Résistance bactérienne aux antibiotiques Cours de Bactériologie
Définitions
:
Les antibiotiques sont des substances qui
inhibent la croissance bactérienne. L’action
d’un antibiotique sur une bactérie est
caractérisée par 2 paramètres :
(1) la
concentration minimale inhibitrice (CMI) est
la plus faible concentration d’antibiotique
inhibant la croissance des bactéries à 37°C
en 18-24 h ;
2) la concentration minimale
bactéricide(CMB) est la plus faible
concentration d’antibiotique détruisant 99,9%
de la population bactérienne après 18-24 h
d'incubation.
Un antibiotique est dit
bactéricide quand le rapport CMB/CMI est
égal à 1 ou 2, bactériostatique quand le
rapport CMB/CMI est supérieur ou égal à 4.
Une souche bactérienne est dite résistante à
un antibiotique quand elle est capable de se
développer en présence d’une concentration
élevée d’antibiotique.
La résistance prend
en compte la pharmacocinétique de
l’antibiotique chez les patients.
Une souche
est dite résistante à un antibiotique si sa
CMI est supérieure à la concentration
sanguine maximale d’anti-biotique (non
toxique) obtenue lors du traitement
On distingue :
1) la résistance naturelle ou "innée" des
espèces bactériennes dont les souches "sauvages" résistent naturellement à
certains antibiotiques ; par exemple, les
streptocoques sont résistants aux
aminosides, les bactéries à Gram négatif aux glycopeptides, les bactéries à Gram positif
aux polymyxines.
2) la résistance acquise est une propriété
nouvelle qui apparaît chez les espèces
bactériennes jusqu’alors sensibles aux
antibiotiques, cette résistance
correspondant à une adaptation des
bactéries aux antibiotiques.
Déterminisme génétique de la
résistance acquise aux antibiotiques
:
Les mutations chromosomiques :
Des mutations chromosomiques peuvent
modifier les cibles des antibiotiques comme
les transpeptidases (PBPs), l'ADN gyrase,
les protéines ribosomales, l'ARN
polymérase, ou encore les porines.
Ces
mutations peuvent entraîner une modification
de certaines structures cellulaires, par
exemple de la paroi pour les PBPs, ou de
certaines fonction, comme la perméabilité de
la membrane externe.
Ces mutations sont
des événements rares survenant à un taux
de 10-6 à 10-9 .
Ce type de résistance est
stable, transmis à la progénie mais non
transmissible horizontalement à d'autres
bactéries.
Le plus souvent, une mutation
entraîne la résistance pour un antibiotique
ou des antibiotiques appartenant à la même
famille .
Cependant, une mutation peut
également entraîner la résistance à plusieurs
antibiotiques par imperméabilité.
L’antibiotique n’est pas directement
mutagène mais il sélectionne les rares
mutants résistants spontanés au sein d’une
population bactérienne sensible.
L'acquisition de gènes de résistance :
Cette résistance est due à l'acquisition
d’information génétique exogènes portés par
des plasmides ou des transposons.
Elle
concerne la quasi-totalité des antibiotiques et
correspond à la majorité des cas isolés en
clinique.
Cette résistance entraîne la
synthèse par les bactéries réceptrices de ce
matériel génétique de protéines nouvelles
qui vont soit : modifier le système de
transport de l’antibiotique (efflux), inactiver
l’antibiotique (enzymes), modifier la cible
de l’antibiotique (PBPs), ou encore
substituer une cible insensible à une cible
sensible (PBPs).
Mécanismes biochimiques de la
résistance acquise aux antibiotiques :
Les principaux mécanismes de résistance
aux antibiotiques sont donc :
l'imperméabilité, l'inactivation de
l’antibiotique, l'altération de la cible cellulaire
de l’antibiotique, le reflux actif (efflux) de
l’antibiotique.
Les β-lactamines inhibent l'activité des transpeptidases ou PBPs (Penicillin binding
Proteins, protéines liant la pénicillines),
enzymes de synthèse du peptidoglycane
situées à la face externe de la membrane
cytoplasmique.
Les β-lactamines se fixent
dans le site actif de ces enzymes.
L’inhibition
de la synthèse du peptidoglycane entraîne
un arrêt de la multiplication bactérienne.
Il existe de nombreux mécanismes de
résistance aux β-lactamines :
1) La résistance par imperméabilité de
l'enveloppe des bactéries est uniquement
décrite chez les bactéries à Gram négatif,
avec une membrane externe et des porines,
trimères insérés dans cette enveloppe très
hydrophobe et laissant passer des petites
molécules hydrophiles (<6000 Da).
Il peut
s'agir d'une diminution quantitative d’un ou
plusieurs types de porines ou d'une
modification de la structure d’une des porines essentielles.
2) La résistance par inactivation de
l’antibiotique peut être due à la synthèse
d’une enzyme (β-lactamase) capable
d’inactiver la β-lactamine par ouverture du
cycle β-lactame.
Chez les bactéries à Gram
négatif, les β-lactamases sont localisées
dans l'espace périplasmique.
Chez les
bactéries à Gram positif , ces enzymes sont
sécrétés et libérer dans le milieu
extracellulaire.
3) la résistance par modification de la cible
(mutation et transformation) est liée à une
modification des PBPs, surtout chez les
bactéries à Gram positif (Streptoccoccus
pneumoniae...), voir à l'acquisition d'une
nouvelle PBP par un transposon
(Staphylococcus aureus).
Résistance aux aminosides :
Les aminosides agissent sur certaines
protéines ribosomales et inhibent la synthèse
protéique.
Les mécanismes de la résistance aux
aminosides sont nombreux .
Il peut s'agir :
1) d'une modification de la cible ribosomale
des aminosides par mutation ponctuelle
d'une protéine entraînant une diminution de
l’affinité du ribosome pour l’antibiotique.
2) d'une altération du transport des
aminosides, soit qu'ils ne puissent pas
pénétrer dans l'espace périplasmique des
bactéries Gram négatif par imperméabilité
(mutants des porines de la membrane
externe), soit que les antibiotiques soient
incapables de traverser la membrane
cytoplasmique (mutants de transport actif).
3) souvent d'une inactivation des
aminosides par production d'enzymes par
acquisition de gènes de résistance codant
ces enzymes.
Il existe 3 classes d'enzymes
modifiant les aminosides : les aminosidesphosphotransf
érases (APH) qui
phosphorylent un groupement OH ; les
aminosides-nucléotidyltransférases (ANT)
qui adénylent un groupement OH ; et les
aminosides-acétyltransférases (AAC) qui
acétylent un groupement NH2.
Ces enzymes
largement répandues chez les bactéries à
Gram positif et négatif sont très nombreuses
et peuvent coexister dans une même
bactérie.
Résistance aux macrolides-lincosaminessynergistines
( MLS)
:
Les macrolides agissent sur des protéines ribosomiques en inhibant la synthèse
protéique par interaction avec la sous-unité
ribosomale 50S.
Les macrolides sont
bactériostatiques pour la plupart de
antibiotiques et bactéricides pour quelques
espèces Gram positif.
La résistance acquise provient d'une
modification de la cible ribosomale par une
ARN méthylase qui méthyle l’ARN 23 S de la
sous-unité ribosomale 50 S, d'une
inactivation enzymatique des antibiotiques
par synthèse d’une érythromycine-estérase,
ou encore d'une imperméabilité de
l'enveloppe bactérienne.
Résistance aux quinolones :
Les quinolones inhibent la réplication du
chromosome bactérien avec comme cibles
les topoisomérases de type 2 (DNA gyrases
A et B ) et de type IV.
La résistance acquise aux quinolones résulte
le plus souvent à de mutations
chromosomiques des gènes gyrA et gyrB et
de modifications de la topoisomérase IV.
La
résistance est plus rarement due à une
imperméabilité (résistance croisée avec
d’autres antibiotiques) ou un mécanisme
d'efflux.
Résistance aux tétracyclines
:
Les tétracyclines sont bactériostatiques et
agissent sur des protéines ribosomiques en
inhibant la synthèse protéique par interaction
avec la sous-unité 30S des ribosomes.
La
résistance acquise est liée à l'excrétion
active de l’antibiotique par des protéines de
membrane Tet codés par les gènes tetA à
tetG pour les bactéries Gram positif et tetL
and tetK pour les bactéries Gram négatif.
Les mécanismes de résistance peuvent
aussi être liés à la protection des ribosomes
par des protéines cytoplasmiques codées
par les gènes tetM à tetT (essentiellement
chez les bactéries Gram positif), ou encore
rarement à l'imperméabilité (résistance et
croisée avec d’autres antibiotiques)
uniquement chez les Gram négatif.
Résistance aux phénicolés :
Les antiobiotiques apparentés au
chloramphénicol sont bactériostatiques et
agissent sur la sous-unité ribosomale 50S en
inhibant la synthèse protéique.
La résistance peut être principalement due à
une inactivation enzymatique par une chloramphénicol-acétyltransférace (CAT).
Les dérivés acétylés du chloramphénicol ne
peuvent plus se lier au ribosome.
Cette
résistance habituellement codée par un
plasmide est inductible chez les bactéries
Gram positif et constitutive chez les bactéries
Gram négatif.
Plus rarement, il s'agit d'une
imperméabilité (résistance croisée avec
d’autres antibiotiques) .
Résistance aux sulfamides et au triméthoprine
:
Les sulfamides inhibent les enzymes
impliqués dans la production d'acide tétrahydrofolique (THFA) qui est un cofacteur
essentiel à la synthèse des acides
nucléiques et de fMet.
Ce sont des analogies
structuraux de l'acide para-aminobenzoique
qui est le substrat du 1er enzyme de cette
voie de synthèse la dihydropeptéraote
synthétase (DHPS).
Le triméthroprime (TMP)
a une structure similaire à la dihydrofolate
réductase (DHFR) et inhibe cette enzyme qui
est la dernière étape de cette voie de
synthèse.
La résistance aux sulfamides est d'origine
chromosomique, due à une diminution de
perméabilité, une hyper-production d’acide
para-aminobenzoïque, une hyper-production
de la DHPS, ou encore à une DHPS mutée
résistante.
Il existe aussi une résistance plasmidique pour l'acquisition d'une nouvelle DHPS ou diminution de perméabillité.
La résistance au triméthroprime est
chromosomique par diminution de
perméabilité, hyperproduction de DHFR,
auxotrophie pour la thymine, ou production
d'une DHPR mutée résistante.
La résistance plasmidique permet l'acquisition d'une
nouvelle DHFR.
Résistance à la rifampicine :
La rifampicine agit en bloquant les RNA
polymérases.
La résistance acquise est due
à des mutations dans la sous-unité ß de la
RNA polymérase.
Ces mutations surviennent
à haute fréquence (10-5-10-6).
Résistance aux glycopeptides :
Les glycopeptides (vancomycine,
teïchoplanine) se lient à un précurseur du
peptidoglycane, bloquant ainsi la synthèse
du peptidoglycane.
En se fixant à la portion Dala-Dala
de l'UDP-muramyl pentapeptide
après son transfert à travers la membrane
cytoplasmique, ils inhibent à la fois la
transpeptidation et la transglycosylation du
peptidoglycane.
Les glycopeptides sont actifs sur les
bactéries Gram positif mais pas sur les
bactéries Gram négatif car ils ne peuvent
franchir l'enveloppe externe.
La résistance à la vancomycine a été décrite
en 1988 chez les entérocoques.
Deux
phénotypes de résistance sont observés :
1) le phénotype dit vanA confère une
résistance inductible de haut niveau à la
vancomycine et à la teicoplanine ; cette
résistance est codée par le gène vanA porté
par le transposon Tn1546
2) le phénotype dit vanB confère une
résistance inductible à des niveaux variés
pour la vancomycine mais n'atteint pas la teicoplanine ; cette résistance est codée par
le gène vanB porté par de grands éléments
conjugatifs (>100 kb)
Cette résistance est
maintenant largement répandue chez les entéroroques et constitue un problème
majeur pour ces bactéries nosocomiales.
De
plus, les éléments transposables pourraient
potentiellement être transférable, par
exemple à des staphylocoques,
Les souches de S aureus restent
habituellement sensibles à la vancomycine.
On a récemment décrit des souches de S.
aureus de sensibilité diminuée à la vancomycine (CMI : 8 mg /L ) sans réelle
résistance in vivo à cet antibiotique.
Ces
souches de résistance intermédiaire contre
les antibiotiques glycopeptidiques (GISA,
Glycopeptide-R S. aureus) restent rares en
France (<1% des souches).
Cependant, une
souche de haut ni-veau de résistance à la
vancomycine (>30 mg/L) vient d'être
signalée en juin 2002 aux USA.
De telles
souches de S.aureus risquent d'être
totalement inaccessibles à l'antibiothérapie
Prophylaxie de la résistance :
Prévenir l'émergence de bactéries
résistantes aux antibiotiques est basé sur
quelques principes simples :
1) utiliser une
antibiothérapie ciblée sur la bactérie
responsable de l'infection ;
2) prescrire des
associations de 2 antibiotiques pour prévenir
la résistance par mutations (rifampicine, quinolones, aminosides...) ;
3)multiplier les
mesures prophylactiques pour éviter la
propagation.