Néoformation conjonctivoélastique de forme triangulaire à sommet
cornéen située dans l’aire de la fente palpébrale et préférentiellement
dans le secteur nasal, le ptérygion est une entité anatomoclinique
connue, décrite et traitée depuis l’Antiquité.
Étymologiquement, le
terme ptérygion vient du grec pterux (pseqtf) qui signifie aile.
Il est
signalé pour la première fois dans le papyrus d’Ebers trouvé à
Thèbes et on le retrouve étudié successivement par Hippocrate,
Celse et Galien.
Au fil des siècles, une somme considérable de
travaux a été consacrée à son étiopathogénie, sa clinique, son
anatomopathologie et sa thérapeutique.
Le rôle des facteurs extrinsèques est essentiel, en particulier celui
des radiations ultraviolettes.
Cliniquement, il se caractérise par une évolution imprévisible,
progressive et envahissante, qui menace à terme le centre cornéen et
par conséquent l’acuité visuelle.
Sa gravité tient essentiellement à sa
tendance à récidiver et de nombreux traitements tant médicaux que
chirurgicaux ont été imaginés et décrits afin de limiter cette récidive.
Étiologie. Pathogénie
:
A - THÉORIES PATHOGÉNIQUES :
La pathogénie du ptérygion primaire cherche à expliquer le rôle des
agents irritatifs et sa localisation préférentielle nasale par de
nombreuses théories.
1- Théorie inflammatoire et mutation génétique :
Elle privilégie principalement un processus inflammatoire sous
l’action des ultraviolets.
L’exposition aux radiations solaires est en effet le facteur commun rencontré dans toutes les zones d’endémie ptérygiale ; les radiations ultraviolettes (entre 2 900 et 3 200 μm) sont
la cause essentielle des microtraumatismes responsables des lésions
cornéoconjonctivales.
Ce facteur explique pourquoi les
régions tropicales et subtropicales, situées approximativement entre
0° et 30° de latitude nord et sud, comportent les pourcentages les
plus élevés de sujets atteints.
Depuis peu, il est admis que certains gènes suppresseurs tumoraux
(gène p53 situé sur le bras court du chromosome 7, perte de
l’hétérozygotie en 9p et 17q) sont sensibles à ces radiations et que la
modification qui en résulte peut jouer un rôle dans la pathogénie du ptérygion.
Ces anomalies pourraient également
constituer un facteur prédictif de récidives postopératoires.
D’autres facteurs ont un rôle plus secondaire :
– la poussière : le ptérygion s’observe dans les régions
empoussiérées et est favorisé par les irritations de la surface
oculaire ;
– le vent : il s’agirait d’un facteur peu déterminant car de
nombreux ptérygions sont observés en Indonésie, pays peu balayé
par les vents ;
– la chaleur et la sécheresse : ce sont des facteurs importants
favorisant l’évaporation des larmes.
Cependant, des travaux ont
montré que l’on observe également des pourcentages élevés de ptérygion dans des zones très humides.
Ces différents facteurs expliquent que certaines professions soient
plus exposées à la survenue du ptérygion que d’autres :
– ouvriers du feu (chauffeurs, soudeurs, verriers).
Le ptérygion
observé au cours de l’exercice de ces professions est considéré
comme une maladie professionnelle (n° 71 bis) ;
– agriculteurs et marins ;
– ouvriers exposés aux poussières et aux fines projections (carriers,
maçons).
2- Théorie virale :
Elle a été évoquée en raison de l’allure épidémique du ptérygion
dans certaines régions du globe, mais aucune analyse virale n’a
jamais confirmé cette hypothèse.
3- Théorie tumorale
:
Pour Ombran et Kammel, le ptérygion correspondrait à la
prolifération de fibres élastiques conjonctivales, alors que Redslob y
verrait plutôt un fibrome conjonctival.
Aucun argument histologique
ne permet cependant de soutenir cette hypothèse.
4- Théorie musculaire :
Le ptérygion serait la conséquence d’une réaction dégénérative en
regard du tendon du muscle droit médial.
L’absence d’argument
histologique fait rejeter cette hypothèse.
5- Théorie pinguéculaire :
Elle s’appuie sur la fréquence de l’association ou de la préexistence
de la pinguécula et fut soutenue par Richter dès 1804 puis par
Fuchs en 1892 qui relevaient des similitudes histologiques entre
pinguécula et ptérygion. Plus récemment, les travaux de Hogan et
Alvarado et de Lemercier et Cornand ont confirmé cette similitude.
6- Théorie neurotrophique :
Des lésions nerveuses intracornéennes provoquées par l’agression
chronique de l’aire palpébrale seraient à l’origine de fines ulcérations
limbiques trophiques atones et indolores, entraînant une réaction
conjonctivale qui aboutirait ainsi à un recouvrement conjonctival
cornéen spontané.
7- Théorie immunologique :
Elle repose sur l’existence d’un processus d’autosensibilisation de la
conjonctive vis-à-vis de ses propres constituants.
8- Théorie biochimique :
Elle s’appuie sur l’existence d’une déficience en proline ou, à
l’opposé, d’un excès de glycosaminoglycans, de protéoglycans ou
de glycoprotéines muqueuses.
La signification exacte de ces
différentes anomalies biochimiques reste méconnue.
Dans des études récentes, il a été montré que le mucus du ptérygion est anormal et que l’anomalie des mucines, qui en sont le
principal constituant, semble être en rapport avec une anomalie des
fucosyltransférases ou de la présence de fucosidase.
De plus, le gène STGal III est moins exprimé dans le ptérygion que
dans la conjonctive normale et ceci pourrait expliquer la diminution
d’expression du sialyl Lea en immunohistologie.
9- Théorie des maladies du tissu élastique :
Elle est basée sur l’existence d’anomalies anatomopathologiques du
tissu élastique à type d’élastodystrophie et d’élastodysplasie.
10- Théorie génétique :
Elle repose sur l’existence d’antécédents héréditaires dans 30 % des
cas.
Cependant, ce chiffre est fortement biaisé par le fait que ces
familles vivent dans un environnement géographique et socioéconomique
prédisposant, exposant aux microtraumatismes et
surtout au rayonnement solaire.
B - CONCEPTION PATHOGÉNIQUE ACTUELLE :
PATHOLOGIE LIÉE À L’IRRÉGULARITÉ
DE LA SURFACE OCULAIRE
1- Rappel physiologique sur le film lacrymal et son rôle
dans la trophicité cornéoconjonctivale :
Le film lacrymal est constitué de trois couches : une couche
superficielle lipidique de 0,1 nm d’épaisseur, sécrétée par les glandes
débouchant au niveau de la marge palpébrale ; une couche
intermédiaire aqueuse d’environ 7 nm d’épaisseur sécrétée par les
glandes lacrymales ; une couche de mucus profonde dont l’épaisseur
varie de 0,8 à 1,4 mm, riche en mucines, sécrétée par les cellules
calciformes présentes au sein de l’épithélium conjonctival.
Les
mucines sont des glycoprotéines de haut poids moléculaire qui
permettent la rétention et la bonne tenue de la couche aqueuse du
film lacrymal en transformant la surface hydrophobe de la cornée et
de la conjonctive en une surface hydrophile.
Le mucus est en
relation avec la membrane cytoplasmique apicale des cellules
superficielles par l’intermédiaire de la glycolyse.
Le film lacrymal
agit par des propriétés physicochimiques et immunologiques.
Grâce
au clignement, il va drainer et éliminer les micro-organismes, les
corps étrangers et les cellules épithéliales desquamées.
Au rôle mécanique du film lacrymal s’ajoutent l’intervention du pH
et de ses variations, ainsi que celle de la température et de
l’osmolarité des larmes.
Celles-ci, par la présence de lactoferrine, de
lysozyme et d’immunoglobulines participent aux moyens de défense
non spécifiques de la cornée.
Le complexe mucus lacrymal, cellules
glycoprotéines et glycolipides des membranes plasmatiques
épithéliales conditionne la qualité de la surface cornéenne.
En l’absence de film lacrymal, la surface épithéliale est hydrophobe
et les larmes, au lieu de s’étaler, se déposent en goutte. La mucine,
en diminuant la tension superficielle, permet à la composante
aqueuse de s’étaler et de maintenir le film lacrymal stable entre
chaque clignement.
Les expansions apicales des cellules
superficielles, en augmentant la surface d’adhésion du film lacrymal
et de son ancrage, concourent à une meilleure stabilité de celui-ci et
à une plus grande absorption des métabolites apportés par les
larmes.
Ainsi, le film lacrymal intervient dans le renouvellement de
l’épithélium cornéen au niveau métabolique, par une action sur les
phénomènes de prolifération cellulaire et en favorisant certains
processus de maturation et de différenciation épithéliales.
2- Arguments histologiques (dellen)
:
Les « dellen », zones de sécheresse localisée de la cornée,
apparaissent par destruction de la couche lipidique entraînant un
accroissement de l’évaporation.
Les dellen vont générer une réponse
cicatricielle avec prolifération et progression des tissus conjonctivaux
inflammatoires à partir du limbe.
3- Schéma physiopathologique du ptérygion :
Pour le ptérygion primaire, la théorie de l’irrégularité du film
lacrymal à l’origine d’une sécheresse cornéoconjonctivale localisée,
proposée initialement par Lemoine et Vallois en 1933, puis reprise
par Barraquer, est actuellement la plus communément admise.
De
plus, il a été récemment montré que les caractéristiques du mucus
du ptérygion et de la conjonctive diffèrent.
Le mucus anormal du ptérygion et l’anomalie des mucines mise en évidence par
immunomarquage semblent être en rapport avec une anomalie des
fucosyltransférases ou avec la présence de fucosidase.
Ces
anomalies peuvent être à l’origine de la formation ptérygiale ou être
le reflet d’une pathologie préexistante au sein des cellules de la
surface oculaire.
Ce film lacrymal anormal va générer une réponse conjonctivale
cicatricielle avec prolifération et progression de tissus conjonctivaux
inflammatoires vers le centre de la cornée.
D’après des études
récentes, la prolifération cellulaire, l’inflammation, la modification
du tissu conjonctival et l’angiogenèse semblent être liées à l’action
des cytokines et des facteurs de croissance (fibroblast growth factor, platelet derived growth factor, transforming growth factor et tumor
necrosis factor-alpha) dont certains seraient produits par les
fibroblastes.
Sur le plan chirurgical, ceci justifierait la nécessité
d’une ablation aussi complète que possible de tout le tissu fibreux
afin d’éviter la récidive.
L’évolution vers le centre de la cornée s’interrompt spontanément
lorsque la surface du ptérygion devient tangente à la courbure
cornéenne et rétablit la continuité du film lacrymal.
La pathogénie du ptérygion récidivant trouve son origine au niveau
d’un tissu de granulation apparu sur l’aire de dénudation
cornéosclérale en raison de la discontinuité du film lacrymal à la
jonction cornéolimbique qui en résulte.
Le même mécanisme de
rupture du profil cornéolimbique après greffe conjonctivale ou
kératoplastie lamellaire en lunule constitue vraisemblablement le
primum movens de la récidive puisque, a contrario, les techniques
visant à rétablir une surface oculaire dépourvue d’irrégularités
apparaissent plus efficaces (kératoplastie lamellaire « à cheval sur le
limbe »).
La cascade des événements étiopathogéniques et anatomopathologiques
menant à la constitution d’un ptérygion, puis
entretenant son évolution et sa récidive, peut être schématisée.
C - DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES :
1- Répartition géographique
:
La fréquence du ptérygion
est accrue dans les régions équatoriales (prévalence 22,5 %) pour
diminuer à près de 2 % au-delà du 40e degré.
Il atteint préférentiellement le sujet de sexe masculin de plus de
20 ans.
2- Ptérygion : facteur de malvoyance
Dans l’évolution spontanée de la maladie, le déficit visuel lié à
l’occlusion cornéenne de l’aire visuelle est rare sous nos climats.
Il
est plus fréquent dans les pays d’endémie et dans l’évolution du ptérygion malin mais reste difficile à évaluer quantitativement.
Anatomie pathologique
:
En 1954, Hervouet réalise l’étude histologique du ptérygion et
décrit l’image caractéristique en « doigt de gant » en réalisant une
étude de coupes sériées de deux ptérygions.
La lésion princeps est
une ulcération chronique cornéoconjonctivale qui sera comblée par la
conjonctive, réalisant le bourrelet caractéristique du ptérygion initial.
Au stade suivant, la migration conjonctivale sous-épithéliale se
poursuit par poussées en écartant comme un coin l’épithélium
cornéen et la membrane de Bowman.
Hervouet explique l’évolutivité du ptérygion par la formation des
îlots de Fuchs en avant de son extrémité cornéenne.
L’oedème
cornéen entourant cette tête engendre une perméabilité de la
membrane de Bowman et favorise la migration des kératoblastes, à
l’origine de la zone de progression et des îlots de Fuchs.
Microscopiquement, de la superficie à la profondeur, on trouve
successivement :
– l’épithélium conjonctival ;
– le stroma ptérygial ;
– le « doigt de gant » épithélial.
L’épithélium conjonctival, d’épaisseur et de surface anarchiques, est
un épithélium cylindrique hautement indifférencié, multistratifié
avec des villosités.
Il existe en de nombreux points une
dégénérescence isolée des cellules superficielles, ainsi que de
profondes invaginations.
Cet épithélium est en continuité avec
l’épithélium cornéen et les capillaires y sont rares.
Le stroma est constitué d’un tissu conjonctival néoformé fortement
éosinophile dont les fibres sont nombreuses, épaisses et plus ou
moins parallèles à la surface.
Les cellules fusiformes aplaties, à
noyaux allongés, ont des prolongements protoplasmiques fins et
courts.
On y retrouve aussi des fibres élastiques et une néovascularisation importante.
Le stroma est très compact et est à
l’origine de la boucle de progression visible au biomicroscope.
Le « doigt de gant » épithélial à charnière limbique est formé par les
deux épithéliums qui se réfléchissent l’un sur l’autre à partir du
bourrelet.
Ils sont séparés par un espace virtuel.
Le « doigt de gant »
est rarement retrouvé dans son intégralité.
À la longue, les replis de
l’épithélium inclus dégénèrent, donnant un aspect pseudoglandulaire
puis fibreux.
Il existe peu de différence du point de vue histologique entre les ptérygions stationnaires et les ptérygions évolutifs ou récidivants.
Ils ont en commun :
– des fibres collagènes dégénérées abondantes ;
– une néovascularisation très développée ;
– des modifications de l’épithélium : métaplasies glandulaires ou
kystiques.
Hogan et Alvarado ont montré, en microscopie électronique, des
zones hyalinisées fortement éosinophiles correspondant à du
collagène dégénéré, ainsi que des fibres élastoïdes correspondant à
une dégénérescence du collagène.
D’après Seifert, il semble également que le tissu de soutien périvasculaire des capillaires intraépithéliaux puisse jouer un rôle
dans le développement et la migration des fibroblastes.
Cette
dernière se fait à travers des orifices de la membrane basale
épithéliale pour rejoindre l’espace intercellulaire.
Il est vraisemblable
que les fibres de collagène anormal de l’espace intercellulaire
épithélial sont issues de ces fibroblastes et contribuent à la
dédifférenciation anormale de l’épithélium conjonctival.
De même,
le développement de capillaires au sein de l’épithélium du ptérygion
peut être secondaire à l’hypoxie ou à une carence métabolique
d’origine sanguine.
Étude clinique
:
A - CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE
:
Le ptérygion survient généralement chez l’homme adulte
professionnellement exposé.
La découverte du ptérygion peut être soit fortuite lors d’un examen
ophtalmologique de routine, soit réalisée suite à l’existence de signes
d’appels :
– fonctionnels : baisse d’acuité visuelle liée à un astigmatisme ou à
un envahissement de la zone centrale de la cornée, diplopie par
traction conjonctivale limitant l’abduction du globe oculaire,
augmentation du volume du corps du ptérygion en relation avec
une transformation kystique ou une hémorragie.
Il convient également de noter des anomalies de certains tests
d’exploration du film lacrymal en rapport avec des altérations du
mucus : le break-up time est en effet significativement réduit chez les
sujets présentant un ptérygion alors que le test de Schirmer 1 est
normal.
De même, le schéma de cristallisation du mucus présente
des anomalies significatives.
B - PTÉRYGION PRIMAIRE
:
Trois composantes forment le ptérygion.
1- Tête
:
Arrondie et de contours plus ou moins réguliers, très adhérente à la
cornée et non mobilisable, elle progresse vers l’aire pupillaire. Elle
est responsable de la baisse d’acuité visuelle par l’astigmatisme
induit et/ou par l’envahissement du centre de la cornée.
2- Col
:
Il correspond à la partie limbique du ptérygion, entre la base
bulbaire et le sommet cornéen.
Il adhère fortement au limbe et forme
un repli dans lequel une spatule ne peut être engagée d’un bord à
l’autre (signe de la sonde).
3- Corps :
Il est large et adhérent à la conjonctive, mais mobile et non adhérent
par rapport aux plans profonds.
C’est un tissu fibreux dense et
solide.
Il s’étend en éventail du limbe au repli semi-lunaire et à la
caroncule dans les formes sévères.
C - CRITÈRES D’ÉVOLUTIVITÉ :
Alors que certains ptérygions sont quiescents, d’autres vont évoluer
et progresser vers le centre de la cornée.
Il est cliniquement essentiel
de distinguer ces deux types de ptérygions qui relèvent de deux
conduites à tenir différentes.
1- Critères biomicroscopiques :
*
État de la vascularisation
:
Une vascularisation abondante est un caractère d’évolutivité, la
direction des vaisseaux étant globalement perpendiculaire à celle des
vaisseaux conjonctivaux.
Ceux-ci convergent vers la tête et sont plus
volumineux que les habituels capillaires conjonctivaux.
Au niveau
de la tête, la terminaison des capillaires en forme d’anse se limite au ptérygion, sans jamais déborder sur la cornée saine.
* Zone progressive de Fuchs
:
Elle correspond à une opacification cornéenne sous-épithéliale
blanchâtre ou grisâtre aux contours imprécis, située en avant de la
tête du ptérygion.
Occupant généralement toute la hauteur de la
tête, un peu en avant et parallèlement à elle, elle représente un
facteur évolutif important.
* Îlots de Fuchs
:
Il s’agit d’opacifications en forme d’îlots profonds, sous-épithéliaux,
situés en avant de la zone de progression.
Souvent colorés par la
fluorescéine, ils témoignent de la fragilité épithéliale qu’ils
engendrent en regard et constituent également un critère
d’évolutivité.
2- Critères réfractionnels :
La baisse de l’acuité visuelle peut être en relation avec l’apparition
d’un astigmatisme s’accentuant lors de l’évolution du ptérygion,
dont il résulte une traction qui aplatit la cornée dans le sens
horizontal et diminue la courbure du méridien horizontal.
L’astigmatisme conforme à la règle induit par le ptérygion a fait
l’objet de nombreux travaux.
Il apparaît ainsi qu’une lésion
s’étendant sur plus de 45 % de la longueur du méridien horizontal
ou à moins de 3,2 mm de l’axe visuel augmente le degré
d’astigmatisme induit.
La surveillance de la déformation cornéenne par la mesure régulière
des courbures cornéennes ou mieux par kératotopographie
numérisée, représente un excellent moyen de juger de l’évolutivité
d’un ptérygion.
3- Critères millimétriques
:
La surveillance des mensurations du ptérygion représente un
élément important pour juger du degré d’évolutivité de celui-ci.
En
règle générale, il évolue avec une extrême lenteur et met plusieurs
mois ou années à progresser de 1 mm.
Il est commode de surveiller l’évolution millimétrique selon les deux
paramètres définis par la hauteur au limbe d’une part, la sécante au
limbe d’autre part.
La prise régulière (tous les 6 mois) de clichés
facilite cette surveillance.
D - FORMES ÉVOLUTIVES :
1- Forme stationnaire
:
Elle correspond à un ptérygion non évolutif, au corps mince, aux
vaisseaux peu nombreux, sans îlots de Fuchs, sans atteinte
épithéliale, sans signes d’appel.
2- Forme évolutive :
Elle est associée à des signes fonctionnels tels que picotements,
larmoiement, épisodes de rougeur oculaire.
Anatomiquement, le
corps charnu est parcouru par de nombreux vaisseaux.
La zone de
Fuchs est large et précédée de nombreux îlots de Fuchs altérant
l’épithélium cornéen.
Une modification progressive de la courbure
cornéenne est observée de contrôle en contrôle.
3- Formes « maligne » et/ou récidivante :
Il s’agit d’un ptérygion ayant une extension rapide vers le centre de
la cornée avec un corps très charnu et vascularisé.
L’évolution se
produit dans un contexte inflammatoire marqué et permanent.
Il est
plus fréquent dans les pays tropicaux ou lors des récidives
postopératoires.
La dégénérescence maligne ou l’association à une tumeur maligne
du limbe sclérocornéen est rarissime.
Des cas de transformation
maligne en épithélioma spinocellulaire développé à partir de
l’épithélium de revêtement ont été rapportés.
E - FORMES SYMPTOMATIQUES :
– Forme membraneuse : la plus fréquente en Europe.
– Forme pseudotumorale : ptérygion rouge, saillant et très
vascularisé.
Il prédomine dans les pays tropicaux.
– Forme hémorragique où le ptérygion est déplissé par une
hémorragie.
– Forme variqueuse : importante dilatation vasculaire.
– Forme kystique avec présence de kystes séreux.
– Forme adipeuse.
F - FORMES TOPOGRAPHIQUES :
La plupart des ptérygions observés se situent dans le secteur nasal
de la conjonctive bulbaire.
Il existe cependant des ptérygions à
double localisation, nasale et temporale, voire de rarissimes
ptérygions quadruples.
Certains ptérygions s’étendent en dedans
jusqu’à la caroncule, notamment dans les formes récidivantes qui
peuvent contracter des adhérences très solides avec le tendon
d’insertion scléral du droit médial ; une limitation de l’adduction
peut être observée avec diplopie.
D’autres ont un développement
limbique particulièrement étendu.
Les formes récidivantes les plus graves développent des symblépharons.
G - FORMES COMPLIQUÉES :
Elles surviennent au cours de l’évolution du ptérygion et
correspondent le plus souvent à des signes d’évolutivité.
Elles
regroupent les infections conjonctivales secondaires, fréquentes dans
les pays tropicaux, la diplopie par traction conjonctivale limitant
l’abduction, l’hémorragie intraptérygiale, l’astigmatisme par
aplatissement de la cornée dans le méridien correspondant à la
direction du ptérygion (en règle générale, astigmatisme conforme à
la règle), l’occlusion de l’aire visuelle et la dégénérescence maligne
(tumeur épithéliomateuse ou mélanique) ou l’association à une tumeur maligne.
Diagnostic différentiel :
A - PTÉRYGOÏDE :
Elle a toujours une étiologie (ulcère, brûlure, traumatisme), siège
en n’importe quel secteur de la surface oculaire, a une forme
irrégulière, n’adhère pas au plan profond sauf au niveau de sa tête
et ne présente ni zone progressive, ni îlots de Fuchs. Sa
constitution est rapide, limitée dans le temps et dans l’espace
comme tout processus de réparation et de cicatrisation.
B - TUMEUR DU LIMBE :
1- Dermoépithéliome de Parinaud :
Il s’agit d’une tumeur nævique de siège limbique où s’associent au
tissu nævique des cellules à mucus qui forment des kystes
translucides ou jaunâtres, bien visibles au biomicroscope.
De couleur
typiquement saumonée, elle est en principe séparée du limbe par
un espace sain.
2- Épithélioma de Bowen ou épithélioma in situ :
Il correspond à une prolifération maligne de l’épithélium
conjonctival sous forme de petites élevures d’aspect gélatineux
siégeant en n’importe quel point de la conjonctive.
La vascularisation en arcades capillaires est évocatrice.
3- Kyste dermoïde :
Il se présente comme une masse compacte, opaque, enchâssée dans
le limbe et bombante.
Non évolutif, il peut porter des cils.
Il doit
faire rechercher l’existence d’un syndrome de Goldenhar
(appendices préauriculaires, fistule orale, dysostose mandibulaire...).
4- Lymphome conjonctival :
Il apparaît comme une masse rose, grenue, siégeant sous la
conjonctive, en général à distance du limbe, infiltrant avec
prédilection les culs-de-sac conjonctivaux.
5- Pannus hypertrophique
:
Entrant dans le cadre d’une limbite chronique de nature
habituellement allergique, il siège surtout au niveau du limbe
supérieur.
6- Pemphigus
:
Il peut se manifester par des brides conjonctivales qui prédominent
en général dans les culs-de-sac conjonctivaux inférieurs.
Traitement
:
L’objectif du traitement idéal est de restituer, après ablation de la
néoformation, un profil cornéoscléral indemne de toute rupture de
continuité afin de diminuer au maximum le risque de récidive.
Le
recours à un tissu de remplacement au niveau de la zone d’exérèse
est fréquemment nécessaire.
A - MÉDICAL :
1-
Antiseptiques
:
Les collyres les plus divers ont été proposés.
Ils sont utiles en pré- et
postopératoire pour lutter contre les surinfections.
2- Corticoïdes et anti-inflammatoires non stéroïdiens
:
Adjuvants intéressants lors du traitement postopératoire, ils n’ont
jamais permis la régression d’un ptérygion.
Ils diminuent les
phénomènes inflammatoires et la formation des néovaisseaux.
Ce
traitement postopératoire doit être précoce, intense, dégressif mais
prolongé.
In vitro, un antiallergique, le tranilast, réduirait de manière
significative la prolifération des fibroblastes issus des ptérygions et
pourrait éventuellement éviter la récidive ou le développement du
ptérygion in vivo.
3- Antimitotiques :
* Thiotépat (triéthylène thiophosphoramide)
:
Il s’agit d’un antimitotique du groupe des alkylants, généralement
utilisé à la concentration de 1/2000 et dilué dans une solution de
Ringer.
La posologie habituellement préconisée et débutée 48 heures
après l’intervention est de quatre à huit instillations quotidiennes
pendant 6 à 8 semaines.
Cette médication agit au niveau des néovaisseaux récents en les inhibant.
Lorsque le suivi postopératoire et la posologie sont correctement
assurés, les résultats sont satisfaisants puisque le taux de récidive
est inférieur à 8 %.
Si tel n’est pas le cas, comme bien souvent en
milieu endémique, les récidives peuvent atteindre le taux
rédhibitoire de 28 %.
Les effets indésirables (irritations conjonctivales dans 20 % des cas,
dépôts noirâtres dans les culs-de-sac conjonctivaux, dépigmentation
localisée des paupières favorisée par l’exposition postopératoire aux
ultraviolets, allergies palpébroconjonctivales) ne mettent jamais en
cause la vitalité du globe oculaire.
Ce produit n’est pas commercialisé sous forme de collyre et ne peut
être délivré en France que par les pharmaciens des hôpitaux.
Sa
préparation nécessite en conséquence l’exécution d’une ordonnance
magistrale dans le respect des règles rigoureuses et sévères du
marquage de la communauté européenne.
Cette contrainte, à
laquelle s’ajoute l’obligation de renouveler l’opération tous les
7 jours en raison d’une altération rapide du produit en collyre, a
conduit à un abandon quasi généralisé de ce protocole
thérapeutique.
* Mitomycine C
:
Ce produit a fait l’objet de nombreux essais dont les résultats sont
intéressants.
Antibiotique à propriété antimitotique, il prévient la
revascularisation de la zone de dénudation sclérale en inhibant la
prolifération capillaire.
Réservé aux ptérygions à fort risque de
récidive, il est utilisé à la dose de 0,02 à 0,04 % en une application
peropératoire de 3 à 5 minutes sur la surface sclérale dénudée de la
zone d’excision, suivie d’un rinçage abondant au sérum
physiologique.
Le taux de récidive rapporté dans la littérature varie
de 5 à 21%.
En raison de ses effets secondaires parfois très sévères (atteinte
cornéenne, iritis, scléromalacie, voire nécrose sclérale pouvant aller
jusqu’à la perforation, cataracte, hypertonie), ce produit doit être
manié avec précaution et ne doit pas être utilisé en traitement
postopératoire topique qui exige, comme le thiotépa, la fabrication
d’un collyre en officine.
4- Prophylaxie :
Le traitement médical ne saurait être complet sans une prophylaxie
du ptérygion qui repose sur le port de verres teintés et filtrants pour
éliminer les rayons ultraviolets, de lunettes à protection latérale pour
protéger l’oeil des microtraumatismes et sur le reclassement
professionnel pour les métiers à risque (travail en atmosphère
agressive, exposition prolongée à de fortes chaleurs, ambiance
lumineuse intense).
B - PHYSIQUE :
1- Cryothérapie
:
Elle semble sans action sur le ptérygion et en particulier sur les
formes récidivantes, vraisemblablement en raison de la résistance
au froid du tissu conjonctif et des gros vaisseaux.
Elle est en pratique
abandonnée.
2- Laser argon :
Il peut être utilisé pour occlure les vaisseaux, soit au stade préchirurgical pour s’opposer à l’évolution centripète du ptérygion,
soit après le traitement chirurgical pour assécher toute
néovascularisation résiduelle ou récidivante.
Caldwell et Boyd
proposent la réalisation de quatre lignes d’impacts parallèles au
limbe par des spots d’une durée de 0,1 seconde et de 0,2 à 0,3 watt
de puissance en une à trois séances.
3- Laser Excimer :
Après excision chirurgicale du ptérygion et mise à nu de la sclère,
un polissage de la cornée est réalisé au laser.
Le taux de récidive est
cependant élevé, de l’ordre de 20 % la première année.
L’intérêt de
cette technique reste à confirmer par des études statistiquement
significatives.
Il en est de même pour le laser Er:Yag.
4- Bêtathérapie :
Elle est utilisée comme traitement adjuvant en postopératoire.
Il
s’agit d’une radiation ionisante modifiant le noyau et le cytoplasme
des cellules préférentiellement immatures telles que celles qui se
développent rapidement après chirurgie ; la réduction de l’index
mitotique favorise l’occlusion des néovaisseaux et arrête la
prolifération fibroblastique propres à la cicatrisation.
Le ptérygion
présente un ratio alpha/bêta élevé, et par conséquent peu de cellules
survivent après l’irradiation dont la dose nécessaire est moins
élevée.
L’émetteur bêta le plus sûr et le plus utilisé est le strontium
90, mais le ruthenium a également été utilisé.
La dose
généralement préconisée est de 1 200 à 2 000 rads, soit en une dose
administrée en fin d’intervention, soit en trois séances séparées de
1 semaine.
Ce traitement, généralement associé à une résection
simple du ptérygion (à « sclère nue »), n’est pas dénué de
complications : granulome, diplopie, cataracte, oedème de cornée,
ulcération, voire nécrose sclérale, atteinte cornéenne, endophtalmie...
Le taux de récidive rapporté dans la littérature varie de 1,7 à 33 %.
5- Autres types de radiothérapie :
D’autres modes de radiothérapie ont été utilisés avec une préférence
pour la radiothérapie de contact ou plésiothérapie préconisée à titre
prophylactique systématique dans les ptérygions d’allure très
évolutive et dans les ptérygions récidivants multiopérés ou pour
stopper l’évolution d’une poussée vasculaire annonçant une
récidive.
Cependant, cette technique n’est plus utilisée en raison de
nombreux effets secondaires indésirables.
C - CHIRURGICAL :
Ce traitement seul permet d’espérer la guérison du ptérygion.
Déjà
Aetius, au Ve siècle, proposait une thérapeutique chirurgicale de la
maladie, et Daviel débuta sa carrière de chirurgien ophtalmologiste
le 24 septembre 1735 par l’exérèse d’un quadruple ptérygion.
Depuis le XVIIIe siècle, une multitude de travaux consacrés à la
thérapeutique chirurgicale a vu le jour.
Les moyens modernes de la
microchirurgie sont indispensables et une centaine de protocoles
opératoires ont été décrits pour éviter la complication majeure de la
chirurgie du ptérygion : la récidive.
L’anesthésie générale n’est pas
indispensable, excepté dans certaines techniques de kératoplastie.
1- Principes
:
Le génie évolutif du ptérygion est à l’origine de récidives après
traitement chirurgical, qu’aucune technique n’est encore parvenue à
prévenir totalement.
Outre cet élément fondamental qui tient à la nature propre de la
néoformation et aux multiples facteurs de son mécanisme
physiopathologique, il existe des causes d’échec et de récidive
évitables, car elles procèdent d’un certain nombre d’imperfections
techniques commises lors de la mise en oeuvre du protocole
chirurgical ou après.
Il nous paraît essentiel d’insister sur le respect des principes de base
qui doivent présider au traitement chirurgical du ptérygion, quelle
que soit la technique utilisée :
– l’exérèse du ptérygion a pour objectif d’éliminer tout le tissu
ptérygial, mais aussi de restituer à la surface oculaire un profil
anatomiquement conforme, c’est-à-dire lisse et dépourvu
d’irrégularités ;
– il faut ainsi proscrire les techniques qui sectionnent grossièrement
la tête du ptérygion au ras de la cornée, qui découvrent largement
le tendon d’insertion sclérale du droit médial, qui laissent une
surface cornéolimbique cruantée, hémorragique et irrégulière.
Il faut privilégier, à l’opposé, les techniques microchirurgicales :
– qui réalisent l’ablation de la tête du ptérygion par une
kératectomie lamellaire intéressant tout le tissu néoformé ;
– qui évitent au limbe une exérèse « en marche d’escalier » pour
obtenir, au contraire, une transition cornéo-limbo-sclérale à pente
douce ;
– qui conduisent à exciser le corps et la base du ptérygion en
totalité, tout en respectant, en regard du tendon d’insertion
sclérale du droit médial, non seulement l’aponévrose musculaire,
mais aussi la capsule de Tenon.
En effet, s’il apparaît essentiel d’exciser en bloc conjonctive et
capsule de Tenon en regard du territoire scléral périlimbique sur
une largeur maximale de 5 mm, il est tout aussi important de laisser
persister la capsule de Tenon plus en périphérie et de ne procéder
qu’à l’excision conjonctivale.
La mise à nu des fibres musculaires
par une excision trop généreuse de la partie de la capsule de Tenon
présente des risques de réaction fibroblastique source de récidive
et/ou de symblépharon.
La conservation d’un plan ténonien à ce
niveau est, à l’inverse, compatible avec une réponse conjonctivale
physiologique et évite souvent la mise en place de points de suture
de rapprochement qui peuvent être source d’inflammation, de
tensions tissulaires et de récidives :
– l’hémostase du plan d’excision doit tout à la fois être rigoureuse
et minimale, de manière à éviter les reliquats hématiques et les
scories, sources d’inflammation et de récidive.
L’utilisation d’une
pointe diathermique est préférable à celle, moins souple, d’un
thermocautère ;
– ces sutures sont destinées à rapprocher les tissus sans exercer de
tensions inutiles.
Il est tout à fait possible de suturer bord à bord
conjonctive et capsule de Tenon lorsque la perte conjonctivale
dépasse les possibilités de greffe ; le fil de suture ne doit
pas induire de réaction inflammatoire indésirable.
On choisit en
conséquence pour la conjonctive un fil résorbable aussi fin que
possible (8/0) ;
– la reconstitution de la surface oculaire a pour objectif d’aboutir à
la restauration d’un profil cornéo-limbo-conjonctival normal.
Les ruptures de niveau doivent être évitées, en particulier au limbe, car
elles sont source d’irrégularités du film lacrymal à l’origine de
récidives.
L’utilisation de greffons cornéens lamellaires est particulièrement
adaptée à cet objectif.
2- Protocoles :
* Excision simple
:
Elle intéresse la totalité du ptérygion et associe une kératectomie
lamellaire à l’exérèse du corps de la néoformation jusqu’à sa base.
La zone de dénudation sclérale doit être minutieusement scarifiée
pour assurer l’ablation la plus complète du tissu ptérygial.
Les
berges conjonctivales peuvent être laissées telles quelles si l’excision
n’est pas très importante, ou suturées de manière à réduire la zone
de dénudation sclérale.
La région limbique voisine de la
kératectomie est laissée libre sur 2 mm au moins.
Le taux important de récidive, supérieur à 60 % pour les formes
primaires, supérieur à 80 % et voisin de 100 % pour les formes
récidivées, la condamne formellement bien qu’elle représente
encore une technique largement utilisée en raison de sa simplicité,
de sa rapidité et d’un risque iatrogène immédiat minimal.
Elle peut encore constituer une option thérapeutique intéressante
lorsque l’on lui associe un traitement complémentaire de la surface
sclérale (radiothérapie, antimitotiques).
Des complications postopératoires exceptionnelles communes à
toutes ces techniques ont été rapportées : dissémination intrasclérale
d’une sclérite infectieuse essentiellement à Pseudomonas aeruginosa, ischémie du segment antérieur, maculopathie par
phototraumatisme.
* Excision et déviation
:
Cette technique repose sur le principe que l’évolution du ptérygion
est inévitable et qu’il suffit de lui donner une direction de
développement extracornéen pour qu’il soit sans danger.
Desmarres
fut le promoteur de la méthode en 1855, puis Mac Reynolds, Knapp
et Blaskovicks s’en inspirèrent.
Son avantage est d’être simple,
rapide et applicable à tous les types de ptérygions.
Ses deux
inconvénients majeurs sont un taux de récidive élevé (environ 25 %)
et un aspect fortement inesthétique et invalidant en raison du
bourrelet conjonctival saillant et inflammatoire correspondant à
l’enfouissement de la tête du ptérygion dans une bourse
conjonctivale.
* Excision avec ménagement d’une zone de sclère nue
:
Cette technique, très souvent citée dans la littérature anglo-saxonne,
consiste à réaliser l’exérèse du ptérygion en pratiquant une
kératectomie lamellaire qui entraîne avec elle la tête du ptérygion,
suivie de la résection du corps ptérygial.
Schématiquement, quatre
principes techniques ont été rapportés : l’excision avec ménagement
d’une zone de sclère nue, l’excision avec rapprochement conjonctival
simple, l’excision avec glissement conjonctival pédiculé et les
techniques d’Hervouet de translation de lambeaux conjonctivaux.
Les avantages de cette dernière technique sont la déviation
vasculaire et le comblement de la perte de substance conjonctivale
par la rotation des lambeaux.
L’inconvénient de cette méthode est
de ne pas tenir compte de la perte de substance cornéenne.
* Excision et autogreffe conjonctivale
:
Elles étaient autrefois réalisées à partir de muqueuse buccale, mais
leur inconvénient majeur d’ordre esthétique (rougeur, saillie) les a
fait abandonner.
Récemment, cette technique a été limitée à une
partie de l’épaisseur de la muqueuse buccale.
Indiquée en
présence de cicatrices conjonctivales, de récurrences très actives
associées à une limitation de la motilité oculaire et à un symblépharon, elle peut être associée à une bêtathérapie.
Ses
résultats semblent encourageants.
On préfère actuellement la conjonctive du même oeil ou de l’oeil adelphe, selon la technique princeps de Kenyon décrite en 1985.
Le greffon conjonctival est communément prélevé sur le même oeil
au niveau bulbaire temporosupérieur.
Ses dimensions doivent être
surdimensionnées (20 à 30 %) par rapport à la surface d’excision
conjonctivale, de manière à permettre une suture bord à bord sans
tension et à compenser les phénomènes de rétraction tissulaire.
Le
prélèvement est exclusivement conjonctival, facilité par une
infiltration sous-conjonctivale préalable au sérum physiologique ou
au produit anesthésique.
La capsule de Tenon est respectée et permet
une repousse conjonctivale anatomique sans sutures.
Le lambeau conjonctival est positionné verticalement ; il s’oppose à
l’horizontalité de la vascularisation conjonctivale et respecte un
espace paralimbique libre sur 2 mm.
Il est essentiel d’éviter toute
tension tissulaire, mais aussi une trop grande abondance de tissu
formant des plis.
Il est fréquent d’être confronté à une perte de
substance conjonctivale de surface supérieure à celle du lambeau de
transposition, notamment en regard de l’insertion du droit médial.
Cette difficulté peut facilement être contournée par une suture bord
à bord conjonctivoténonienne, qui permet une reconstitution
conjonctivale sans récidive.
Des complications ont été rapportées : oedème du greffon, dellen
cornéoscléral, kyste d’inclusion épithélial et plus rarement
astigmatisme cornéen, granulome de la capsule de Tenon, rétraction
et/ou nécrose du greffon et désinsertion musculaire.
Peyresblanques a décrit une variante technique appelée
« homogreffe par lambeau pédiculé » au cours de laquelle le greffon
conjonctival reste attaché par l’un des quatre côtés.
Récemment, une technique de rotation conjonctivale à 180° du corps
du ptérygion a été rapportée lorsqu’il n’est pas souhaitable ou
possible de prélever la conjonctive supérieure.
Le taux de récidive de ces techniques d’autogreffe conjonctivale est
contrasté ; il varie entre 2,6 et 39 % selon les auteurs,
l’expérience du chirurgien et la nature primaire ou récidivante
du ptérygion.
* Excision et autoconjonctivokératoplastie
:
Il s’agit d’une autogreffe cornéoconjonctivale après prélèvement du
greffon sur l’oeil atteint ou sur l’oeil adelphe.
Cette technique, déjà
préconisée en 1916 par Magitot puis développée plus récemment
par Rivaud, est adaptée aux ptérygions récidivants lorsqu’il y
a impossibilité d’obtenir des greffons cornéens.
Technique
microchirurgicale, elle a l’avantage de substituer aux tissus altérés
un greffon de surface régulière, prélevé en bloc ou en deux pièces cornéenne et conjonctivale.
Elle présente quelques inconvénients
puisqu’elle n’est compatible qu’avec de petites excisions, au risque
sinon d’induire un astigmatisme postopératoire.
La périphérie
cornéenne supérieure doit être saine.
* Excision et kératoplastie lamellaire
:
Magitot, en 1916, a été le premier à recommander l’homogreffe
de cornée dans le traitement du ptérygion tandis que Pearlman,
Castroviejo, Laughrea, Arensten et Flament codifiaient
plus récemment la réalisation d’une kératoplastie.
Cette technique
présente l’avantage de restaurer l’intégrité de la cornée en
rétablissant son épaisseur anatomique et en remplaçant un tissu
dystrophique par un tissu sain de même structure à membrane de
Bowman intacte.
Pour Barraquer, cette greffe s’oppose à toute
nouvelle progression conjonctivale.
Selon la situation centrale ou périphérique et la forme du greffon,
plusieurs techniques ont été décrites sous le terme générique de
« kératoplasties atypiques ».
+ Greffes périphériques circulaires, en lunule
ou en segment de rondelle
:
Elles sont de réalisation manuelle délicate et n’évitent pas la
« marche d’escalier » au niveau du limbe.
+ Greffe lamellaire circulaire large décentrée
:
De 9 à 10mm de diamètre, elle est de dissection délicate, génératrice
d’astigmatisme en raison du décalage par rapport au centre de la
cornée.
Elle ne déborde pas du limbe et y crée une « marche
d’escalier ».
+ Greffe lamellaire à ailette
:
Elle peut être centrée et taillée de manière à recouvrir la sclère.
Son
inconvénient principal est d’exiger une découpe manuelle qui
introduit des irrégularités et des tractions au niveau des angles de
raccordement.
+ Technique du greffon « à cheval sur le limbe »
:
Elle doit être préférée aux précédentes.
Elle conserve l’intégralité du
greffon circulaire, n’exige aucune découpe manuelle et permet de
restaurer d’un seul tenant la zone de kératectomie lamellaire et la
zone contiguë de sclérectomie lamellaire. Le profil cornéoscléral
anatomique est restitué sans décrochement.
Il est essentiel que la
partie périphérique du greffon cornéen, destinée à couvrir la zone
de dissection sclérale juxtalimbique, soit logée très précisément dans
un lit scléral récepteur au même titre que la partie centrale dans son
lit cornéen.
La dissection sclérale du tissu ptérygial doit en
conséquence ménager un rebord scléral périphérique sur lequel
vient s’appuyer le bord du greffon cornéen sans produire
d’irrégularité en marche d’escalier.
Les sutures par points séparés à
noeuds enfouis sont placées de manière à étaler le greffon cornéen
en le plaquant sur la surface d’excision sans tension excessive ni
laxité.
Dans cette technique, la reconstruction du tissu conjonctival ne
nécessite aucune transplantation conjonctivale complémentaire.
Elle
est réalisée par la repousse conjonctivale à partir des bords de
l’excision qui, en règle générale, est stoppée par le bord périphérique
du greffon cornéen.
Elle forme plus rarement un léger voile
vasculaire à sa surface jusqu’au limbe.
+ Technique en « patchwork »
:
Elle est dérivée de la précédente et adaptée aux ptérygions étendus.
Elle nécessite deux à quatre greffons cornéens lamellaires juxtaposés,
suturés les uns aux autres selon trois types de stratégies
topographiques :
– association de deux ou trois greffons lamellaires cornéoscléraux
lorsque les limites limbiques du ptérygion sont
particulièrement étendues et couvrent un arc supérieur à 90°.
Il est
ainsi possible de suivre au plus près la limite centrale de
l’envahissement cornéen par une découpe festonnée grâce à la
juxtaposition et à la superposition des kératectomies circulaires au
trépan ;
– association d’un greffon lamellaire central et d’un greffon
lamellaire cornéoscléral lorsque le ptérygion intéresse la
zone cornéenne dans l’aire pupillaire ;
– association des deux stratégies lorsque l’étendue du ptérygion le
nécessite.
Le raccord d’un greffon central à un greffon périphérique est obtenu
par découpe arciforme du greffon périphérique, celui des greffons
périphériques entre eux par résection linéaire de leur
chevauchement selon la corde tracée à partir des deux intersections.
La suture est assurée par des points séparés au monofilament 10/0
enfoui.
Cette technique, qui ne souffre aucune imperfection, est
grande consommatrice de temps, et surtout de greffons cornéens
frais et trouve là les limites de son application.
+ Incidents et complications
:
Les incidents opératoires des kératoplasties lamellaires se résument
à l’ouverture accidentelle de la chambre antérieure lors de la
trépanation ou lors du clivage.
Lié à une imperfection de la pratique,
ce type de complication est évité par une dissection
microchirurgicale rigoureuse et attentive du plan profond du ptérygion.
Les complications précoces sont de deux types : les déplacements
du greffon par défaut de suture et l’infection.
Les complications
secondaires, du huitième jour au premier mois, regroupent
essentiellement la réaction de rejet et la vascularisation.
Enfin, les
complications tardives, qui sont en fait les séquelles, associent les
séquelles conjonctivales (persistance de plis horizontaux, teinte plus
rosée, rétraction conjonctivale) et cornéennes anatomiques (greffon
trouble, dystrophie, cicatrice ptérygoïde) et fonctionnelles à type
d’astigmatisme.
La fréquence et la gravité de toutes ces
complications et séquelles peuvent être très significativement
réduites par une technique microchirurgicale précise, et aussi par
un suivi postopératoire attentif et prolongé.
Le résultat est alors
excellent, mène à la reconstitution d’une surface oculaire normale et
justifie les efforts consentis.
Bien qu’elle implique des moyens importants, une technique de
réalisation délicate et longue, qu’elle pose le problème du donneur
et exige une surveillance postopératoire très attentive, la
kératoplastie lamellaire, par la qualité de ses résultats, reste la
technique de choix du traitement chirurgical du ptérygion.
* Autogreffe de cellules souches limbiques
:
La déficience sectorielle en cellules souches limbiques intervenant
dans le schéma physiopathologique complexe du ptérygion, il est
logique qu’une technique de traitement soit basée sur la greffe
limbique censée compenser ce déficit cellulaire.
L’exérèse du ptérygion est en conséquence associée à une transposition autologue
du limbe prélevé sur le même oeil ou l’oeil adelphe.
De conception récente, les premiers résultats de cette méthode
semblent encourageants, le taux de récidive ne dépassant pas 10 %.
Elle trouve actuellement ses limites dans l’étendue de la surface
d’excision à couvrir, les dimensions du transplant étant limitées par
le risque d’affaiblir le limbe au niveau du prélèvement.
La culture
de cellules souches limbiques constitue, de ce point de vue, une voie
de recherche essentielle.
* Ptérygion et membrane amniotique
:
La greffe de membrane amniotique, qui fournit à la cornée malade
un support vital propre à favoriser la régénération de l’épithélium
cornéen à partir des cellules souches limbiques, est une technique
en cours d’évaluation pour traiter les syndromes de déficience
limbique.
Les premiers résultats, appliqués aux séquelles de
brûlure chimique puis aux ptérygions, sont intéressants.
3- Résultats :
Il a été démontré que 97 % des récidives après excision surviennent
au cours de la première année et principalement au cours du
premier trimestre postopératoire.
Les taux de récidive varient
considérablement selon la définition clinique de la récidive, le
traitement considéré et les données de la littérature.
4- Indications :
Même si les techniques chirurgicales associant à l’exérèse des
procédés de remplacement tissulaire apparaissent statistiquement les
plus efficaces, il n’en demeure pas moins que le traitement
chirurgical idéal du ptérygion n’existe pas à ce jour et que les
récidives constituent toujours une menace réelle.
Les indications
thérapeutiques doivent en conséquence être posées avec
circonspection et adaptées à chacun en particulier.
* Ptérygion quiescent
:
En l’absence de signes d’évolutivité (majoration des signes
fonctionnels, modification de l’astigmatisme, augmentation de la
vascularisation, progression rapide du ptérygion comportant des
îlots de Fuchs) ou de complications (diplopie, envahissement de
l’aire pupillaire), l’abstention thérapeutique est de règle, sous réserve que soit proposée et assurée une surveillance bisannuelle de l’acuité
visuelle, de la kératométrie et des mensurations du ptérygion.
* Ptérygion évolutif
:
À l’opposé, en présence de signes inflammatoires récidivants de la
surface oculaire et d’éléments objectifs attestant la progression
centripète du ptérygion, l’expectative n’est pas de mise.
Il est alors
indiqué d’intervenir rapidement pour éviter les répercussions
fonctionnelles par l’envahissement du centre cornéen.
– Si un greffon cornéen est disponible, l’excision suivie d’une
kératoplastie lamellaire « à cheval sur le limbe » sans reconstruction
du plan conjonctival est préconisée en raison de ses résultats
anatomiques, fonctionnels et esthétiques.
Elle exige un suivi
postopératoire régulier et prolongé.
– Sinon, l’excision associée à une autogreffe conjonctivale ou à une autoconjonctivokératoplastie est la technique de référence.
La greffe
de limbe trouve ici vraisemblablement l’une de ses meilleures
indications.
* Ptérygion malin/récidivant
:
L’excision large suivie d’une kératoplastie lamellaire cornéosclérale
« à cheval sur le limbe » associant un ou plusieurs greffons
juxtaposés selon une disposition en « patchwork », éventuellement
complétée par une kératoplastie lamellaire centrale doit être
recommandée.
Elle est malheureusement rarement réalisable en raison des
contraintes réglementaires de prélèvement, de ses difficultés
techniques exigeant une parfaite maîtrise de la microchirurgie de la
surface oculaire, et de la nécessité d’assurer des soins et un suivi
postopératoires prolongés.
Elle est en conséquence peu adaptée aux
conditions d’exercice en zone d’endémie.
On retient donc plus fréquemment les techniques d’excision
associées au traitement de la surface oculaire par un antimitotique
ou à une transplantation conjonctivale.
Aspect médicolégal
:
Dans certaines circonstances particulières, le ptérygion est reconnu
comme maladie professionnelle classée n°71 bis de la nomenclature
officielle.
Sont concernés les travaux exposant au rayonnement
thermique associé aux poussières dans les ateliers de verrerie
travaillant le verre à la main : surveillance de la marche des fours à
verre d’une part et cueillette, soufflage, façonnage à chaud du verre
d’autre part.