Prééclampsie. Éclampsie Cours de
Gynécologie Obstétrique
Introduction
:
L’hypertension artérielle est une des plus fréquentes complications
de la grossesse.
Associée à une protéinurie, elle constitue la prééclampsie, qui est un défi pour les équipes médicales.
Malgré
une réduction significative de la mortalité liée à la prééclampsie au
cours de ces dernières années, cette maladie reste néanmoins à
l’origine de 17 à 20 % des morts maternelles.
Ces décès sont liés à
une prise en charge inadéquate dans 60 % des cas, en dépit d’un
suivi le plus souvent régulier des femmes.
Une meilleure connaissance de la physiopathologie de la prééclampsie contribue à son dépistage précoce au travers de la
découverte de signes révélateurs, fréquemment atypiques.
La prise
en charge est alors adaptée à la gravité et à l’évolutivité de la prééclampsie.
L’hospitalisation dans des structures spécialisées
permet de mettre en oeuvre un traitement maternel susceptible de
retarder l’échéance de l’accouchement, modalité thérapeutique
ultime de la prééclampsie.
Généralités :
A - DÉFINITIONS ET INCIDENCE
:
L’incidence de la prééclampsie est difficile à déterminer en raison
des différences géographiques et socio-économiques des populations
étudiées, de la fréquence des erreurs de diagnostic et de la
multiplicité des définitions.
En France, la prééclampsie complique 1
à 2 % des grossesses chez les primipares et 0,5 à 1 % chez les
multipares ; ces incidences sont sensiblement plus faibles que celles
qui sont rapportées par les études anglo-saxonnes.
Un accord sur
les définitions est un préalable à la prise en charge de la maladie.
L’hypertension artérielle gravidique se définit comme une hypertension artérielle isolée (pression artérielle systolique
> 140 mmHg et/ou pression artérielle diastolique > 90 mmHg)
apparue à partir de la 20e semaine d’aménorrhée ; elle complique
10 % des grossesses.
La prééclampsie est définie par une
hypertension artérielle gravidique associée à une protéinurie
supérieure à 300 mg/24 h ou supérieure à 2+, et parfois précédée
d’un ou plusieurs des signes suivants : oedèmes d’apparition brutale,
uricémie supérieure à 350 µmol/L, augmentation des transaminases
aspartate-aminotransférases (ASAT), diminution des plaquettes
(< 150 X 109/L).
L’hypertension artérielle essentielle ou chronique est
une hypertension apparue précocement au cours de la grossesse ou
préexistant à celle-ci.
Elle peut se compliquer d’une prééclampsie de
surimpression dans 15 à 20 % des cas.
La Conférence d’experts de la Société française d’anesthésie et de
réanimation a retenu comme définition d’une forme grave (10 % des prééclampsies) :
– une prééclampsie dont l’hypertension artérielle est sévère
(pression artérielle systolique > 160 mmHg et/ou pression artérielle
diastolique > 110 mmHg) ;
– ou une prééclampsie dont l’hypertension artérielle est modérée,
mais associée à un ou plusieurs des symptômes suivants : douleur
épigastrique, nausées, vomissements, céphalées persistantes,
hyperréflectivité ostéotendineuse, troubles visuels, protéinurie
supérieure à 3,5 g/j, créatininémie supérieure à 100 µmol/L, oligurie
inférieure à 20 mL/h, hémolyse, ASAT supérieures à trois fois la
normale, thrombopénie (< 100 X 109 plaquettes/L).
B - FACTEURS DE RISQUE
:
1- Facteurs obstétricaux
:
La nulliparité est le principal facteur de risque : la prévalence de
l’affection est de 5 % au cours de la première grossesse et de 0,3 %
pour les suivantes.
Chez les femmes très jeunes, c’est la parité et
non l’âge de la mère qui explique le risque élevé de prééclampsie.
L’insémination avec donneur augmente le risque. La consanguinité
comme la grande compatibilité human leukocyte antigen entre les
parents favorisent les anomalies placentaires.
C’est également le cas
des longs intervalles entre deux grossesses, des grossesses multiples,
des anomalies chromosomiques ou des malformations foetales.
2- Facteurs liés à l’environnement et au terrain :
La vie en altitude et les contraintes physiques ou psychologiques
favorisent la prééclampsie.
La surcharge pondérale, la race noire,
une activité professionnelle prolongée pendant toute la grossesse,
une grossesse tardive (âge supérieur à 40 ans) sont d’autres facteurs
indépendants de risque.
L’hypertension artérielle chronique
multiplie le risque par six et le diabète par trois.
Les descendantes
d’une femme ayant fait une prééclampsie ont un risque multiplié
par trois à huit ; le mode de transmission du risque est encore
inconnu.
La prévalence de la prééclampsie est estimée à 16 % chez
les femmes présentant une maladie auto-immune (anticoagulant
circulant, anticorps lupique, anticorps anticardiolipide, syndrome
des antiphospholipides).
Une augmentation du risque de prééclampsie est également décrite en cas d’hyperhomocystéinémie
(mutation du gène de la méthylène-tétrahydrofolate réductase) ou
de thrombophilie héréditaire : déficit en protéine C, en protéine
S, en antithrombine III, mutation de la prothrombine, résistance à la
protéine C activée, en particulier dans sa forme homozygote.
Les
femmes enceintes présentant une néphropathie chronique ou
porteuse d’un greffon rénal ont un risque de survenue d’une prééclampsie compris entre 30 et 38 %.
C - LÉSION ENDOTHÉLIALE ET ATTEINTE PLACENTAIRE
:
La présence du foetus, contrairement à celle du trophoblaste, n’est
pas nécessaire au développement de la maladie, car des formes
graves de prééclampsie sont observées au cours de grossesses
molaires.
Un conflit entre le tissu trophoblastique et le tissu maternel
est à l’origine de la maladie.
La séquence ischémie placentairemicroangiopathie
diffuse-dysfonction viscérale est actuellement
certaine ; une ressemblance avec le syndrome inflammatoire
réactionnel sévère d’origine septique ou traumatique est
troublante.
L’invasion des artères spiralées d’origine utérine par
les cellules cytotrophoblastiques placentaires est incomplète.
Les
vaisseaux utéroplacentaires conservent leurs propriétés de vaisseaux
résistifs et ne s’adaptent pas aux besoins de l’unité utéro-placentofoetale
; une hypoxie ischémique régionale apparaît.
Le placenta
ischémique met en circulation une grande quantité de cellules
trophoblastiques et de débris cellulaires liés à une apoptose accrue ;
les uns et les autres sont directement toxiques pour l’endothélium
vasculaire.
Une activation des plaquettes et des polynucléaires
neutrophiles est constante au cours de l’affection.
La lésion
endothéliale maternelle entraîne un accroissement de la perméabilité
capillaire, une thrombose plaquettaire et un spasme vasculaire.
Elle est reflétée par les taux circulants de fibronectine et d’antigène
lié au facteur VIII.
L’hypertension artérielle est la conséquence des
lésions vasculaires, soit par l’influence de médiateurs circulants, soit
par l’élévation du tonus sympathique périphérique.
Ces lésions
vasculaires provoquent les dégâts cérébraux, pulmonaires, rénaux
et hépatopancréatiques qui font la gravité de la maladie, et ont des
conséquences néfastes sur le développement et la viabilité du
foetus.
Dans le placenta, l’ischémie tissulaire entraîne une hypoxie foetale
chronique responsable d’un oligoamnios, d’un retard de croissance
in utero, voire d’une souffrance foetale (rythme cardiaque foetal
anormal, mouvements spontanés réduits).
Approche clinique de la maladie
:
A - PRÉVISION ET DÉPISTAGE
:
Les symptômes de la prééclampsie apparaissent habituellement
après la 20e semaine. Cependant, les causes de ces symptômes sont
présentes plus tôt, entre la 8e et la 12e semaine.
De nombreux tests
cliniques, biochimiques et biophysiques ont été proposés pour
permettre une détection précoce de la prééclampsie.
Aucun n’a
fait la preuve de son efficacité en dehors d’une augmentation de
l’hématocrite, signe d’hémoconcentration, et d’une anomalie bilatérale des vélocités sanguines dans les artères utérines.
L’uricémie et la numération plaquettaire sont des éléments
d’appréciation de la gravité sans valeur prédictive.
B - SURVEILLANCE CLINIQUE ET BIOLOGIQUE
DES FORMES MODÉRÉES DE PRÉÉCLAMPSIE :
Les consultations et les bilans doivent être fréquents pour dépister
précocement une complication, en particulier lorsqu’un ou plusieurs
facteurs de risque ont été dépistés.
La pression artérielle doit être
contrôlée.
C’est à ce prix que les complications viscérales de la
maladie sont prévenues.
1- Examen clinique
:
L’interrogatoire précise le type d’hypertension (hypertension
artérielle chronique ou hypertension gravidique pure), découvre des
antécédents familiaux ou personnels prédisposant à l’affection,
recherche des facteurs de pronostic (accidents liés à l’hypertension
gravidique au cours de grossesses précédentes, en particulier les
hématomes rétroplacentaires) ou de gravité (existence de signes
fonctionnels : céphalées, troubles visuels, somnolence, douleur
épigastrique en barre, réduction de la diurèse).
Bien qu’une prééclampsie puisse être d’emblée grave sans hypertension artérielle
sévère, la prise de la pression artérielle par la méthode auscultatoire
à l’aide d’un manomètre à mercure doit être soigneuse, puisque la
définition de la maladie repose sur le chiffre de pression artérielle
diastolique noté lors de l’assourdissement des bruits de Korotkoff
chez une femme en léger décubitus latéral gauche (30°) après une
période de repos.
Les signes fonctionnels et les chiffres de pression
artérielle systolique doivent être également pris en compte lors des
décisions thérapeutiques.
La protéinurie doit être évaluée par un
dosage sur les urines de 24 heures : elle est significative lorsqu’elle
est supérieure ou égale à 300 mg/24 h.
Elle peut être estimée sur
des urines fraîches à l’aide des bandelettes réactives : une réaction
supérieure ou égale à 2 + sur deux échantillons recueillis à plus de
4 heures d’intervalle est significative.
Avec cette technique, il y a un
risque, d’une part de faux positifs si le pH urinaire est supérieur à 8
et/ou la densité urinaire supérieure à 1 030, et d’autre part de faux
négatifs si la densité urinaire est inférieure à 1 010.
Les oedèmes
s’observent au cours des grossesses normales, mais ils prennent une
signification lorsqu’ils sont associés à une hypertension artérielle et
à une protéinurie, lorsqu’ils apparaissent rapidement (reflétés
initialement par une prise de poids brutale) ou lorsqu’ils sont
localisés à des régions non déclives (visage, mains).
Ils peuvent être
absents au cours d’une hypertension gravidique grave.
L’examen
clinique complet comporte également un examen neurologique à la
recherche de réflexes ostéotendineux vifs, voire polycinétiques.
La
mesure de la hauteur utérine apprécie l’hypotrophie foetale.
Elle
garde sa valeur par sa simplicité, même si l’échographie est un
appoint indispensable.
Le compte des mouvements actifs foetaux et
l’étude du rythme cardiaque foetal ne sont pas des éléments de
surveillance fins, mais la diminution brutale des premiers et
l’absence de fluctuation ou la décélération du second sont des signes
d’alarme.
2- Examens biologiques et ultrasonores
:
Certains examens font partie du bilan classique de l’hypertension
artérielle : fond d’oeil, électrocardiogramme, dosages sanguins et
urinaires du glucose, de l’urée, de la créatinine et des ions.
Leur
interprétation doit tenir compte de l’influence de la grossesse
normale : ainsi, une créatininémie supérieure à 65 µmol/L est
anormale.
Une recherche d’anticorps circulant (syndrome des antiphospholipides, anticorps lupique, anticorps anticardiolipide) et
une évaluation du risque de thrombose (dosage de la protéine C, de
la protéine S, de l’antithrombine III, mutation du facteur II ou du
facteur V) sont plus spécifiques.
Ici encore, l’interprétation du
résultat de ces examens doit tenir compte de l’influence de la
grossesse normale.
La numération globulaire recherche une
hémolyse (présence de schizocytes).
L’hématocrite évalue la volémie
maternelle : un chiffre égal ou supérieur à la normale (c’est-à-dire
40 %) traduit une hypovolémie.
Cette hypovolémie précède de
4 semaines en moyenne la survenue d’un retard de croissance in
utero.
La numération plaquettaire dépiste la thrombopénie
annonciatrice des désordres de la coagulation et de la microangiopathie.
Le dosage des transaminases sériques est
systématique, en particulier en présence de douleur épigastrique, de
nausées, de vomissements ou d’une thrombopénie.
L’uricémie doit
être dosée en début de grossesse car son élévation brutale témoigne
d’une complication.
Le chiffre de 350 µmol/L est un signe d’alarme.
Un risque maternel et foetal existe en présence d’une valeur
supérieure à 450 µmol/L ou d’une augmentation de plus de
60 µmol/L en 1 mois.
L’échographie permet un dépistage précoce de l’hypotrophie foetale
et l’évaluation du volume de liquide.
L’échographie est couplée à la
vélocimétrie doppler des artères utérines : la présence d’une incisure
(notch) du profil de vélocité témoigne d’une vasoconstriction d’aval
et précède l’apparition de l’hypertension artérielle et de
l’hypotrophie foetale.
La circulation artérielle foetale (ombilicale et
cérébrale) peut également être étudiée en cours d’examen.
3- Organisation pratique de la surveillance :
Les femmes et les médecins généralistes doivent connaître les signes
précoces de la maladie.
La gravité potentielle de l’hypertension
gravidique impose une surveillance attentive associant l’information
de la femme, la surveillance à domicile, les consultations spécialisées
et l’hospitalisation de jour.
L’organisation des réseaux de soins
permet d’orienter les femmes présentant une prééclampsie vers la
structure hospitalière le mieux adaptée à leur état lorsque le moment
d’une hospitalisation est venu.
Le rythme des consultations et la
répétition des examens complémentaires sont fonction de l’évolution
de la maladie.
Les consultations sont mensuelles en cours de
grossesse et toutes les 2 semaines, voire hebdomadaires, lorsque
apparaît une hypertension artérielle ou une anomalie biologique.
La
prise de la pression artérielle à domicile est effectuée deux fois par
semaine.
Le bilan biologique initial comprend tous les examens déjà décrits.
Ce bilan est ensuite réduit au dosage de l’uricémie et des
transaminases sériques, à la numération plaquettaire, à la mesure de
l’hématocrite, et à la recherche d’albumine et de sucre dans les
urines (complétée par un dosage pondéral sur les urines de
24 heures si besoin) au même rythme que les consultations.
La
recherche d’albumine est effectuée à domicile en même temps que
la prise de tension en cas de protéinurie.
La fréquence des examens ultrasonores est déterminée par le terme,
les chiffres tensionnels et la croissance foetale.
L’échographie est
pratiquée toutes les quinzaines ou tous les mois selon la croissance
foetale.
La vélocimétrie doppler est également mensuelle, sauf en
cas d’instabilité tensionnelle lors de laquelle elle peut être pratiquée
plus fréquemment.
L’étude du rythme cardiaque foetal est effectuée
une ou deux fois par semaine à partir de la 28e semaine chez une
femme non hospitalisée et souffrant d’une hypertension gravidique.
C - DIAGNOSTIC DES COMPLICATIONS VISCÉRALES
DE LA PRÉÉCLAMPSIE :
Les complications viscérales de la maladie en font la gravité.
Elles
peuvent révéler la maladie ou en compliquer l’évolution, en
particulier en cas d’erreur thérapeutique ou de prolongation
injustifiée de la grossesse.
1- Complications cardiorespiratoires :
La prééclampsie est caractérisée par une augmentation des
résistances vasculaires périphériques d’origine adrénergique en
relation avec une hypovolémie relative par rapport à une grossesse normale, conduisant à un débit cardiaque inadéquat.
La valeur
du débit cardiaque peut être élevée au début de la maladie ou
lorsque la femme bénéficie d’un remplissage vasculaire associé à des
médicaments vasodilatateurs ; un véritable état hyperkinétique
inaugure la maladie.
Le débit cardiaque diminue dans les formes
les plus sévères non traitées ou traitées par des bêtabloquants.
Si
les résultats des dosages de catécholamines circulantes sont souvent
contradictoires, l’enregistrement de l’activité sympathique
neuromusculaire démontre l’existence constante d’un tonus
adrénergique de base élevé.
Il existe une réactivité neurohumorale accrue aux modifications de posture chez les
femmes présentant une prééclampsie.
La veinoconstriction
périphérique provoque la mobilisation du sang vers le compartiment
vasculaire cardiopulmonaire.
Malgré un volume sanguin
circulant inférieur à celui mesuré au cours de la grossesse normale,
la précharge ventriculaire gauche n’est pas modifiée par la
prééclampsie.
La courbe de fonction ventriculaire gauche est
généralement déplacée vers le haut et la gauche.
Une authentique
cardiomyopathie dilatée s’accompagne d’un aplatissement vers la
droite de la courbe de fonction ventriculaire chez 20 % des femmes prééclamptiques ; cela rend discutable l’évaluation du remplissage
ventriculaire gauche par la mesure de la pression veineuse
centrale.
L’oedème pulmonaire hémodynamique en cours de prééclampsie a
un mécanisme complexe.
Une élévation de pression hydrostatique
vasculaire est souvent mise en cause en cas de remplissage
vasculaire intempestif associé à un traitement antihypertenseur
interférant avec l’inotropisme cardiaque (bloqueur bêtaadrénergique
ou inhibiteur calcique).
Des anomalies caractérisées de
la perméabilité capillaire reflétées par l’inflation du secteur
interstitiel et une réduction majeure de la pression oncotique sont
des facteurs contributifs non négligeables.
La gravité de
l’hypoxémie liée à l’oedème pulmonaire impose souvent l’assistance ventilatoire.
Le retentissement de l’inondation alvéolaire est
majoré par la faible capacité résiduelle fonctionnelle de la femme
enceinte et par une éventuelle réduction de la compliance thoracique
secondaire à une infiltration pariétale.
La surcharge du
compartiment interstitiel explique l’oedème pharyngolaryngé dont
l’ampleur lui est proportionnelle.
Généralement asymptomatique, il
peut s’aggraver au cours du travail, provoquer une obstruction des
voies aériennes avec stridor et nécessiter l’intubation trachéale qui
pourrait être facilitée par la corticothérapie.
2- Complications rénales
:
La glomérulopathie a plusieurs aspects : en dehors des lésions
vasculaires liées à l’ancienneté de l’hypertension artérielle, une
endothéliose glomérulaire est pathognomonique de l’affection et
réversible après l’accouchement.
Elle peut être associée à une hyalinose segmentaire et focale au cours des formes les plus sévères
d’hypertension artérielle.
La vasoconstriction artérielle et la lésion
endothéliale provoquent une réduction de la filtration glomérulaire
souvent limitée, mais des lésions ischémiques sont possibles.
La protéinurie est la traduction de l’atteinte rénale ; elle est peu
sélective, d’ampleur variable (de 0,5 à 12 g/L), pouvant aboutir à un
authentique syndrome néphrotique.
La protéinurie augmente
fréquemment au cours des prolongations de grossesse sous
traitement, sans avoir une valeur pronostique péjorative.
L’insuffisance rénale aiguë anurique est rare ; elle apparaît plutôt
chez des femmes présentant une hypertension artérielle chronique
ou une néphropathie vasculaire préexistante, parfois méconnue.
L’hypovolémie peut favoriser une nécrose tubulaire, en particulier
s’il existe simultanément une coagulopathie : cette association est
observée en cas d’apparition d’un hématome rétroplacentaire.
Une
nécrose corticale doit être crainte en présence d’une anurie
persistante et peut justifier à terme une biopsie du parenchyme
rénal.
Sur le plan fonctionnel, l’interprétation des résultats est
complexe.
Parallèlement à une évidente surcharge hydrosodée et à
une possible hypovolémie efficace, une perte de sel pourrait
contribuer à l’hyponatrémie observée au cours des formes les plus
graves de prééclampsie.
L’évaluation de la fonction rénale par la créatininémie doit tenir compte des valeurs observées au cours de
la grossesse normale : une créatininémie « normale » chez une
femme en dehors de la grossesse traduit une réduction de 50 % de
la filtration glomérulaire.
3- Complications hépatosplanchniques
et hématologiques
:
Le syndrome hemolysis-elevated liver enzyme-low platelets count
(HELLP) complique 20 % des prééclampsies.
Il se définit par
l’association d’une hémolyse (schizocytes circulants, haptoglobine
basse, bilirubine totale supérieure ou égale à 12 mg/L, activité
lacticodéshydrogénase totale supérieure à 600 UI/L), d’une cytolyse
hépatique (ASAT et alanine-aminotransférases supérieures à
70 UI/L) et d’une thrombopénie (numération plaquettaire inférieure
à 100 X 109/L).
Lors de l’apparition du syndrome HELLP, la
douleur à type de barre épigastrique est quasi constante (90 % des
cas), les nausées fréquentes (40 % des cas), la pression artérielle est
normale dans 10 à 30 % des cas.
Cette situation est transitoire ;
l’association d’une hypertension artérielle et d’un syndrome HELLP
est particulièrement propice à l’apparition d’une éclampsie.
Le syndrome HELLP témoigne de l’ischémie viscérale secondaire à
la microangiopathie et à la lésion endothéliale.
Une pancréatite
d’origine vasculaire n’est d’ailleurs pas exceptionnelle.
L’hémolyse intravasculaire est consécutive à la destruction des hématies sur les
dépôts de fibrine endothéliaux ; une anémie aiguë et des urines de
couleur caractéristique (« porto ») sont la manifestation clinique
d’une grave hémolyse intravasculaire et ont une valeur pronostique
très péjorative.
La cytolyse hépatique traduit une nécrose périportale
avec dépôts fibrineux intrasinusoïdaux.
L’élévation de pression intravasculaire hépatique est à l’origine des hématomes
intraparenchymateux ou sous-capsulaires et de l’ascite. Une hépatite
cholestatique succède souvent à la cytolyse initiale.
L’interprétation
de l’élévation des transaminases doit tenir compte d’une possible
origine extrahépatique des enzymes.
C’est un reflet de la lyse des
hématies ou d’une lésion du muscle strié squelettique.
Une élévation
de la créatine kinase totale est observée dans ce dernier cas et reflète
la sévérité de l’hypoperfusion tissulaire périphérique.
La
thrombopénie résulte d’une destruction périphérique accrue et d’une
consommation liée à la lésion endothéliale.
Elle précède dans 15 %
des cas l’apparition du syndrome HELLP.
L’association de la
thrombopénie avec une coagulopathie intravasculaire est observée
chez 18 à 36 % des femmes présentant un syndrome HELLP, et
s’accompagne d’une réduction de l’antithrombine III et d’une
élévation des D-dimères circulants.
Une thrombopathie peut être
surajoutée au cours des formes sévères de la maladie.
Le syndrome HELLP doit être considéré comme le prélude à un possible
syndrome de défaillance multiviscérale.
Parallèlement à l’existence de cette thrombopénie, les formes graves
de prééclampsie s’accompagnent également d’un état
d’hypercoagulabilité associant une augmentation de l’agrégation
plaquettaire avec une diminution de la concentration de
l’antithrombine III proportionnelle à la fuite protéique urinaire.
L’analyse de l’équilibre entre le risque hémorragique et celui de
thrombose nécessite la réalisation d’examens biologiques, pouvant
inclure le thromboélastogramme et le temps de saignement.
4- Complications hémorragiques
:
Certaines complications hémorragiques sont redoutables car elles
traduisent la sévérité des lésions viscérales et entraînent un état de
choc hypovolémique hémorragique.
*
Hématome rétroplacentaire :
L’hématome rétroplacentaire complique 4 % des prééclampsies
graves et le syndrome HELLP s’accompagne d’un décollement placentaire dans 16 % des cas.
La constitution de l’hématome est
diagnostiquée par une douleur abdominale d’apparition brutale
avec hypertonie utérine, saignement vaginal, signes de souffrance
foetale aiguë, coagulopathie de consommation.
L’hématome rétroplacentaire est susceptible de révéler la maladie, surtout en cas
de prééclampsie de surimpression.
Le pronostic foetal est mauvais :
le risque de mort in utero d’origine anoxique est d’autant plus
significatif que la protéinurie a été précoce (avant la 20e semaine) et
que l’hypertension artérielle était mal contrôlée.
* Hématome sous-capsulaire hépatique
:
Cette complication témoigne d’un syndrome HELLP dans 95 % des
cas ; elle en émaille l’évolution dans 1 à 4%.
L’hématome siège
habituellement dans le lobe droit du foie et se traduit par des
douleurs violentes de l’hypocondre, avec parfois des irradiations
scapulaires ; la confirmation est obtenue par l’échographie ou un
examen en tomodensitométrie (TDM).
Le traitement conservateur
est de règle, avec surveillance échographique de la régression
spontanée.
Une embolisation est parfois proposée.
La rupture
survient dans 2 % des cas et nécessite une laparotomie d’hémostase
face à un état de choc hémorragique de mauvais pronostic (80 % de
mortalité).
5- Complications neurologiques
:
La survenue de l’éclampsie est rare lorsque la grossesse est bien
suivie, la pression artérielle contrôlée par des vasodilatateurs
limitant le vasospasme cérébral et l’accouchement effectué avant ou
dès l’apparition des signes prodromiques de la crise convulsive.
Ces
signes de souffrance neurologique sont une hyperréflexie
ostéotendineuse, des clonies des extrémités, une somnolence,
l’existence d’une confusion mentale, des troubles oculaires et
surtout, dans 60 à 80 % des cas, des céphalées en casque ou frontales,
intenses, pulsatiles, accompagnées de vertiges.
La lésion sousjacente
aux troubles oculaires est en général un oedème rétinien ; il
peut exister des décollements de rétine ou des spasmes vasculaires.
La cécité corticale est plus rare, caractérisée par l’absence de
poursuite et l’abolition du clignement à la menace, contrastant avec
la conservation des réflexes photomoteurs.
Elle est souvent
associée à une forme grave de prééclampsie et précède ou suit une
crise convulsive.
La récupération est en général totale dans un délai
de quelques heures à plusieurs jours.
Dans notre expérience portant
sur 54 cas, l’éclampsie est toujours précédée d’une élévation de la
pression artérielle, et de l’apparition ou de l’aggravation des
oedèmes.
L’enregistrement électroencéphalographique montre des
anomalies diffuses dans 70 % des cas et des ralentissements localisés
dans 30 % des cas.
Les lésions intracrâniennes observées au cours des crises convulsives
de l’éclampsie sont oedémateuses ou hémorragiques.
Elles sont liées
d’une part à l’élévation tensionnelle et d’autre part à l’ischémie
secondaire à la lésion vasculaire et au vasospasme.
Des lésions
peuvent se développer en l’absence d’hypertension artérielle sévère :
un coma sans convulsions peut en être un mode de révélation.
Un
oedème cérébral diffus ou le plus souvent postérieur est retrouvé
chez la moitié des femmes éclamptiques. Son ampleur est
proportionnelle à la durée des convulsions.
L’examen en TDM
visualise une hypodensité de la substance blanche sous-corticale, ne
prenant pas le contraste.
L’oedème est réversible avec la guérison
clinique.
Les hémorragies corticales et sous-corticales sont
fréquentes.
Elles correspondent à des micro-infarctus cérébraux de
localisation essentiellement postérieure, mieux visibles en imagerie
par résonance magnétique (IRM).
Ces lésions régressent également
avec la guérison clinique.
Les hématomes intracérébraux sont moins
fréquents (10 % des lésions macroscopiques).
Ils se présentent sous
la forme de zones spontanément hyperdenses, de topographie soustentorielle,
avec effet de masse et accompagnées parfois d’une
hémorragie intraventriculaire.
Leur caractère péjoratif est reflété par
une mortalité de 60 à 80 %.
Ces lésions sont liées à la microangiopathie et à la coagulopathie.
Elles coïncident avec une
perte de l’autorégulation de la vasomotricité cérébrale, de telle sorte
que des lésions ischémiques peuvent apparaître au décours d’une
réduction du débit sanguin secondaire à un traitement
antihypertenseur mal conduit, un état de choc hémorragique, une
hypertension intracrânienne, voire par le résultat hémodynamique
d’une hyperventilation liée aux lésions neurologiques, ou secondaire
à l’assistance ventilatoire.
En pratique, une TDM ou une IRM encéphalique ne sont pas des
examens de routine en raison de l’absence de parallélisme
anatomoclinique.
Ils doivent être pratiqués en cas d’éclampsie, face
à un coma postcritique prolongé ou à l’apparition de signes de
localisation à la recherche d’une hémorragie intracrânienne ou d’une
thrombose vasculaire.
Enfin, l’association d’un syndrome HELLP à
l’éclampsie aggrave le pronostic de l’éclampsie ; elle démontre
l’existence d’une défaillance multiviscérale liée à la
microangiopathie.
Dans cette circonstance, la mortalité maternelle
est de 2 % dans notre pratique.
La morbidité foetale est plus élevée,
car cette association apparaît plus précocement que l’éclampsie
isolée dans notre expérience (33 versus 35 semaines), et la mortalité
néonatale est de 7 à 18%.
6- Complications infectieuses
:
Une incidence accrue d’endométrite, de pyélonéphrite ou
d’infections pariétales évoque l’existence probable d’une dysfonction
immunitaire.
D - COMPLICATIONS FOETALES :
L’ischémie placentaire entraîne une hypoxie tissulaire chronique du
foetus.
L’intensité de l’hypoperfusion foetale est évaluée par les flux
sanguins ombilical (absence ou inversion du flux diastolique) et
cérébral (redistribution du flux vers l’encéphale).
L’ischémie
chronique est responsable d’un oligoamnios, du retard de croissance
in utero avec stagnation staturale au cours du suivi échographique,
des anomalies du rythme cardiaque foetal et de la diminution des
mouvements spontanés du foetus.
Outre la constitution d’un
hématome rétroplacentaire, l’ensemble contribue à l’extraction
prématurée d’un foetus hypotrophique, avec les conséquences d’une
immaturité respiratoire et cérébrale, voire à une mort foetale in utero.
E - DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS DES COMPLICATIONS
VISCÉRALES DE LA PRÉÉCLAMPSIE :
1- Diagnostic différentiel d’une thrombopénie isolée
:
Les thrombopénies par allo-immunisation d’origine foetale et le
purpura thrombopénique auto-immun ne s’accompagnent ni
d’hypertension artérielle, ni de protéinurie ; le diagnostic repose sur
la découverte d’anticorps antiplaquettes.
La thrombopénie liée à un
lupus érythémateux disséminé avec syndrome des antiphospholipides est un vrai problème de diagnostic, car ce
syndrome favorise la survenue de la prééclampsie ; le dosage des
autoanticorps contribue au diagnostic.
Les thrombopénies médicamenteuses peuvent être liées à une
destruction périphérique accrue, à une toxicité propre ou à un
mécanisme immunologique.
Les médicaments susceptibles de
provoquer une thrombopénie chez une femme enceinte prééclamptique sont l’héparine, l’ampicilline, les céphalosporines,
l’alpha-méthyldopa, l’hydralazine, la diphénylhydantoïne.
Le
traitement soupçonné doit être interrompu et remplacé en cas de
nécessité, tandis que les examens biologiques de diagnostic,
lorsqu’ils existent, sont réalisés.
2- Diagnostic différentiel du syndrome HELLP :
La connaissance des affections hépatiques qui peuvent survenir au
cours de la grossesse, en dehors du syndrome HELLP, est
importante, car certaines justifient d’un traitement spécifique ou ne
nécessitent pas d’interrompre la grossesse.
* Hépatite :
Elle peut être virale ou médicamenteuse, sans implication sur le
terme de la grossesse en dehors d’une forme fulminante.
L’hépatite
virale est diagnostiquée par la découverte du contage et le dosage
de marqueurs biologiques.
L’incidence de l’hépatite herpétique,
fébrile et leucopénique, augmente au cours de la grossesse.
L’hépatite médicamenteuse est volontiers prurigineuse et nécessite
l’interruption immédiate du traitement en cause.
* Cholécystite aiguë lithiasique :
Elle pourrait être favorisée par la grossesse, qui aggrave le sludge
vésiculaire ; elle est facilement diagnostiquée par la conjonction des
examens clinique, biologiques et ultrasonores.
* Cholestase gravidique
:
Elle est révélée dans 95 % des cas par un subictère prurigineux avec
élévation nette des transaminases (30 fois la normale).
L’incidence
est de 0,2 à 0,5 % des grossesses ; elle est souvent déclenchée par la
prise de progestérone.
La créatininémie et la numération
plaquettaire sont normales.
* Syndrome hémolytique-urémique
et purpura thrombopénique thrombotique
:
Ils doivent être rapidement diagnostiqués pour bénéficier d’un
traitement spécifique (immunoglobulines, plasmaphérèse,
corticothérapie), afin d’améliorer le pronostic caractérisé par une
mortalité élevée à long terme (supérieure à 40 %).
Syndrome hémolytique-urémique et purpura thrombopénique thrombotique
sont deux expressions d’un même processus physiopathologique
non spécifique de la grossesse.
Le purpura thrombopénique
thrombotique est le plus fréquemment rencontré ; il associe une
thrombopénie, une microangiopathie hémolytique, une atteinte
neurologique, une insuffisance rénale et une fièvre.
Le diagnostic
différentiel est difficile dans le post-partum car le syndrome HELLP
peut survenir chez une femme normotendue et, inversement, le
purpura thrombopénique thrombotique et le syndrome
hémolytique-urémique peuvent s’accompagner d’une hypertension
artérielle.
Plutôt qu’un diagnostic différentiel, le syndrome hémolytique-urémique est, peut-être, l’expression ultime d’un
processus physiopathologique dont le syndrome HELLP est une
expression intermédiaire.
* Syndrome de Budd-Chiari :
Il est favorisé par la tendance procoagulante de la grossesse, en
particulier lorsqu’il existe un déficit en protéine anticoagulante ou
un syndrome des antiphospholipides.
L’association hépatomégalie douloureuse-ascite-fièvre est rarement complète ; une hypertension
artérielle peut coïncider avec l’affection.
Le diagnostic est confirmé
par l’imagerie des veines sus-hépatiques.
En l’absence de traitement,
l’évolution se fait vers l’hypertension portale et la nécrose
hépatocellulaire.
* Stéatose hépatique aiguë gravidique :
Elle a un tableau très proche du syndrome HELLP, bien que le
substrat histologique soit sensiblement différent : il existe des
microvésicules lipidiques dans des hépatocytes pâles avec noyaux
centraux ; les foyers de nécrose hépatocellulaire sont rares.
Dans la
mesure où une prééclampsie est observée chez la moitié des femmes
présentant une stéatose hépatique aiguë gravidique, une
communauté physiopathologique a, une nouvelle fois, été évoquée
entre le syndrome HELLP et la stéatose hépatique aiguë gravidique.
La stéatose hépatique aiguë gravidique est révélée par un ictère rétentionnel accompagné de vomissements, d’hépatalgies et
d’épigastralgies.
Un syndrome polyuropolydipsique associé est
évocateur. Biologiquement, une insuffisance hépatocellulaire est
constante au cours de la stéatose hépatique aiguë gravidique avec
hypoglycémie.
Le déficit de production des facteurs d’hémostase
s’accompagne dans 75 % des cas d’une coagulopathie intravasculaire
disséminée.
L’échographie et l’examen TDM hépatobiliaire n’ont
aucune sensibilité ou spécificité diagnostiques.
L’évolution se fait
vers l’encéphalopathie avec syndrome hépatorénal.
Le décès
maternel peut être précipité par des complications hémorragiques,
en particulier un hématome sous-capsulaire du foie.
Le diagnostic
de stéatose hépatique aiguë gravidique est établi formellement par
la biopsie hépatique, dont le bénéfice doit être opposé au risque,
même lorsqu’elle est réalisée par voie transjugulaire.
Faire la
distinction entre une stéatose hépatique aiguë gravidique et un
syndrome HELLP sévère n’a pas de conséquence thérapeutique
importante puisque, dans les deux cas, il faut interrompre la
grossesse, quel qu’en soit le terme, après une réanimation adéquate.
Cette prise en charge active améliore le pronostic de l’affection, avec
une mortalité réduite de 75 à 25 %.
3- Diagnostic différentiel d’une éclampsie
:
L’examen TDM encéphalique fournit le diagnostic étiologique de la
plupart des complications neurologiques de la grossesse qui ne sont
pas une véritable éclampsie.
* Thrombose veineuse cérébrale :
Elle est secondaire à l’hypercoagulabilité gravidique associée à une
pathologie thrombogène (déficit en facteur anticoagulant, infection,
déshydratation).
Cette complication survient au cours des
3 premières semaines postpartum.
Elle se manifeste par des
céphalées et des convulsions dans 80 % des cas, avec un coma
postcritique ou un déficit moteur dans 50 % des cas.
L’évolution est
en général favorable.
* Embolie artérielle cérébrale :
Elle est responsable de la majorité des accidents ischémiques.
Elle
survient au cours de la seconde moitié de la grossesse ou du premier
mois post-partum. Les syndromes déficitaires sont plus fréquents
que les convulsions.
L’origine intracardiaque du thrombus doit être
évoquée.
* Malformation vasculaire cérébrale
(anévrisme ou malformation artérioveineuse)
:
Elle est volontiers révélée par la grossesse en raison des
modifications structurelles vasculaires gravidiques.
Les tableaux
cliniques dépendent de la localisation de la malformation.
Des
variations tensionnelles sont possibles en fonction d’une éventuelle
hypertension intracrânienne.
* Embolie amniotique :
Elle peut associer, au cours de l’accouchement, un coma ou des
convulsions à la défaillance cardiorespiratoire avec coagulopathie
intravasculaire disséminée.
Il s’agit alors d’un diagnostic
d’élimination, nécessitant une vérification anatomique en cas de
décès.
* Autres
:
Une comitialité, une intoxication par l’eau (au cours d’un traitement oxytocique), la toxicité des anesthésiques locaux, une syncope vagale
et une hypoglycémie sont facilement éliminées par l’anamnèse.
Modalités thérapeutiques :
A - FORMES MODÉRÉES :
Bien que la suppression des contraintes physiques et psychiques soit
importante, l’efficacité du repos complet est discutée et ne doit pas faire retarder l’administration de médicaments antihypertenseurs.
Sur le plan diététique, il faut rappeler aux femmes hypertendues
que le régime désodé est inutile (sauf dans quelques cas
d’hypertension artérielle chronique dépendant du sodium) et même
dangereux.
En effet, le régime sans sel aggrave l’hypovolémie
relative qui accompagne constamment l’hypertension gravidique.
Les apports de calcium et de magnésium pourraient avoir un effet
bénéfique dans des populations carencées.
Malgré l’absence
d’efficacité évidente des différents régimes décrits dans la littérature,
une consultation diététique est utile lorsque la prise de poids est
anormale.
Le traitement antihypertenseur réduit la protéinurie, diminue
l’incidence des formes graves et le besoin d’hospitalisation.
Il est
indiqué en cas de pression artérielle diastolique supérieure à
90 mmHg.
L’alpha-méthyldopa (Aldomett) est le médicament le plus utilisé.
Aucun effet délétère à court terme chez le foetus et le nouveau-né,
ou à long terme chez l’enfant, n’a été rapporté.
Il est prescrit à la
dose de 500 à 1 500 mg/j. Son efficacité est inconstante.
Des troubles
hépatiques sont possibles mais rares.
Les bêta-bloquants : l’aténolol (Ténorminet) diminue l’incidence de
la prééclampsie, mais provoquerait une chute du débit sanguin
utéroplacentaire responsable de retards de croissance in utero.
Les
résultats concernant les effets délétères des autres antagonistes bêtaadrénergiques
sont contradictoires.
Tous les bêtabloquants
franchissent la barrière placentaire et le foetus comme le nouveau-né
peuvent présenter une bradycardie ou une hypoglycémie.
Les
médicaments éliminés par voie rénale (aténolol) peuvent persister
longtemps chez le nouveau-né et entraîner des effets secondaires
jusqu’à 72 à 120 heures après la naissance.
Ce n’est pas le cas des
médicaments principalement éliminés par voie métabolique
(bétaxolol, oxprénolol, labétalol, propranolol), sauf si les métabolites
sont actifs (acébutolol, métoprolol).
De nombreuses équipes
proposent l’utilisation du labétalol (Trandatey) sans observer d’effet
délétère foetal ou néonatal.
Il n’existe pas d’étude à long terme des
enfants dont la mère a reçu des bêtabloquants pendant la grossesse.
Les inhibiteurs calciques de type dihydropyridine sont utilisés en
pratique clinique pour le traitement des menaces d’accouchement
prématuré et de l’hypertension gravidique sans complication
cardiorespiratoire démontrée chez le foetus, et prennent une place
prépondérante en première intention, d’autant qu’ils auraient
une action antioxydante.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes des
récepteurs AT1 à l’angiotensine sont contre-indiqués.
Les diurétiques ne doivent pas être utilisés en dehors d’indications
spécifiques.
En cas d’hypertension artérielle chronique, les traitements antérieurs
peuvent être poursuivis en adaptant les posologies pour maintenir
une pression artérielle systolique proche de 120 mmHg et une
pression artérielle diastolique inférieure à 90 mmHg.
Une réduction posologique est parfois nécessaire au cours du deuxième trimestre.
Un traitement diurétique est autorisé en cas d’anomalie de la
fonction rénale.
Les traitements interférant avec le système rénineangiotensine
(inhibiteurs de l’enzyme de conversion et antagonistes
des récepteurs AT1 à l’angiotensine) doivent être interrompus avant
la grossesse dans la mesure du possible ; dans le cas contraire, une
interruption précoce et une alternative thérapeutique sont
impératives.
Dans tous les cas, la prise en charge est rigoureuse, imposant une
surveillance clinique et biologique maternelle répétée.
Le
développement et le bien-être foetaux sont évalués par la
surveillance du rythme cardiaque foetal et les examens ultrasonores.
L’évolution de la maladie dans ces formes modérées doit faire
réfléchir à l’interruption de la grossesse lorsque le terme est
supérieur à 37 semaines.
B - CRITÈRES ET MODALITÉS D’HOSPITALISATION.
CRITÈRES D’INTERRUPTION DE GROSSESSE
:
1- Critères d’hospitalisation :
Ils sont issus de la surveillance maternelle et foetale ; ils témoignent
du mauvais contrôle de la pression artérielle, de l’apparition de
complications viscérales ou du retentissement foetal de la maladie.
L’organisation en réseau par le décret « Périnatalité » du 9 octobre
1998 améliore la prise en charge hospitalière maternofoetale des
femmes présentant une prééclampsie.
L’hospitalisation prépare les
femmes à l’accouchement dans les meilleures conditions
d’hémodynamique générale et régionale, et d’hémostase biologique.
2- Rôle de l’âge gestationnel
:
L’âge gestationnel est un élément important de décision.
Lorsque le terme est précoce, un traitement conservateur pour
permettre la poursuite du développement du foetus peut être
proposé dans une maternité de niveau 3, située dans le même
établissement qu’un service de réanimation néonatale, un service de
radiologie interventionnelle, un service de chirurgie viscérale, un
service de réanimation adulte et un ensemble de laboratoires
fonctionnant 24 heures sur 24.
Le risque de ce traitement tient à
l’évolutivité de la maladie.
L’interruption de la grossesse peut
être envisagée face à une réaggravation de la maladie ou au cours
de l’effet maximal de la corticothérapie pour permettre à la mère de
bénéficier d’un accouchement programmé sous anesthésie
péridurale.
Dans la première circonstance, l’urgence et l’anesthésie
générale exposent à une intubation trachéale difficile, une inhalation
de liquide digestif, une décompensation cardiorespiratoire et un
à-coup hypertensif au cours de la laryngoscopie.
Lorsque le terme est supérieur à 34 semaines, et qu’il s’agit d’une
forme sévère, l’accouchement doit être proposé selon une modalité
dictée par les conditions obstétricales.
3- Critères d’interruption de grossesse :
L’interruption de la grossesse est proposée dans trois circonstances :
– le pronostic de l’enfant est d’emblée défavorable (forme sévère
apparaissant avant 25 semaines, souffrance foetale chronique, retard
majeur de croissance in utero) ; l’arrêt de la grossesse est proposé
selon une méthode d’interruption médicale au décours d’une
décision prise par l’obstétricien, le pédiatre et les parents ;
– l’état maternel se dégrade rapidement en cours d’hospitalisation
comme en témoignent :
* une hypertension artérielle résistant à une bithérapie antihypertensive intraveineuse bien conduite ;
* une oligurie persistant malgré l’association d’un remplissage
vasculaire avec des médicaments diurétiques et vasodilatateurs ;
* une dyspnée témoignant d’un oedème pulmonaire ;
* une microangiopathie évolutive, aboutissant, sous
corticothérapie, à une thrombopénie inférieure à 100 X 109/L ou à
une réduction supérieure à 20 % de la numération plaquettaire, ou
s’il existe une hémolyse manifeste ;
* la persistance de douleurs abdominales ou de vomissements ;
* des prodromes d’éclampsie (cécité corticale, céphalées) ;
* une hyponatrémie (= 130 mmol/L) ;
*
un hématome sous-capsulaire du foie ;
* un hématome rétroplacentaire ;
– l’état foetal se dégrade, comme en témoignent des anomalies du
rythme cardiaque (décélération ou réduction de la variabilité), un
arrêt de la croissance foetale, des vélocités artérielles foetales
anormales.
En cas de signes de souffrance foetale aiguë, en particulier lorsqu’il
existe un hématome rétroplacentaire, la naissance s’impose dans
l’établissement initial d’accueil, quel qu’en soit le niveau. Le transfert
du nouveau-né et éventuellement celui de la mère sont effectués
secondairement.
C - RÉANIMATION DES FORMES GRAVES
:
1- Objectifs :
La réanimation des femmes présentant une forme grave de la
maladie nécessite la coopération de l’anesthésiste-réanimateur, de
l’obstétricien et du néonatologiste, afin d’évaluer ensemble et à
intervalles rapprochés la mère et l’enfant, et de comparer
régulièrement les risques et les bénéfices du traitement conservateur
de la grossesse.
La durée de la réanimation est variable en fonction
du terme et de l’efficacité du traitement.
Les objectifs de la
réanimation sont le contrôle de la pression artérielle pour éviter les
lésions viscérales aiguës, l’ajustement du volume sanguin circulant
pour préserver la diurèse en évitant l’oedème pulmonaire, la
correction des anomalies de l’hémostase, le ralentissement des
lésions endothéliales et la maturation pulmonaire foetale.
L’assistance ventilatoire et le traitement anticonvulsivant sont
nécessaires au cours de l’éclampsie ; l’assistance ventilatoire peut
également être nécessaire en présence d’un oedème pulmonaire lié à
la maladie ou à une erreur thérapeutique.
2- Traitement antihypertenseur
:
Ce traitement repose sur l’utilisation de la forme injectable des
médicaments vasodilatateurs.
Le traitement antihypertenseur a
pour objectif une réduction de 20 % de la pression artérielle
moyenne ; une valeur de pression artérielle moyenne de 100 mmHg
semble adaptée à une perfusion viscérale satisfaisante.
En cas de
pression artérielle moyenne supérieure à 140 mmHg, l’injection
itérative de bolus intraveineux de nicardipine (0,5 ou 1 mg) est
pratiquée pour prévenir les complications neurologiques et précède
la perfusion intraveineuse continue d’un médicament antihypertenseur
(labétalol, Trandatey ; hydralazine, Népressolt ;
nicardipine, Loxent).
Les effets secondaires néfastes (hypotension
brutale, nécessité d’accouchement par césarienne, score d’Apgar bas)
semblent moins fréquents avec les inhibiteurs calciques et le
labétalol qu’avec l’hydralazine.
Le labétalol atténue la tachycardie
réflexe secondaire à la vasodilatation provoquée par l’hydralazine
et la nicardipine.
Les rares bradycardies foetales décrites au cours
du traitement par le labétalol par voie intraveineuse n’ont pas
justifié de traitement.
En cas de contre-indication au traitement
bêtabloquant, l’utilisation de la clonidine est possible.
3- Remplissage vasculaire :
Le remplissage vasculaire est parfois nécessaire au cours de la prééclampsie chez des femmes présentant une hypovolémie relative
par rapport à une grossesse normale et chez lesquelles un traitement
vasodilatateur et sympatholytique est administré.
Ce remplissage
vasculaire ne doit pas être systématique en raison du risque vital lié
au développement d’un oedème pulmonaire, voire à l’aggravation
d’un oedème cérébral.
Une détresse respiratoire est à l’origine
de 40 % des décès chez les femmes prééclamptiques.
Les indications du remplissage vasculaire sont :
– une chute brutale et significative de la pression artérielle lors de
l’introduction du traitement antihypertenseur par voie
intraveineuse ;
– une hypovolémie patente, traduite par une hémoconcentration
(hématocrite = 40 %), en particulier avant une anesthésie
périmédullaire ;
– une oligoanurie ; en l’absence d’hémolyse, un débit urinaire de
100 mL/4 h peut être toléré ; dans le cas contraire, un remplissage
vasculaire est légitime en cas d’oligurie persistante ; les diurétiques de l’anse de Henle (furosémide ou bumétamide) et la dopamine (2 à
5 g/kg/min) peuvent être associés en cas d’échec ; une diurèse
inférieure à 500 mL/24 h sous traitement impose l’interruption de
grossesse ; le dosage répété de la créatininémie et de la kaliémie
permet d’évaluer la gravité de la complication viscérale qui parfois
nécessite l’épuration extrarénale, en particulier lorsqu’il existe un
oedème pulmonaire associé.
Les solutés cristalloïdes (Ringer lactate, chlorure de sodium à 0,9 %)
sont utilisables, car l’oedème pulmonaire éventuellement secondaire
à leur perfusion paraît plus facile à contrôler par les diurétiques.
Néanmoins, l’efficacité des solutions colloïdes en termes d’expansion
volumique et le souhait d’élever la pression oncotique justifient leur
emploi.
Les solutions de gélatine fluide et de dextran sont contreindiquées
en raison des conséquences d’une éventuelle allergie.
La sérum-albumine humaine à 4 % est fréquemment remplacée par une
solution à 6 % d’hydroxyéthylamidon faiblement substituée
(Hestérilt, Voluveint), malgré l’absence d’autorisation de mise sur
le marché en France.
Le volume initialement perfusé en 30 à 45 minutes est
habituellement de 500 à 750 mL de cristalloïdes ou de 250 à 500 mL
d’hydroxyéthylamidon.
Le débit recommandé de perfusion
ultérieure d’une solution de cristalloïde est de 85 mL/h.
L’apport
hydrique total, incluant les boissons, doit rester inférieur à
2 500 mL/24 h.
L’efficacité et la tolérance du remplissage vasculaire sont le plus
fréquemment évaluées par la pression artérielle, la fréquence
cardiaque, l’oxymétrie pulsée et la reprise de la diurèse qui témoigne
du rétablissement de la perfusion rénale.
Le monitorage invasif est
souvent limité à la mesure de la pression veineuse centrale, en
l’absence de dysfonction ventriculaire gauche patente. Un objectif
de pression veineuse centrale compris entre 8 et 12 mmHg est
commun aux patients de réanimation.
Le cathétérisme artériel
pulmonaire peut être utilisé lorsqu’il existe un oedème pulmonaire
résistant au traitement diurétique, une oligurie persistant malgré le
remplissage vasculaire, une hypertension artérielle sévère sous
bithérapie intraveineuse ou une cardiomyopathie sous-jacente.
L’échocardiographie peut être utilisée dans les limites de la
disponibilité du matériel pour des examens répétés et de
l’expérience de l’opérateur.
Lorsque la mise en place de la sonde
est possible, la mesure de la vélocimétrie aortique par voie
oesophagienne est utile pour suivre l’évolution cardiovasculaire,
même si une sous-estimation de 40 % du débit cardiaque a été
rapportée.
Finalement, le cathétérisme artériel périphérique
permet une mesure précise et continue de la pression artérielle et
des prélèvements sanguins itératifs.