Le placenta accreta se caractérise par une adhérence anormale du
placenta au myomètre, du fait de l’absence localisée ou diffuse de la
caduque basale qui, habituellement, s’interpose entre les villosités
trophoblastiques et le myomètre.
Il existe différents types
anatomiques de placenta accreta en fonction de la profondeur de la
pénétration des villosités dans le muscle utérin.
La forme accreta
(75 % des cas) est caractérisée par la pénétration superficielle des
villosités dans le myomètre, alors que la forme increta (15 %) est
définie par une pénétration profonde des villosités.
Enfin, dans la
forme percreta, les villosités traversent le myomètre pour atteindre
la séreuse et même les organes pelviens tels que la vessie, le
ligament large ou l’intestin.
L’adhérence du placenta peut
siéger sur toute la plaque basale ou n’être localisée qu’à un ou
plusieurs cotylédons.
Physiopathologie de l’implantation
embryonnaire et de la placentation
précoce :
L’implantation embryonnaire est liée à l’invasion contrôlée dans le
temps et dans l’espace du trophoblaste au sein de la decidua.
Il s’agit
d’un double paradoxe, histologique (seul cas d’apposition et
d’invasion de deux épithéliums) et immunologique (seule greffe semi-hétérologue acceptée par le corps humain sans aucun
traitement immunosuppresseur).
À la base des villosités « crampons » du placenta prolifèrent des
cellules trophoblastiques extravilleuses (CTEV).
Après
dissociation de ces amas cellulaires, les CTEV vont migrer dans la
decidua jusqu’à la partie profonde de celle-ci, où elles vont envahir
et coloniser les branches terminales des artères spiralées utérines.
Cette invasion de la decidua et des vaisseaux maternels va ancrer la
grossesse au niveau de l’utérus et transformer les artères spiralées
(disparition de la lame élastique et de la couche musculaire,
vasodilatation) afin de permettre l’apport sanguin suffisant à la
croissance de l’unité foetoplacentaire.
Au cours de ces phases de prolifération, migration et invasion, les CTEV reconnaissent et interagissent avec les autres types cellulaires
(cellules déciduales et cellules lymphoïdes) et les constituants de la
matrice extracellulaire (MEC) (laminine, fibronectine, collagène IV)
par des récepteurs de surface (intégrines, cadhérines et
immunoglobulines), puis ils dégradent la MEC par l’intermédiaire
de leurs enzymes (métalloprotéases).
L’invasion de la decidua par les CTEV est facilitée par la
transformation de celle-ci au cours de la phase lutéale
(décidualisation).
Les cellules déciduales participent à la
transformation de la MEC (collagène I, III, V, et VI, fibronectine,
tenascine ® collagène IV, héparane sulfate, laminine), qui joue un
rôle dans la stabilisation de la conformation tridimensionnelle de la
decidua, dans l’hydratation de celle-ci et dans l’interaction des CTEV
avec les cellules déciduales et lymphoïdes.
Les intégrines sont des glycoprotéines hétérodimériques (deux sousunités
: a et b).
La sous-unité a régule la fixation du ligand et la
conformation extracellulaire, alors que la sous-unité b qui présente
un domaine intracellulaire associé aux protéines du cytosquelette,
module l’organisation de celui-ci, l’expression des gènes, la
prolifération, la migration et la différenciation cellulaire.
La
combinaison de 15 sous-unités a et de 8 sous-unités b permet la
formation de nombreuses intégrines se liant aux divers constituants
de la MEC.
Il existe un remaniement des intégrines durant le
passage des CTEV en cytotrophoblastes interstitiels.
Ainsi, l’assise
monocellulaire proliférative située au niveau des villosités repose
sur une membrane basale typique (riche en laminine) et exprime
exclusivement l’intégrine a6b4 (récepteur à la laminine).
Au niveau
des colonnes trophoblastiques, ces cellules perdent contact avec la
membrane basale et se réorganisent en colonnes pluristratifiées
entrant progressivement en contact avec les différents composants
de la MEC sécrétée par la decidua.
On observe alors une réduction
progressive de l’expression d’a6b4 et un accroissement progressif de
l’intégrine a5b1 (récepteur à la fibronectine).
Lorsque ces cellules
atteignent la partie profonde de la decidua pour devenir
interstitielles, l’intégrine a6b4 disparaît, l’intégrine a5b1 est
maintenue et l’expression des intégrines a1b1 (récepteurs à la
laminine et aux collagènes de types I et IV), avb1 et avb3 (récepteurs
à la vitronectine) est induite.
La laminine constitue l’un des
constituants de la membrane basale des artères spiralées maternelles.
Ce « switch » des intégrines marque la transition d’un phénotype
prolifératif (CTEV a6b4 et a5b1) à un phénotype invasif
(cytotrophoblaste interstitiel a1b1).
L’adhésion des cellules trophoblastiques aux composants de la MEC
est une étape nécessaire mais non suffisante pour garantir leur invasivité, car la matrice s’organise en réseau tridimensionnel
empêchant une migration cellulaire passive.
Ainsi, la cellule
trophoblastique doit être capable de protéolyser les différents
constituants de la MEC.
Les métalloprotéases matricielles (MMP)
sont des endoprotéinases sécrétées par les cellules trophoblastiques,
constituées de 13 membres classés en trois familles : les collagénases
(MMP 1, 8, 13), dégradant les collagènes de types I et III ; les
gélatinases A (MMP 2) et B (MMP 9) pour la gélatine, le collagène
IV et l’élastine ; et les stromélysines (MMP 3, 7, 10 et 11) à plus large
spectre.
Elles sont sécrétées sous forme inactive (zymogènes).
L’activité de ces enzymes est régulée par leur niveau d’activation (la
majorité étant sécrétée sous forme inactive) et par la présence
d’inhibiteurs tissulaires spécifiques, les tissue inhibitor of
metalloproteinases (TIMP) sécrétés par la decidua et bloquant le site
actif de l’enzyme.
De plus, les intégrines sont capables de moduler
l’expression des MMP.
En outre, l’endomètre lutte contre l’invasion du trophoblaste par
plusieurs autres facteurs : le transforming growth factor (TGF) b est
un facteur de croissance exprimé à l’interface foetomaternelle par la
decidua, du premier trimestre jusqu’au terme.
Il inhibe la
prolifération et l’invasion trophoblastique.
Certaines cytokines
sécrétées par les cellules lymphoïdes localisées au niveau de l’utérus
inhibent l’invasion trophoblastique (tumor necrosis factor [TNF]a,
interleukines 2 et 12), alors que d’autres la facilitent.
Si l’invasion du trophoblaste est diminuée, la grossesse est exposée
au risque de fausses couches spontanées du premier trimestre, de prééclampsie et de retard de croissance intra-utérin (RCIU) d’origine
vasculaire (diminution de l’invasion des artères spiralées maternelles
par le trophoblaste ® maintien de l’incisure protodiastolique ou
notch au doppler à l’artère utérine).
Si l’invasion du trophoblaste est augmentée (ou la résistance de la decidua diminuée), le risque est la survenue d’un placenta accreta.
Facteurs de risque de survenue
d’un placenta accreta :
En reprenant les mécanismes qui régissent l’implantation
embryonnaire et la placentation précoce, on comprend mieux que
tout déficit quantitatif ou qualitatif de la decidua crée une zone
propice à une invasion non contrôlée du trophoblaste et donc à la
survenue d’un placenta accreta.
Cette anomalie de la decidua
survient à la suite de lésions de la muqueuse endométriale, ellesmêmes
secondaires à des séquelles d’endométrite chronique du
post-partum ou du post-abortum, ou à des cicatrices traumatiques
de l’utérus, habituellement de nature fibreuse, sur lesquelles
l’endomètre ne peut se développer normalement.
A - CICATRICES DE MANOEUVRES ENDO-UTÉRINES :
– Le curetage abrasif de l’endomètre, qui doit être abandonné au
profit de la biopsie dirigée (après hystéroscopie) possédant la même
sensibilité ;
– le curetage du post-partum, qui doit être proscrit et remplacé si
besoin par un curage digital, moins traumatique mais parfois source
d’infection (endométrite) d’où la nécessité d’une couverture
antibiotique ;
– l’aspiration endo-utérine pour interruption volontaire ou non de
grossesse.
Au départ considérée comme moins traumatique que le
classique curetage, elle peut néanmoins être source de complications,
de siège isthmique, comme les synéchies ou les lésions cicatricielles endométriales.
Elles sont favorisées par l’inexpérience de l’opérateur, la puissance trop importante du système d’aspiration (> 70 cmHg)
et le maintien de la dépression lors du passage de l’endocol ;
– les cures de synéchies, quelle que soit la technique utilisée, laissent
une cicatrice fibreuse sur chaque face de la cavité utérine.
B - CICATRICES SECONDAIRES À LA CHIRURGIE UTÉRINE :
– La réparation spontanée ou la suture d’une perforation utérine,
qui doit intéresser la totalité de la paroi utérine et être faite en deux
plans (muqueux et musculeux) ;
– la myomectomie des myomes sous-muqueux et interstitiels, en
particulier lorsqu’il y a eu effraction de la cavité utérine ;
– le traitement des malformations utérines (utérus bicorne ou
cloisonné), quelle que soit la technique (par hystéroscopie ou
laparotomie : intervention de Bret-Palmer) ;
– les hystérotomies pour césarienne, en particulier les incisions corporéales.
L’incidence du placenta accreta inséré sur la cicatrice
utérine est augmenté (trois cas sur 1 284 alors qu’il ne concerne
qu’un cas sur 10 000 à 20 000 grossesses en l’absence de cicatrice).
Il faut s’en méfier lors de l’insertion antérieure segmentaire d’un
placenta visualisée à l’échographie.
C - AUTRES ALTÉRATIONS DE LA MUQUEUSE UTÉRINE :
De même, un utérus myomateux, où la decidua est modifiée dans
son aspect et son anatomie par l’existence de myomes sousmuqueux
ou interstitiels, peut prédisposer à cette pathologie.
La
multiparité fait également partie des facteurs de risque, soit par
facilitation de l’invasion trophoblastique du fait de la sensibilisation
du système immunitaire utérin aux gènes paternels, soit par des
séquelles infectieuses occultes d’un premier accouchement.
À
l’inverse, rappelons que la primiparité expose au risque de survenue
d’une prééclampsie ou d’un RCIU d’origine vasculaire (il s’agit en
fait de la première grossesse avec un homme, d’où le terme de
primipaternité, pour les mêmes raisons d’immunité).
D - EXISTENCE D’UN PLACENTA BAS INSÉRÉ
ÉCHOGRAPHIQUEMENT (BIE)
:
L’insertion basse du placenta expose à une invasion accreta, du fait
de la topographie de l’insertion placentaire dans un endroit (isthme
utérin et orifice interne du col) où la qualité fonctionnelle de la
decidua fait défaut.
Miller et al retrouvaient, comme facteur de
risque de placenta accreta en cas de placenta BIE, l’âge maternel
avancé et un antécédent de césarienne.
Dans la série de Clark et
al (238 placentas BIE et 29 placentas accreta), les placentas BIE
étaient accreta dans 5 % des cas en l’absence de césarienne et dans
40 % s’il y avait eu trois césariennes antérieures.
Le risque de
placenta accreta est de 880 pour 100 000 placentas prævia contre 5
pour 100 000 pour les insertions sur la partie haute de l’utérus.
Miller et al considèrent qu’en cas de placenta prævia, le risque
d’invasion myométriale qui est dans la population générale de
1/2 500 passe à 10 % et que l’âge supérieur à 35 ans et la cicatrice de
césarienne sont des facteurs indépendants.
En cas d’adhérence
anormale du placenta, le délai entre la césarienne et la conception
semble être significativement raccourci.
Néanmoins, dans 30 % des cas, aucune cause n’est retrouvée.
Peut-on
penser dans ces cas qu’il s’agirait d’une prédisposition ou d’une adaptation du trophoblaste qui entraînerait la survenue d’un
placenta accreta ?
Un bon modèle d’absence de la decidua est la
survenue d’une grossesse extra-utérine tubaire dans laquelle nous
avons montré que l’expression des intégrines et des métalloprotéases
n’est pas modifiée par rapport à une grossesse intra-utérine au
premier trimestre.
Ainsi, une cause embryonnaire de survenue d’un
placenta accreta semble pouvoir être écartée.
Diagnostic :
Schématiquement, le diagnostic de placenta accreta peut être fait,
soit dans la période prénatale, essentiellement dans le contexte d’un
placenta prævia implanté sur une cicatrice de césarienne, soit encore
malheureusement trop souvent lors de complications graves de la
délivrance.
A
- DIAGNOSTIC DANS LA PÉRIODE PRÉNATALE :
1- Signes cliniques
:
Les hémorragies de la deuxième moitié de la grossesse sont retrouvées
en cas de placenta prævia associé.
De rares cas d’hémopéritoines au
deuxième ou troisième trimestre de la grossesse ont été signalés par
suite de ruptures utérines sur des placentas percreta envahissant un
myomètre fragilisé ou à cause de placentas accreta implantés sur des
cornes rudimentaires en cas d’utérus pseudo-unicornes.
L’hématurie macroscopique peut être révélatrice d’un placenta percreta.
Si une cystoscopie est réalisée, elle montre des vaisseaux
dilatés sur la paroi vésicale, voire des excroissances dans la paroi
postérieure du trigone ou une érosion, qu’il faut impérativement
éviter de biopsier, à cause du risque d’hémorragie cataclysmique.
Les placentas accreta implantés sur la partie supérieure de l’utérus
sont en règle asymptomatiques et ne sont découverts que lors des
césariennes ou à l’occasion d’une délivrance difficile.
2- Examens biologiques
:
Un signe d’appel peut consister en une élévation inexpliquée au-delà
de 2,5 multiples de la médiane de l’alphafoetoprotéine (odds-ratio [OR]
= 8,3 ; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 1,8-39,3) et de la bêtahuman
chorionic gonadotrophin [hCG] (OR = 3,2 ; IC à 95 % : 1,1-9,4).
Selon Butler et al, l’augmentation de l’alphafoetoprotéine
observée en cas de placenta prævia est associée à un risque accru
d’hémorragie du troisième trimestre et d’accouchement prématuré,
mais la corrélation avec une insertion accreta est inconstante.
Ophir et
al ont signalé l’augmentation de la créatine kinase plasmatique qui
témoigne de l’invasion du myomètre.
3- Signes échographiques
:
– Absence d’espace clair rétroplacentaire : normalement, le placenta
est plus échogène que le myomètre.
Après 18 semaines de grossesse,
une zone hypoéchogène rétroplacentaire d’environ 9,5 mm est
présente, correspondant à la caduque basale, au myomètre et au
réseau veineux dilaté.
L’absence de cet espace ou une
mesure inférieure à 1 mm ont une sensibilité de 93 % et une valeur
prédictive positive de 78 %.
– Existence de lacunes placentaires en « fromage de gruyère » : cet
aspect correspondant vraisemblablement aux larges vaisseaux
dilatés qui se dirigent vers le myomètre est associé au placenta
accreta dans 87,5 % des cas.
L’association d’un
espace clair rétroplacentaire inférieur à 1 mm et de larges lacunes
placentaires permet de prévoir une invasion myométriale, visible en
vélocimétrie-doppler couleur, avec une sensibilité de 100 % et une
valeur prédictive positive de 72 %.
– L’irrégularité de l’interface entre utérus et vessie.
L’amincissement, l’irrégularité ou la rupture focale en « pointillés »
de l’interface entre l’utérus et la vessie témoignent de l’invasion
trophoblastique à travers le myomètre.
– La mise en évidence directe de tissu placentaire au-delà de la
séreuse utérine.
Ce signe représente les images de l’invasion exophytique
du tissu placentaire.
– L’aspect épais du bord inférieur du placenta.
Le bord placentaire inférieur mesure en moyenne 1,9
cm en cas d’adhérence anormale d’un placenta BIE au lieu de 0,73 cm
dans les insertions basses non compliquées.
4- Vélocimétrie-doppler :
L’utilisation du doppler couleur et du doppler énergie contribue
largement au diagnostic positif du placenta accreta.
Les principaux
signes sont :
– l’absence de signal veineux dans l’aire d’adhérence anormale sous-placentaire ;
– l’hypervascularisation à l’interface entre la vessie et l’utérus avec
un flux artériel à basse résistance (index de résistance voisin de 0,24) ;
– un flux laminaire diffus ou focalisé à haute vélocité, pouvant
prendre un aspect de turbulence (vitesse supérieure à 15 cm/s) ;
– des vaisseaux sous-placentaires dilatés avec un flux veineux
pulsatile au-dessus du col.
Inversement, contre le diagnostic de placenta accreta, on retient :
– un placenta homogène avec un branchement des artères villeuses
sur les artères choriales de surface ;
– des lacunes centrocotylédonnaires avec un flux veineux non
pulsatile à faible vélocité ;
– une zone rétroplacentaire à flux lent.
La plus grande série est celle de Chou et al ui montre, à propos
de 80 suspicions de placenta accreta, une précision globale de la
vélocimétrie-doppler de l’ordre de 82,4 % pour la sensibilité et de
87,5 % pour la valeur prédictive positive.
La spécificité est de 96,8 %
et la valeur prédictive négative de 95,3 %.
Les faux positifs peuvent
s’expliquer par l’existence de varices vésicales sur des néovaisseaux
dans la zone cicatricielle des hystérotomies.
Quant aux faux négatifs,
ils relèvent d’une mauvaise visualisation de l’insertion placentaire
masquée par des structures foetales, en cas de localisation latérale
ou postérieure.
La plupart des diagnostics pendant la gestation ont été établis dans
un contexte de placenta prævia.
Un seul cas a été rapporté dans une
localisation non prævia par Jauniaux et al.
Nous en avons observé
un cas supplémentaire chez une patiente ayant subi huit hystéroscopies diagnostiques et thérapeutiques.
5- Résonance magnétique nucléaire :
Compte tenu de la grande précision diagnostique de l’échographiedoppler,
la résonance magnétique nucléaire (RMN) n’apparaît pas
comme indispensable au diagnostic de placenta accreta,
principalement dans les localisations antérieures.
Cependant, elle
présente un avantage incontestable pour préciser le degré
d’envahissement vésical du placenta et surtout pour établir le
diagnostic dans les insertions placentaires postérieures.
La RMN dynamique semble particulièrement prometteuse car elle
permet de différencier les villosités trophoblastiques de la caduque
basale, ce que ne peuvent pas faire les séquences T.
Dans l’enquête multicentrique américaine de O’Brien et al, sur
109 cas de placentas percreta, seulement 50 % ont été suspectés
avant l’accouchement, essentiellement grâce à l’échographie (80 %).
B - DIAGNOSTIC DES FORMES LATENTES
AU MOMENT DE LA DÉLIVRANCE
:
De nombreuses adhérences anormales du placenta souvent partielles
sont encore découvertes au moment de complications de la
délivrance, que ce soit à l’occasion d’une absence de décollement du
placenta ou que ce soit dans le contexte d’une hémorragie plus ou
moins grave.
Lors des césariennes, le diagnostic est évident avec l’absence de plan
de clivage du placenta de son attache muqueuse sur la totalité de la
surface ou sur une portion localisée de l’insertion.
Lors des
accouchements par les voies naturelles, le placenta accreta doit être
distingué d’un placenta enchatonné dans une corne.
Dans cette
dernière éventualité, le décollement du placenta est toujours
possible, même s’il faut parfois recourir à une injection intraveineuse
de trinitrine (Lénitral) pour libérer le spasme de la corne utérine.
Lorsqu’il existe un doute sur une adhérence anormale du placenta,
une échographie en urgence montre l’absence de zone rétroplacentaire hypoéchogène et la persistance d’un flux sanguin
depuis le myomètre profond jusque dans le placenta, alors que
lorsque le placenta a subi son décollement physiologique, on
observe un arrêt immédiat des flux dans les vaisseaux de la plaque
basale.
C - DIAGNOSTIC ANATOMOPATHOLOGIQUE
RÉTROSPECTIF :
L’examen macroscopique de la plaque basale du placenta peut
montrer une rupture de la surface maternelle en relation avec une
zone d’adhérence focale anormale.
L’examen histologique révèle que
dans près de la moitié des cas, des fibres musculaires lisses sont au
contact des villosités placentaires basales.
Cependant, un aspect
identique peut être retrouvé sur des surfaces placentaires intactes
dans environ 24 % des dossiers sans aucune anomalie de la
délivrance.
Le diagnostic est évidemment plus aisé et plus démonstratif sur une
pièce d’hystérectomie.
Il vaut mieux faire l’examen sur une pièce
fraîche, où la zone d’implantation est facilement repérable, que sur
une pièce fixée où la zone incriminée ne peut être repérée que par
des prélèvements multiples.
D -
COMPLICATIONS :
Au cours de la grossesse, la complication la plus grave est la rupture
utérine au niveau d’un placenta percreta, qui peut survenir dès le
deuxième trimestre, voire en fin de premier trimestre sur des cornes
utérines rudimentaires.
Dans la série des 109 cas de O’Brien et al,
le risque est de 3 %.
En cas de placenta prævia associé, les hémorragies du troisième
trimestre, du fait de leur abondance, peuvent nécessiter une
césarienne dans un contexte de prématurité extrême, d’où une
mortalité périnatale de 9 % rapportée dans les 109 cas de placentas
percreta par O’Brien et al.
La complication la plus fréquente est l’hémorragie de la délivrance.
Elle est due ; d’une part à l’absence d’hémostase dans les vaisseaux
utérins de la caduque en regard de certaines villosités décollées,
d’autre part de l’atonie utérine consécutive à la rétention placentaire
qui empêche la ligature « vivante » des artères myométriales.
Selon
Guy et al, l’aspect échographique en « fromage de gruyère »
permet de prédire, dans 87,5 % des cas, la nécessité d’une
hystérectomie d’hémostase et une augmentation des pertes
sanguines, en moyenne de 2 814 mL contre 967 mL en l’absence de
ce signe échographique.
L’hémorragie atteint rapidement 3 000 à
5 000 mL lors des insertions percreta ; 40 % des patientes ont reçu
plus de 10 culots globulaires dans la série des 109 cas de O’Brien et
al.
Traitement
:
Nous différencions le traitement selon que le diagnostic a été porté
avant l’accouchement ou seulement lors d’accidents de la délivrance.
A - CÉSARIENNE PROGRAMMÉE
EN CAS DE PLACENTA PRÆVIA ACCRETA
DIAGNOSTIQUÉ EN COURS DE GROSSESSE
:
1- Date
:
O’Brien et al ont montré que 50 % des décès maternels
secondaires à un placenta percreta surviennent après 35 semaines
d’aménorrhée.
C’est pourquoi Chou et al conseillent de prévoir
l’hystérotomie à la fin de la 34è semaine dans les placentas increta et
percreta pour diminuer la morbidité et la mortalité liées à un acte
chirurgical pratiqué en urgence.
Pour éviter une maladie des
membranes hyalines du nouveau-né, il est recommandé de recourir
à une corticothérapie prénatale et d’évaluer la maturité pulmonaire
par amniocentèse avant la césarienne programmée.
2- Site
:
Pour réduire autant que possible les complications opératoires, il est
conseillé de s’entourer d’une équipe multidisciplinaire : gynécologue-obstétricien, anesthésiste-réanimateur, urologue et
pédiatre.
Afin de pouvoir recourir à une éventuelle embolisation
vasculaire, cette césarienne est effectuée dans le bloc opératoire le
plus proche de la salle de radiologie interventionnelle.
Il est bien
évident qu’une telle organisation n’a de chances de réussir que si
l’acte est programmé.
Il serait opportun que chaque région française
puisse disposer 24 heures sur 24 d’une maternité de niveau III à
proximité immédiate d’un plateau de radiologie vasculaire.
3- Préparation maternelle :
* Réserves de sang :
Compte tenu de l’importance des hémorragies liées à l’hystérectomie
sur un placenta accreta, il est indispensable de disposer, dans le bloc
opératoire, de huit à dix flacons de sang compatible.
Il est
évidemment préférable de disposer de sang autologue.
Dans ce but,
on peut proposer des dons de sang autologue entre 30 semaines et
la date de l’intervention, avec un apport de 300 mg de fer 2 à 3 fois
par jour.
Si les réserves en fer sont correctes, on peut également
stimuler la production d’hématies par l’érythropoïétine (50 à
100 UI/kg par voie intraveineuse ou sous-cutanée), de façon à
maintenir le taux d’hématocrite au-dessus de 30 %.
Ce traitement
permet d’espérer une augmentation de 2 à 3% de l’hématocrite au
bout de 2 semaines, mais il engendre des effets secondaires sous
forme de rashs cutanés, de syndromes grippaux, de thrombocytose,
d’hypertension artérielle et il augmente le risque de complications
thromboemboliques.
* Mise en place de sondes urétérales :
La collaboration de l’urologue peut être nécessaire en cas
d’hématurie, mais aussi pour cathétériser les uretères avant
l’intervention car l’anatomie pelvienne est souvent modifiée par la
distension et la déformation du segment inférieur et par la présence
de vaisseaux de localisation anormale venant suppléer le placenta à
partir de la paroi pelvienne.
C’est en liant les vaisseaux utérins et en
sectionnant les ligaments cardinaux que l’on risque de léser les
uretères.
*
Anesthésie :
Hudon et al recommandent la pose de larges voies veineuses
pour les perfusions et les transfusions et un strict monitorage par
un cathétérisme veineux central, voire par une sonde de Swan-Ganz
et par une voie artérielle pour la surveillance de la tension artérielle
et les prises de sang répétées.
L’hémodilution normovolémique aiguë est une technique utilisée
par Hudon et al : elle consiste à soustraire immédiatement avant
l’opération la majorité du sang et à le remplacer par des solutions
cristalloïdes (rapport de 3 : 1) ou colloïdes (rapport 1 : 1).
Chaque
unité de sang mise en réserve fait chuter le taux d’hémoglobine de
1 g/dL.
Il faut sérieusement peser les avantages de cette méthode
(diminution des pertes d’hématies et des besoins transfusionnels,
réduction de la viscosité sanguine) et les inconvénients non
négligeables (dilution des facteurs de coagulation et déviation vers
la droite de la courbe de dissociation de l’hémoglobine avec
réduction des transferts d’oxygène maternofoetaux) et respecter ses
contre-indications : anémie (hémoglobine < 11 g/dL), débit
cardiaque fixé par une cardiopathie grave et insuffisance rénale.
Le choix entre l’anesthésie générale ou régionale doit tenir compte
du fait que l’intervention risque d’être longue et difficile et qu’un
état de choc hémorragique est toujours possible, d’où la fréquente
préférence pour l’anesthésie générale.
* Préparation radiologique de l’embolisation vasculaire
:
Sous fluoroscopie, le radiologue peut mettre en place des cathéters
dans les artères utérines, en général par voie fémorale. Le passage
par l’artère axillaire serait plus aisé et surtout diminuerait le risque
d’irradiation foetale.
La mise en place de ballonnets présente
l’avantage supplémentaire de pouvoir interrompre le flux utérin par
gonflage au cours même de la césarienne, immédiatement après
l’extraction foetale.
4- Césarienne
:
Une incision cutanée par voie médiane sous-ombilicale est fortement
recommandée pour faire face à toutes les éventualités qui peuvent
imposer des gestes supplémentaires gynécologiques, vasculaires ou
urologiques.
Il faut à tout prix éviter d’inciser en regard du placenta.
Silver et al proposent d’inciser l’utérus 2 cm au-dessus du bord
supérieur du placenta repéré par une sonde ultrasonore
peropératoire ; il ne faut donc pas hésiter à faire une hystérotomie
corporéale, voire fundique ou postérieure.
Après l’extraction de l’enfant, il importe d’éviter de décoller le
placenta et de gonfler immédiatement les ballonnets préalablement
introduits dans les artères utérines, de refermer
grossièrement le champ opératoire et de réaliser aussitôt
l’embolisation à l’aide de particules de gélatine si l’on dispose d’une
installation radiologique à proximité.
Puis, la stratégie dépend du diagnostic préopératoire et des
constatations peropératoires concernant le degré d’invasion
placentaire dans les tissus avoisinants : c’est-à-dire la vessie dans les
localisations antérieures et le rectum et l’iléon dans les variétés
postérieures :
– si le placenta accreta n’est que partiel par rapport à la surface
totale d’insertion, on peut décoller le placenta, faire une révision
utérine et procéder à l’hémostase du lit placentaire.
Plusieurs
techniques ont été rapportées dans ce but : l’électrocoagulation des
vaisseaux béants à l’aide d’un faisceau à l’argon plutôt que par une
coagulation bipolaire, l’excision et la suture chirurgicale du lit
d’implantation, la résection localisée du myomètre en cas de rupture
utérine associée, les sutures étagées prenant en totalité
l’épaisseur du myomètre pour assurer une hémostase par
compression ;
– si le placenta est totalement accreta sans plan de clivage ou s’il est
véritablement invasif dans le myomètre (increta ou percreta), le
choix doit se porter vers une solution conservatrice ou radicale selon la parité et l’information préalablement donnée à la patiente. De
toute manière, le placenta ne sera pas décollé et le cordon ombilical
sera coupé au ras :
– conservation utérine : la conservation utérine doit être
privilégiée chez la primipare et lorsque l’invasion vésicale, iléale
ou rectale laisse prévoir d’importantes difficultés opératoires.
C’est la solution choisie par 60 % des obstétriciens américains
dans l’enquête de O’Brien et al.
Si l’on tente ce traitement, il
faut suturer l’hystérotomie, sous couvert d’un drainage, puis on
peut débuter un traitement antimitotique par méthotrexate
postopératoire à la dose de 1 mg/kg par voie intramusculaire le
jour même de l’intervention, puis les deuxième, quatrième et
sixième jours en alternance avec l’acide folinique 0,1 mg/kg par
voie intramusculaire le premier, troisième, cinquième et septième
jours.
Cependant cette thérapeutique antimitotique est loin
d’être toujours efficace.
C’est pourquoi certains proposent une
abstention totale et une simple surveillance par des contrôles une
fois par semaine du taux d’hCG, de l’hémogramme et de la
coagulation.
Il ne semble pas que le succès du traitement médical
ou l’involution spontanée des villosités trophoblastiques puissent
être fidèlement évalués à partir de la courbe d’hCG, ni par la
vélocimétrie-doppler utérine qui ne montre pas de changement
évident de la résistance vasculaire avant l’ablation définitive du
placenta.
Après l’involution du placenta qui requiert un
délai de plusieurs semaines, il est possible d’envisager l’ablation
du tissu trophoblastique par un curetage ou, au contraire,
d’attendre patiemment l’expulsion spontanée, voire la disparition
complète du placenta ne laissant voir à l’hystéroscopie qu’une
petite zone calcifiée.
Cette attitude résolument conservatrice est associée à une
réduction importante des pertes sanguines par rapport à la
chirurgie radicale (0 versus 7 culots globulaires).
Cependant,
elle n’est pas sans risque, car des complications peuvent conduire
à une résection secondaire du lit d’implantation avec
reconstruction du myomètre, ou bien à une hystérectomie en
urgence par suite d’une surinfection, de douleurs et de
métrorragies récidivantes, ou à l’occasion de troubles de la
coagulation ;
– hystérectomie d’emblée : l’hystérectomie est privilégiée par les
obstétriciens américains dans 79 % des cas de placentas percreta
fundiques.
Si l’on opte immédiatement pour la solution
radicale, il est nécessaire, dans le contexte d’une insertion basse
du placenta, de faire une hystérectomie totale sans ovariectomie.
Vu le calibre dilaté des vaisseaux, il convient de doubler les
ligatures vasculaires et de laisser des moignons longs pour éviter
les rétractions tissulaires et les hémorragies secondaires. Le
décollement vésical peut s’avérer être très laborieux.
Plutôt que
de disséquer l’interface vésico-utérine à l’aveugle et de provoquer
une fistule, il est préférable de réaliser une cystotomie du dôme
vésical.
Price et al conseillaient d’effectuer l’hystérectomie par
une approche postérieure avec une ligature première des
ligaments utérosacrés et une ouverture de la paroi postérieure du
vagin, puis en réclinant l’uretère latéralement, par une section des
ligaments cardinaux et des paramètres, et enfin par une ablation
en bloc de l’utérus et de la paroi vésicale envahie.
L’assistance
d’un urologue est évidemment nécessaire pour reconstruire le
dôme vésical et éventuellement réimplanter les uretères.
Il est
indispensable de mettre en place de larges drainages abdominaux
et vaginaux pour repérer rapidement des hémorragies
secondaires.
Des difficultés d’hémostase de la tranche vaginale ou
de la paroi pelvienne en fin d’intervention peuvent nécessiter une
compression par des mèches multiples faisant issue par voie
abdominale ou vaginale et laissées en place 12 à 24 heures.
C’est la raison pour laquelle, plutôt que d’entreprendre une
chirurgie délabrante, notre préférence va au traitement
conservateur si aucun plan de clivage n’est retrouvé entre l’utérus
et la vessie en avant ou le rectum en arrière.
La surveillance postopératoire doit être rigoureuse, guettant une
baisse de la diurèse, des signes d’oedème du poumon ou de
détresse respiratoire aiguë, des hémorragies intra-abdominales ou
vaginales.
Une antibiothérapie massive doit permettre de réduire
la fréquence de la morbidité fébrile qui peut atteindre 50 %.
Les
syndromes subocclusifs sont fréquents et nécessitent la mise en
place d’une sonde gastrique.
La fièvre, les lombalgies et
l’augmentation de la créatininémie doivent évoquer en premier
lieu une lésion urétérale. Une prévention des thrombophlébites
doit être systématique ;
– l’hystérectomie secondaire : dans les variétés percreta, quelques
auteurs proposent de faire un traitement initial conservateur, puis
de programmer une ablation de l’utérus 2 à 4 semaines après un
traitement antimitotique.
B - DÉCOUVERTE FORTUITE D’UN PLACENTA ACCRETA
LORS DE LA DÉLIVRANCE
:
Il est relativement fréquent d’avoir des difficultés pour décoller une
zone localisée d’adhérence anormale du placenta.
Le placenta est
alors ramené déchiqueté après plusieurs tentatives de révision
utérine.
Dans ces formes mineures, il est prudent de vérifier
systématiquement la vacuité utérine par une échographie utérine
avant la sortie de la maternité.
S’il reste des fragments de tissu
trophoblastique, des métrorragies du post-partum sont possibles : il
faut alors éviter les hystéroscopies et curetages itératifs pouvant être
à l’origine de synéchies.
En effet, ces actes invasifs, traumatisants
pour la muqueuse utérine, risquent fort d’être inefficaces si le tissu
trophoblastique est intramural.
Dans cette éventualité, Schnorr et
al proposent la résection tardive par laparotomie et l’excision
localisée du foyer repéré par une échographie grâce à une sonde
appliquée directement sur l’utérus dans le champ opératoire.
L’impossibilité absolue de décoller le placenta lors d’une césarienne
ou d’un accouchement par les voies naturelles, sans hémorragie
anormale, nous ramène au cas précédent, avec cependant une
différence importante venant de l’impossibilité de réduire
simplement le flux artériel utérin par une embolisation.
Au cours de la césarienne, quelle que soit l’option choisie,
conservatrice ou radicale, il est par conséquent conseillé de débuter
par une ligature première des artères hypogastriques.
En cas d’accouchement normal, la surveillance de l’involution
placentaire spontanée ou induite par le méthotrexate est poursuivie
jusqu’à l’expulsion spontanée ou provoquée par un curetage.
La
place d’une embolisation utérine prophylactique dans ce contexte
exsangue reste à déterminer.
C - HÉMORRAGIE GRAVE DE LA DÉLIVRANCE :
Le plus souvent, le décollement partiel du placenta déclenche une
hémorragie grave de la délivrance pouvant rapidement menacer la
vie de la patiente.
Après avoir achevé l’ablation du placenta et
réalisé une révision utérine soigneuse, il faut tout mettre en oeuvre
pour stopper l’hémorragie en favorisant la rétraction utérine, en
corrigeant les troubles de la coagulation, en tamponnant le lit
d’insertion placentaire et en réduisant autant que possible l’afflux
de sang vers l’utérus.
1- Rétraction utérine
:
Le massage utérin, l’administration de méthylergométrine par voie
intramusculaire, d’oxytocine (10 à 20 UI) par voie intraveineuse
directe ou de prostaglandine F2 a par voie intramurale ou
intramusculaire étant souvent insuffisants, il faut recourir à la
perfusion de sulprostone (500 µg en 1 heure) ou à l’administration
de 4 comprimés de misoprostol à 200 µg par voie intrarectale ou
intra-utérine.
D’autres tentatives ont été faites avec la mise en
place d’une sonde de Foley intra-utérine permettant la perfusion in
situ de prostaglandines E2 (0,75 mg dans 500 mL de Ringer
lactate) ou F2 a (20 mg dans 500 mL de sérum salé isotonique).
2- Correction des troubles de la coagulation
:
Lors des hémorragies graves de la délivrance s’installent
constamment des perturbations de l’hémostase en rapport avec une coagulation intravasculaire disséminée consécutive au choc et à
l’administration de cristalloïdes et suivie rapidement d’une
fibrinolyse.
En dehors des transfusions d’hématies et de plaquettes
et de l’administration de plasma frais congelé, d’autres protocoles
ont été utilisés lors d’hémorragies graves de la délivrance comme
l’acide tranexamique (1 g intraveineux toutes les 4 heures pendant
12 heures) et le facteur VII activé recombiné (90 µg/kg toutes les 3
heures).
3- Tamponnement utérin
:
Lors d’une césarienne, si la compression manuelle de l’utérus
diminue les pertes sanguines vaginales, on peut favoriser la
rétraction et l’apposition des parois utérines antérieure et postérieure
par la méthode de B-Lynch et al en passant les points au début et
à la fin à travers l’hystérotomie.
Il est également possible de
faire des sutures hémostatiques multiples sur le segment inférieur et
sur le corps utérin.
Lors d’un accouchement par les voies naturelles, il apparaît plus
simple de procéder à une compression bimanuelle de l’utérus et à
un tamponnement par voie basse, en utilisant, soit un méchage
compressif de la cavité utérine, soit une sonde de Sengstaken-Blakemore gastrique gonflée à 300 mL ou un cathéter à ballonnet
de Rüsch employé en urologie et rempli de 400 à 500 mL de sérum
salé).
Le test thérapeutique est positif si le saignement se tarit à la
fois par le col utérin et par la lumière de la sonde utilisée.
Le
tamponnement est maintenu en place 12 à 24 heures par un méchage
vaginal sous couvert d’une sonde urinaire et d’une antibiothérapie,
en association avec une perfusion d’oxytocine (20 à 40 UI dans
1 000 mL).
4- Réduction du débit sanguin utérin :
Lors d’une césarienne, la ligature des artères et des veines utérines
par une suture qui prend en masse 2 à 3 cm de myomètre à 2 ou
3 cm sous l’hystérotomie a été proposée par O’Leary, mais sur les
dix échecs de la technique enregistrés dans une série de 265
hémorragies de la délivrance, huit cas correspondaient à des
placentas accreta.
Il semble plus logique de supprimer toutes les
arrivées de sang artériel vers l’utérus en liant également les artères
ovariennes dans le mésosalpinx et les artères du ligament rond .
En réalité, la ligature des artères hypogastriques est souvent
proposée en première intention car elle diminue de 85 % la pression
dans les artères distales et de 50 % le débit sanguin utérin.
Elle doit
être bien connue de tout gynécologue-obstétricien, afin d’éviter de
créer des plaies de la veine hypogastrique ou de l’uretère ou de lier
accidentellement l’artère iliaque externe, ou encore de placer la
ligature trop haut en amont du point de départ des branches
postérieures de l’artère hypogastrique avec une possible ischémie
de la région fessière et des muscles glutéaux.
Les taux de succès
dans les hémorragies de la délivrance sont variables, de 40 à 90 %
selon l’étiologie.
Lors d’un accouchement par les voies naturelles, le premier geste à
tenter est la traction sur le col avec une éventuelle rotation axiale
destinée à réduire le débit sanguin utérin en plicaturant
temporairement les deux artères utérines par une série de pinces
atraumatiques réparties sur le col.
Si elle apparaît efficace, il faut
maintenir la traction à l’aide d’un poids pendant 5 à 6 heures.
En
réalité, dans le contexte d’un placenta accreta, cette manoeuvre
simple est souvent inopérante.
On peut alors tenter un tamponnement intra-utérin par mèches ou
sonde, et s’il est efficace, il est théoriquement possible de solliciter
un transport médicalisé (samu) et de transférer une patiente en
équilibre hémodynamique stable vers un centre pratiquant
l’embolisation artérielle, mais comme l’ont souligné Vandelet
et al, le transfert n’est pas sans risque puisque sur 29 cas, une de
leurs patientes a présenté un arrêt cardiaque heureusement résolutif.
L’embolisation artérielle est réalisable sous anesthésie locale : elle
vérifie directement le site du saignement et la réussite de
l’obturation grâce à la visualisation des vaisseaux utérins ; elle
diminue également la morbidité maternelle et réduit la durée de
séjour par rapport aux traitements chirurgicaux et elle préserve la
fertilité ultérieure.
Globalement, dans les hémorragies de la
délivrance, toutes causes confondues, les taux de succès de la
technique dépassent 90 %.
Cependant, parmi les rares échecs, le
placenta accreta reste une des circonstances qui ne permettent pas
toujours d’éviter l’hystérectomie.
Si, au contraire, l’hémorragie persiste malgré le traitement médical
et les tentatives de tamponnement, une laparotomie doit être réalisée
sans hésitation sur le lieu d’accouchement pour effectuer les
ligatures vasculaires et l’accolement des deux faces de l’utérus par
la technique de B-Lynch modifiée ou par des sutures utérines
transfixiantes.
5- Hystérectomie d’hémostase :
L’ablation de l’utérus en urgence reste la solution ultime lorsque
toutes les autres méthodes ont échoué.
L’insertion prævia du
placenta multiplie le risque d’hystérectomie par un facteur de 97 à 111.
Elle doit être envisagée sans délai si l’hémorragie persiste
et entraîne un état de choc et si des troubles sévères de la
coagulation apparaissent.
Dans les grandes séries d’hystérectomies
de causes obstétricales, le placenta accreta représente 9,9 à 64 % des
indications.
Dans notre série de 17 cas de placentas accreta, 14 hystérectomies d’hémostase ont été nécessaires (82,4 %).
Lorsqu’elle est pratiquée avant la décompensation de
l’hémodynamique maternelle et dans de bonnes conditions
chirurgicales, la mortalité reste nulle, mais elle peut
atteindre 3,6 à 7 % dans d’autres séries.
La morbidité est
toujours plus importante dans le contexte dramatique de l’urgence
vitale (23 à 65 %) que lorsque l’intervention est programmée (17 à
37,5 %).
Les lésions urinaires sous forme de plaies vésicales, de
ligatures urétérales ou de fistules compliquent 5 à 10% des
interventions radicales ; 5,5 % des patientes requièrent une
reprise chirurgicale habituellement en raison d’une nouvelle
hémorragie.
La morbidité infectieuse atteint 28 % dans les
placentas percreta recensés par O’Brien et al.
Conclusion
:
Le placenta accreta était jusqu’à présent une pathologie obstétricale
rare.
Malheureusement, l’inéluctable ascension du taux de césariennes
et la multiplication des investigations intra-utérines vont en augmenter
la fréquence.
La principale circonstance favorisante reste le placenta bas
inséré, implanté sur une ou plusieurs cicatrices de césariennes.
La prise
en compte des augmentations inexpliquées des marqueurs de trisomie
(bêta-hCG et alphafoetoprotéine) et la recherche systématique de l’espace
clair rétroplacentaire lors de toutes les échographies doivent permettre
un diagnostic prénatal plus fréquent.
La césarienne doit alors être
programmée dans un service disposant d’une unité de radiologie
vasculaire interventionnelle pouvant réaliser une embolisation des
artères utérines immédiatement après l’extraction foetale.
Lors des
urgences extrêmes, à l’occasion d’une hémorragie grave et imprévue de
la délivrance, la ligature des artères hypogastriques et les sutures transfixiantes utérines peuvent éviter un certain nombre
d’hystérectomies d’hémostase.