Relations pathologiques oeil-dent : point de vue du stomatologiste et de l’odontologiste
Cours de Médecine Dentaire
Introduction
:
Devant une pathologie oculaire, le stomatologiste,
l’odontologiste et l’ophtalmologiste doivent associer
leurs compétences ; de leur étroite collaboration
dépend le traitement (local et/ou général)
dispensé au patient.
La guérison, l’avenir fonctionnel
de l’oeil, la prévention des récidives dépendent
de leur précocité et de l’efficacité du traitement.
Le stomatologiste et le chirurgien-dentiste
jouent un rôle important et doivent donc connaître
les relations entre l’oeil et la dent.
Ils doivent
établir un diagnostic étiologique et dispenser un
traitement buccodentaire.
Nous verrons tour à tour, après un rapide historique
et un rappel sur les rapports embryologiques
et anatomiques entre l’oeil et la dent, l’étiopathogénie,
les affections dentaires causales, les tableaux
cliniques susceptibles d’être rencontrés.
Nous finirons sur l’examen stomatologique et la
conduite à tenir pour le stomatologiste et le
chirurgien-dentiste.
Historique
:
Les relations pathologiques sont connues depuis
longtemps.
Le Code d’Hamourabi (fondateur de l’empire
babylonien), 2258 avant JC, décrit, dans ses tables,
les relations entre les maladies de l’oeil et celles
des dents.
Hippocrate, dans ses Aphorismes périopsos, définit
la relation de cause à effet entre certaines
suppurations intraorbitaires et un foyer infectieux
dentaire.
L’iconographie chrétienne représente volontiers,
main dans la main, sainte Apolline (protectrice
des dents) et sainte Lucie (protectrice des
yeux).
Pour Ambroise Paré, la canine maxillaire correspond
à la « dent de l’oeil » ou « oeillère ».
Il définit
les rapports de contiguïté entre les dents et le
globe oculaire.
Des auteurs anglo-saxons dénoncent l’importance
des foyers infectieux dentaires dans la genèse
des infections focales.
En 1910, Hunter accuse
la septicité apicale dentaire d’être le point de
départ de nombreuses infections, dans sa conférence
publiée dans The Lancet.
Ce médecin colonel
anglais prône l’extraction dentaire systématique et
accuse les « mausolées d’or (couronnes, bridges,
onlays...) sur des tombeaux de microbes ».
En
1912, Billings énonce sa théorie de l’infection focale
qui repose sur l’essaimage à distance de toxines
bactériennes.
Celle-ci serait la cause principale
des troubles à distance.
« La bouche est l’ennemie
mortelle de l’oeil ». Ces thèses eurent peu d’écho
en France, mais en eurent beaucoup outre-Atlantique.
En 1914, les travaux français de Dor (Lyon) et de
Polliot (Besançon) démontrent le rôle des lésions
apicales, souvent cliniquement muettes, dans
l’étiologie des uvéites.
Les extractions dentaires se
multiplient alors.
Fromaget publie, en 1924,
d’importants travaux sur les rapports entre lésions
oculaires et lésions dentaires.
Les manifestations
oculaires d’origine dentaire ne sont alors plus niées
(Worms et Bercher, Lepoivre, Dechaume, Reilly...).
Ces auteurs prônent une position moins catégorique.
En 1951, au congrès de l’Association dentaire
américaine, les participants furent unanimes pour
considérer comme minime le danger des infections
focales.
Actuellement, les cliniciens ont une position plus
modérée.
L’étiologie dentaire est possible, mais
rare.
Il n’existe que peu d’études récentes documentées
sur ce sujet.
La littérature existante se résume
souvent à des cas cliniques.
Rapports
:
A - Rapports embryologiques :
Il existe un lien ontogénique étroit entre l’oeil et la
dent.
L’origine embryologique des dents est double :
l’ectoderme du stomodeum est issu du premier arc
branchial, l’ectomésenchyme des crêtes neurales
encéphaliques.
De même, le globe oculaire a une
double origine embryologique : l’oeil est constitué
d’une vésicule optique, émanation du diencéphale,
qui préside à l’élaboration de la rétine sensorielle
et pigmentaire.
Autour de celle-ci, vers le 40e jour,
affluent les cellules des crêtes neurales encéphaliques
qui vont se différencier en enveloppes et
structures périoculaires (choroïde, sclérotique, endothélium
de la cornée, cellules pigmentaires de
l’iris...).
L’oeil et la dent ont donc une origine
embryologique commune : ils dérivent de l’épiblaste.
Les éléments ectodermiques de l’oeil (cristallin
et rétine) et le développement du maxillaire et de
la mandibule évoluent dans la même période (entre
la cinquième et la septième semaine).
Mais, plus encore, c’est la mise en place des
structures de soutien qu’il faut considérer.
Le
développement volumétrique et la fusion médiane des bourgeons faciaux de la cinquième et la sixième
semaines expliquent la contiguïté entre la cavité
orbitaire et la cavité buccale, malgré leur éloignement
topographique.
C’est à ce stade de développement
de la face que des défauts mineurs de
fusion entre bourgeon nasal interne et bourgeon
maxillaire expliquent l’agénésie, voire l’ectopie de
certains germes dentaires, par dysmigration des
odontoblastes.
Leur évolution pourra être à l’origine
d’accidents infectieux ophtalmologiques.
La complexité du développement de la face de
l’embryon explique l’éventualité des malformations craniofaciales.
Anomalies dentaires et oculaires
coexistent fréquemment dans de nombreux syndromes craniofaciaux, comme le syndrome de
Crouzon, la maladie de Marfan, le syndrome de
Pierre Robin...
B - Rapports anatomiques :
Du fait des rapports anatomiques de voisinage entre
l’oeil et la dent, une lésion dentaire peut, par
simple contiguïté et par diffusion, provoquer une
atteinte de l’oeil.
1- Rapports osseux
:
Le maxillaire supporte les dents supérieures dans sa
partie inférieure, entre dans la constitution de la
cavité orbitaire par sa partie supérieure, et comprend
une cavité centrale : le sinus maxillaire.
Certains auteurs comme Worms et Bercher
pensent que la propagation d’une infection dentaire
à l’oeil doit se faire par le relais sinusien (la
« sinusite latente »).
La face supérieure du maxillaire est une fine
lame osseuse, rendue encore plus fragile par la
présence du canal infraorbitaire.
La mince séparation
entre sinus maxillaire et cavité orbitaire explique
la propagation des infections ou des tumeurs.
Parmi les rameaux vasculonerveux inclus dans la
paroi antérieure du sinus maxillaire, un émanant de
l’alvéole de la canine vient s’ouvrir en avant du
canal lacrymal au niveau de l’angle inféromédial de
l’orbite.
C’est par cette voie intraosseuse que peuvent
se propager, jusqu’au grand angle de l’oeil,
des suppurations ayant une origine alvéolaire.
Ces
canaux (dits « de Parinaud ») favorisent la diffusion
de l’infection vers l’oeil.
Le même périoste recouvre les canalicules dentaires,
le canal lacrymonasal et l’orbite.
Le volume des sinus étant variable, les rapports
dents – sinus le sont également.
Dents et sinus
maxillaire sont séparés par 2 à 4 mm d’os spongieux.
Parfois, certains apex font saillie dans le
sinus (sinus procident) ; les dents antrales correspondent
aux prémolaires et premières molaires
maxillaires, rarement des deuxièmes et troisièmes
molaires et des canines.
De plus, la barrière osseuse
n’est pas perméable.
Elle est traversée par de
nombreux pertuis où passent de fines ramifications
des nerfs, artérioles et veinules dentaires.
Chez
l’enfant, les germes des dents définitives se superposent
à ceux des dents déciduales et se trouvent
situés très près de l’orbite ; comme chez l’adulte
dans les cas d’ectopie ou d’inclusion dentaire.
Cette disposition explique la propagation fréquente
des suppurations d’origine dentaire au rebord inférieur
de l’orbite chez l’enfant.
2- Rapports vasculaires
:
* Artères :
Il existe de nombreuses anastomoses :
• entre l’artère maxillaire et l’artère ophtalmique
(branche de l’artère carotide interne) ;
• entre l’artère faciale et l’artère ophtalmique
par l’artère angulaire de l’oeil.
Le système carotidien externe (destiné à la face,
aux téguments de la tête et à la partie supérieure
de l’axe aérodigestif) participe à la vascularisation
orbitaire.
* Veines :
Il existe des anastomoses :
• entre la veine ophtalmique supérieure et le
tronc thyro-linguo-facial par la veine angulaire.
La veine ophtalmique supérieure se jette
dans le sinus caverneux, ce qui explique la
possibilité des thrombophlébites craniofaciales
;
• entre la veine ophtalmique inférieure et le
plexus ptérygoïdien (qui draine les plexus orbitaire,
sinusaux et péridentaires et qui possède
des anastomoses avec le sinus caverneux) par
la veine infraorbitaire ;
• entre les veines ophtalmiques supérieure et
inférieure.
De plus, les veines faciale et angulaire sont dépourvues
de valvules ; le sens du courant sanguin
peut s’inverser.
* Vaisseaux lymphatiques
:
Les noeuds lymphatiques submandibulaires, au
nombre de trois à six de chaque côté, reçoivent les
lymphatiques des paupières et de la conjonctive,
de la joue, des lèvres, des gencives et du plancher
buccal.
Pour Larmande et al. l’absence de système
lymphatique orbitaire semble exclure toute propagation
de l’inflammation par voie lymphatique.
Pour cet auteur, il est exceptionnel qu’une infection
dentaire entraîne une cellulite orbitaire par
l’intermédiaire d’une septicémie.
3- Rapports nerveux
:
L’innervation sensitive de l’oeil et des dents est
assurée par la Ve paire des nerfs crâniens, le nerf
trijumeau, par sa racine sensitive (racine supérieure,
la plus volumineuse).
L’innervation de l’oeil et des arcades dentaires
est donc sous la dépendance des branches du trijumeau,
le nerf le plus réflexogène de l’organisme.
Le trijumeau est en connexion étroite avec la plupart
des nerfs crâniens (nerf facial, nerf oculomoteur,
nerf trochléaire), des nerfs cervicaux, des
systèmes sympathique et parasympathique.
Ainsi, toute irritation de la pulpe, qui est très
riche en fibres neurovégétatives, entraîne une atteinte trigéminale et sympathique. Cela peut occasionner
ensuite un accident oculaire réflexe.
4- Rapports cellulaires
:
Les espaces celluleux font largement communiquer
la région jugale et le plan musculaire des paupières.
Au niveau de l’apex de la canine et des premières
prémolaires, prend naissance une coulée cellulaire
verticale, qui s’étale dans la région génienne
haute, s’allonge dans le sillon nasogénien pour
aboutir à l’angle médial de l’oeil.
Seul le rebord
orbitaire sépare les tissus celluleux orbitaire et nasogénien.
Une ostéite diffuse du maxillaire peut
ainsi intéresser l’orbite.
Le tissu nasogénien se
poursuit dans le tissu celluleux lâche de la paupière
inférieure.
Cela explique la diffusion rapide de
certaines cellulites aiguës géniennes vers l’angle
médial de l’oeil et la présence alors d’un oedème
palpébral.
Le tissu celluleux de la région infratemporale
peut être infecté directement par une
dent de sagesse supérieure et propager l’infection
au tissu celluleux de l’orbite, par voie postérieure.
Ceci est exceptionnel, sauf en cas de participation
veineuse.
Le globe oculaire évolue dans une atmosphère
celluleuse à l’intérieur d’une cavité osseuse bien
plus grande que lui.
Cela lui permet une grande
mobilité, mais aussi la diffusion des processus septiques
au sein du cône orbitaire et vers l’étage
moyen de la base du crâne.
Étiopathogénie
:
Les interactions sont le plus souvent hypothétiques
ou établies par la disparition de l’affection oculaire
après traitement de la pathologie dentaire, a posteriori.
Elles expriment une réalité clinique quotidienne
et justifient un examen buccodentaire systématique
pour une pathologie oculaire dont l’étiologie
n’est pas connue.
A - Manifestations réflexes :
Elles seraient dues à la richesse des connexions
anastomotiques nerveuses (nerf trijumeau et système
sympathique).
Pour Lepoivre et Raison, chaque
fois qu’une pulpe dentaire est irritée, il y a
atteinte trigéminale et sympathique.
Elles sont très souvent évoquées pour expliquer
certaines manifestations fonctionnelles chroniques
: douleur, troubles de l’accommodation, photophobie, blépharospasme.
B - Manifestations oculaires infectieuses
de voisinage :
Il s’agit de la propagation, le plus souvent aux
annexes, d’un foyer infectieux, par extension de
proche en proche (périoste, sinus, fosse infratemporale
et fente fissure orbitaire inférieure) ou
par voie veineuse rétrograde.
Dans le rapport de la Société française d’ophtalmologie
de 1986, concernant les neuropathies optiques, Hamard et al. se basant sur l’article de
François et Van Oye sur les uvéites et les névrites
optiques, considèrent que l’infection par contiguïté
(par voie osseuse, périostée, par le sinus
maxillaire) est exceptionnelle ; pour l’infection
focale (propagation par voie sanguine jusqu’à
l’oeil), cet auteur rappelle qu’aucun germe n’a été
mis en évidence au niveau de l’oeil. Dans son rapport
de 1997, la Société française d’ophtalmologie
considère la propagation par contiguïté
comme la cause principale des atteintes oculaires
d’origine dentaire.
C - Manifestations immunitaires
:
Des réactions allergiques de type humoral I, II, III ou
de type retardé IV semblent être la cause dans les
uvéites, les vascularites rétiniennes et les neuropathies
optiques observées lors de pathologies dentaires.
Les antigènes bactériens et la nature antigénique
de biomatériaux dentaires en seraient à
l’origine, le typage immunogénétique human
leukocyte antigen (HLA) B27 les favoriserait.
Pour Hamard et al. c’est la théorie la plus
souvent admise actuellement.
Seul, alors, le foyer
infectieux dentaire compte et son siège importe
peu.
Il est probable qu’une cause infectieuse puisse
entraîner des phénomènes immunitaires secondaires,
analogues à ceux rencontrés au cours des uvéites
non infectieuses et responsables de la pérennisation
de l’inflammation intraoculaire.
Il paraît
donc impossible de dissocier les causes infectieuses
des mécanismes purement immunitaires.
Tableaux cliniques
:
L’orbite est la cible favorite des manifestations
ophtalmologiques de la pathologie dentaire.
Elle
doit ce privilège à sa proximité anatomique, à la
richesse de ses connexions vasculonerveuses et à
son hétérogénéité tissulaire.
A - Atteintes infectieuses
:
1- Au niveau des paupières
:
OEdèmes et abcès palpébraux inférieurs.
Par contiguïté
d’une dent infectée.
2- Au niveau du rebord orbitaire
:
Ostéopériostite aiguë.
3- Au niveau des voies lacrymales : dacryocystite – péricystite
Elles font suite à une ostéopériostite du maxillaire.
Elles sont caractérisées par une tuméfaction
rouge, chaude, douloureuse, intéressant l’angle
médial des paupières jusqu’à l’aile du nez.
La pression
de la région fait sourdre du pus au niveau de
l’angle médial palpébral.
4- Au niveau de l’orbite
:
* Cellulite orbitaire
:
Elle est la traduction habituelle de l’orbitopathie
inflammatoire d’origine dentaire.
La propagation
du processus infectieux dentaire emprunte des
voies différentes selon les dents causales :
• pour les molaires, et notamment les dents de
sagesse : la fosse infra-temporale, la fente
fissure orbitaire inférieure, la fosse ptérygopalatine
(avec parfois trismus) ;
• pour les prémolaires et les molaires : le sinus
maxillaire ; 70 à 80 % des cellulites orbitaires
sont d’origine sinusienne, 10 à 20 % des
sinusites maxillaires sont d’origine dentaire ;
• pour les incisives et les canines : voie périostée
et/ou cellulaire et veineuse.
La carie profonde ou la pulpite, accompagnée
parfois d’une périodontite ou d’une péricoronarite,
en est le plus souvent l’origine.
La fracture ou
l’extraction d’une dent peut aussi en être responsable.
Kaban et Mac Gill distinguent, selon le franchissement
du septum orbitaire par le processus inflammatoire,
les cellulites périorbitaires (ne
concernant que les paupières) et les cellulites orbitaires,
rares et graves avec oedème palpébral, chémosis,
exophtalmie, ophtalmoplégie et anesthésie
cornéenne.
Il existe cinq stades évolutifs de la cellulite orbitaire
(sans traitement) selon la classification de
Smith et Spencer, modifiée par Chandler et al. :
• I : oedème inflammatoire des paupières : cellulite préseptale ;
• II : exophtalmie inflammatoire : cellulite intraorbitaire
;
• III : abcès orbitaire sous-périosté (retrouvé
souvent chez l’enfant) : exophtalmie douloureuse
et inflammatoire non axile (l’oeil dérive
du côté opposé à l’abcès) ;
• IV : abcès intraorbitaire : ophtalmoplégie, diminution
de l’acuité visuelle et atteinte des
réflexes pupillaires, anomalies du fond d’oeil ;
• V : thrombophlébite du sinus caverneux. :
forme très grave avec une forte mortalité,
avec protrusion du globe oculaire, vasodilatation
conjonctivale et épisclérale, ophtalmoplégie,
oedème papillaire, signes généraux et méningés
de type septicémique.
Elle peut se
compliquer d’une atrophie optique, voire
d’une méningite et d’un abcès cérébral.
Cette classification est également thérapeutique
: les stades I et II justifient un traitement
médical, les stades III et IV un traitement chirurgical.
La pathologie dentaire s’exprime au niveau orbitaire
surtout par les stades I et II, mais elle peut
aussi être à l’origine, dans 7 % des cas, d’une
thrombophlébite du sinus caverneux, pouvant se
compliquer d’une méningite ou d’un abcès cérébral.
La flore microbienne peut être aérobie (Enterococcus
faecalis) ou anaérobie (Fusobacterium, Peptostreptococcus,
Veillonella, Bacteroides).
Chez
les jeunes sujets, il peut s’agir d’Haemophilus influenzae.
Il existe trois facteurs déterminants dans leur
survenue : prescription de corticostéroïdes et surtout
d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, une antibiothérapie
mal adaptée, un traitement chirurgical
initial insuffisant ou absent.
Les facteurs
favorisants sont l’âge, les déficits immunitaires, les
néoplasies, le diabète, voire l’éthylisme.
* Autres formes cliniques plus rares
:
Ont été décrits un abcès intraconal, secondaire à
l’infection de prémolaires et de molaires et une
gangrène gazeuse de l’orbite, suite à un granulome
périapical infecté d’une dent de sagesse
maxillaire.
Falcone, cité par Newman, relate un syndrome
de la fissure orbitaire supérieure (oedème périorbitaire,
ecchymose subconjonctivale, ptôse, ophtalmoplégie,
dilatation pupillaire), complication d’un
kyste infecté.
* Atteintes oculaires par essaimage infectieux
:
Elles sont très rares.
Nous avons repris la classification
de Rives et al. :
• les kératites à Capnocytophaga chez des patients
immunodéprimés (corticostéroïdes,
syndrome de l’immunodéficience acquise),
ou à Candida albicans ;
• les panophtalmies infectieuses, endophtalmies
;
• les métastases septiques de l’iris : suite à un
abcès d’une molaire maxillaire, diagnostiqué
par angiographie du fond d’oeil.
B - Atteintes inflammatoires :
1- Uvéites
:
L’uvéite est la manifestation oculaire la plus fréquente
de la pathologie dentaire, avec une étiologie
dentaire retrouvée dans 1 % des cas.
L’uvée est constituée de l’iris, du corps ciliaire
et de la choroïde.
C’est une véritable éponge vasculaire
dans laquelle l’infection se localise et se
développe avec une grande facilité.
L’uvéite correspond à une inflammation endoculaire.
L’uvéite est souvent séreuse et non granulomateuse.
Il peut exceptionnellement s’agir
d’une endophtalmie après extractions dentaires
multiples ou au cours d’une périodontite provoquée
par Peptostreptococcus intermedius ou Aspergillus
flavus.
L’uvéite antérieure ou iridocyclite aiguë (42 %
des uvéites) est une inflammation de l’iris (iritis)
et du corps ciliaire.
Elle est non séreuse, non granulomateuse
et non synéchiante. Elle s’accompagne
d’une baisse d’acuité plus ou moins importante,
de photophobie et de douleurs oculaires.
C’est l’uvéite où la recherche d’un foyer infectieux
buccodentaire est la plus utile, celui-ci est retrouvé
dans 20 % des formes non rhumatismales et son
traitement permet d’éviter que l’uvéite ne devienne
chronique.
Les uvéites intermédiaires (28 % des uvéites)
correspondent à l’inflammation de la partie
moyenne de l’oeil.
Son origine est inconnue, la
présence d’aucun organisme n’a pu être démontrée.
Les uvéites postérieures (29 % des uvéites) sont
des troubles inflammatoires de la choroïde.
Elles
correspondent à un ensemble hétérogène d’affections choriorétiniennes.
Les uvéites totales (11 % des uvéites) correspondent
au syndrome de panuvéite (association
d’une uvéite antérieure et d’une uvéite postérieure).
2- Conjonctivites
:
OEil douloureux, conjonctive rouge plus ou moins
oedématiée pouvant aller jusqu’au chémosis
(oedème de la conjonctive) les caractérisent.
Photophobie,
larmoiement et prurit en sont les signes
fonctionnels.
3- Vascularites
:
Sous forme de périphlébites le plus souvent, elles
peuvent produire des réactions vitréennes secondaires
avec opacification, rétraction et proliférations
vasculaires responsables d’hémorragies récidivantes
qui caractérisent le syndrome de Eales.
Bloch-Michel classe les vascularites parmi les panuvéites.
4- Neuropathies optiques (névrites optiques)
:
Elles sont révélées par une baisse de l’acuité visuelle
avec altération plus ou moins importante du
champ visuel.
Il s’agit de l’inflammation de la tête
du nerf optique (papille oedémateuse au fond
d’oeil) ou de la portion rétrobulbaire du nerf optique
(aspect normal de la papille).
L’atteinte du nerf optique est alors uni- ou ipsilatérale.
Les neuropathies optiques se rencontrent
sous forme de papillite ou de névrite optique
rétrobulbaire, parfois controlatérale.
Les lésions supposées responsables sont les granulomes
apicaux, l’ostéite périradiculaire, et plus
rarement la carie profonde et la pulpite chronique.
Mais elles relèvent vraisemblablement d’un
mécanisme immunologique, car les foyers infectieux
dentaires ou parodontaux sont de fortes sources
antigéniques.
L’évolution avec traitement des affections dentaires
et ophtalmologiques conduit à une récupération
totale ou à une atrophie totale ou partielle du
nerf optique.
5- Épisclérites
:
C’est une inflammation de l’épisclère (fin tissu
conjonctif dense et vascularisé, recouvrant la
sclère, l’enveloppe protectrice de l’oeil).
Elle se
présente comme une rougeur limitée, douloureuse
lors des mouvements oculaires ou à la pression.
Il
y a sensation de gêne et larmoiement ; l’association
de douleur, de photophobie est possible, mais
beaucoup plus rare.
Plus rarement, on a décrit des kératites nummulaires,
des kératoconjonctivites, des conjonctivites
récidivantes, des hémorragies sous-conjonctivales
qui ont régressé après extraction dentaire.
Une
hémorragie intraoculaire a été rapportée après la
pose de plusieurs implants dentaires réalisée sous
anesthésie locale.
C - Manifestations réflexes :
1- Troubles sensitifs
:
Ils relèvent de l’irritation du nerf trijumeau (V), un
des nerfs les plus réflexogènes de l’organisme,
l’action à distance s’expliquant par les rapports
étroits entre les trois branches du V et leurs anastomoses
avec le nerf facial et le sympathique en
particulier.
• Névralgie trigéminée réflexe : le sujet projette
sa douleur dans un territoire cutané avec erreurs
de projection possibles.
Elle peut être infraorbitaire, rétro-orbitaire ou intéresser le
segment antérieur du globe oculaire.
Des migraines
ophtalmiques ont été décrites.
• Algies oculo-orbitaires : elles sont fréquemment
d’origine dentaire, mais elles sont observées
dans 25 % des carcinomes du sinus maxillaire.
• Photophobie : elle accompagne le plus souvent
d’autres troubles réflexes et signe l’atteinte
du trijumeau.
• Anesthésie sélective de branches périphériques
du nerf trijumeau.
2- Troubles moteurs
:
Il existe également des troubles :
• sécrétoires : larmoiement unilatéral, sécheresse
oculaire ou hypocrinie ;
Pour Flament
et Storck, la sécheresse oculaire est fréquemment
considérée comme symptomatique
d’une carie dentaire.
Mais ces deux entités
sont très fréquentes. Pour Roth et al. cela
n’a jamais été signalé comme conséquence
d’une affection dentaire ;
• sensoriels : cécité transitoire ;
• vasomoteurs : angiospasme, glaucome aigu.
D - Atteintes tumorales :
Il s’agit de tumeurs à point de départ dentaire,
développées dans le maxillaire ou par envahissement
du sinus maxillaire.
La confirmation et
l’étude des rapports de la lésion avec le globe
oculaire se fait grâce à une radiographie panoramique,
une radiographie en incidence de Blondeau et
au scanner.
Ce dernier permet l’orientation thérapeutique
et pronostique lors de tumeur maligne.
L’imagerie par résonance magnétique permet de
différencier les lésions inflammatoires des lésions
tumorales.
Nous citons comme exemple une tumeur
conjonctivale à point de départ dentaire.
E - Troubles iatrogènes ou liés
à des traitements dentaires
:
Il n’est pas rare de constater, au cours de la reprise
des soins dentaires, un réveil infectieux local qui
peut déclencher la reprise des foyers secondaires.
Ainsi, une extraction dentaire, un traitement
endodontique ou parodontal peuvent entraîner une
aggravation de l’état du patient, voire en être la
cause.
Nous citerons comme exemple un phlegmon
orbitaire dû à un traumatisme par une prothèse
dentaire, une endophtalmie par plaie causée
par un système de traction orthodontique
extraorale, quatre cas de cellulite orbitaire qui
ont suivi des extractions, avec un délai de 2 heures
à 13 jours, ou encore une thrombophlébite facioophtalmique
après mise en place d’un pansement
nécrotique occlusif.
L’emphysème orbitaire peut être provoqué par
une extraction dentaire utilisant un instrument rotatif
refroidi par air.
Il peut se compliquer d’une
oblitération de l’artère centrale de la rétine et
d’une neuropathie optique ischémique.
Il est
beaucoup plus grave quand il est observé dans le
contexte d’une gangrène gazeuse.
Examen de la cavité buccale
:
A - Examen clinique
:
Nous n’insistons pas sur les étapes classiques d’un
examen stomatologique, en particulier sur l’examen
exobuccal (à la recherche d’une tuméfaction,
rougeur) ou l’examen fonctionnel (trismus, dysphagie...).
B - Examens complémentaires :
1- Examens radiologiques
:
La radiographie panoramique est réalisée même
chez un édenté et permet la recherche de racines
résiduelles, de dents incluses ou ectopiques.
2- Examens spécialisés
:
Ils sont généralement demandés par l’ophtalmologiste.
Une sinuscopie pour une lésion sur une dent
antrale peut être réalisée ; elle est diagnostique
(kyste radiculodentaire...) et peut être également
thérapeutique (dépassement...).
3- Examens biologiques
:
• Sur le plan général : numération-formule sanguine,
vitesse de sédimentation, électrophorèse
des protéines sont demandées systématiquement.
Le dosage antigénique (HLA B27)
n’est pas demandé systématiquement.
• Sur le plan local : les prélèvements spécifiques
isolent le germe au niveau buccodentaire ; il
doit être comparable à celui retrouvé au niveau
ophtalmologique.
Les prélèvements (prélèvements
apicaux et alvéolaires, radiculaires,
dents dépulpées et obturées par immersion de
l’apex, dents extraites) sont effectués selon la
technique de Lepoivre et al.
Conduite à tenir
:
Elle n’est pas unique et dépend de la lésion dentaire
et de l’importance de la pathologie ophtalmologique.
Il faut rappeler que seul le foyer infectieux
dentaire compte et son siège importe peu.
Il faut distinguer les foyers buccodentaires :
• patents : ce sont des lésions évidentes, avec
possibilité de signes cliniques et radiologiques
(dent délabrée, kyste infecté, accidents d’évolution...)
;
• latents : le foyer d’infection dentaire n’est pas
évident.
Ce sont les dents incluses, kystes non
infectés, parodontite, corps étrangers intrasinusiens...
La gravité de l’affection ophtalmologique est
prise en compte pour les foyers infectieux latents,
mais pas pour les foyers infectieux patents.
Tout geste, radical ou conservateur, est réalisé
sous antibioprophylaxie, de façon à ne pas aggraver
l’affection ophtalmologique.