Une pneumopathie nosocomiale est définie par la survenue,
au moins 72 h après l’admission du patient à l’hôpital,
d’une fièvre et d’un infiltrat pulmonaire radiologique
nouveau.
Il s’agit du 3e site d’infection nosocomiale et de
la première cause de décès par infection nosocomiale.
Le
diagnostic et le traitement de ces infections restent difficiles
justifiant pleinement les efforts de prévention développés
dans les Commissions de lutte contre les infections
nosocomiales (CLIN) des établissements de soins.
Enfin,
ces infections génèrent des surcoûts considérables.
Étiologie
:
A - Incidence
:
Elle est de 1 à 35 %, soit le 3e rang après les infections
nosocomiales urinaires et cutanées.
Leur incidence a été
estimée dans les hôpitaux français en 1991 à 10 % en
réanimation, 1,6 % en chirurgie et 0,3 % en médecine.
L’intubation et la trachéotomie multiplient ce risque
nosocomial par un facteur 7 à 21.
B - Micro-organismes en cause
:
Ils sont dominés largement par les bactéries.
La nature
et la fréquence des bactéries en cause varient considérablement
selon les centres et les études.
Les infections à
micro-organismes multiples sont retrouvées dans 10 à
40 % des cas.
Dans plus de la moitié des cas, il s’agit
d’infections à bactéries gram-négatives, Pseudomonas
aeruginosa, Acinetobacter sp., Klebsiella pneumoniæ,
Enterobacter sp., Escherichia coli. Staphylococcus sp.
le plus souvent méticilline résistant, est maintenant
au premier rang.
D’autres micro-organismes sont
plus rarement retrouvés : Streptococcus pneumoniæ,
Haemophilus influenzæ et Moraxella catarrhalis chez
des sujets âgés porteurs de bronchopneumopathies chroniques
obstructives, Legionella sp. dans le cadre d’épidémie,
des bactéries anaérobies dans le cas de pneumopathie
d’inhalation.
Les virus respiratoire syncytial,
Influenza A et les adénovirus sont en cause chez l’enfant.
Aspergillus fumigatus et Candida sp. concernent
les sujets immunodéprimés.
C - Sources de contamination
et mécanismes en cause :
La flore oropharyngée est la source majeure de contamination
à l’origine de ces infections.
Le patient hospitalisé
voit progressivement la flore de son oropharynx remplacée
par des bactéries gram-négatives.
Ces bactéries
proviennent du personnel soignant et surtout de la flore
gastro-intestinale du patient.
La diminution de l’acidité
gastrique liée à l’utilisation d’antisécrétoires, les
troubles de vidange de l’estomac, le décubitus dorsal, la
présence d’une sonde nasogastrique associée à un reflux
favorisent la multiplication intragastrique des bactéries
et la colonisation rétrograde de l’oropharynx.
Les
lésions épithéliales des voies aériennes permettent l’adhérence
des bactéries gram-négatives et participent à la
colonisation progressive de l’oropharynx.
La survenue
d’une pneumonie nosocomiale est précédée de microinhalations
répétées du contenu modifié de la flore oropharyngée
dans un contexte d’altération des réflexes de
toux, de troubles de la déglutition, d’intubation ou de
troubles de la vigilance.
Lorsque l’inoculum bactérien
dépasse les moyens de défense locaux, une pneumonie
nosocomiale se développe.
La contamination par voie lymphatique ou bactériémique
est possible mais rare.
C’est le cas des infections
sur cathéter ou d’endocardite du coeur droit.
La contamination exogène ou endogène des circuits des
respirateurs est fréquemment en cause en réanimation
au cours des pneumopathies des patients ventilés.
La
contamination par le manuportage du personnel soignant
devrait être prévenue par le respect des règles
d’hygiène.
D - Facteurs de risque
:
Ils sont nombreux : bronchopneumopathies chroniques
obstructives, âge > 70 ans, immunodépression, troubles
de la vigilance, détresse respiratoire aiguë, intubation
orotrachéale, séjour en réanimation, antibiothérapie
préalable, acte chirurgical thoraco-abdominal, décubitus
dorsal, utilisation de médicaments antisécrétoires gastriques.
La connaissance de ces facteurs permet de définir
des situations et des sujets à risque chez qui les
mesures de prévention seront renforcées.
Diagnostic :
Le diagnostic des pneumonies nosocomiales est difficile
car il faut distinguer une simple colonisation des voies
aériennes inférieures d’une véritable infection du parenchyme
pulmonaire.
En effet, l’interprétation des prélèvements
microbiologiques est complexe en l’absence de
la technique de référence : l’examen histologique et la
culture quantitative d’un fragment de tissu pulmonaire.
En pratique, le clinicien doit réunir au lit du malade,
souvent en urgence, un faisceau d’arguments pour décider
de l’antibiothérapie la plus adaptée.
A - Diagnostic radio-clinique :
1- Diagnostic facilement évoqué :
C’est le cas chez un patient hospitalisé depuis au moins
72 h, non intubé, sans antécédent respiratoire qui
développe une fièvre, une hyperleucocytose, des signes
respiratoires avec un infiltrat pulmonaire nouveau. Les
prélèvements microbiologiques, hémocultures et éventuellement
les prélèvements protégés par fibroscopie,
chez ce patient sans antibiothérapie préalable, permettent
la mise en route rapidement d’une antibiothérapie
adaptée.
2- Diagnostic plus difficile :
À l’inverse, chez d’autres patients aux antécédents respiratoires d’immunodépression, voire intubés et
ventilés, les signes cliniques et radiologiques d’infections
pulmonaires peuvent faire défaut ou être expliqués
par de nombreuses pathologies non infectieuses : syndrome
de détresse respiratoire aiguë de l’adulte, hémorragie
alvéolaire, pneumopathie d’hypersensibilité, localisation
thoracique d’affections en cours de traitement
ou encore, chez les patients cancéreux, effets indésirables
de la chimiothérapie et (ou) de la radiothérapie.
L’évolution des échanges gazeux, l’aspect des aspirations
trachéales, la courbe thermique, les données de la
tomodensitométrie thoracique seront autant d’indices
faisant suspecter cette complication évolutive mais sans
l’affirmer.
Afin d’éviter un diagnostic de pneumopathie
nosocomiale par excès et une prescription abusive d’antibiotiques,
des prélèvements microbiologiques s’avèrent
alors indispensables.
B - Diagnostic microbiologique :
La technique de référence, l’examen histologique avec
culture positive O 104 unités formant colonies (UFC)/g
de tissu pulmonaire est rarement disponible compte tenu
des dangers de la ponction transpariétale et de la rareté
d’une biopsie pulmonaire dans ce contexte de malade de
réanimation.
On s’appuie sur des méthodes non invasives
et invasives.
1- Méthodes non invasives :
Les hémocultures sont d’une très grande spécificité
mais d’une faible sensibilité de l’ordre de 7 à 25 %.
La positivité de la culture d’un liquide pleural est spécifique
d’une pneumonie homolatérale.
L’examen cytobactériologique de l’expectoration ou des
sécrétions trachéales n’est déterminant que pour les bactéries
non contaminantes des voies aériennes de type
bacilles tuberculeux ou légionelle.
En dehors de ce
contexte, la spécificité de cet examen est médiocre, de
l’ordre de 30 %.
Les techniques immunologiques de détection d’antigène
sont utiles pour Legionella sp. et certaines infections
virales (Cytomégalovirus).
2- Méthodes invasives :
La ponction transtrachéale ne peut être pratiquée que
chez le patient non intubé et tend à être remplacée par
les prélèvements protégés réalisés sous fibroscopie
bronchique.
La fibroscopie bronchique ne peut s’envisager que chez
un malade étroitement surveillé.
La technique la plus
utilisée est le brossage bronchique distal protégé développé
par Wimberley.
La sensibilité et la spécificité de la
technique permettent d’identifier correctement seulement
60 % des cas de vraies pneumonies nosocomiales.
Ainsi, un prélèvement négatif avec une culture < 103 UFC/mL n’exclut pas définitivement le diagnostic dans
les cas où le patient reçoit une antibiothérapie.
Le lavage broncho-alvéolaire permet de recueillir une quantité
plus importante de sécrétions.
La constatation à l’examen
direct de plus de 5 % de cellules infectées par des
bactéries, sur des frottis cyto-centrifugés colorés au
Gram, est un argument pour le diagnostic de pneumonie
nosocomiale qui sera confirmée par une culture quantitative
> 104 UFC/mL.
La sensibilité du lavage bronchoalvéolaire
pour le diagnostic d’une pneumonie nosocomiale
est estimée entre 47 et 91 %, sa spécificité entre
45 et 100 %.
En pratique, chez le patient non intubé, le brossage bronchique
distal protégé est probablement la meilleure technique
pour identifier le ou les micro-organismes en cause
en l’absence d’antibiothérapie récente.
À l’inverse, les
méthodes invasives chez le patient intubé ne représentent
pas la référence en routine compte tenu d’une sensibilité
imparfaite notamment en cas d’antibiothérapie antérieure.
Les données épidémiologiques et cliniques documentées
par les cultures quantitatives des aspirations trachéales
orientent le choix de l’antibiothérapie.
Évolution
:
La mortalité est estimée de 20 à 50 % chez les patients
ventilés de façon invasive.
C’est la première cause de
décès par infection nosocomiale.
Les facteurs de risque
de décès dans ce contexte d’infections pulmonaires
nosocomiales sont un âge avancé, une affection sousjacente
fatale à brève échéance, la présence d’infiltrats
pulmonaires bilatéraux, une insuffisance respiratoire
aiguë, une antibiothérapie inadaptée, des bactéries à
haut risque, Pseudomonas sp. ou Acinetobacter sp.
Traitement :
A - Traitement curatif :
À côté de la prise en charge symptomatique de la
défaillance respiratoire et du retentissement systémique
de l’infection, une antibiothérapie adaptée est l’élément
central du traitement.
L’antibiothérapie initiale est souvent
probabiliste, débutée idéalement après des prélèvements
microbiologiques.
Elle est débutée d’autant plus
précocement qu’il existe des signes de gravité et (ou)
des facteurs de mauvais pronostic.
1- Critères de choix des antibiotiques :
On doit tenir compte de plusieurs facteurs.
Le choix initial est un pari microbiologique qui repose
sur la connaissance de l’épidémiologie bactérienne dans
l’institution où le patient est accueilli et sur le suivi des
cultures de surveillance de ce patient, si elles sont disponibles.
Chez le patient intubé et ventilé, il existe une
augmentation du risque d’infection à bactéries multirésistantes
surtout en cas d’antibiothérapie antérieure.
Le contexte clinique est extrêmement important en
orientant sur certains agents pathogènes : antécédents de bronchopneumopathies chroniques obstructives, mucoviscidose,
immunodépression, polytraumatisme,
contexte neurochirurgical, antibiothérapie antérieure,
ventilation assistée, début précoce ou tardif de la pneumonie.
Ainsi, une pneumopathie, survenant de façon tardive
chez un patient ventilé ayant reçu des antibiotiques,
sera à haut risque d’infection multirésistante type
Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter baumannii ou
encore à Staphylococcus aureus méticilline résistant
La connaissance de l’activité intrinsèque des antibiotiques
est à prendre en compte.
Les cultures quantitatives des brosses protégées et les
prélèvements quantitatifs de surveillance des aspirations
trachéales chez les patients intubés sont évidemment un
critère de choix.
Enfin les données pharmacocinétiques sont à
considérer : il faut respecter la voie, la fréquence d’administration
et adapter éventuellement les doses aux
taux plasmatiques.
2- Mono- ou bithérapie
:
Avant l’obtention des résultats microbiologiques, on a
recours à des associations d’antibiotiques en fonction du
risque microbiologique suspecté.
Les antibiothérapies
initiales associent un aminoside (ou une fluoroquinolone)
à une bêtalactamine (céphalosporine de 3e génération ou
monobactame ou carbapénème ou uréidopénicilline/carboxypénicilline
avec ou sans inhibiteur de bêtalactamases)
auxquels peut être adjoint un glycopeptide s’il
existe un risque d’infection à staphylocoque résistant à
la méticilline.
Après obtention de l’antibiogramme, le
spectre de l’antibiothérapie peut être resserré et le traitement
poursuivi parfois en monothérapie.
3- Durée du traitement :
Il n’existe pas de recommandations codifiées.
En pratique,
la durée du traitement parentéral est au minimum
de 2 semaines.
B - Prévention
:
La gravité des ces infections justifie une politique de
surveillance et de prévention animée en France par le
Conseil supérieur d’hygiène publique.
Cette prévention
repose sur 3 principes : l’identification des sources de
contamination, l’interruption de la transmission des
micro-organismes entre le personnel et les patients, la
prophylaxie ou la réduction de la colonisation des
patients par des micro-organismes potentiellement
pathogènes.
La ventilation non invasive permet de diminuer
le risque d’infection pulmonaire.
La décontamination
digestive sélective visant à diminuer la colonisation oropharyngée n’est pas validée comme prévention des
pneumonies nosocomiales.
Les règles d’hygiène et une
utilisation raisonnée des antibiotiques sont des points
centraux.