des marqueurs biologiques
de l’intoxication (macrocytose, ascension des
gamma-GT, signes d’insuffisance hépatocellulaire).
C - Clinique :
Après 24 h d’une symptomatologie constituée par les
« signes mineurs de sevrage », apparaissent des hallucinations
multimodales, auditives, somesthésiques mais
surtout visuelles à thématique souvent effrayante : zoopsies,
scènes violentes…
Il peut s’agir d’une distorsion
de la réalité, avec souvent une interprétation de l’environnement
vécu comme menaçant, ce qui peut conduire
à des réactions agressives.
À ce stade, le patient est
agité, confus, tient des propos incohérents et délirants,
délire alimenté par les hallucinations auxquelles il
adhère totalement.
À ce syndrome neuropsychiatrique
se surajoute un syndrome neurovégétatif fait de nausées,
de sueurs profuses susceptibles d’entraîner une déshydratation
globale en quelques heures, d’une tachycardie
sinusale, d’une hyperthermie en dehors de tout contexte
infectieux.
Plus rarement il peut exister une diarrhée,
des troubles du rythme, une instabilité tensionnelle.
Enfin, dans les cas les plus graves, des crises convulsives
voire un état de mal épileptique, peuvent survenir en tant
que complications de l’évolution du delirium tremens.
D - Évolution, pronostic :
La phase de delirium proprement dite dure habituellement
3 à 5 jours.
Puis les troubles végétatifs et l’état
confusionnel régressent en 24 à 72 heures, laissant une
amnésie totale ou partielle de l’épisode.
Au total, la
phase des signes cliniques de sevrage dure donc environ
une dizaine de jours, une évolution plus prolongée doit
faire rechercher une pathologie intercurrente (encéphalopathie
carentielle, infection neuro-méningée…).
S’il faut rappeler qu’il n’y a pas de séquelles neurologiques
liées au seul delirium tremens, la mortalité
observée au décours de celui-ci est d’environ 5 à 10 %
des cas.
La plupart des décès surviennent chez des
patients porteurs d’une défaillance viscérale préexistante (cardiomyopathie éthylique, cirrhose…) ou du fait
d’une infection intercurrente. Une faible part des décès
est liée à un état de mal convulsif ou aux troubles végétatifs
contemporains de la phase aiguë.
E - Traitement :
Le traitement doit être entrepris dès les premiers signes
avant l’installation du tableau complet.
Il comporte deux
axes.
1- Sédation de l’agitation :
Dans la mesure où il existe un « déficit » gaba-ergique,
il est logique de faire appel aux benzodiazépines, qui ont
de plus des propriétés anticonvulsivantes.
Actuellement,
on utilise plus volontiers des molécules à demi-vie
courte et sans métabolite actif, tel que l’oxazépam
(Séresta, 400 à 800 mg/j per os) qui permettent d’adapter
la posologie de façon plus souple, mais des benzodiazépines
à demi-vie plus longue comme le diazépam
(Valium, 0,25 à 1 mg/kg/j per os) ont aussi fait la preuve
de leur efficacité et de leur sécurité d’emploi.
Il n’y a pas de justification physiopathologique à l’emploi
des neuroleptiques, d’autant qu’ils abaissent le seuil épileptogène.
De plus, le risque de syndrome malin peut
être majoré chez ces patients souvent déshydratés et déjà
hyperthermiques.
Les carbamates (Équanil) sont encore souvent utilisés
en France, malgré l’absence d’études contrôlées.
La
dose toxique, avec risque de choc cardiogénique, étant
assez proche de la dose thérapeutique, ils ne devraient
pas être prescrits dans cette indication.
2- Prévention des complications :
Il faut éviter la déshydratation liée à l’agitation et à
l’hypersudation en encourageant les patients à boire
de l’eau, mesure qu’il est nécessaire de compléter par
l’administration de perfusions, souvent de l’ordre de
2 à 4 L/j nécessitant une surveillance clinique et biologique
attentive.
Il est aussi indispensable de prévenir
les encéphalopathies carentielles par l’administration
parentérale de vitamines B1 (500 à 1 000 mg/j), B6
(200 mg/j) et PP (500 mg/j).