Prélèvements et transplantations d’organes
Cours de Médecine Légal
e
Les règles de prélèvement, et de transplantation d’organes
humains résultent, pour l’essentiel, des lois du 29
juillet 1994, dites « lois bioéthiques ». Tous les textes
antérieurs ont été abrogés.
Ces lois ont opéré une distinction
entre les règles applicables aux « organes », et
celles applicables aux « tissus, cellules et produits d’origine
humaine ».
Toutefois, la moelle osseuse est assimilée
à un organe.
Principes généraux :
Le principe d’inviolabilité du corps humain, principe
général du droit inscrit désormais dans la loi (article 16-1
du Code civil), admet comme corollaire la nécessité du
consentement de la personne préalablement à toute
atteinte à son intégrité physique, prélèvement d’organe
notamment, et le caractère révocable à tout moment de
ce consentement.
Le principe de « non-patrimonialité » du corps humain (le
corps humain et ses éléments ne peuvent représenter une
valeur en argent) a pour corollaire la gratuité des dons
d’organes.
La motivation du donneur ne doit pas pouvoir
être d’ordre pécuniaire.
Des remboursements de frais
engagés à l’occasion de ces dons sont cependant possibles.
Le principe de l’anonymat des dons est également
consacré par la loi.
Cet anonymat est garant, d’une certaine
manière, non seulement de l’absence de rémunération, mais
aussi de l’absence de pression sur un donneur potentiel.
En
pratique, cependant, les règles des prélèvements effectués
sur des personnes vivantes constituent une dérogation à ce
principe.
Par ailleurs il peut y être dérogé en cas de nécessité
thérapeutique, au profit des seuls médecins du donneur
ou du receveur.
L’hypothèse est ici celle de la nécessité
d’obtenir des renseignements médicaux concernant
un donneur, utiles à une thérapeutique chez le receveur.
La publicité en faveur de dons au profit de personnes
déterminées, d’établissements ou d’organismes déterminés,
est interdite.
On a voulu éviter en cela une
recherche de rentabilité dans ce domaine.
La loi précise
cependant que cette interdiction ne concerne pas des
actions d’information et de sensibilisation du public,
missions confiées à l’Établissement français des greffes.
Les prélèvements et les transplantations (sauf les autogreffes)
sont soumis à des règles de sécurité sanitaire
définies par décret.
Pour tout prélèvement doit être opérée
une « sélection clinique » du donneur potentiel,
veillant notamment à écarter les sujets présentant un
risque potentiel de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ou d’autres encéphalopathies subaiguës
spongiformes transmissibles.
Doivent être, par
ailleurs, recherchés les marqueurs biologiques des
infections par les virus d’immunodéficience humaine 1
et 2, HTLV (human T leukemia virus) 1 et 2, des hépatites
B et C, des infections à cytomégalovirus et Epstein-
Barr, de la toxoplasmose, et de la syphilis.
Avant toute
transplantation le médecin responsable doit prendre
connaissance du résultat de ces examens.
Toute greffe
est interdite en cas de risque de transmission d’une
maladie infectieuse.
Toutefois, en cas d’urgence vitale,
et après information du receveur et recueil de son
consentement, lorsque pour un coeur, un foie, ou un poumon
provenant de l’étranger la recherche d’infection par
le virus HTLV 1 n’a pu être faite, il peut être dérogé à
cette interdiction.
De même, il peut y être dérogé, malgré
un risque de transmission de l’hépatite C, pour une
greffe de moelle, en cas d’urgence vitale.
Enfin, et toujours
pour une urgence vitale, il peut être passé outre au
risque de transmission d’hépatite B ou de syphilis pour
une greffe de coeur, de foie, de poumon, ou de moelle.
Prélèvement :
A - Sur une personne vivante :
Chez les personnes vivantes, les seuls prélèvements
d’organes autorisés sont ceux qui ont une finalité thérapeutique
directe pour un receveur.
Tout prélèvement
d’organe fait dans un autre but, notamment scientifique,
est prohibé.
Le receveur doit être le père, la mère, le fils, la fille, le
frère, ou la soeur du donneur.
Cependant, en cas d’urgence,
le donneur peut être le conjoint du receveur.
Le concubin
ne peut être assimilé en cela au conjoint.
Fait exception
à cette règle la greffe de moelle, pour laquelle aucun
lien entre le donneur et le receveur n’est exigé.
Ces prélèvements chez le vivant ne sont permis que
lorsque le donneur est un majeur, doué de la capacité
civile. Ils sont prohibés chez le mineur et l’incapable
majeur.
Toutefois, là encore, le prélèvement de moelle
fait exception, puisqu’il est permis chez un mineur au
bénéfice d’un frère ou d’une soeur.
L’information préalable du donneur est la condition
impérative d’un consentement valablement recueilli.
Elle doit porter sur toutes les conséquences prévisibles
d’ordre physique et psychologique du prélèvement,
ainsi que sur toutes les répercussions éventuelles sur la
vie personnelle, familiale, et professionnelle du donneur,
ainsi que sur les résultats attendus de la greffe chez
le receveur.
Dans l’hypothèse d’un donneur mineur, l’information
doit être donnée à chacun des titulaires de
l’autorité parentale, père et mère (même si seul l’un
d’entre eux exerce cette autorité), ou au représentant
légal (tuteur), mais aussi au mineur lui-même, en tenant
compte de son âge.
Le consentement du donneur est recueilli par le président
du tribunal de grande instance, ou par un magistrat
désigné par lui.
Ce magistrat contrôle notamment que
l’information a été conforme aux dispositions de la loi.
Un acte est dressé, dont l’original reste au greffe du tribunal,
une copie étant adressée au directeur de l’établissement
de santé dans lequel doit avoir lieu le prélèvement.
En urgence, le consentement peut être recueilli
par le procureur de la République.
En ce qui concerne le
prélèvement de moelle chez le mineur, le consentement
de chacun des titulaires de l’autorité parentale, ou celui
du représentant légal (tuteur), est recueilli, mais aussi
celui du mineur, lorsque cela est possible.
De plus, le
prélèvement chez le mineur doit être autorisé par un
comité d’experts (il en existe 7, avec pour chacun
d’entre eux une compétence territoriale déterminée),
composé de 3 membres désignés par le ministre de la
Santé (2 médecins dont un pédiatre, et une personnalité
n’appartenant pas à une profession médicale), qui procèdent
à toutes investigations utiles, et notamment à l’audition
du mineur, s’il est capable de discernement, et
dont les décisions, non susceptibles d’appel, n’ont pas à
être motivées.
B - Sur une personne décédée
:
Les autopsies et prélèvements effectués dans un cadre
judiciaire sont exclus du champ d’application des dispositions
dont il est ici question.
Un décret du 2 décembre 1996 précise les conditions du
constat précoce de la mort.
Ce constat est celui de la
mort cérébrale.
Il comporte des éléments cliniques :
absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée,
abolition de tous les réflexes du tronc cérébral,
abolition de la respiration spontanée, qui suffisent si
l’arrêt circulatoire est également constaté.
Il comporte
également des éléments paracliniques, nécessaires en
l’absence d’arrêt circulatoire : soit 2 électroencéphalogrammes,
chacun d’une durée de 30 minutes, et à 4
heures d’intervalle, dont les tracés sont nuls et aréactifs,
soit une angiographie montrant l’arrêt de la circulation
encéphalique.
Un procès-verbal doit être établi sur un
document de modèle réglementaire.
Le prélèvement peut être réalisé soit à des fins thérapeutiques,
pour une transplantation, soit à des fins scientifiques,
recherche des causes de la mort notamment.
La loi prévoit que le prélèvement « peut être effectué dès
lors que la personne concernée n’a pas fait connaître, de
son vivant, son refus d’un tel prélèvement », posant ainsi
le principe d’une présomption du consentement.
Cependant cette présomption est écartée lorsque le prélèvement
est réalisé dans un but scientifique autre que la
recherche de la cause de la mort : un consentement
exprès est alors exigé.
La présomption de consentement
ne concerne donc que les prélèvements en vue de
greffes, et les prélèvements destinés à rechercher les
causes de la mort.
Une autre exception à la présomption
de consentement existe, pour les seuls prélèvements en
vue de greffes : lorsque le défunt est mineur, ou incapable
majeur, le consentement écrit des titulaires de
l’autorité parentale ou du représentant légal est exigé.
Curieusement, cette exception ne concerne pas les prélèvements
pour recherche des causes de la mort, où théoriquement
on pourrait se passer du consentement des
parents ou d’un tuteur, la loi précisant seulement que la
famille doit être informée des prélèvements effectués
pour rechercher les causes du décès.
Le refus de prélèvement, révocable à tout moment, peut
être exprimé par l’intéressé sur un registre national automatisé.
La gestion de ce registre est confiée à l’Établissement
français des greffes.
La demande d’inscription,
émanant de toute personne majeure ou mineure âgée de
13 ans au moins, doit être adressée par écrit, avec un
justificatif d’identité.
Elle peut concerner certaines des
finalités de prélèvements (scientifique ou thérapeutique),
ou toutes.
Les demandes d’interrogation du registre émanent
du directeur de l’établissement de santé dans lequel
le prélèvement est envisagé, accompagnées du procèsverbal
de constat de la mort.
Ces demandes, ainsi que les
réponses sont, en pratique, faites par télécopie.
Par
ailleurs la loi précise que « si le médecin n’a pas directement
connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer
de recueillir le témoignage de la famille ».
C - Organisation
:
Les prélèvements d’organes, à but thérapeutique, ne
peuvent être effectués que dans des établissements de
santé autorisés à cet effet.
Tout établissement public ou
privé peut être autorisé, sous réserve en matière de prélèvement
chez le vivant d’avoir une activité de transplantation
des organes pour lesquels l’autorisation est
demandée (de manière à assurer la sécurité des donneurs).
Aucune autorisation n’est nécessaire pour les
prélèvements à but scientifique, y compris pour
recherche des causes de la mort.
Les autorisations d’activité
de prélèvement d’organes en vue de don sont délivrées,
pour une période de 5 ans, renouvelable, par le
directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation,
après avis du directeur de l’Établissement français des
greffes, aux établissements qui en font la demande et qui
justifient de conditions techniques fixées par décret.
Une évaluation des activités de prélèvements à fins thérapeutiques
est instituée, chaque établissement autorisé
devant transmettre annuellement un rapport au directeur
de l’agence régionale de l’hospitalisation et au directeur
de l’Établissement français des greffes.
Ces rapports
sont également communiqués aux autorités de tutelle de
l’État.
L’Établissement français des greffes est chargé
d’élaborer des règles de bonnes pratiques.
Le directeur
de l’agence régionale de l’hospitalisation a le pouvoir de
suspendre ou de retirer l’autorisation, après avis motivé
du directeur général de l’Établissement français des
greffes, lorsqu’un établissement n’offre plus les garanties
nécessaires à cette activité.
D - Praticiens chargés des prélèvements
:
Les activités de prélèvement ne peuvent pas être rémunérées
à l’acte, ceci pour éviter toute tentation de
recherche d’une « rentabilité ».
La loi précise que ces
activités ne peuvent être exercées dans le cadre du secteur
privé des praticiens des établissements publics.
La loi prescrit une séparation des équipes médicales qui
font le constat de la mort, de celles qui interviennent
pour prélever des organes.
Les praticiens qui réalisent un prélèvement doivent s’assurer
de la restauration décente du corps.
Transplantation
:
A - Règles relatives aux receveurs :
La loi consacre le principe de l’inscription des patients
en attente d’une greffe sur une liste nationale d’attente.
L’Établissement français des greffes est chargé de l’enregistrement
des inscriptions et de la gestion de cette
liste.
Elle est établie par type de greffe.
L’inscription sur la liste est effectuée par les établissements
de santé autorisés à pratiquer des transplantations.
Dans le même temps, une demande préalable de
prise en charge est adressée à l’organisme d’assurance
maladie dont relève le patient.
L’inscription de patients étrangers qui ne résident pas en
France est admise.
Elle est conditionnée par la production
d’une attestation du ministre chargé de la Santé
dans leur pays certifiant que la greffe envisagée ne peut
être effectuée dans ce pays, et précisant les raisons de
cette impossibilité.
Elle est également conditionnée par
l’avis favorable du directeur de l’établissement de santé
dans lequel la greffe est envisagée, après vérification des
modalités de prise en charge financière de l’acte.
B - Organisation
:
La loi a confié des missions très étendues à l’Établissement
français des greffes, établissement public national
placé sous la tutelle du ministre de la Santé : enregistrement
des patients en attente d’une greffe, gestion de la
liste d’attente, élaboration des règles de répartition des
greffons, coordination des activités de prélèvement et de
greffe, élaboration de règles de bonnes pratiques, surveillance
des activités relevant de sa compétence, avis
sur les autorisations données aux établissements de
soins pour les activités de prélèvement et de greffe.
Ainsi, cet établissement public s’est substitué pour les
missions les plus essentielles à une structure associative,
reconnue d’utilité publique, qui les exerçait auparavant : France-Transplant.
Les transplantations ne peuvent être réalisées que dans des
établissements autorisés.
Les autorisations sont délivrées
dans le cadre de la planification et de la carte sanitaire nationale.
Le nombre d’unités autorisées à réaliser des transplantations
sur le territoire national est fixé par arrêté ministériel
pour chaque organe concerné, y compris la moelle.
Seuls des établissements autorisés à réaliser des prélèvements
à des fins thérapeutiques peuvent être autorisés à
réaliser des greffes, après consultation de l’Établissement
français des greffes.
Mais de plus, seuls les centres
hospitaliers universitaires, et les établissements, publics
ou privés, liés à eux par convention dans le cadre du service
hospitalier, peuvent recevoir cette autorisation.
C - Praticiens chargés des transplantations :
Les mêmes règles que celles qui sont instituées en
matière de prélèvements s’appliquent : interdiction de la
rémunération à l’acte, séparation des équipes chargées
du constat de la mort et de celles qui transplantent.
D - Règles relatives à la conservation
des organes, à leur importation
et à leur exportation :
La loi, anticipant sur la pratique, précise que les règles
applicables à la conservation des tissus, cellules et
produits du corps humain sont applicables aux organes
lorsqu’ils peuvent être conservés.
Ces règles instituent
un régime d’autorisation pour la transformation, conservation
et cession, qui ne peuvent être assurées que par
des établissements publics de santé, ou des organismes à
but non lucratif.
L’autorisation est accordée pour 5 ans.
Elle est renouvelable.
D’autres organismes peuvent
être autorisés pour des activités requérant une haute
technicité.
Les conditions d’autorisation sont d’ordre
technique, sanitaire, médical, et financier.
La loi du 18 janvier 1994, relative à la santé publique et à
la protection sociale a prévu les règles applicables à l’importation
et à l’exportation des organes (de mêmes qu’à
celles des tissus, cellules, produits du corps humains).
Seuls les établissements autorisés à prélever (pour l’exportation)
et à greffer des organes (exportation et importation)
peuvent être autorisés pour ces opérations.
Ces autorisations
sont subordonnées au respect des principes éthiques
qui prévalent dans ce domaine (consentement du donneur,
gratuité du don, anonymat), à des règles garantissant le
suivi et la traçabilité (étiquetage des envois, documentation
d’accompagnement), et aux impératifs de sécurité
sanitaire.
L’autorisation est délivrée par le ministre chargé
de la Santé après avis de l’Établissement français des
greffes, pour 5 ans renouvelables.
Sanctions du non-respect
des dispositions légales :
A - Trafic d’organes :
Le fait d’obtenir d’une personne l’un de ses organes
contre un paiement fait encourir une peine de 7 ans de
prison et de 700 000 F d’amende.
Est puni à l’identique
le fait de s’entremettre dans ce but, ou de vendre l’organe
d’une autre personne.
La tentative fait encourir les
mêmes peines.
Les peines sont applicables même si
l’organe vient d’un pays étranger.
B - Atteintes à la sécurité sanitaire
:
Le non-respect des règles de sécurité sanitaire fait encourir
une peine de 2 ans de prison et de 200 000 F d’amende.
C - Règles relatives aux prélèvements
chez une personne vivante :
Le fait de prélever un organe chez une personne vivante
majeure sans avoir respecté les règles relatives au
recueil de son consentement fait encourir une peine de 7
ans de prison et de 700 000 F d’amende.
La tentative est
punissable des mêmes peines.
Le fait de prélever un organe chez une personne vivante
incapable majeure, ou chez une personne mineure sans
avoir respecté les règles spécifiques aux mineurs, fait
encourir une peine de 7 ans de prison et de 700 000 F
d’amende.
La tentative est punissable identiquement.
D - Atteintes au cadavre :
Le fait de porter atteinte à l’intégrité d’un cadavre, par
quelque moyen que ce soit, notamment en cas de non respect
des règles spécifiques aux prélèvements d’organes
chez une personne décédée, fait encourir une
peine d’un an de prison et de 100 000 F d’amende.
E - Prélèvements ou greffes
dans un établissement non autorisé :
Le fait de procéder à un prélèvement ou à une transplantation
dans un établissement qui n’a pas reçu d’autorisation
à cet effet fait encourir une peine de 2 ans de prison
et de 200 000 F d’amende.
F - Interdictions d’exercice :
Toutes les infractions qui précèdent, à l’exception de
celle d’atteinte à l’intégrité du cadavre, font également
encourir une peine d’interdiction d’exercice de l’activité
professionnelle de 10 ans.
G - Peines applicables aux personnes morales :
Pour les mêmes infractions (sauf les atteintes à l’intégrité
du cadavre) les établissements concernés encourent
des peines spécifiques, sans que cela exclue la condamnation
de personnes physiques auteurs ou complices des
mêmes faits.
Ces peines sont des peines d’amendes
quintuples de celles prévues pour les personnes physiques,
des interdictions temporaires ou définitives
d’exercice, des fermetures temporaires ou définitives de
l’établissement, la dissolution, le placement temporaire
sous surveillance judiciaire.
H - Sanctions administratives :
Toute violation des dispositions législatives et réglementaires
dans le domaine considéré fait encourir le
retrait temporaire ou définitif des autorisations nécessaires
pour l’exercice des prélèvements et des transplantations.