Bookmark and Share                    Rechercher dans le site  |   Devenir membre
      Accueil       |      Forum     |    Livre D'or      |     Newsletter      |      Contactez-nous    |                                                                                                          Envoyer par mail  |   Imprimer
loading...

 
Médecine Dentaire
Psychologie et relation d’aide en réhabilitation maxillofaciale
Cours de Médecine Dentaire
 
 
 

Introduction :

La prothèse maxillofaciale est probablement la plus ancienne des disciplines consacrées à la réhabilitation du corps humain et se présente comme une alternative à la chirurgie reconstructrice pour la correction des anomalies maxillofaciales.

Qu’elle soit d’origine congénitale, traumatique, tumorale ou toxi-infectieuse, la mutilation maxillofaciale retentit lourdement sur le psychisme et le comportement du sujet atteint.

La réhabilitation maxillofaciale implique, de fait, un travail d’équipe où de nombreux thérapeutes interviennent, cancérologue, chirurgien, oto-rhino-laryngologiste, plasticien, phoniatre, orthophoniste, odontostomatologiste, psychologue, infirmière sophrologue, kinésithérapeute, etc., un abord multidisciplinaire incontournable afin de concourir à une amélioration de la qualité de vie des patients.

La multiplicité des traitements chirurgicaux, les traitements radiothérapiques avec leur cortège d’effets secondaires, le temps de cicatrisation, font que la durée de la réhabilitation est souvent longue.

C’est dans cet espace d’attente qu’apparaissent les processus mentaux inhérents au travail de deuil et les problèmes liés à la modification du schéma corporel, à l’image de soi, à l’identité, au rôle socioprofessionnel et familial.

Après avoir mis en place quelques éléments de psychologie et de sociologie relatifs à la notion d’identité et de personne, nous traiterons des modalités de prise en charge psychologique en matière de réhabilitation maxillofaciale.

Éléments de la problématique :

A - Rôle du visage :

Dans la vie quotidienne, la présence du spectacle des visages et des silhouettes est constante et inéluctable.

Le visage est à la charnière de l’individuel et du social, elle est la partie visible, la face s’offre à la perception d’autrui.

À travers le visage se lit l’humanité de l’homme et s’impose en toute évidence la différence infime qui le démarque de l’autre.

La paléontologie et l’anthropologie ont montré la lente régression du volume facial, de l’appareil masticateur, du nombre de dents chez le sujet humain entre autres modifications.

De cette évolution physique est née inexorablement une notion de « normalité ».

L’adjectif « normal » tend à définir dans l’inconscient collectif le profil physique indispensable à l’intégration dans le « groupe ».

La première communication interpersonnelle est d’ordre visuel et nous comprenons du coup la difficulté ressentie parfois comme un obstacle insurmontable par le sujet mutilé facial.

Étymologiquement, visage vient de vis-à-vis, ce dernier se faisant à trois niveaux :

• face à face (face à soi-même) : on dit souvent que le visage est le miroir de l’individu, le reflet de sa personnalité ;

• face à l’autre (face à son entourage proche) : le miroir est projeté, traversé par le regard des autres ;

• face aux autres : c’est l’image de soi dans le monde socioprofessionnel.

Le visage est, de toutes les zones du corps humain, celle où se condensent les valeurs les plus élevées.

En elle se cristallise, entre autres choses, le sentiment d’identité, s’établit la reconnaissance de l’autre, se fixent les qualités de séduction et s’identifie le sexe.

Le corps amputé, mutilé, privé d’une partie de lui-même (organe, partie molle, segment osseux...) devient un corps autre.

Le corps n’est plus tout à fait lui-même. L’identité est conservée dans la non-ressemblance.

L’individu a un sentiment d’étrangeté à l’égard de l’évolution traumatique de son corps, il a des difficultés d’adaptation à cette nouvelle image. Il lui est difficile de se retrouver dans ce visage.

Le Breton parle même de privation d’identité. Le visage est, avec le sexe, le lieu le plus investi, le plus solidaire du Moi.

La valeur à la fois sociale et individuelle qui distingue le visage du reste du corps, son éminence dans la saisie de l’identité, tiennent au sentiment que l’être entier est là.

B - Expérience de la mutilation :

Tout d’abord, il nous semble utile de rappeler la définition de la mutilation.

Selon Le Nouveau Petit Robert, il s’agit d’une perte accidentelle ou une ablation d’un membre, d’une partie externe du corps, qui cause une atteinte irréversible à l’intégrité physique.

Ce substantif convient davantage aux pertes de substance d’origine tumorale, traumatique ou toxi-infectieuse.

Nous emploierons le terme de difformités pour les étiologies congénitales.

1- Origine congénitale : divisions labiomaxillaires isolées ou non

Au cours de la morphogenèse, les bourgeons faciaux sont le siège d’un développement volumétrique, d’une coalescence épiblastique provisoire et d’une mésodermisation.

Un défaut de mésodermisation empêche l’accolement des bourgeons qui se séparent sous l’influence des jeux musculaires et induisent la formation de fentes faciales.

Les formes cliniques des divisions labiomaxillaires sont nombreuses et s’organisent selon deux grandes catégories conformément à la classification de Chancholle : les formes bénignes et les formes graves.

En évaluant le degré de gravité, cette classification donne les orientations en matière de thérapeutique chirurgicale.

Selon les variétés de formes cliniques, les troubles fonctionnels et esthétiques diffèrent.

Il est indispensable de prendre la mesure de l’impact psychologique de cette affection sur l’entourage de l’enfant et sur l’enfant lui-même.

C’est pourquoi la correction de ces malformations intervient précocement dans la vie de l’enfant (traitement par orthèse dès les premiers jours de la vie du nouveauné ; première intervention chirurgicale correctrice dès les premières semaines ou premier mois de la vie).

Dans le cadre de ces difformités congénitales, il est indispensable de rassurer les parents et de les déculpabiliser.

Actuellement, en France, il existe peu de structures spécialisées.

Cette thérapeutique d’entourage (très pratiquée en Angleterre notamment) permet aux familles d’affronter leurs inquiétudes, leurs déceptions parfois, ceci afin de les aider à accueillir cet enfant, à l’aimer et à l’éduquer sans stigmatiser son handicap.

L’accompagnement psychologique est une nécessité pour donner à l’enfant et aux parents des armes contre la discrimination véhiculée par le regard social.

D’autre part, par cette thérapeutique d’entourage, l’équipe pluridisciplinaire s’attache à obtenir la coopération familiale indispensable à la réussite du traitement.

2- Origine traumatique :

Les pertes de substance d’origine traumatique sont de deux ordres : celles consécutives à un traumatisme d’origine volontaire (tentative d’autolyse par arme à feu) et celles consécutives à un traumatisme involontaire (accident de la voie publique, accident domestique, accident professionnel).

Les contextes d’irruption de ces deux genres de traumatismes sont manifestement différents et cette différence doit être prise en considération afin d’adapter la prise en charge psychologique menée tout au long de la réhabilitation maxillofaciale.

L’acceptation des difficultés de reconstruction liées à l’étendue de la perte de substance relève d’une prise en charge collective impliquant toute une équipe médicale et paramédicale.

3- Origine tumorale :

Qu’elle soit bénigne ou maligne, une tumeur nécessite souvent une prise en charge chirurgicale en matière d’exérèse et de reconstruction, à l’origine parfois de tout un cortège de difficultés relatives à la réhabilitation prothétique ultérieure (réhabilitation à visée fonctionnelle et esthétique).

Lorsque le pronostic vital est incertain, il faut, au-delà des doléances esthétiques et fonctionnelles du patient, entendre sa souffrance, ses inquiétudes, ses angoisses à propos de son avenir et fonder par le biais de la prise en charge psychologique des espoirs de survie ou, au contraire, préparer un travail de deuil.

Dans le cas d’un cancer maxillofacial, le patient est la proie d’une double menace.

Celle inhérente à la maladie cancéreuse se manifeste par une projection inéluctable dans la mort, une rupture avec le monde socioprofessionnel et familial, la douleur, une rupture avec son image inconsciente corporelle par perte de son intégrité corporelle.

À ces éléments s’ajoute la menace plus spécifique liée à la situation anatomique de la pathologie : la défiguration, l’altération des fonctions de la sphère orofaciale et donc de la vie de relation du sujet, des préjudices esthétiques visibles ayant pour conséquence une perturbation avec le monde extérieur et des effets de stigmatisation, enfin des problèmes de camouflage de la perte de substance.

La virulence de l’expérience de la défiguration est telle que la majorité des individus mutilés affirme choisir la mort plutôt que de revivre cette expérience ou de voir s’étendre davantage l’ampleur de la mutilation.

À chaque instant, l’individu mutilé doit lutter contre son propre corps, il doit lutter contre la souffrance inhérente aux actes thérapeutiques, contre le mal qui le ronge de l’intérieur, et il doit réapprendre les actes élémentaires tels que mâcher ou parler.

L’acteur dont le visage est abîmé subit une perturbation profonde de sa relation au monde, il vit provisoirement sur une image enfouie en lui, celle de son corps d’avant ; parallèlement, son corps actuel lui est intolérable.

La vie entière de l’individu est tournée vers les manifestations corporelles auxquelles il portait auparavant une attention moindre.

Selon Le Breton, « la conscience que le sujet a de lui-même se fait dans le déchirement de son incarnation ».

Le degré d’atteinte de l’identité dépend du nombre et de l’importance des aspects du soi qui sont perdus, de la possibilité de les récupérer, de la capacité à découvrir de nouveaux modes d’action, de la capacité à transcender son corps, de la capacité à surmonter des pertes, et à construire une nouvelle conception de soi-même autour de ces limitations et de ces désorganisations.

La mutilation faciale et les dysfonctions qu’elle implique sont source de performances ratées ; ces situations peuvent engendrer un état de désespoir et de frustration.

De tels sentiments ébranlent l’identité et la chaîne des conceptions biographiques du corps. Le seuil de tolérance à la douleur de notre société décroît au fur et à mesure que les produits antalgiques se banalisent.

La question de la douleur est toute entière absorbée par la culture médicale.

Mais, la souffrance étant principalement émotionnelle, les moyens disponibles à l’individu mutilé ne sont autres que sa propre tolérance à la souffrance et le soutien de ses proches.

La peur de souffrir dépasse souvent celle de mourir ; la souffrance est perçue comme un nonsens absolu, une torture, elle traduit l’irruption du pire que la mort.

La désorganisation des sphères de la vie quotidienne de l’individu mutilé commence par une mort sociale, sorte d’exil volontaire qui débute à l’inscription de la mutilation, et donc durant l’hospitalisation qui constitue le commencement d’une perte progressive de contact avec l’extérieur.

Les séquelles fonctionnelles entravent la sociabilité de l’individu mutilé.

Ne pas pouvoir parler de manière intelligible, la nécessité de s’alimenter liquide, mixé ou par sonde nasogastrique, sont autant de facteurs d’exclusion du sujet malade.

En proposant une réhabilitation prothétique au sujet mutilé, celui-ci a les moyens de gérer comme il le souhaite l’information sur sa mutilation.

Il camoufle ainsi la plaie béante qui le stigmatise.

Le travail du médecin consiste également à modifier le sens donné à l’expérience de la mutilation, à lui donner une définition médicale afin que l’individu puisse s’identifier à une catégorie socialement définie alors, que jusque-là, il pensait son expérience unique et sans ressource pour gérer cette douloureuse situation dont il n’est jamais fait mention dans le discours social.

En matière de chirurgie carcinologique, il faut bien saisir que c’est l’acte médical qui génère la mutilation.

Le corps n’est certainement pas une machine dont on puisse aisément soustraire les composantes pour les remplacer par d’autres sans que nombre d’obstacles (moraux, éthiques, médicaux, anthropologiques) se rencontrent sur le chemin.

4- Origine toxi-infectieuse :

Les pertes de substance d’origine toxi-infectieuse nécessitent presque toujours une thérapeutique prothétique.

Les étiologies le plus fréquemment recensées sont :

• l’ostéomyélite à localisation préférentiellement mandibulaire ;

• la syphilis, occasionnant conjointement perforations palatines et effondrement de la pyramide nasale ;

• une intoxication mercurielle ou phosphorique ;

• l’ostéite postradique, responsable de nécrose tissulaire ;

• les affections candidosiques rares (aspergillose, etc.).

C - Réhabilitation maxillofaciale : une réhabilitation singulière

De façon générale, le corps doit passer inaperçu dans l’échange entre les acteurs, même si une situation implique fortement sa présence ; il doit se résorber dans les codes en vigueur et chacun doit pouvoir retrouver, comme dans un miroir, ses propres attitudes corporelles.

Il n’y a pas dans le discours social des traces de réponses habituelles disponibles pour l’acteur mutilé afin d’orienter la régulation de ses conduites face aux dérèglements introduits par la défiguration dans l’ensemble des sphères de la vie quotidienne.

Par sa seule présence, il arrive que l’apparence du corps provoque un profond malaise et cesse d’être le miroir rassurant ; au contraire, il devient lourdement présent et embarrassant.

La défiguration est une situation limite du fait de l’importance des enjeux qui la caractérisent, des perturbations qu’elle implique.

C’est en ce sens-là qu’il y a une particularité dans l’approche d’une réhabilitation maxillofaciale.

Dans la partie qui suit, nous traiterons de la prise en charge plus spécifique que nécessite la réhabilitation maxillofaciale induite par un cancer.

Mise en oeuvre de la prise en charge :

Quelle soit d’origine tumorale, congénitale, traumatique ou toxi-infectieuse, la perte de substance engendre une perturbation du schéma corporel, une altération du sentiment d’identité et génère de fait de l’anxiété.

Cette anxiété est une des expressions de la souffrance du sujet mutilé et nécessite une prise en charge indiscutable, notamment en matière de perte de substance d’origine carcinologique.

Le patient doit « faire face » dans un contexte où sa propre face est altérée ; cette expression « faire face » est hautement symbolique.

Les stratégies d’adaptation que privilégie le sujet sont celles qui favorisent la dissimulation, le repli sur soi, l’isolement social et familial.

La prise en charge en matière de réhabilitation maxillofaciale relève de l’intervention infirmière centrée sur le soin relationnel, associée au soin technique du médecin et du spécialiste de prothèse maxillofaciale.

Un des premiers objectifs est d’agir sur les facteurs intraphysiologiques et extrapersonnels pouvant déstabiliser la personne ; le deuxième objectif est d’offrir à la personne un espace et des moyens pour s’adapter, se reconnaître et éventuellement s’accepter.

A - Moments :

1- À l’annonce de la maladie :

Selon la personnalité du sujet, les attentes et comportements diffèrent.

En revanche, le sentiment d’anxiété est une constante invariable.

Parfois, le patient est en attente d’informations très précises à propos de la chirurgie, de l’anesthésie, du temps d’hospitalisation, de la confection de la prothèse, etc.

Il a besoin d’explications détaillées sur le déroulement des opérations.

Cependant, ces interrogations traduisant un besoin de maîtrise peuvent déclencher une attitude de coping vigilant (stress extrême).

À l’opposé, certains patients, résignés, subissent les événements sans aucune forme d’implication.

D’autres préfèrent consulter différents spécialistes ou montrent un refus catégorique du traitement chirurgical avec départ de l’hôpital la veille de l’intervention.

Quoi qu’il en soit, la diversité des réactions observées signe une souffrance profonde et oblige le soignant à s’adapter à la personne malade.

2- Pendant l’hospitalisation :

En préopératoire, l’une des croyances est que l’évolution de la maladie va être stoppée par la chirurgie et les traitements secondaires.

Le facteur extrapersonnel qui peut induire ou renforcer cette croyance est la qualité de l’information donnée par le chirurgien.

L’état d’anxiété fait place à la peur, peur de ne pas se réveiller, peur de souffrir, etc.

En postopératoire, le facteur intrapsychologique essentiel est la prise de conscience de la modification de l’image corporelle consécutive à l’acte médical.

Associé aux facteurs intraphysiologiques tels que la douleur (site de prélèvement, site opératoire, système de drainage) et à la perturbation du sommeil, il entraîne un état d’épuisement avec risque d’effraction des lignes de résistance.

3- Après l’hospitalisation :

De retour à son domicile, dans un centre de rééducation ou en maison de retraite, le patient passe par une phase d’isolement consécutive à la gêne engendrée par l’attention qu’il suscite à chacune de ces sorties.

Il est victime du regard discriminant de la société.

Ainsi, on peut comprendre combien il est important d’accompagner le patient dans cette nouvelle épreuve ; les liens avec le milieu médical ne doivent pas s’interrompre afin de ne pas générer chez le malade un sentiment d’abandon.

4- À la consultation de prothèse maxillofaciale :

Plusieurs situations peuvent se présenter.

Le patient a bénéficié d’une consultation en prothèse maxillofaciale avant l’intervention chirurgicale et d’un accompagnement pendant l’hospitalisation.

Après la chirurgie et la radiothérapie, les informations ont souvent été déformées ou oubliées quand vient le temps de la réhabilitation maxillofaciale.

Le spécialiste de prothèse maxillofaciale doit faire face à une double exigence : celle d’attendre la stabilisation tissulaire et celle de satisfaire au mieux le besoin du patient de camouflage de la plaie béante sur son visage ou de pallier les troubles fonctionnels de déglutition, mastication et phonation.

La personne a subi une ou plusieurs tentatives de reconstructions chirurgicales qui se sont soldées par un échec du fait de l’évolution défavorable de la maladie ou de problèmes d’intégration tissulaire ou vasculaire du greffon.

Dans ce contexte clinique, la perte de confiance du malade à l’égard du corps médical est quasi systématique et s’accompagne d’un sentiment d’être un laissé–pour-compte du milieu médical.

Face à la résignation, la méfiance ou l’agressivité du malade, accueil, écoute et soutien lors de la première consultation de prothèse maxillofaciale sont de rigueur lorsque le spécialiste énonce les propositions de réhabilitation prothétique et leurs limites.

Ce premier contact est souvent déterminant par rapport à l’acceptation de la prothèse.

La personne a subi l’exérèse tumorale, le traitement de radiothérapie, et n’a pas bénéficié de proposition de réhabilitation.

Elle consulte sur proposition d’un tiers.

Cette perspective est une nouvelle étape dans l’histoire du malade et est de ce fait génératrice d’émotions et d’anxiété.

La qualité de l’information concernant la prothèse doit être pertinente.

Au préalable, des soins de kinésithérapie et de mécanothérapie peuvent être prescrits dans le cadre d’une préparation tissulaire à la mise en place de la prothèse ultérieure.

B - Modalités :

Afin d’adapter au mieux les techniques relationnelles et comportementales, il faut bien comprendre ce qui se joue au plan personnel et identitaire dans le cas d’une mutilation faciale.

Le détour anthropologique éclaire la pratique médicale en soulignant ce que celle-ci néglige souvent dans sa démarche thérapeutique : la dimension de sens et de valeurs qui touche la relation de l’homme à son corps.

La médecine, par son exercice, laisse sur le corps des cicatrices qui renvoient à certains types de maladies ou de pathologies ainsi visibles du premier coup d’oeil.

L’intervention chirurgicale marque comme un rite de passage un moment décisif de la vie (phase de liminarité).

La dimension rituelle ne résume pas tout le contenu de l’expérience de la mutilation faciale, mais cette dimension est cependant très présente.

Si on se réfère à la théorie des rites de passage de Van Gennep, chaque séquence de passage se caractérise par une succession de trois stades.

Phase de séparation : la souffrance due au marquage dans la chair n’est pas sans rappeler la douleur qui accompagne les rites initiatiques de nombreuses sociétés traditionnelles ; elle est une mémoire chevillée au corps, une marque qui signe l’apparence physique de l’« initié ».

Elle atteste de la mutilation ontologique, du passage d’un univers social à un autre, bouleversant l’ancien rapport au monde.

La cicatrice traduit dans la peau l’appartenance à une nouvelle communauté, elle matérialise la douleur en une mémoire tangible du changement de statut.

Elle est une puissance de métamorphose qui marque dans la chair une mémoire indélébile du changement.

La marque constituée par l’acte médical implique une modification du corps avec violence sur le corps.

C’est cette violence qui atteste de son efficacité symbolique.

Dans le cadre de la pratique médicale, cette violence est exercée par une personne désignée pour cela.

L’« initié » est socialement redéfini par une modification physique de son apparence ayant une éminente valeur symbolique.

Phase de marge : la stigmatisation perturbe les interactions qui aboutissent à l’isolement de l’individu, période pendant laquelle se déroule la mise au point de la restauration du visage.

L’exérèse de la partie atteinte s’intègre dans la prise en charge médicale du cancer, elle devient alors efficace parce qu’elle intervient dans le cadre du soin et qu’elle est proposée par le médecin, trouvant sa légitimation scientifique dans un système interprétatif reconnu par la collectivité.

L’idéologie biomédicale met en place un système cohérent que le malade accepte, et qui répond aux représentations et au système interprétatif de notre époque.

L’action thérapeutique est nécessaire à l’individu, elle est une médiation, un relais nécessaire pour éviter toute rupture du sentiment de continuité, le temps de développer les propres capacités à assurer une représentation acceptable de l’acteur stigmatisé.

L’ajout de sens opéré par la relation thérapeutique désamorce l’intolérable qui imprègne la situation douloureuse et en modifie la perception par l’individu.

L’action symbolique émousse la douleur en modifiant sa signification et, par la suite, sa nature.

Phase d’agrégation : la restauration chirurgicale ou la réhabilitation prothétique agissent au plan réel en instaurant un nouvel ordre, celui d’une esthétique d’allure normative.

Au plan symbolique, elles agissent comme une sorte d’exorcisme en supprimant ou réparant ce qui est vécu par l’individu comme un stigmate, un défaut, qui tendait à le maintenir à l’écart ou dans l’indétermination.

L’apparence est restaurée, elle devient alors le gage d’une « re-naissance » possible et d’une autre vie. La réhabilitation prothétique autorise un retour à la vie « normale » qui va permettre une réorganisation de l’ensemble des sphères sociales.

La restauration physique et la réorganisation mentale ainsi opérées permettent la substitution d’un nouvel ordre au désordre.

Un certain nombre de facteurs personnels au malade sont à prendre en considération lors de la prise en charge psychologique.

Le facteur extrapersonnel essentiel est le temps d’attente ; en effet, la réhabilitation maxillofaciale est engagée dans un minimum de 6 mois après l’intervention chirurgicale.

Les facteurs intrapersonnels socioculturels englobent l’histoire et les habitudes de vie du malade, son âge, son sexe, ses principes d’éducation, ses représentations de la maladie et de la santé, son niveau d’études.

Ces facteurs jouent un rôle incontestable dans les phénomènes de résistance ou au contraire de mobilisations de ressources.

Chaque consultation peut apporter des éléments permettant d’évaluer les besoins ou les difficultés rencontrées par rapport aux facteurs intraphysiologiques (cicatrisation de la plaie, oedèmes, risques infectieux, mucites, brûlures cutanées, manifestations douloureuses, écoulement de sécrétions, asthénie) et aux facteurs intrapsychologiques (réaction de dégoût exprimée par l’entourage, peur du regard des autres, isolement social et familial).

D’autre part, des facteurs de risque intraphysiologiques (évolution tissulaire, phénomènes de condensation, nettoyage de la prothèse, altération cutanée liée à une mauvaise utilisation des produits de fixation) et intrapsychologiques (peur de perdre la prothèse, difficulté à intégrer le nouveau schéma corporel) sont présents et nécessitent de la part de l’équipe pluridisciplinaire une prise en charge adaptée.

1- Travail infirmier :

* Relation d’aide :

Selon Rogers, « la relation d’aide est une relation professionnelle dans laquelle une personne doit être assistée pour opérer son ajustement personnel à une situation à laquelle elle ne s’adaptait pas normalement.

Ceci suppose que l’aidant est capable de comprendre le problème et d’aider la personne à évoluer dans le sens de sa meilleure adaptation ».

La relation d’aide consiste en la prise en charge de la souffrance physique et psychologique endurée par le patient du fait de sa mutilation.

Le soin relationnel est basé sur l’écoute de la personne dans son langage, ses demandes ou besoins immédiats, sur l’observation de son comportement non verbal.

La proposition de techniques de relaxation ou de sophrologie est rarement acceptée d’emblée, la personne étant persuadée de contrôler la situation.

Dans la réalisation de la prothèse, la prise d’empreinte est un moment dérangeant qui rappelle le souvenir de soins techniques traumatisants par le contact de matériaux, la gêne respiratoire ou la perte de contact visuel.

Elle peut déclencher une réaction de peur verbalisée ou non.

La prise d’empreinte dans la cavité buccale peut provoquer une sensation d’étouffement, de peur de perdre le contrôle des réflexes de déglutition, des nausées.

Au cours de ce cheminement, différents outils de relation d’aide peuvent être proposés.

* Sophrologie :

Elle est considérée par son fondateur (Dr Caycedo) comme la science de la conscience et des valeurs de l’existence, la conscience étant la force responsable du dynamisme des structures psychologiques de l’être.

Après avoir donné une information sur la technique et obtenu l’accord de la personne pour la pratiquer, la séance de sophrologie ou sophronisation se déroule en trois étapes.

Le premier temps est celui de la relaxation.

Elle permet de s’isoler des stimulations extérieures et de passer d’un état de vigilance normale à un état proche du sommeil.

Ensuite vient l’activation pendant laquelle la personne mobilise ses capacités physiques par la respiration ou par des mouvements, ainsi que ses capacités mentales à travers la visualisation de ressources ou de valeurs existentielles.

Le retour à l’état de vigilance normale ou désophronisation se fait progressivement.

La personne prend conscience des phénomènes ressentis, de ces capacités d’adaptation à travers les différentes stratégies d’ajustement ou d’adaptation mises en place.

La sophrologie est une discipline adaptée aux stratégies adoptées par le patient.

Elle aide celui qui tend à se replier sur lui-même, qui refuse les visites, qui manque de savoir exprimer ou identifier ses émotions, etc.

* Autres techniques :

La programmation neurolinguistique, l’approche Simonton (psychothérapie amenant le patient à mettre en place un scénario pour lutter contre la maladie) sont d’autres méthodes en matière de relation d’aide.

Dans ce travail d’accompagnement, de gestion de l’anxiété et de la douleur, le soignant doit garder sa neutralité et laisser le libre choix de la méthode à son patient.

D’autre part, au nom de l’éthique médicale, le respect de la personne doit présider à la relation de soin de manière à éviter les dérives sectaires dont certains ont pu accuser les adeptes de la méthode Simonton.

2- Travail du chirurgien et du spécialiste de prothèse maxillofaciale :

Avant l’annonce de la maladie, une relation de confiance, d’écoute basée sur le respect mutuel doit s’établir.

Le praticien a, dans le cadre de la relation contractuelle qui le lie à son patient, un devoir d’information.

Après une information complète, il s’agit d’aider le patient à évacuer les fantasmes destructifs qu’il prête à sa maladie et sa thérapeutique.

Après l’hospitalisation, le chirurgien doit inspecter la plaie opératoire et vérifier l’absence d’évolution d’un processus néoplasique sous-jacent. D’autre part, la compétence du médecin ne se limite pas à un acte technique, il doit pouvoir identifier une éventuelle détresse psychique et orienter le patient vers les spécialistes compétents.

Le praticien spécialiste en prothèse maxillofaciale doit répondre aux interrogations du patient et le rassurer quant aux étapes de réalisation de la prothèse.

Il doit évaluer les effets de la rééducation fonctionnelle et agir en conséquence.

Le facteur temps est un paramètre important dans la relation au malade, car celui-ci montre souvent de l’impatience pour sa réhabilitation et ne comprend pas toujours la nécessité de l’attente.

Pour le monde médical et paramédical, la prothèse est une pièce destinée à remplacer partiellement ou totalement un membre, un organe ou à rétablir une fonction, ceci afin de permettre à la personne une vie relationnelle acceptable.

La réalisation de cette prothèse répond à des indications bien précises et à des modalités d’exécution bien spécifiques.

Pour le patient, la prothèse est un corps étranger qui permet de dissimuler la mutilation qui le stigmatise, une pièce que l’on va chercher à intégrer au visage par le biais de maquillage.

L’amovibilité de la prothèse assure une fenêtre de surveillance indispensable mais renvoie au patient l’histoire de sa meurtrissure et la perturbation de son image corporelle.

L’inertie mécanique et thermique de l’artifice prothétique oblige le patient à penser à son comportement dans la vie sociale et relationnelle : gestion des écoulements, des sécrétions, de l’alimentation, de la phonation et des problèmes d’hygiène.

3- Travail d’autres intervenants :

Après la chirurgie, afin de pallier les troubles fonctionnels (déglutition, phonation, mastication), kinésithérapeute et orthophoniste s’associent pour prendre en charge la rééducation.

Quant à la famille, elle doit être omniprésente à toutes les étapes du traitement, voire s’intégrer à l’équipe soignante et participer aux prises de décisions thérapeutiques.

Son rôle en matière d’apaisement et d’accompagnement est essentiel.

Les ressources personnelles, familiales et sociales dont dispose le patient doivent être évaluées afin de prévoir un éventuel soutien psychologique.

Discussion :

De façon générale, le corps doit passer inaperçu dans l’échange entre les acteurs, même si une situation implique fortement sa présence ; il doit se résorber dans les codes en vigueur et chacun doit pouvoir retrouver, comme dans un miroir, ses propres attitudes corporelles.

Il n’y a pas, dans le discours social, traces de réponses habituelles disponibles pour l’acteur mutilé afin d’orienter la régulation de ses conduites face aux dérèglements introduits par la défiguration dans l’ensemble des sphères de la vie quotidienne.

L’individu stigmatisé participe à la vie sociale en fonction d’une qualité particulière, d’un « moi particulier ».

Par sa seule présence, il arrive que son apparence provoque un malaise profond, il cesse d’être le miroir rassurant, le corps devient lourdement présent, terriblement embarrassant.

La défiguration, quelle que soit son origine, est une situation limite du fait de l’importance des enjeux qui la caractérisent, des perturbations qu’elle implique.

Cependant, une part importante de la prise en charge de la mutilation se fait hors du système médical ; la famille et les proches en constituent une source importante.

Néanmoins, il revient aux soignants le soin d’orchestrer au mieux cette prise en charge, et ceci dans une vision holistique de la personne.

La prise en charge psychologique en matière de réhabilitation maxillofaciale conduit l’équipe soignante à se poser plusieurs questions.

À la question « Que dire ? » , le milieu médical est, pour répondre, confronté à une double évolution : celle de la connaissance médicale du grand public et celle de la réglementation de la recherche clinique.

Deux sortes de pratiques différentes, toutes deux éloignées d’un paternalisme bienveillant, animent l’exercice médical : la première, d’usage aux États-Unis, est basée sur la notion de vérité scientifique ; la seconde relève plutôt d’une démarche éthique plus intuitive, de rigueur en France.

De nombreux témoignages montrent que les sujets mutilés faciaux parviennent à une réidentification lorsqu’ils bénéficient d’une bonne information relative au diagnostic, au traitement médical et au pronostic.

En associant le stigmate à la maladie et à son traitement, le sujet donne un sens médicalisé et donc institutionnalisé à sa mutilation.

Cependant, il revient au médecin d’interpréter au mieux la demande d’information du patient. Si ce dernier a le droit d’être informé, il a également le droit de conserver une certaine maîtrise sur la quantité d’informations qu’il peut recevoir.

En ce qui concerne la question « Comment dire ? », après une information complète, il n’est pas interdit de dédramatiser, de rassurer, de reconstruire.

En effet, il faut pouvoir aider le patient à évacuer les fantasmes destructifs qu’il prête à sa maladie et sa thérapeutique.

Conclusion :

L’attente d’objectivation du trouble par le patient fonde le médecin comme ingénieur du corps.

Cependant, la maladie n’est pas réductible à sa seule définition biomédicale et le médecin ne peut se satisfaire de n’incarner qu’un technicien du corps.

Montrer de la sincérité, de l’honnêteté, de l’humanité à travers les mots et les gestes fait partie de la compétence relationnelle du médecin.

La prise en charge psychologique en matière de réhabilitation maxillofaciale demande aux acteurs de cette prise en charge une disponibilité intellectuelle, une capacité d’écoute et d’adaptation.

Chaque patient est unique, il exprime de manière unique ses souffrances et ses attentes.

La démarche vise à considérer la singularité d’une personne, d’une situation, de refuser de l’inscrire dans des généralités, afin de satisfaire au mieux les grands principes de l’éthique médicale.

Cette prise en charge psychologique est le fait d’une équipe pluridisciplinaire dont l’action s’articule autour de l’intervention médicale à chaque moment de l’histoire médicale du patient.

Son objectif majeur est de rechercher avant tout la meilleure qualité de vie pour les patients.

En bout de course de la réhabilitation maxillofaciale, la prothèse maxillofaciale apparaît, au-delà de ses rôles esthétiques et fonctionnels, comme une prolongation du travail psychothérapeutique mené tout au long de la prise en charge.

La réhabilitation se présente elle-même comme une véritable prise en charge psychologique et conduit à évoquer la notion de « prothèse psychothérapique ».

La prothèse maxillofaciale est une réelle plaque tournante au sein de l’équipe thérapeutique.

Elle s’inclut dans une prise en charge médicale globale où la dimension humaine est au centre des priorités de chacun.

  Envoyer par mail Envoyer cette page à un ami  Imprimer Imprimer cette page

Nombre d'affichage de la page 770

loading...

Copyright 2018 © MedixDz.com - Encyclopédie médicale Medix