Physiologie du lobule hépatique Cours d'Hépatologie
Introduction
:
Le parenchyme hépatique comporte deux niveaux d’organisation :
– un niveau anatomique, dont l’unité de base est le lobule
hépatique ;
– un niveau fonctionnel, dont l’élément de base est l’acinus
hépatique.
En fonction de leur position dans le parenchyme hépatique, les
hépatocytes diffèrent par leurs activités métaboliques et certains
détails de leur morphologie.
Ces différences déterminent ce qu’il est
convenu d’appeler l’hétérogénéité intralobulaire des hépatocytes.
L’hétérogénéité intralobulaire des hépatocytes est une notion
fondamentale pour la compréhension de l’organisation métabolique
du tissu hépatique.
Dans cette mise au point, après avoir rappelé les
bases de l’organisation microanatomique et fonctionnelle du
parenchyme hépatique, nous illustrerons les différences existant
entre les hépatocytes en fonction de leur position anatomique, et
nous résumerons les connaissances actuelles concernant les
mécanismes responsables de l’acquisition et du maintien de
l’hétérogénéité métabolique du foie.
Enfin, nous évoquerons les
anomalies de l’hétérogénéité lobulaire décrites en pathologie
hépatique et leurs éventuelles conséquences.
Lobule et acinus hépatiques
:
Le lobule hépatique est l’unité anatomique du parenchyme
hépatique.
Il se présente comme une structure hexagonale, centrée
par une veine centrolobulaire et limitée en périphérie par une ligne imaginaire
joignant plusieurs espaces portes voisins.
Le lobule hépatique
est facile à visualiser chez certaines espèces animales, comme le
porc, où les frontières entre les lobules adjacents sont bien
marquées par des cloisons fibreuses.
Chez l’homme, les limites
entre les lobules hépatiques ne sont pas visibles par les techniques
histologiques habituelles, mais peuvent être devinées dans certaines
situations pathologiques.
Le lobule hépatique est une entité microanatomique incontestable.
Cependant, il ne reflète pas l’organisation fonctionnelle du tissu
hépatique qui, elle, est calquée sur l’architecture de la
microcirculation hépatique.
Les lobules hépatiques sont en effet
vascularisés par des capillaires spécialisés, les sinusoïdes, qui
circulent entre les travées hépatocytaires et confluent dans la veine
centrolobulaire.
Contrairement à une idée répandue, les sinusoïdes
ne naissent pas à la périphérie des espaces portes, mais à la
périphérie des lobules hépatiques, à partir de vaisseaux issus des
veines portes, les branches terminales, qui forment l’axe des cloisons interlobulaires, qu’elles soient réelles, comme chez le porc, ou virtuelles,
comme chez l’homme.
C’est en se basant sur ces
données hémodynamiques que Rappaport a proposé une conception
de l’organisation fonctionnelle du tissu hépatique à laquelle son nom
est resté attaché, celle de l’acinus.
Dans le modèle de Rappaport, l’acinus est organisé le long d’un axe
correspondant aux branches terminales des veines portes.
Autour de
cet axe, trois zones successives se disposent en pelure d’oignon.
Chacune d’elles a une forme vaguement elliptique et s’appuie par
l’une de ses extrémités sur la périphérie d’un espace porte.
Des
études plus précises de la microcirculation hépatique et la
prise en compte de la structure tridimensionnelle du parenchyme
hépatique, suggérant notamment que les lobules peuvent être
considérés comme des cylindres orientés au hasard, ont permis
d’affiner, voire de corriger sur certains points, le modèle de Rappaport, qui reste cependant valable dans ses grandes lignes.
Au plan pratique, sur des coupes tissulaires traitées selon les
techniques histologiques habituelles, seules deux zones
fonctionnelles peuvent être facilement définies grâce à des repères
anatomiques : la zone périportale, centrée par l’espace porte, et la
zone périveineuse, centrée par la veine centrolobulaire.
La
zone périportale correspond approximativement à la zone centrale
de l’acinus (zone 1), tandis que la zone périveineuse correspond
approximativement à la zone périphérique de l’acinus (zone 3).
Ce
sont ces deux repères anatomiques, imparfaits mais simples, qui
nous serviront de guides pour décrire les différences
morphologiques et fonctionnelles des hépatocytes en fonction de
leur position dans le parenchyme hépatique.
Hétérogénéité intralobulaire
des hépatocytes
:
A - TECHNIQUES D’ÉTUDE
:
Plusieurs techniques complémentaires ont été utilisées pour mettre
en évidence et étudier la zonation métabolique du lobule hépatique.
Les méthodes biochimiques consistent à détruire ou à perméabiliser
sélectivement les hépatocytes d’une des zones du lobule (l’une des
techniques les plus utilisées est basée sur un toxique solubilisant les
membranes cellulaires, la digitonine), à recueillir l’effluent ainsi
obtenu, et à y doser les activités enzymatiques et/ou les
concentrations des différents constituants cellulaires (protéines,
acides ribonucléiques [ARN] messagers).
Les méthodes
physiologiques sont fondées sur l’utilisation du foie isolé perfusé,
permettant de mesurer à l’aide de microcapteurs les variations de la
consommation d’oxygène ou de substrats dans les différentes zones
du lobule afin d’en évaluer indirectement l’activité métabolique.
Les méthodes morphologiques permettent d’obtenir une image
précise de la distribution intracellulaire des principaux constituants cellulaires, mais leur interprétation est compliquée par les
nombreuses possibilités d’artefacts et la très grande difficulté de
quantifier les résultats obtenus.
Plusieurs techniques ont été
employées : l’histoenzymologie, pour révéler la distribution intralobulaire des activités enzymatiques, l’immunohistochimie,
pour révéler la distribution intralobulaire des protéines cellulaires,
et l’hybridation in situ, pour révéler la distribution intralobulaire
des ARN messagers correspondants. Des techniques d’étude in vitro
ont également été développées.
Les méthodes actuellement
employées sont basées sur l’isolement sélectif de populations
zonales d’hépatocytes maintenues ensuite en culture primaire.
La
technique la plus courante consiste à détruire sélectivement l’une
des zones du lobule par la digitonine, puis à isoler les cellules de la
zone épargnée à l’aide d’une perfusion de collagénase.
L’intérêt
majeur des approches in vitro est de permettre l’étude expérimentale
des facteurs impliqués dans la régulation de la zonation métabolique
du lobule hépatique.
B - HÉTÉROGÉNÉITÉ MORPHOLOGIQUE
ET FONCTIONNELLE DES HÉPATOCYTES :
Les hépatocytes situés dans les différentes régions du lobule
hépatique diffèrent par certains détails structuraux, mais surtout par
leurs activités métaboliques.
Les différences morphologiques des hépatocytes en fonction de leur
position anatomique sont minimes, mais incontestables.
Elles concernent essentiellement les mitochondries, moins
nombreuses mais plus volumineuses, avec une surface active plus
importante, dans la zone périportale que dans la zone périveineuse.
La plupart
des fonctions métaboliques assurées par les hépatocytes sont
distribuées de façon hétérogène à l’intérieur du lobule hépatique.
Les activités enzymatiques
correspondantes sont habituellement distribuées selon des gradients
lobulaires : elles sont présentes dans tous les hépatocytes mais
prédominent du côté périportal ou du côté périveineux.
Certaines
activités enzymatiques ne sont cependant détectables que dans une
proportion d’hépatocytes localisés dans une des zones du lobule
hépatique ou une partie de l’une de ces zones.
Ce type de
distribution, beaucoup plus rare que le précédent, est connu sous le
nom de distribution en compartiments.
L’un des exemples les mieux
connus est la distribution de la glutamine synthétase : cette enzyme,
qui assure la synthèse de glutamine à partir d’ammoniac (NH3) et
d’acide glutamique, n’est exprimée que dans deux ou trois
couronnes d’hépatocytes entourant la veine centrolobulaire.
L’existence de gradients et de compartiments enzymatiques le long
de l’axe porto-centro-lobulaire détermine la zonation métabolique du lobule
hépatique.
La zone périportale est
spécialisée dans le métabolisme oxydatif, la néoglucogenèse, le
catabolisme des acides gras et des acides aminés, la synthèse de
cholestérol, la synthèse d’urée à partir de NH3.
La zone périveineuse
assure préférentiellement la glycolyse, la synthèse des acides gras et
la cétogenèse. Elle est responsable de la synthèse de glutamine à
partir de NH3.
Elle assure également l’essentiel des fonctions de
biotransformation des xénobiotiques : c’est là notamment que
prédominent les activités de la plupart des cytochromes et des
enzymes de détoxification.
C’est également la région périveineuse
qui contient les plus fortes activités des enzymes impliquées dans le
métabolisme de l’alcool, comme l’alcool-déshydrogénase et
l’acétaldéhyde-déshydrogénase.
Une autre activité métabolique fondamentale des hépatocytes est
également distribuée de façon hétérogène dans le lobule hépatique :
c’est la capacité de synthèse des protéines plasmatiques.
Tous les
hépatocytes sont capables de synthétiser et de sécréter l’ensemble
des protéines plasmatiques.
Toutefois, l’activité de synthèse des
protéines plasmatiques est distribuée en gradients.
Pour la plupart
d’entre elles, la synthèse prédomine en région périportale : c’est le
cas notamment de l’albumine, du fibrinogène ou de l’haptoglobine.
Pour quelques autres, comme l’alpha-foetoprotéine et l’alpha-1-
antitrypsine, la synthèse prédomine en région périveineuse.
C - ZONATION MÉTABOLIQUE DU LOBULE HÉPATIQUE
:
La zonation métabolique du lobule hépatique est capable de se
modifier de manière extrêmement rapide en réponse à des variations
physiologiques.
Elle est une propriété dynamique.
Un exemple particulièrement étudié est celui des modifications de
la zonation métabolique induites par le jeûne et la réalimentation
chez l’animal.
À l’état normal, l’enzyme clé de la néoglucogenèse,
la phosphoénolpyruvate carboxykinase, est exprimée
préférentiellement dans la zone périportale.
Au cours d’un jeûne
prolongé, l’activité de cette enzyme augmente fortement dans le
lobule hépatique.
Cette augmentation de l’activité enzymatique est
le résultat d’une augmentation de la synthèse de la protéine
correspondante dans les hépatocytes périportaux, qui l’expriment
déjà à l’état normal, et d’une induction de sa synthèse dans les
hépatocytes médiolobulaires et périveineux, qui l’expriment peu ou
pas à l’état normal.
Dans cet exemple, une activité enzymatique
fortement hétérogène à l’état normal tend à devenir homogène en
situation d’induction, grâce à un recrutement de nouveaux
hépatocytes.
La capacité d’adaptation rapide de la zonation
métabolique du lobule hépatique peut être démontrée
expérimentalement en utilisant des techniques de foie isolé perfusé.
Gardons le même exemple, celui du métabolisme glucidique.
À
l’état normal, la néoglucogenèse prédomine en région périportale et
la glycolyse prédomine en région périveineuse.
C’est ce
qu’il est possible de reproduire dans un foie de rat isolé, perfusé par
des solutions de glucose injectées par la veine porte.
Si le sens de
perfusion est inversé, c’est-à-dire si le glucose est injecté par la veine
cave, la zonation métabolique s’inverse : en quelques secondes, la
glycolyse devient prédominante en région périportale et la
néoglucogenèse en région périveineuse.
La zonation métabolique
observée en situation normale dans le lobule hépatique reflète donc
un état d’équilibre, traduisant l’adaptation des hépatocytes à leur
environnement physiologique et aux besoins métaboliques de
l’organisme, et susceptible de se modifier de façon quasi instantanée
en réponse à des variations physiologiques ou pathologiques du
milieu intérieur.
Facteurs responsables du maintien
de la zonation métabolique
du lobule hépatique
:
Deux hypothèses sont possibles pour expliquer l’existence d’une zonation métabolique dans le lobule hépatique :
– la zonation est due à l’action de facteurs extrinsèques à
l’hépatocyte, traduisant les modifications du microenvironnement
cellulaire en fonction de la position de la cellule dans le lobule ;
– la zonation est due à une spécialisation des hépatocytes et reflète
un état de différenciation variant selon la position de la cellule dans
le lobule.
Ces deux hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives et sont
sans doute complémentaires. Nous les examinerons successivement.
A - FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX
:
De nombreux arguments suggèrent que la zonation métabolique
dépend essentiellement de facteurs extrinsèques.
Les plus
significatifs viennent des études in vitro utilisant des cultures
provenant de populations enrichies en hépatocytes périportaux ou
en hépatocytes périveineux.
En culture primaire, sans précaution
particulière, les populations zonales ne conservent pas
spontanément leurs caractéristiques métaboliques d’origine.
Cependant, si les conditions de culture reproduisent les conditions
physiologiques existant dans la zone d’origine, il est possible de
maintenir une partie des activités métaboliques caractéristiques des
cellules d’origine.
De plus, si une population zonale est cultivée
dans des conditions ressemblant à celles de la zone opposée du
lobule, ses activités métaboliques se transforment : elle perd le
phénotype de sa zone d’origine pour acquérir celui de la zone
opposée.
Expérimentalement, c’est donc l’environnement qui prime
sur la cellule.
Quels sont les facteurs impliqués ?
Le plus important
est sans aucun doute la perfusion sanguine, mais d’autres facteurs
peuvent également intervenir.
1- Rôle de la perfusion sanguine
:
Le lobule hépatique est vascularisé par les capillaires sinusoïdes, qui
transportent un mélange de sang d’origine portale et de sang
d’origine artérielle. Les sinusoïdes naissent de la périphérie du
lobule hépatique et convergent vers la veine centrolobulaire, où ils
se drainent.
La perfusion du lobule hépatique est donc
unidirectionnelle et orientée de la zone périphérique vers la zone
centrale.
L’orientation de la perfusion sanguine du lobule hépatique
explique que les zones les plus périphériques du lobule hépatique
sont celles qui reçoivent le sang le plus riche en oxygène, en
substrats et en hormones.
Les concentrations de ces différents
facteurs décroissent progressivement le long des sinusoïdes pour
atteindre habituellement leurs valeurs minimales dans la région centrolobulaire.
Les gradients sanguins en oxygène, en nutriments et en hormones
jouent un rôle essentiel dans l’organisation métabolique du lobule
hépatique.
L’oxygène joue à la fois le rôle d’un substrat nécessaire
aux métabolismes oxydatifs, prédominant dans la région
périphérique du lobule hépatique, et d’un facteur régulateur
susceptible de moduler directement l’activité de certaines enzymes
clés.
La disponibilité des substrats, dont la concentration
diminue habituellement le long des sinusoïdes, conditionne le
fonctionnement de nombreuses activités métaboliques.
Enfin, les
différences de concentrations sanguines en hormones contribuent à
la régulation des activités métaboliques spécifiques de chaque zone
du lobule hépatique.
C’est ainsi que les variations du rapport entre
les concentrations de glucagon et d’insuline le long du sinusoïde
hépatique contribuent à déterminer les localisations respectives de
la néoglucogenèse dans la zone périportale du lobule hépatique et
de la glycolyse dans la zone périveineuse.
L’effet des gradients sanguins intrasinusoïdaux peut cependant être
modulé par des facteurs cellulaires.
Plusieurs exemples de variations
zonales dans le niveau d’expression ou l’affinité de transporteurs
membranaires, voire de récepteurs hormonaux, ont été
décrits.
Ces variations permettent de compenser, au moins
partiellement, certaines variations des concentrations sanguines.
2- Microenvironnement hépatocytaire
:
Il existe des variations intralobulaires dans le microenvironnement
hépatocytaire.
Un certain degré d’hétérogénéité intralobulaire a été
décrit pour la majorité des cellules sinusoïdales.
Ainsi, les cellules endothéliales sinusoïdales de la région périportale sont
structuralement et fonctionnellement différentes de celles de la
région périveineuse.
Les cellules de Kupffer sont plus nombreuses
en région périportale et présentent des différences fonctionnelles
selon leur position dans le lobule.
Enfin, les cellules étoilées
présentent certaines différences phénotypiques et fonctionnelles
selon leur position dans le lobule.
De même, au moins chez
l’homme, l’innervation intralobulaire est restreinte à la seule zone
périportale.
En revanche, il n’existe pas de différences
significatives dans la matrice extracellulaire selon les zones du
lobule.
Les différences observées dans l’environnement tissulaire
des hépatocytes selon la zone du lobule hépatique montrent que le
concept de l’hétérogénéité structurale et fonctionnelle du lobule
hépatique concerne aussi bien les hépatocytes que leur
environnement.
3- Architecture trabéculaire
:
L’architecture trabéculaire est une caractéristique fondamentale du
lobule hépatique normal.
Les hépatocytes se disposent en travées
régulières s’étendant de la région périportale à la région
périveineuse, séparées les unes des autres par les sinusoïdes.
Le rôle
potentiellement important, mais encore mal exploré, de l’architecture trabéculaire dans le maintien de la zonation métabolique est bien
mis en évidence lors de l’organogenèse hépatique.
Chez la plupart
des espèces animales, l’acquisition de l’architecture trabéculaire
définitive du foie coïncide avec la naissance.
Lorsque les deux
phénomènes sont dissociés, comme c’est le cas chez certaines
espèces, la mise en place de l’organisation fonctionnelle définitive
du lobule hépatique coïncide chronologiquement non pas avec la
naissance, mais avec l’acquisition de l’architecture trabéculaire
définitive.
Il semble donc que la formation de la travée hépatocytaire
soit un déterminant plus important pour la mise en place de la
zonation métabolique du foie que les modifications considérables
de la composition sanguine et de l’imprégnation hormonale
coïncidant avec la naissance.
Chaque travée constitue en effet une unité fonctionnelle.
Les
hépatocytes appartenant à la même travée communiquent
directement grâce à l’existence de jonctions de communication, qui
permettent le passage direct de petits messagers chimiques, et donc
d’informations, d’une cellule à l’autre.
Ainsi, des ondes calciques se
déplacent le long des travées hépatocytaires en réponse à des
stimulations initialement localisées à l’une de leurs extrémités.
La propagation de ces stimuli pourrait contribuer à la régulation et
à la coordination de certaines activités cellulaires.
B - FACTEURS INTRINSÈQUES
:
Même si le rôle des facteurs environnementaux dans l’acquisition et
le maintien de l’hétérogénéité lobulaire des hépatocytes ne peut être
contesté, certains auteurs pensent néanmoins que cette explication
n’est pas applicable à toutes les activités métaboliques.
L’exemple le
plus fréquemment cité est celui de la glutamine synthétase, cette
enzyme restreinte à quelques couronnes d’hépatocytes autour de la
veine centrolobulaire, dont l’expression n’est pas modifiée in vivo
par des modifications physiologiques ou expérimentales de
l’environnement.
L’expression de la glutamine synthétase pourrait
donc être le signe d’une différenciation particulière d’une souspopulation
d’hépatocytes périveineux.
Cette hypothèse a été
récemment réactualisée dans le cadre de la théorie dite du flux hépatocytaire intralobulaire (streaming liver).
Cette théorie postule
que les travées hépatocytaires sont constamment renouvelées par
des hépatocytes partant de la zone périportale, se déplaçant
lentement vers la veine centrolobulaire et disparaissant finalement
dans la région centrolobulaire, probablement par apoptose.
En se
basant sur ce postulat, certains auteurs ont proposé que, au fur et
à mesure de ce cheminement, les hépatocytes subissent un processus
de différenciation progressif, permettant de reconnaître quatre
compartiments successifs disposés de la région périportale à la
région périveineuse : cellules souches, cellules transitionnelles,
cellules en cours de maturation et cellules en différenciation
terminale.
Dans ce cadre, l’acquisition de certaines fonctions
métaboliques serait corrélée avec le stade de différenciation.
Ainsi,
l’expression de la glutamine synthétase, spécifique de la région
immédiatement périveineuse, serait-elle un marqueur des
hépatocytes en différenciation terminale.
La théorie du flux hépatocytaire est aujourd’hui abandonnée, au moins dans sa
formulation initiale.
Il est donc impossible pour l’instant d’exclure
ou d’affirmer formellement l’existence d’un lien entre hétérogénéité intralobulaire et différenciation hépatocytaire.
Cette hypothèse, si
elle était vérifiée, apparaîtrait cependant plus complémentaire que
contradictoire avec l’hypothèse d’un déterminisme
« environnemental » de l’hétérogénéité lobulaire.
Implications physiopathologiques
:
Une conséquence importante de la zonation métabolique du lobule
hépatique est de rendre certaines zones du lobule hépatique plus
sensibles à certains types d’agressions.
Ce n’est pas un hasard si de
nombreuses atteintes médicamenteuses touchent électivement la
zone périveineuse : c’est là que se trouvent les plus fortes
concentrations d’enzymes susceptibles de produire des métabolites
réactifs à partir des xénobiotiques.
De même, les fortes
concentrations d’alcool-déshydrogénase dans la zone périveineuse
expliquent probablement la topographie centrolobulaire
préférentielle de certaines lésions hépatiques dues à l’alcool.
Enfin, il est habituel d’attribuer les effets prédominants de l’ischémie
hépatique sur la région centrolobulaire à la tension d’oxygène plus
basse existant normalement dans cette zone ; d’autres facteurs
pourraient également y contribuer, comme la plus forte activité de
la xanthine oxydase, l’une des principales sources
intrahépatocytaires de radicaux libres au cours de la reperfusion qui
suit une ischémie.
En retour, les modifications de l’architecture hépatique sont
susceptibles de perturber la zonation métabolique du foie.
Les
études histoenzymologiques effectuées chez le rat et chez l’homme
montrent une relative conservation de l’organisation fonctionnelle
du tissu hépatique en cas de fibrose sans cirrhose.
Ce n’est
qu’au stade de cirrhose qu’apparaissent des remaniements majeurs
de l’organisation fonctionnelle du parenchyme hépatique.
Les
nodules cirrhotiques sont caractérisés par une diminution de la
plupart des activités enzymatiques normales, une perte de
l’organisation zonale de la plupart des fonctions métaboliques et une
perte de la complémentarité métabolique des hépatocytes.
Le
métabolisme de l’ammoniaque est particulièrement altéré, en raison
notamment de la perte habituelle de l’expression de la glutamine
synthétase.
Chez le rat, cette perte d’expression a pu être corrélée
avec l’augmentation de l’ammoniémie périphérique.
Il est donc
vraisemblable que les anomalies de la zonation métabolique du foie
contribuent à l’aggravation des troubles métaboliques associés au
développement de la cirrhose.
Conclusion
:
Le lobule hépatique est une entité structuralement et fonctionnellement
hétérogène, perfusée de façon unidirectionnelle par le sang d’origine
portale.
Il présente une zonation métabolique très accentuée, capable de
répondre de façon dynamique aux variations physiologiques du milieu
intérieur et dont les altérations, secondaires aux remaniements de
l’architecture hépatique, contribuent à aggraver les troubles
métaboliques associés à la cirrhose.