Prévention de la rupture des varices oesophagiennes Cours d'Hépatologie
Introduction - facteurs pronostiques
:
Les varices oesophagiennes sont des dilatations veineuses de la sousmuqueuse
se répartissant en quatre cordons sur la circonférence
oesophagienne.
L’endoscopie reste l’examen de référence en
matière de diagnostic, même si l’échoendoscopie serait à même de
mettre en évidence plus précocement les dilatations veineuses sousmuqueuses.
Les classifications proposées sont nombreuses et
visent en fait à faire intervenir un élément pronostique, à savoir un
risque statistiquement élevé d’observer une rupture, autrement dit
un seuil à partir duquel un traitement préventif est hautement
souhaitable.
La classification la plus simple différencie trois stades :
le stade 1, varices de petite taille s’effaçant à l’insufflation, dont la
reconnaissance n’est pas toujours aisée ; le stade 2, varices non
confluentes, de plus de 5 mm de diamètre, ne s’effaçant pas à
l’insufflation ; le stade 3, où les varices sont volumineuses et
confluentes.
D’autres classifications plus complexes font intervenir l’aspect de la
muqueuse oesophagienne comme la présence de macules rouge
cerise, de zébrures ou de tubérosités, voire associent un élément
supplémentaire, la sévérité de l’atteinte hépatique appréciée par le
score de Child-Pugh.
Elles offrent indiscutablement une meilleure
prédiction du risque hémorragique, mais, peu utilisées dans les
études thérapeutiques comparatives, elles perdent leur intérêt
pratique dans la quête déjà difficile d’un large consensus en matière
de stratégie de prévention.
L’autre facette est purement hémodynamique, mais les méthodes employées sont loin d’être
disponibles de façon courante.
Les varices oesophagiennes et par-là
le risque hémorragique, n’apparaissent pas lorsque le gradient de
pression veineuse sus-hépatique est inférieur à 12 mmHg : ce
seuil de pression a servi ultérieurement à l’établissement des normes
d’efficacité des médicaments.
D’autres auteurs ont proposé
la mesure de la pression variqueuse par des moyens non invasifs,
comme la capsule posée sur la varice en cours d’endoscopie
(système Varipress, Labotron, Barcelone, Espagne) ; en combinant la
pression variqueuse et le score de Niec, on obtient ainsi un modèle
sensible de prédiction du risque hémorragique.
En termes d’histoire naturelle, le lecteur peut se reporter à trois
revues de la littérature.
En résumé, 60 % des malades avec cirrhose ont un risque de
développer des varices oesophagiennes ; dans un cas sur trois, une
hémorragie digestive par rupture de varice survient dans l’année
qui suit le diagnostic de cirrhose, le risque hémorragique décroissant
avec le temps ; ces hémorragies représentent la deuxième cause de
mortalité au cours de la cirrhose et sont responsables de 25 % des
décès à 5 ans.
Il est intéressant de noter que le pronostic vital de la
rupture de varice a été significativement amélioré depuis les années
1980, en associant médicaments vasoactifs et hémostase
endoscopique en urgence et la prévention de l’infection par
antibioprophylaxie.
Chez le patient ayant survécu au premier
épisode hémorragique, le risque de récidive hémorragique varie
entre 47 et 84 % pour un suivi moyen de 1 à 2 ans, avec une
mortalité correspondante de 20 à 70 %, valeurs observées dans le
groupe contrôle, non traité, des essais randomisés.
Le risque de
récidive hémorragique est majeur dans les 6 premières semaines qui
suivent l’épisode hémorragique.
Les traitements préventifs ont
cependant une influence limitée sur la survie.
En effet, la sévérité de
la maladie hépatique a une forte valeur pronostique péjorative.
Le
score de Child-Pugh est le plus utilisé dans les essais thérapeutiques.
S’il n’est pas idéal, la séparation des patients en trois classes A, B et C permet cependant de se faire aisément une idée du pronostic à
long terme : les patients de classe C ont le risque le plus élevé de
récidive hémorragique et de décès, d’autant plus qu’ils poursuivent
leur intoxication alcoolique.
La transplantation hépatique n’est
pas abordée dans ce chapitre, car elle n’est pas utilisée à proprement
parler dans le but de prévenir la rupture, mais c’est prioritairement
dans ce groupe de patients Child-Pugh C qu’elle doit être envisagée.
Prévention primaire
:
La prévention de la première rupture de varice oesophagienne, ou
prévention primaire, peut faire appel aux médicaments ou à
l’obturation endoscopique des varices.
Il n’y a actuellement aucune
indication à l’utilisation du TIPS, ou au recours à une chirurgie de
dérivation portocave (réduction de la survie et risque élevé
d’encéphalopathie hépatique chronique).
La prévention primaire
ne s’adresse qu’aux patients ayant des varices de stade 2 ou 3, le
stade 1 ayant un risque hémorragique trop faible.
A - MÉDICAMENTS
:
La cirrhose est responsable d’une augmentation des résistances
vasculaires intrahépatiques, phénomène complexe faisant intervenir,
outre des facteurs anatomiques (nodules de régénération), une
production en excès de cytokines et d’endothéline 1, sans oublier
l’effet vasoconstricteur de l’alcool sur la microcirculation
hépatique, avec comme conséquence l’augmentation de la
pression portale, la vasodilatation splanchnique et le développement
de la circulation collatérale dont les varices oesophagiennes.
Cette circulation collatérale permet à des substances vasodilatatrices
(glucagon, entre autres), d’échapper au métabolisme hépatique.
Le syndrome hyperkinétique se met en place très précocement et se
traduit par une augmentation du débit cardiaque, du débit
splanchnique et une baisse des résistances vasculaires systémiques.
La vasodilatation splanchnique est médiée par de nombreux
facteurs, au premier rang desquels apparaît le monoxyde d’azote
(NO), dont la synthèse endothéliale est augmentée par les forces de
cisaillement (shear stress des Anglo-Saxons), les endotoxines et
certaines cytokines.
Le but des médicaments est de combattre
ce syndrome hyperkinétique soit en réduisant le débit cardiaque et
splanchnique et en augmentant les résistances vasculaires
systémiques (bêtabloquants non sélectifs), soit en réduisant les
résistances vasculaires intrahépatiques (dérivés nitrés).
On
comprend dès lors que ces deux types de médicaments puissent
avoir un effet additif.
Une troisième voie serait une inhibition alpha-1-adrénergique, afin de diminuer les résistances vasculaires intrahépatiques.
Cet effet alphabloquant peut agir en synergie
avec l’effet bêtabloquant et est à l’origine de nouvelles propositions
thérapeutiques. L’inconvénient majeur des dérivés nitrés et des
alphabloquants est l’aggravation de la baisse des résistances
vasculaires systémiques, avec pour effet secondaire une aggravation
de l’hypotension artérielle, source d’intolérance clinique. Par
ailleurs, certains auteurs émettent des réserves sur le risque de
rétention hydrosodée.
1- Bêtabloquants
:
Ils réduisent le débit sanguin splanchnique en induisant une
vasoconstriction splanchnique et une réduction du débit cardiaque.
Un travail récent suggère que, chez l’animal, le propranolol réduirait
les forces de cisaillement splanchnique et systémique et ainsi la
production endothéliale de NO.
Les bêtabloquants non sélectifs
(propranolol et nadolol) doivent être utilisés de façon préférentielle,
car ils ont une meilleure efficacité sur la pression portale, la pression
variqueuse et le débit sanguin azygos, reflet du débit sanguin
variqueux.
La première étude a été publiée en 1987 :
230 malades avaient été randomisés entre placebo et propranolol.
À
2 ans, 74 % des malades traités étaient indemnes d’hémorragie
contre 39 % dans le groupe placebo.
Cette différence statistiquement
significative était associée à une réduction elle aussi significative de la survie (51 versus 72 %), mais l’hémorragie représentait moins de
la moitié des causes de décès.
Depuis cette étude, une revue récente
de la littérature mentionne dix essais randomisés avec
comparaison à un placebo, huit utilisant le propranolol et deux le
nadolol.
Une méta-analyse regroupant neuf d’entre eux confirme la
réduction significative du risque hémorragique de 33 à 18 % en
moyenne et le bénéfice en termes de survie approchait la limite de
significativité.
En fait, un seul de ces neuf essais montrait une
amélioration de la survie.
En regroupant les résultats détaillés de
quatre de ces études, les bêtabloquants réduisaient le taux de décès
liés à l’hémorragie de 8 %, sans modifier la survie globale.
Des
effets secondaires, en règle mineurs, étaient signalés dans moins de
15 % des cas.
Ce traitement ne doit pas être interrompu brutalement
au risque de provoquer la survenue d’une hémorragie.
En pratique, avec les bêtabloquants, l’objectif est de réduire de 25 %
la fréquence cardiaque.
Cependant, cette méthode simple de suivi
ne permet pas de prédire l’absence d’effet du bêtabloquant sur la
pression portale.
Le mieux serait d’utiliser un contrôle
hémodynamique.
En effet, une protection efficace est obtenue si le
gradient de pression hépatique est inférieur à 12 mmHg, ou si la
réduction du gradient est d’au moins 20 % par rapport à la valeur
initiale.
Cependant, ces critères d’efficacité ne peuvent être
obtenus dans une proportion non négligeable de cirrhotiques,
qualifiés de non répondeurs, même si, chez certains d’entre eux, la
pression variqueuse est réduite.
D’autres auteurs ont constaté
qu’en fait, seul le seuil de 12 mmHg aurait valeur de protection,
mais moins de 10 % des malades atteignent ce score et le risque
hémorragique ne disparaît que s’ils sont aussi abstinents.
Le but
principal des associations médicamenteuses ou des nouveaux
médicaments est donc de potentialiser l’effet du propranolol sur la
pression portale, afin de réduire la proportion de sujets non
répondeurs.
2- Dérivés nitrés
:
Seuls les dérivés nitrés peuvent réduire le gradient de pression
hépatique, la pression veineuse portale et la pression intravariqueuse, encore que certains auteurs aient infirmé ces
résultats.
En 1993, Angelico et al montraient qu’au terme de
2 ans de suivi, le mononitrate d’isoborbide était aussi efficace et
mieux toléré que le propranolol ; mais, en prolongeant le suivi, le
bénéfice s’est inversé : outre les problèmes de mauvaise observance
(40 %) dans le groupe dérivé nitré, l’arrêt du traitement est en fait
plus précoce, la tendance hémorragique plus élevée et si la survie
actuarielle est comparable (42 versus 53 % avec le propranolol), le
nombre de décès par insuffisance hépatocellulaire est plus grand.
En revanche, en associant le propranolol au mononitrate
d’isoborbide, on obtient une réduction plus marquée du gradient de
pression hépatique.
La seule étude randomisée publiée à ce jour
ayant associé le nadolol au mononitrate d’isoborbide a montré, par
rapport au nadolol seul, un gain significatif en termes de réduction
du risque hémorragique (7,5 versus 18 %), mais le bénéfice en termes
de survie n’était pas significatif.
D’autres études ne sont
disponibles que sous forme de résumé.
La plus importante, ayant
inclus 349 malades dans un essai en double aveugle, ne montrait
pas de gain en termes hémorragiques, ni de majoration du risque
rénal ou ascitique.
L’effet secondaire principal du dérivé nitré est
représenté par les céphalées.
Les effets secondaires motivent l’arrêt
du traitement dans près de 10 % des cas.
Malgré quelques
divergences, il semble que la tolérance hémodynamique et rénale
à long terme de l’association bêtabloquants-dérivés nitrés soit bonne.
3- Médicaments d’avenir
:
Pour l’instant, seules les études hémodynamiques sont disponibles
et les meilleures molécules devront être sélectionnées pour les
études cliniques, à condition que leurs effets secondaires soient au
préalable bien évalués et si possible peu nombreux.
De nombreuses
molécules répondent à l’appel et notamment les associations alphabêtabloquants, en évitant toutefois une trop forte
réduction des résistances vasculaires systémiques ou les inhibiteurs
des récepteurs de l’angiotensine II.
B - SCLÉROSE ENDOSCOPIQUE
:
La sclérose endoscopique des varices oesophagiennes est en fait une
méthode très ancienne, utilisée initialement avec des
oesophagoscopes rigides.
La technique comporte quelques
variantes, selon le type d’injection (sous-muqueuse,
paravariqueuse ou directement intravariqueuse) et le produit.
En
France seuls deux produits sont couramment utilisés, le polidocanol
ou une colle biologique (Histoacrylt, la thrombine n’étant pas
conseillée du fait de son coût et de son origine bovine).
L’éradication
des varices est obtenue par la répétition hebdomadaire des séances,
mais une surveillance biannuelle, voire annuelle, est nécessaire, car
les varices peuvent réapparaître à long terme (jusqu’à 70 % des cas
1 an après l’éradication, et surtout chez les malades non
abstinents).
L’efficacité et la fréquence des complications sont liées
à la méthode utilisée et surtout à la quantité de produit injecté, mais
aussi à l’expérience de l’opérateur.
De nombreuses complications ont
été rapportées, qui ne peuvent être toutes décrites ici.
Elles peuvent
aller du simple incident (fièvre, douleurs thoraciques transitoires,
ulcères du bas oesophage) à de véritables complications plus sévères
(ulcère hémorragique, hématome, perforation et sténose
oesophagiennes, pleuropéricardites, bactériémies et septicémies pour
les plus fréquentes).
Probablement plus efficace que le polidocanol, la colle biologique comporte cependant un risque
important et onéreux d’obturer le canal d’aspiration de l’endoscope
et a des complications propres : thrombose veineuse, embolies
cérébrales ou pulmonaires ; c’est la raison pour laquelle ce
produit est utilisé seulement par des opérateurs entraînés, plutôt en
urgence pour le traitement des varices gastriques.
Le risque
infectieux nécessite une antibioprophylaxie uniquement lorsque la
sclérose est faite en urgence.
La mortalité de ces techniques est
probablement faible, puisque les décès n’ont été signalés que de
façon anecdotique, mais jamais dans le suivi des études prospectives
ou comparatives.
L’efficacité de la sclérose endoscopique a été bien démontrée
initialement pour la prévention de la récidive hémorragique, mais
ce n’est à l’évidence pas le cas pour la prévention primaire. Une
revue récente de la littérature fait état de 21 essais cliniques
randomisés effectués : les méta-analyses montrent une réduction
significative du taux d’hémorragies (odds ratio : 0,58 ; intervalle de
confiance [IC] 95 % : 0,47-0,72) et de la mortalité (odds ratio : 0,76 ;
IC 95 % : 0,62-0,94) surtout chez les malades à haut risque.
Cependant, le taux de complications élevé (chez les malades à faible
risque surtout), l’hétérogénéité importante des résultats (et des
méthodes employées : le polidocanol serait le moins toxique) et le
fait que dans une de ces études, l’essai ait dû être interrompu
précocement en raison d’un accroissement de la mortalité dans le
groupe traité par sclérose, n’incitent pas les experts à se
prononcer en faveur de l’utilisation en routine de cette technique
pour la prévention primaire.
Les études comparant sclérose et propranolol ou leur association sont encore trop rares.
C - LIGATURE ÉLASTIQUE
:
Cette méthode est dérivée, comme la précédente, du traitement
ancien utilisé pour les hémorroïdes.
Un cylindre est disposé à
l’extrémité de l’endoscope sur lequel sont enfilés de un à huit
élastiques, pouvant être largués au pied de la varice après aspiration
de celle-ci dans le cylindre.
Cette méthode est d’apprentissage aisé,
bien que l’introduction de l’endoscope soit plus difficile pour le
patient, du fait de la présence de ce cylindre.
Initialement, un overtube facilitait l’introduction répétée de l’endoscope, mais ce tube
rigide a été responsable de quelques cas de perforation
oesophagienne.
La commercialisation de dispositifs à élastiques
multiples a permis de renoncer à l’overtube, mais certains endoscopistes suggèrent l’utilisation d’une sédation, voire d’une
anesthésie générale.
Le grand avantage de la ligature par rapport à
la sclérose est la réduction des complications, l’absence de sténose
oesophagienne et surtout la réduction du nombre de séances
nécessaires à l’éradication des varices.
Cependant, les varices de
petite taille sont difficilement accessibles à cette technique et
requièrent des injections sclérosantes complémentaires.
Il est aussi
possible que la récidive des varices soit plus importante et plus
précoce avec la ligature
Dans trois essais randomisés publiés, dont un sous forme de
résumé, chez des patients à haut risque, la ligature réduisait le
risque hémorragique (8 % versus 32 à 40 % dans le groupe non
traité) avec une réduction de près de 20 % de la mortalité dans deux
de ces trois essais.
Un essai randomisé incluant 89 malades ayant
des varices de grande taille et au moins un signe rouge a montré la
supériorité de la ligature sur le propranolol en termes de probabilité
cumulative de survenue d’une hémorragie à 18 mois (15 versus
43 %, p = 0,04).
D - EN PRATIQUE, QUELLE STRATÉGIE ADOPTER ?
En termes de stratégie coût-efficacité, une étude effectuée aux États-Unis a montré que le propranolol apportait un bénéfice
significatif tant au plan économique qu’en termes de qualité de vie,
ce qui n’était pas le cas de la sclérose endoscopique et encore moins
du shunt chirurgical.
Les recommandations du Club francophone
pour l’étude de l’hypertension portale d’octobre 1998 suggèrent
l’utilisation d’un bêtabloquant en première intention (propranolol
LP 160 mg/j ou nadolol 80 mg/j).
Chez les malades à haut risque
(grosses varices oesophagiennes et signes rouges) et/ou ayant une
contre-indication au traitement médicamenteux (sous réserve de
prudence en cas d’insuffisance hépatique sévère et en tenant compte
de la myocardiopathie latente), la ligature endoscopique peut être
envisagée.
Concernant les dérivés nitrés, les experts sont à peu près
d’accord pour les utiliser en cas de contre-indication ou d’effets
secondaires des bêtabloquants sauf en cas de cirrhose décompensée.
Les essais futurs doivent essayer de confirmer l’efficacité et la
tolérance de la ligature élastique à long terme, surtout par rapport
aux médicaments.
L’association bêtabloquant-dérivé nitré reste
d’efficacité controversée.
Prévention secondaire
:
La prévention de la récidive hémorragique, ou prévention
secondaire, fait appel aux méthodes précédentes, auxquelles il faut
adjoindre les TIPS et la chirurgie de dérivation.
Certaines méthodes
ont été complètement abandonnées, comme l’embolisation des
varices par voie transjugulaire ou transcutanée.
En fait, le but était
d’obturer les vaisseaux collatéraux nourriciers des varices
oesophagiennes, mais la technique était loin d’être aisée et ces
vaisseaux se réperméabilisaient à moyen terme. Les clips
endoscopiques ont été proposés, mais aucune étude comparative
sérieuse n’a encore été publiée.
Plus récemment, des anses à polypectomie détachables (miniloop ou endoloop) ont été utilisées
chez quelques malades, aussi bien pour les varices
oesophagiennes que gastriques, mais il semble que la technique ne
soit pas aussi aisée que la ligature élastique et nécessite la présence
d’un aide expérimenté.
Si la prévention secondaire s’adresse à tous
les patients ayant survécu au premier épisode hémorragique, il reste
à définir à partir de quel moment on quitte la période aiguë pour
entrer dans la phase de prévention proprement dite.
Le traitement préventif doit être débuté le plus tôt possible, dès que
le patient est considéré comme stable, c’est-à-dire soit après la
ligature ou la sclérose endoscopique, théoriquement faite en urgence
ou en semi-urgence, soit à partir du cinquième jour environ pour les
médicaments de type bêtabloquants-dérivés nitrés.
Certains auteurs
ont suggéré que le traitement vasoactif mis en route initialement
pourrait être poursuivi au-delà des 5 jours recommandés, en
utilisant l’octréotide par voie sous-cutanée à dose réduite (50 à
100 íg 3 fois par jour sur 15 à 30 jours).
Les résultats des études
comparatives sont contradictoires et il est encore trop tôt pour
une utilisation en routine.
Un biais important relatif au risque de
récidive précoce ne pourra être évité ; il est lié principalement à
l’importance de l’hémorragie initiale, à l’habileté de
l’endoscopiste, la ligature étant pour certains très efficace et à
l’utilisation éventuelle concomitante d’un bêtabloquant.
Cette idée
reste d’actualité avec le développement des dérivés retards de la
somatostatine ne nécessitant qu’une à deux injections
intramusculaires mensuelles.
A - MÉDICAMENTS
:
Les médicaments utilisés sont ceux évoqués pour la prévention
primaire.
1- Bêtabloquants
:
Depuis l’essai princeps de Lebrec et al, de nombreuses métaanalyses
ont été publiées, la dernière en date de Bernard et al
remontant à 1997.
Cette méta-analyse regroupe 12 essais
randomisés.
Après un suivi moyen de 21 ± 5 mois, le propranolol
accroît significativement le pourcentage de malades indemnes de
récidive de 21 % (IC 95 % : 10-32 %, p < 0,001), la survie globale de
5,4 % (IC 95 % : 0-11 %, p < 0,05), et le pourcentage de malades
indemnes de décès liés à l’hémorragie de 7,4 % (IC 95 % : 2-13 %,
p < 0,01).
Il faut cependant admettre certaines réserves : outre le
pourcentage important de malades hémodynamiquement non
répondeurs évoqué plus haut, le stade de gravité des malades inclus
dans ces études était modéré (peu étant classés Child-Pugh C) et
15 à 30 % des malades ont une contre-indication ou une intolérance
au propranolol.
2- Dérivés nitrés
:
Une étude a comparé l’association propranolol-mononitrate
d’isoborbide au propranolol seul : 95 malades ont été randomisés avec un suivi
médian de 29 mois.
Le taux actuariel de récidive
hémorragique était réduit de 11 % à 2 ans dans le groupe recevant l’association mais de façon non significative, sans modification de la
survie et au prix d’un pourcentage plus élevé d’effets secondaires
(35 versus 18 %).
À l’inverse, une étude de taille similaire, disponible
sous forme de résumé, montre une aggravation du risque
hémorragique et de la mortalité.
Cette association
médicamenteuse devrait pour l’instant n’être utilisée que dans le
cadre d’essais thérapeutiques.
SCLÉROSE ENDOSCOPIQUE
Dans la méta-analyse de D’Amico et al, huit essais étaient
regroupés, totalisant 1 111 malades.
La sclérose réduit
significativement le risque de récidive hémorragique (odds ratio
0,63 ; IC 95 % : 0,49-0,79) et la mortalité (odds ratio 0,77 ; IC 95 % :
0,61-0,98).
Deux méta-analyses ont étudié les essais cliniques
ayant comparé la sclérose et les bêtabloquants : la sclérose apparaît
plus efficace que le médicament pour prévenir la rupture de varice
oesophagienne, aussi efficace pour prévenir l’hémorragie digestive
quelle que soit sa cause et aussi efficace en termes de mortalité, mais
au prix de complications plus fréquentes.
B -
LIGATURE ÉLASTIQUE :
La ligature étant d’introduction récente, il n’était pas éthique de ne
pas proposer un traitement efficace dans le groupe contrôle.
Il est
apparu, dès les premiers essais, que la ligature était plus efficace
que la sclérose pour prévenir la récidive hémorragique et réduisait
le taux de complications et le nombre de séances nécessaires à
l’éradication des varices.
Le risque de récidive des varices après
éradication est cependant probablement plus élevé.
L’amélioration de la survie n’est devenue significative qu’en incluant
les essais les plus récents.
L’association sclérose-ligature est moins
efficace que la ligature seule, tant en termes de prévention
hémorragique que de mortalité, peut-être en raison de
complications plus fréquentes.
En revanche, les varices de petite
taille sont difficilement accessibles à la ligature et bien souvent on
aura recours à la sclérose pour terminer l’éradication.
De même, la
sclérose semble efficace pour prévenir la récidive des varices après
éradication par la ligature.
C - TRAITEMENTS MÉDICAMENTEUX
OU ENDOSCOPIQUES COMBINÉS :
L’association bêtabloquant et sclérose semble apporter un bénéfice
significatif en termes de récidive hémorragique globale et de
survie, mais ce bénéfice n’est apparu que dans la méta-analyse la
plus récente, incluant des études contradictoires. Une seule étude
publiée a montré des résultats particulièrement favorables de
l’association nadolol-dérivés nitrés sur la sclérose seule :
86 malades on été inclus dans l’étude, et au terme de 2 années de
suivi, la probabilité actuarielle d’être indemne de récidive
hémorragique était réduite de près de 20 %, quelle que soit la classe
de Child-Pugh, avec une réduction de la fréquence des
complications mais une survie identique.
De façon très préliminaire,
l’association bêtabloquant-dérivés nitrés pourrait être supérieure à
la ligature.
D - TRANSJUGULAR PORTO-SYSTEMIC « SHUNTING »
:
Le TIPS est une prothèse métallique expansive introduite par voie
transjugulaire établissant une communication entre la veine porte et
la veine sus-hépatique droite, préalablement dilatée par angioplastie.
Il ne paraît pas raisonnable, à l’heure actuelle, d’utiliser le TIPS en
première intention, mais seulement en cas d’échec des méthodes
précédentes.
Les complications précoces de cette méthode sont rares
et la mortalité à 1 mois varie de 3 à 13%dans les études publiées.
L’inconvénient majeur est le développement d’une hyperplasie de
la néo-intima qui recouvre la face endoluminale de la prothèse dès
la troisième semaine et conduit à la sténose dans près de 60 % des
cas à 1 an et 80% à 2 ans.
Cette sténose nécessite un suivi
régulier des malades en échodoppler.
Comme pour le shunt
chirurgical, la complication la plus redoutée est l’encéphalopathie :
le risque semble maximal dans les 3 mois suivant la pose, et décroît
ultérieurement en partie, du fait de l’obstruction progressive de la
prothèse.
Le contrôle de cette encéphalopathie est plus aisé en
comparaison de celle, parfois très invalidante, compliquant le shunt
chirurgical.
Le TIPS est contre-indiqué chez les malades ayant une
insuffisance hépatique sévère (Child-Pugh > 12), qu’il pourrait
aggraver et les malades ayant une insuffisance cardiaque droite avec
pression veineuse centrale élevée. Près de dix études ont été publiées ayant comparé le TIPS à la sclérose, à l’association sclérosebêtabloquant,
à l’association propranolol-dérivé nitré, et à la ligature
élastique.
Si le TIPS permet à l’évidence de réduire le risque de
récidive hémorragique de 20 à 25 %, il n’améliore ni la survie, ni le
coût de la prévention, sauf dans deux études où il était comparé
à la ligature et à la sclérose et augmente le taux
d’encéphalopathie en moyenne de 16 à 30 % par rapport au groupe
contrôle.
E - CHIRURGIE DE DÉRIVATION PORTOCAVE
:
Le shunt portocave a été comparé à un traitement non spécifique,
au shunt splénorénal distal et à la sclérothérapie : le shunt
chirurgical, quel que soit son type, réduit significativement le risque
hémorragique, mais il n’améliore pas la survie.
De plus, il est
responsable d’un taux d’encéphalopathie de près de 30 %, parfois
chronique et invalidante.
Ces raisons font que le shunt chirurgical a
été détrôné par le TIPS, même dans l’attente de la transplantation,
sauf dans les mains d’une équipe américaine où les résultats du
shunt portocave sont particulièrement remarquables, mais
difficilement reproductibles.
F - EN PRATIQUE QUELLE STRATÉGIE ADOPTER ?
Même s’il reste des tenants du « tout-médicament » de première
intention, dans la pratique courante, la ligature élastique est la
méthode, à l’évidence, la plus utilisée. Une surveillance est
nécessaire pour traiter les varices récidivantes et la sclérose est
probablement plus adaptée à la situation.
On ne dispose cependant
que de données insuffisantes comparant la ligature aux médicaments
ou l’association des deux.
En cas d’échec, le TIPS est la meilleure
solution de rechange, mais le taux d’obstruction élevé nécessite un
suivi régulier et surtout ne le rendrait intéressant que chez les
malades a priori en attente de transplantation ; le shunt chirurgical
devrait être proposé de préférence aux malades classés
Conclusion
:
La prévention primaire ou secondaire de la rupture de varice
oesophagienne repose surtout sur les médicaments faisant baisser la
pression portale et la ligature endoscopique.
L’amélioration de la
mortalité reste modeste, la survie étant étroitement corrélée à la gravité
de la maladie hépatique, facilement appréciée en routine par le score de Child-Pugh.
Néanmoins, vu la mortalité élevée du premier épisode
hémorragique, il est souhaitable de développer une politique de
prévention en amont, par le dépistage des sujets à risque.
Dès que le
diagnostic de cirrhose est évoqué, une endoscopie doit être réalisée pour
dépister les varices de stade 2.
Au cours d’une conférence de consensus
outre-Atlantique, il a été proposé l’utilisation de critères biologiques ou
échographiques, mais la valeur diagnostique prédictive de ces
critères n’a pas été validée.
Un contrôle endoscopique tous les 2 ans doit
être effectué chez ceux ayant des varices absentes ou minimes.
Chez ces
derniers, le propranolol peut-il retarder ou prévenir l’apparition des
grosses varices ? Les résultats disponibles ne sont pas suffisants pour
répondre à cette question.