Nous étudions dans cet article essentiellement les atteintes rénales
de la drépanocytose qui reste l’hémoglobinopathie la plus fréquente
et la plus grave.
Nous citerons simplement les complications rénales
de la thalassémie, dont le pronostic est très différent.
Rein et drépanocytose
:
A - INTRODUCTION
:
Jusqu’à ces dernières années, la drépanocytose était surtout familière
aux pédiatres et à certains spécialistes de biologie moléculaire.
Cependant, la meilleure prise en charge des patients homozygotes a
permis d’améliorer nettement leur pronostic et de dépasser la
quatrième décennie.
Leur évolution à long terme reste compliquée
de défaillance d’organes, en particulier rénale.
Sa fréquence, de 4,2 à
18 %, augmente avec la qualité de la prise en charge initiale.
L’insuffisance rénale terminale (IRT) n’est pas de très bon pronostic
et paraît inévitable chez les patients qui développent un syndrome néphrotique.
Leur survie à long terme en hémodialyse et en
transplantation reste médiocre, ce qui invite à une meilleure
compréhension de la physiopathologie des lésions rénales afin de
proposer une attitude la plus préventive possible.
B - ÉPIDÉMIOLOGIE
:
La drépanocytose touche, dans sa forme homozygote, de 0,8 à 3 %
des sujets antillais, et dans sa variété hétérozygote, de 7 à 13%.
La
prévalence de l’insuffisance rénale est mal connue et pourrait
atteindre de 5 à 18% de la population drépanocytaire.
Beaucoup d’études ne différencient pas les patients drépanocytaires
AS et SS, rendant difficile l’analyse des risques rénaux dans les deux
groupes, risque naturellement plus important chez les patients
homozygotes.
Dans une étude cas-témoins de patients drépanocytaires
homozygotes de Powars, 32 patients, soit 4,2 %, étaient atteints d’une
insuffisance rénale chronique (IRC).
L’âge
moyen au moment du diagnostic de l’atteinte rénale, la survie
moyenne au stade d’IRT et l’âge du décès, en dépit des
techniques de suppléance rénale, sont respectivement de 25 ans,
4 ans et de 27 ans soulignant, par là même, la sévérité
pronostique de l’atteinte rénale.
La protéinurie,
l’hypertension artérielle (HTA), l’anémie sévère et l’hématurie se
sont révélées être des facteurs prédictifs d’IRC.
Dans la série de 964 patients de Platt, la présence d’une IRC
représentait un risque majeur de mortalité précoce.
Pour d’autres
auteurs, les épisodes de priapisme postpubertaire tricorporel étaient
un facteur de risque de défaillance multiviscérale, en particulier
rénale.
La vraie incidence de l’IRT est mal connue du fait des biais liés à
la mortalité précoce. Cependant, entre 1992 et 1996, 345
nouveaux cas d’IRT dans la population américaine ont été
répertoriés.
C - PHYSIOPATHOLOGIE
:
1- Fonction glomérulaire et flux sanguin rénal
:
Plusieurs études ont démontré que chez le jeune patient
drépanocytaire SS, le flux sanguin et plasmatique rénal, ainsi que le
débit de filtration glomérulaire (DFG), sont augmentés de plus de
50 %.
Pouvant persister jusqu’à l’âge adulte, ces anomalies sont
possiblement liées à une hypersécrétion compensatrice des
prostaglandines vasodilatatrices en réponse à la falciformation.
L’indométacine réduit de 10 à 20 % le DFG chez ces patients, mais
pas chez les témoins.
Ces changements hémodynamiques
peuvent entraîner des dysfonctions tubulaires rénales et surtout le
développement d’un syndrome néphrotique dû à des lésions de
glomérulosclérose segmentaire et focale (GSF) sévères majeures,
conduisant à l’IRC par hyperfiltration. Guasch retrouve une association entre insuffisance rénale et
diminution du coefficient d’ultrafiltration chez les patients
drépanocytaires.
De plus, l’étude des clairances fractionnelles de
l’albumine et des immunoglobulines (Ig) G semble attester d’une
corrélation inverse entre coefficient d’ultrafiltration et perméabilité
glomérulaire.
Ce coefficient paraît réduit chez les patients protéinuriques avec un DFG normal, suggérant que la présence
d’une albuminurie, voire d’un syndrome néphrotique, est prédictive
d’une insuffisance rénale.
Cependant, dans une étude plus
récente, Schmitt suggère que l’augmentation du trafic transglomérulaire des macromolécules, la diminution de la
perméabilité glomérulaire et l’augmentation du coefficient
d’ultrafiltration (Kf1), associées aux lésions podocytaires induites par
l’hypertrophie glomérulaire, pourraient être à l’origine des lésions
de hyalinose segmentaire et focale des patients drépanocytaires
protéinuriques.
L’apparente contradiction avec l’étude de Guasch
s’expliquerait par le fait que ses patients avaient une baisse du DFG
et une protéinurie plus importantes.
Les auteurs supposent ainsi que
l’augmentation du Kf interviendrait à un stade très précoce dans les
lésions de glomérulosclérose, pour ensuite diminuer, contribuant à
la chute du DFG.
Ces dernières années, depuis la découverte du rôle important de
l’oxyde nitrique (NO) dans la physiologie animale et humaine, il a
été établi une relation entre l’augmentation de synthèse du NO et
l’hyperfiltration glomérulaire dans des modèles expérimentaux de
néphropathie drépanocytaire.
Récemment, l’équipe de Bank a
étudié le mécanisme de l’hyperfiltration dans un modèle de souris
drépanocytaire, sans prendre en compte la variable de l’anémie.
Leur conclusion semble confirmer que la synthèse de NO par la voie
de la N-arginine est augmentée et corrélée positivement avec le
DFG. Les auteurs suggèrent que l’augmentation de synthèse de la
NOS II (NO synthétase) conduit à une vasodilatation, et donc à une
hyperperfusion rénale.
Le même groupe, en exposant des souris
transgéniques drépanocytaires à une hypoxie chronique, confirme
qu’il y a une activation de la NO synthétase (iNOS), formation de
radicaux libres et d’ions superoxydes, responsables d’une
augmentation de l’apoptose.
Or, l’apoptose par ischémie-reperfusion
peut induire des lésions tubulo-interstitielles et, secondairement, une
amputation néphronique.
Il ne reste plus qu’à démontrer que ce
mécanisme existe chez l’homme...
Certaines études génétiques suggèrent que l’association à une alphathalassémie pourrait avoir un rôle rénoprotecteur avec une
faible prévalence de la protéinurie et une pression artérielle
moyenne plus basse que les patients ayant le gène de l’alphaglobine
intact.
2- Fonctions tubulaires
:
* Anomalies tubulaires proximales
:
L’existence d’une hyperfiltration glomérulaire précoce, dès l’enfance,
va stimuler les fonctions tubulaires proximales.
C’est ainsi que
l’hypersécrétion de la créatinine tubulaire est telle que la clairance
de la créatinine mesurée est surestimée de 25 %, voire plus chez les
jeunes patients.
De façon similaire, la clairance de l’acide urique est élevée,
permettant de maintenir une uricémie normale, alors qu’il y a une
hyperproduction d’acide urique secondaire à l’hémolyse.
Cette hyperuricémie n’apparaît que plus tard, lors de la diminution de la
filtration glomérulaire, parallèlement à l’évolution de l’IRC.
La réabsorption tubulaire proximale du sodium et des phosphates
est également élevée chez ces patients, témoin d’une adaptation du
feed-back tubuloglomérulaire à l’hyperfiltration glomérulaire.
* Anomalies tubulaires distales
:
+ Fonctions de concentration
:
Hatch a démontré le premier qu’il existe un défaut des fonctions
de concentration chez les patients drépanocytaires, quel que soit leur
génotype, SS, AS ou SC.
Chez les jeunes patients et non chez l’adulte, les transfusions
restaurent complètement les possibilités de concentration.
L’explication habituellement évoquée chez l’enfant est que le sludge
dans les vasa recta, provoqué par le contact avec l’hypertonicité
relative de la médullaire interne, perturbe le fonctionnement normal
du système à contre-courant, limitant la fonction de concentration.
Cette anomalie semble réversible, du moins partiellement, par
l’indométacine.
La transfusion de sang normal va diminuer la
fraction de cellules falciformées passant au travers des vasa recta,
améliorant ainsi la viscosité et le débit de la microperfusion de la
médullaire interne.
La réversibilité de ces perturbations par la
transfusion chez les jeunes patients et la similarité des lésions
observées chez le rat papillectomisé ont conduit à parler d’état de
« papillectomie fonctionnelle ».
En revanche, l’échec des transfusions visant à corriger les anomalies
de pouvoir de concentration chez les patients plus âgés suggère que
les lésions anatomiques deviennent irréversibles.
En fait, des études en microangioradiographie ont montré que, avec l’âge, les vasa recta
s’obstruaient totalement, conduisant à une perte des néphrons
juxtamédullaires dont la portion longue de l’anse de Henle est
requise pour la préservation de l’eau.
Les capillaires de la
médullaire externe et les néphrons corticaux paraissent moins
susceptibles aux lésions de falciformation, préservant ainsi leur
capacité de dilution.
C’est ainsi que l’osmolalité urinaire maximale
chez l’adulte homozygote est de 400 à 450 mOsm/kg.
Au plan clinique, ce défaut de concentration rénale est, hormis
parfois dans le cas d’une polyuropolydipsie, habituellement non
symptomatique.
Chez l’enfant, il peut magnifier l’énurésie, voire
favoriser la déshydratation, et donc l’apparition de crises vasoocclusives,
surtout lors d’épisodes de diarrhée ou de vomissements
importants.
* Diminution des pouvoirs de sécrétion et d’excrétion potassique
:
Certains patients atteints de drépanocytose peuvent développer une
forme d’acidose tubulaire incomplète distale.
C’est ainsi que, en
1968, des auteurs décrivent huit patients jamaïcains présentant une
réponse anormale du pH urinaire lors de l’épreuve classique
d’acidification par le chlorure d’ammonium.
Oster, en 1976,
retrouve un défaut similaire chez six patients sur 20, drépanocytaires
homozygotes SS.
Cependant, à l’inverse de l’acidose tubulaire rénale
héréditaire de type I, il y a ni hypokaliémie, ni hypercalciurie ou
néphrocalcinose.
En 1979, Defronzo reporte chez certains de ses patients
drépanocytaires une excrétion diminuée de potassium, avec une
filtration glomérulaire normale, associée à un défaut d’acidification,
et sans altération de l’axe rénine-angiotensine-aldostérone. Batlle
a décrit six observations de patients drépanocytaires ayant
développé à la fois une hyperkaliémie et une acidose métabolique hyperchlorémique, dont cinq avaient clairement une insuffisance
rénale entre 1,5 et 5,1 mg/dL de créatininémie.
Les cas étaient classés
soit comme des acidoses tubulaires distales hyperkaliémiques
(impossibilité de baisser le pH urinaire), soit comme des déficits
électifs en aldostérone (abaissement normal du pH urinaire,
extraction de l’ammonium réduite, hypoaldostéronisme
inapproprié) ; un patient avait les deux déficits, quatre une acidose
hyperkaliémique distale rénale tubulaire et le dernier un déficit
sélectif en aldostérone.
Les anomalies constatées pourraient être dues à des lésions
ischémiques du segment distal du néphron, mais le rôle d’une
stimulation bêta-adrénergique est possible.
D -
CLINIQUE :
Les
manifestations cliniques de ces processus physiopathologiques sont
maintenant bien connues et peuvent survenir à tout moment.
1- Hématurie
:
L’hématurie asymptomatique est en effet un des symptômes les plus
fréquents de la maladie, que le patient soit homozygote ou non, et
ce à n’importe quel âge.
L’hématurie microscopique peut être
chronique, ponctuée par des épisodes d’hématurie macroscopique.
Elle résulte d’infarctus microthrombotiques, avec extravasation de
sang dans la médullaire interne et les papilles rénales, sièges d’un
milieu hypertonique et relativement hypoxique, favorisant la
falciformation dans les vasa recta adjacents.
L’hématurie
microscopique, plus fréquente chez l’homme que chez la femme,
peut être bilatérale, avec une prédominance du côté gauche.
L’importance de l’hématurie peut, dans certains cas, nécessiter une
transfusion, voire entraîner un caillotage avec obstruction de l’arbre
urinaire et tableau de colique néphrétique.
Ailleurs, une pyurie
accompagne l’hématurie, pouvant faire discuter le diagnostic de
pyélonéphrite aiguë.
Le plus souvent, le saignement disparaît
spontanément, mais il peut persister des semaines, voire des mois.
Enfin, exceptionnellement, il siège en sous-capsulaire, voire s’étend
dans l’espace périnéphrétique.
Au plan thérapeutique, différentes mesures peuvent être prescrites
en fonction de l’importance de l’hémorragie, allant de
l’hyperhydratation, l’alcalinisation, les diurétiques, l’hyperoxygénation
par caisson hyperbare, l’irrigation pyélocalicielle par les
nitrates d’argent, à la néphrectomie en dernier recours, voire
l’autotransplantation.
L’enthousiasme initial pour l’utilisation de
l’acide épsilon-aminocaproïque, inhibiteur de l’urokinase, reposait sur les
résultats du seul travail de Black, qui n’ont pas été confirmés par
la suite.
2- Nécrose
papillaire :
Complication
décrite en 1963, elle peut survenir chez les patients homozygotes ou
hétérozygotes.
Le plus souvent,
elle est diagnostiquée rétrospectivement, lors d’un examen
d’imagerie, par urographie intraveineuse, échographie, scanner ou
imagerie par résonance magnétique. Dans une série détaillée, Vaamonde retrouve 131 cas de nécrose papillaire chez
334 patients atteints de drépanocytose homozygote (39 %),
l’incidence étant de 23 à 67 % dans les séries individuelles.
Dans la
plupart des cas, il n’y a pas de symptomatologie ou simplement une
hématurie microscopique suggérant que l’incidence est
probablement sous-évaluée.
La moyenne d’âge de découverte est de
21 ans ± 1 an, les extrêmes de 4 à 68 ans.
Au plan clinique, l’hématurie macroscopique douloureuse est la
présentation la plus commune.
Parfois, elle peut occasionner un tableau de colique néphrétique, la nécrose papillaire créant un
obstacle urétéral, une infection, voire une septicémie ou/et une
insuffisance rénale aiguë.
Ailleurs, l’association pyurie, hématurie,
lombalgies fait évoquer un épisode de pyélonéphrite aiguë ;
l’analyse du sédiment urinaire et l’examen bactériologique des
urines redressent le diagnostic.
La falciformation des globules rouges dans les vasa recta peut
induire un infarctus médullaire avec extravasation des érythrocytes.
Dans la médullaire rénale, et particulièrement dans la papille, cette falciformation
est favorisée par l’hypertonicité, l’hypoxie et le pH acide régnant
localement.
Le rein étant particulièrement
consommateur d’oxygène, il reste très susceptible à l’hypoxie
tissulaire provoquée par la falciformation et l’hyperviscosité des
globules rouges dans la microcirculation rénale.
Il n’est donc pas
surprenant que des lésions fonctionnelles et anatomiques rénales
apparaissent dans ces zones.
Dans de rares occasions, la nécrose
papillaire peut provoquer un infarctus cortical, avec ou sans
développement d’un hématome périrénal.
Certains auteurs ont
classé les nécroses papillaires en fonction de leur sévérité.
L’examen
histologique des pièces de néphrectomie d’autopsie met en évidence
des aires périnécrotiques cernées par des leucocytes et des
polynucléaires, dans la médullaire et la papille.
Une congestion
vasculaire avec oedème, infarctus et nécrose dans la région papillaire
est associée à des lésions de type néphrite interstitielle chronique
avec fibrose et atrophie tubulaire.
L’épaisseur du cortex peut être
réduite, avec présence parfois de microabcès, voire une nécrose
corticale franche, qui reste exceptionnelle.
En dépit de l’importance
de ces lésions, une néphrite interstitielle progressive conduisant à
l’IRT est rare, peut-être parce que les lésions sont plus localisées,
avec un taux d’infections plus bas que dans les nécroses papillaires
induites par les néphropathies aux analgésiques.
3- Régulation de la pression artérielle
:
La prévalence de l’hypertension chez le Noir américain avoisine
30 %.
Cependant, lorsque l’on apparie par sexe et par âge les
patients drépanocytaires à des témoins, la prévalence de l’HTA
systolique et diastolique est plus basse chez les patients
drépanocytaires que dans la population témoin.
C’est ainsi que la
prévalence de l’hypertension dans la population drépanocytaire de
187 patients de Los Angeles de Johnson n’est que de 3,2 %.
En
ajustant par rapport à l’âge et au sexe, la différence de la pression
artérielle persiste dans tous les groupes d’âge (10 à 20 mmHg pour
la systolique et la diastolique) entre le groupe drépanocytaire et les
individus sains.
Dans l’expérience de Sklar, l’hypertension ne
s’est développée chez le patient drépanocytaire qu’au stade
d’insuffisance rénale avancée.
Ces faits sont relativement
surprenants en regard de la vasculopathie induite par la
drépanocytose, et de la notion d’hypertension secondaire aux
sténoses et aux thromboses vasculaires rénales.
En revanche, la
pression artérielle des patients drépanocytaires est en moyenne plus
élevée que celle des patients thalassémiques ayant le même degré
d’anémie.
Cette « relative » hypotension, cause ou conséquence des anomalies
rénales chez le patient drépanocytaire, n’est actuellement pas très
claire.
Certains évoquent la baisse des résistances périphériques
en cas d’anémie par libération de substances endogènes
vasodilatatrices (prostaglandines et NO) pour corriger l’hypoxie
tissulaire.
De plus, il existe probablement un certain degré de perte
de sel obligatoire accentué par l’augmentation du flux sanguin rénal
décrite plus haut, combiné à l’effet natriurétique des
prostaglandines.
Hatch rapporte des taux de rénine élevés et une
réponse diminuée aux effets vasoconstricteurs de l’angiotensine chez
ces patients.
Ces observations sont similaires à celles que l’on
retrouve dans le syndrome de Bartter, autre situation dans laquelle
les patients sont normotendus, avec un taux de rénine élevé, associé
à un excès relatif de prostaglandines vasodilatatrices.
4- Physiologie de l’érythropoïétine
:
Le taux d’érythropoïétine endogène est élevé chez les patients
drépanocytaires, mais pas autant que dans d’autres situations où
l’anémie est aussi sévère.
Parmi les explications, il a été évoqué le
peu d’affinité pour l’oxygène des hématies S permettant d’atténuer
l’hypoxie tissulaire et l’augmentation plus marquée du débit
cardiaque.
Il est également possible que la synthèse rénale
d’érythropoïétine par les cellules tubulaires soit perturbée par des
facteurs intrarénaux hémodynamiques induits par la falciformation.
Enfin, le taux de créatininémie, abaissé chez les patients
drépanocytaires, ainsi que la réduction de leur masse musculaire
peuvent masquer une insuffisance rénale, particulièrement chez le
sujet âgé, pouvant être une cause de réponse dite « inadéquate » de
l’érythropoïétine.
Les doses pharmacologiques d’érythropoïétine prescrites chez les
patients dialysés n’entraînent pas de réponse hématologique
significative.
Cependant, Steinberg a rapporté la possibilité de
corriger l’hématocrite de ces patients par de très fortes doses
d’érythropoïétine, alors que Sklar, à des doses de 450 U/kg trois
fois par semaine, n’a constaté, chez les patients drépanocytaires
homozygotes, hétérozygotes ou associés à une bêtathalassémie,
qu’une diminution modérée des besoins transfusionnels.
L’hypothèse d’un inhibiteur circulant a été évoquée pour expliquer
en partie cette pseudorésistance à l’érythropoïétine.
En revanche, une transplantation rénale réussie corrige l’hématocrite
qui revient au niveau des valeurs préurémiques.
5- Insuffisance rénale aiguë
:
Eu égard aux anomalies rénales multiples décrites plus haut chez
ces patients, à leur susceptibilité à développer des infections sévères,
à leur prédisposition à une déplétion volémique et à l’utilisation
large de médicaments potentiellement néphrotoxiques, il est
étonnant que la littérature ne rapporte pas plus d’accidents
d’insuffisance rénale aiguë, le premier cas étant secondaire à une
rhabdomyolyse.
Depuis, plusieurs auteurs ont décrit de tels cas,
notamment lors d’entraînements militaires chez les jeunes recrues
atteintes de drépanocytose.
Dans cette étude, le risque de
mort subite était 28 fois plus important chez les militaires noirs avec drépanocytose, certains décès étant attribués à une rhabdomyolyse,
un accident vasculaire, un arrêt cardiaque ou une arythmie.
Cependant, il a été montré qu’une excellente hydratation permet de
prévenir l’hyperthermie maligne et de diminuer le risque de mort
subite.
Depuis 1985, plusieurs cas de rhabdomyolyse non traumatique ont
été rapportés lors de crises vaso-occlusives sévères, cette
complication étant plus fréquente lors des atteintes systémiques, en
particulier thoraciques, hépatiques, ou d’épisodes d’insuffisance
rénale aiguë.
Sklar, en 1990, a tenté de préciser l’incidence de l’insuffisance
rénale aiguë chez 116 patients drépanocytaires hospitalisés ; 12 des
116 patients (10,3 %) ont eu au moins un doublement de leur créatininémie.
Dans la plupart des cas, l’infection est la principale
raison d’admission, alors que la déplétion volémique est la cause
identifiable la plus fréquente d’insuffisance rénale.
Deux des trois
patients les plus sévèrement atteints ont nécessité le recours à la
dialyse. Dix patients sur les 12 ont survécu.
6- Néphropathie drépanocytaire
:
Ces dernières années, beaucoup d’études ont été faites sur une entité
rénale particulière de la drépanocytose, appelée néphropathie
drépanocytaire.
Cette dernière se définit par l’apparition d’une
protéinurie évoluant vers un tableau de syndrome néphrotique et
une IRT.
* Incidence de la protéinurie
:
Dans beaucoup d’études, la protéinurie a été étudiée par des
méthodes semi-quantitatives, telles que la bandelette évaluant la protéinurie de
0 à 4 croix. Henderson, en 1950, est le premier à rapporter la
prévalence de la protéinurie dans la drépanocytose qui, selon lui,
était de 31 % chez 54 patients.
D’autres auteurs
retrouvent une prévalence variant entre 15 % et 26 %.
Dans toutes ces
études, l’incidence de la protéinurie augmente avec l’âge et
s’associe à une dégradation de la fonction rénale.
En 1985, Tejani a rapporté une série de 13 enfants atteints d’une
protéinurie ou d’un syndrome néphrotique dont les lésions
prédominantes sont une hyalinose segmentaire et focale.
Bakir, en
1987, a rapporté une série de 12 patients drépanocytaires atteints de
syndrome néphrotique et retrouve 37 cas dans la littérature.
* Histologie
:
Bernstein a été le premier à décrire une hypertrophie glomérulaire
chez les patients atteints de néphropathie drépanocytaire.
Depuis,
d’autres auteurs ont confirmé ce type de lésions et ont également
décrit l’existence d’une glomérulosclérose focale.
La
plupart des études ont été faites chez des patients ayant des formes
de néphropathie avancée, au cours d’une autopsie ou après biopsie
rénale.
Falk, en 1992, a rapporté une série d’une dizaine de
patients porteurs de l’hémoglobinopathie SS et ayant une
protéinurie variant entre 0,8 et 10,8 g/24 heures associée à une
insuffisance rénale définie par une créatininémie inférieure à
177 µmol/L.
Les modifications anatomiques les plus évidentes
étaient dominées par une hypertrophie glomérulaire et une GSF siégeant au pôle
vasculaire.
En microscopie optique, l’examen des glomérules non sclérosés met
en évidence une hypertrophie et une augmentation du nombre des
lumières capillaires ainsi qu’une prolifération des cellules
épithéliales, endothéliales et mésangiales.
La surface et le diamètre
glomérulaire moyen sont significativement augmentés chez les
patients atteints de drépanocytose par rapport à un groupe contrôle
de 10 patients.
Une fibrose interstitielle et une atrophie tubulaire
sont souvent associées à l’existence d’une glomérulosclérose.
Dans la série de
Falk, il existe des granules abondants d’hémosidérine au sein du
cytoplasme des cellules épithéliales tubulaires et la
lumière des vaisseaux contient des hématies déformées dues à une falciformation in vitro.
L’examen en immunofluorescence ne révèle pas de dépôts de
complexes immuns, hormis une fixation irrégulière d’IgM et de C3
sur les lésions scléreuses, classique dans les lésions d’hyalinose
segmentaire et focale.
L’examen en microscopie électronique confirme l’absence de dépôts
immuns et retrouve un effacement du pied des podocytes, ainsi
qu’une expansion focale modérée de la zone sous-endothéliale,
habituelle là aussi dans ce type de glomérulopathie.
En somme, l’impression générale de ces études suggère que les
lésions initiales de la néphropathie drépanocytaire commencent par
une hypertrophie glomérulaire avec développement progressif d’une GSF prédominant au pôle vasculaire.
D’autres, comme Strauss et
Ozawa, ont considéré que la glomérulopathie drépanocytaire était
une maladie par dépôts de complexes immuns autologues.
Ces
dépôts immuns seraient liés à la déposition glomérulaire d’anticorps
associés à des antigènes tubulaires épithéliaux.
Cependant, les
arguments immunologiques restent tout à fait modestes, dans la
mesure où, dans d’autres études comme celle de Falk, il n’a pas été
retrouvé de dépôts immuns sur des biopsies faites précocement.
* Autres glomérulopathies
:
D’autres types de glomérulonéphrites ont été rapportés, incluant des
glomérulonéphrites poststreptococciques, des glomérulonéphrites
extramembraneuses, des glomérulonéphrites membranoprolifératives.
Contrairement aux descriptions initiales sur les glomérulonéphrites poststreptococciques, il ne semble pas y avoir d’augmentation de
leur incidence chez ces patients.
De même, il n’a pas été confirmé de
prédominance d’un type de glomérulonéphrite à complexes immuns
chez les patients drépanocytaires, ce d’autant qu’au cours de la
néphropathie drépanocytaire peuvent progressivement se surajouter
des lésions glomérulaires chroniques ressemblant à celles d’une
glomérulonéphrite membranoproliférative ou d’une microangiopathie thrombotique, associées parfois à une hyalinose
segmentaire et focale.
La cause de ces lésions n’est pas connue mais
pourrait être en rapport avec des lésions endothéliales chroniques
ou avec la phagocytose mésangiale des hématies falciformées et
fragmentées.
Une authentique glomérulonéphrite membranoproliférative
de type I est rare chez les patients atteints de drépanocytose, mais
peut exister, se différenciant des autres néphropathies
drépanocytaires par l’existence de dépôts de complexes immuns,
mis en évidence par l’immunofluorescence et l’examen en
microscopie électronique.
7- Insuffisance rénale chronique et facteurs
pronostiques :
Thomas a été le premier à confirmer que l’atteinte rénale contribue
à la mortalité chez les patients drépanocytaires âgés.
L’insuffisance
rénale est responsable de la mortalité de 17 des 95 patients âgés de
plus de 20 ans, soit 18 %. Une HTA, inhabituelle chez ces patients,
est classique dans le groupe atteint d’insuffisance rénale.
Sklar
retrouve une prévalence de 4,6 % d’IRC sur sa cohorte de 368 patients.
L’augmentation
de la prévalence de la protéinurie et de l’insuffisance rénale avec
l’âge est évidente.
Powars a rapporté une étude prospective portant sur 25 ans de
surveillance de l’IRC chez 725 patients homozygotes
drépanocytaires et 209 hétérozygotes.
Une insuffisance rénale a été
diagnostiquée chez 4,2 % des homozygotes contre 2,4 % des
hétérozygotes.
Le diagnostic était fait plus tôt chez les patients
homozygotes, à l’âge de 23,1 ans contre 49,9 ans. Le risque relatif de
mortalité dans le groupe homozygote avec insuffisance rénale est de
1,42.
L’analyse cas-témoins du groupe insuffisant rénal (n = 36)
retrouve des facteurs de mauvais pronostic de la néphropathie tels
que la protéinurie, l’hématurie, l’HTA, le syndrome néphrotique et
la sévérité de l’anémie.
Platte, en 1994, a rapporté les données de l’étude coopérative
multicentrique de la drépanocytose, incluant 3 764 patients de tout
âge.
Selon cette étude, 18 % de la mortalité chez les adultes est
associée à des défaillances chroniques organiques liées à la maladie
drépanocytaire ; 22 de ces 38 décès sont survenus chez les patients
en IRC.
E - CARCINOME MÉDULLAIRE RÉNAL
:
Le carcinome médullaire rénal fait partie des complications
évolutives possibles.
Son incidence dans la population
drépanocytaire est de 1,74/1 000 patients par an.
Le taux de
mortalité est de 1,04 cas par année/patients.
Ces chiffres sont
cependant comparables à ceux rapportés chez les Noirs américains
âgés de 35 à 40 ans, avec une incidence de 1,9/1 000 par
année/patients.
Baron fut le premier à suspecter ce type de tumeur au cours de la
drépanocytose.
Ses données ont été confirmées par Davis.
Dans la série originale de 33 patients de Davis, les deux sexes sont
atteints de façon homogène après 25 ans. Tous les patients dont le
groupe ethnique est précisé (n = 25) sont noirs.
L’hématurie
macroscopique et les douleurs lombaires sont les symptômes les
plus fréquents, à l’inverse de l’amaigrissement et de la présence
d’une masse tumorale palpable.
Chez 13 patients, la durée moyenne
de la symptomatologie est de 8 semaines ; chez 19 patients, la survie
après chirurgie est de 15 semaines, témoignant de l’agressivité de la
tumeur.
Les études histologiques concernent surtout le rein droit (23 des 33
patients) et mettent en évidence un envahissement du cortex et des
tissus périnéphrétiques avec, au sein de la tumeur, des zones
nécrotiques hémorragiques.
L’association d’une drépanocytose du sujet jeune et d’un carcinome
rénal a fait suggérer le rôle d’un facteur génétique.
Plusieurs
arguments plaident dans ce sens.
Une étude cytogénétique sur des
prélèvements tumoraux a été effectuée par Avery chez un Noir
américain de 30 ans : toutes les cellules anormales avaient une
monosomie du chromosome 11 ; deux cellules contenaient des
anomalies du chromosome 3 (une monosomie et une translocation).
Or, d’autres types de néoplasie sont connus pour être liés à la
perte d’un allèle du chromosome 11, et il a été décrit des cas de
carcinome rénal familial ou des associations entre syndrome de von
Hippel Lindau et carcinome rénal chez de jeunes patients liées à des
anomalies du chromosome 3.
Le carcinome médullaire reste un cancer agressif grave dont
l’évolution n’a guère été modifiée par les nouvelles approches
thérapeutiques.
Il faut le rechercher chez les patients drépanocytaires
au stade le plus précoce. Une échographie rénale devrait ainsi, à notre avis, faire partie du bilan systématique annuel de
surveillance.
F - TRAITEMENT DE LA NÉPHROPATHIE
ET DE L’INSUFFISANCE RÉNALE TERMINALE :
1- Prise en charge des anomalies tubulaires
:
Le défaut de concentration habituellement infra-clinique ne nécessite
pas de traitement spécifique, hormis une bonne hydratation
largement alcaline pour compenser une éventuelle acidose
débutante, qui doit être augmentée lors de crises vaso-occlusives.
Une restriction en apport potassique et phosphoré s’impose en cas
d’évolution vers l’IRC, ainsi que la prescription d’allopurinol en cas
d’accès goutteux par hyperuricémie.
Dans certains cas, les thiazidiques ou les diurétiques de l’anse sont
utiles pour augmenter l’excrétion potassique.
Les drogues
potentiellement hyperkaliémiantes, en particulier les inhibiteurs de
l’enzyme de conversion (IEC), les anti-inflammatoires non
stéroïdiens, les bêtabloqueurs et l’héparine, doivent être prescrits
avec précaution chez ces patients, en particulier en cas d’insuffisance
rénale.
Enfin, notamment chez les patients infectés par le virus de
l’immunodéficience humaine (VIH) et atteints d’une pneumocystose,
la prescription de sulfaméthroprime et de pentamidine doit être
prudente, en raison de l’effet amiloride-like sur la sécrétion
potassique distale.
2- Néphropathie drépanocytaire
:
Depuis quelques années, la protéinurie, le syndrome néphrotique et
l’IRC conduisant à l’IRT augmentent en fréquence.
Malheureusement, les mécanismes physiopathogéniques et leurs implications thérapeutiques restent encore peu clairs.
L’efficacité des anti-inflammatoires non stéroïdiens n’a pas été
démontrée, pas plus que celle des thérapeutiques héroïques par
immunosuppresseurs tels que la corticothérapie et le cyclophosphamide.
Au stade d’IRC, la restriction protéique est difficile
à maintenir et à préconiser chez ces patients en partie déjà
dénutris.
Forts des données expérimentales et cliniques
confirmant l’hyperfiltration glomérulaire telle qu’on peut l’observer
dans les néphropathies diabétiques, une dizaine de patients
sélectionnés, atteints d’une insuffisance rénale modérée liée à des
lésions de hyalinose segmentaire et focale démontrées à la biopsie,
ont été traités par de l’énalapril (à la dose de 5 mg à 10 mg/j).
À
pression artérielle constante, le traitement a semblé réduire leur
syndrome néphrotique, mais celui-ci a récidivé dès l’arrêt de la
thérapeutique.
L’effet des inhibiteurs des récepteurs de l’angiotensine II n’a pas
encore été évalué.
Les données sur les effets des IEC et des
inhibiteurs de récepteurs de l’angiotensine II sur la protéinurie et la
progression de l’IRT sont encore limitées, ce d’autant que la
protéinurie est associée à une dégradation plus rapide de la fonction
rénale.
De plus, les effets à long terme des IEC et des inhibiteurs des
récepteurs de l’angiotensine II sur les altérations de
l’hémodynamique intraglomérulaire, ainsi que la réversibilité des
lésions de hyalinose segmentaire et focale n’ont pas été parfaitement
démontrés chez ces patients.
Dans différents modèles de rein de hyalinose segmentaire et focale,
l’effet protecteur des IEC et des inhibiteurs de récepteurs de
l’angiotensine II vis-à-vis de la protéinurie semble indépendant des
changements hémodynamiques, alors que l’effet à long terme sur
les lésions de hyalinose segmentaire et focale paraît lié au contrôle
des pressions systémiques et intraglomérulaires.
Ainsi, chez les rats néphrectomisés aux cinq sixièmes, Ots a étudié
l’effet néphroprotecteur de l’énalapril, du losartan ou de la
combinaison des deux.
Il conclut qu’il existe une corrélation entre
l’augmentation de la pression artérielle et l’aggravation des lésions
de hyalinose segmentaire et focale. Cependant, à pression artérielle
comparable, il n’a pas noté de différence dans la fréquence
d’apparition des lésions glomérulaires entre les différents groupes.
L’indication de ces thérapeutiques reste donc justifiée, mais avec
prudence, compte tenu des risques d’hyperkaliémie, surtout en cas
d’IRC.
3- Dialyses
:
En 1974, Frydeman a rapporté le premier cas de succès
thérapeutique et de survie à long terme d’un drépanocytaire dialysé.
Les deux techniques de dialyse ont été utilisées, la dialyse
péritonéale et l’hémodialyse. Cependant, le nombre total de patients
traités reste modeste.
Nissenson, reprenant les données américaines de 1983 à 1985, a
retrouvé durant ces 3 années 77 cas traités par dialyse (SS et AS) ;
96 % des sujets sont de race noire, 60 % sont des hommes, 57 % sont
âgés de 20 à 39 ans au moment du diagnostic d’IRT et 39 % de 40 à
59 ans ; 82 % ont été traités initialement par hémodialyse, 17 % par
dialyse péritonéale continue ambulatoire et 1 % par transplantation
de rein de cadavre.
À 30 mois de traitement, 59 % des patients sont
vivants.
Ces résultats paraissent similaires à ceux d’autres maladies
systémiques chroniques comme le diabète.
Curieusement, la
technique de dialyse elle-même ne semble pas influer sur la
fréquence des crises vaso-occlusives, alors que l’on pourrait penser
que la tendance à l’hypoxémie, l’hypotension artérielle et l’activation
des différentes cytokines déclenchées par les phénomènes
dialytiques, surtout en hémodialyse, pouvaient provoquer un
phénomène de sludge et donc des crises vaso-occlusives.
4- Transplantation
:
L’expérience de la transplantation rénale reste limitée dans cette
population.
Chatterjee, dans deux études à court terme, montre
que la survie du patient et du greffon est comparable par rapport à
une population non drépanocytaire. En 1980, 34 transplantations
rénales ont été effectués chez 30 patients drépanocytaires.
La survie
à 1 an est de 87 % pour les patients, 67 % pour le greffon. Dans les
données de 1987, 45 transplantations rénales ont été répertoriées
chez 40 patients, avec à 1 an un taux de survie des patients de 88 %
et du greffon de 67 %. À 1 an, le taux de survie du greffon chez les
patients avec donneurs vivants est de 82 %, contre 62 % avec des
reins de cadavre.
Il importe de souligner que la plupart des patients
sont hétérozygotes (70 % en 1980, 67,5 % en 1987), qu’ils ont été
traités avant l’ère de la ciclosporine, et que leur hémoglobinopathie
était un facteur aggravant et non l’origine principale de leur IRT.
De ces études, il ressort que la drépanocytose ne doit pas être une
contre-indication formelle à la transplantation rénale.
Récemment, Ojo a publié le résultat du suivi des patients et du greffon chez des
patients drépanocytaires comparés à des transplantés noirs
américains, de même âge, en IRT pour d’autres causes.
Cette
étude très importante rapporte le devenir de 22 647 Noirs américains
en IRT, dont certains atteints d’une néphropathie drépanocytaire, qui
ont reçu un rein seul entre 1984 et 1996.
Seuls 82 patients, soit 0,4 %,
avaient comme seule cause de leur IRT une néphropathie
drépanocytaire, 81 avaient une hémoglobine SS et un seul une
drépanocytose hétérozygote.
La survie du greffon de cadavre ou de donneur vivant à 1 an est similaire entre drépanocytaires et non
drépanocytaires (78 % contre 77 %).
Cependant, la survie du greffon
de cadavre à 3 ans est significativement plus bas chez les patients
drépanocytaires : 48 % contre 60 % pour les autres patients.
Le taux
de survie du patient drépanocytaire était également plus basse à 1
an (78 % contre 90 %) et à 3 ans (59 % contre 81 %).
Cependant,
d’autres analyses semblent démontrer une meilleure survie des
patients transplantés par comparaison aux patients dialysés en
attente de greffe.
Ojo suggère ainsi de proposer une greffe dans cette
indication, en arguant que le taux de mortalité élevé était plus dû
aux complications de la maladie elle-même qu’aux effets secondaires
du traitement immunosuppresseur nécessaire pour la
transplantation.
Dans son étude, la survie des patients
drépanocytaires greffés avait une durée médiane de 33 mois.
Par
ailleurs, le taux de mortalité était de plus de 50 % à 2 ans chez les
patients en IRC et/ou ayant un syndrome néphrotique.
En dépit de ces résultats encourageants par rapport à l’hémodialyse,
il ne faut pas occulter les autres facteurs de morbidité, les crises vaso-occlusives étant plus fréquentes chez le patient transplanté, probablement favorisées par une augmentation de
l’hématopoïèse endogène, avec comme conséquence une
augmentation de la viscosité sanguine.
Certains préconisent
l’utilisation de l’hydroxyurée pour augmenter l’hémoglobine F et
diminuer la fréquence des crises qui peuvent parfois être induites
par l’utilisation d’anticorps monoclonaux comme l’OKT3.
Enfin,
des récidives de la néphropathie drépanocytaire sur les greffons ont
été rapportées à 3,5 et 4,5 ans postgreffe.
Les innovations en matière de thérapeutiques immunosuppressives
devraient élargir les indications de la transplantation chez ces
patients.
La greffe de moelle, voire la thérapie génique, enfin,
permettront peut-être d’éviter les complications de la maladie à long
terme, en particulier l’évolution vers l’insuffisance rénale, ou du
moins d’en diminuer la progression.
Rein et thalassémies
:
Les thalassémies sont la conséquence d’un défaut de synthèse des
chaînes de globine.
Elles peuvent se présenter sous plusieurs
formes : les alpha-thalassémies, dues à un déficit de synthèse de la
chaîne alpha qui sont les plus fréquentes ; les bêta-thalassémies,
secondaires à un déficit de synthèse de la chaîne bêta.
Seules les
formes les plus sévères peuvent se compliquer d’une atteinte
rénale.
Les complications rénales des patients atteints d’une thalassémie
ressemblent à celles des patients drépanocytaires, mais à un moindre
degré, sans évolution vers l’insuffisance rénale dans la plupart des
cas, sauf en cas d’association à une drépanocytose.
1- Anomalies tubulaires
:
Elles sont dominées par un défaut de concentration urinaire et une
acidose tubulaire dus à des lésions organiques par dépôt
d’hémosidérine dans le tubule proximal et distal confirmé sur les
autopsies.
Il a été montré que l’excès de fer tissulaire, habituel
chez les patients thalassémiques, était responsable d’une
augmentation de la peroxydation des lipides, reflétée par le taux de
malondialdéhyde (MDA) plasmatique et urinaire.
Une corrélation
entre le taux de MDA plasmatique et la ferritinémie a pu ainsi être démontrée.
2- Glomérulopathies
:
Certains auteurs ont suggéré qu’il existait une incidence plus
importante de glomérulopathies, en particulier endocapillaires, chez
les thalassémiques, pouvant conduire à l’IRT.
Cependant, ces
résultats n’ont jamais été confirmés.
3- Insuffisance rénale aiguë
:
De rares cas d’insuffisance rénale aiguë ont été décrits après des
doses toxiques de déféroxamine (Desféralt) injectées par voie
veineuse chez des patients thalassémiques.
L’évolution a été
favorable dans la plupart des cas, après parfois quelques séances
d’hémodialyse.