Chirurgie des pertes de substance complexes ou étendues de la région cervicofaciale Cours de Chirurgie
Introduction :
L’utilité de ce chapitre n’est peut-être pas évidente dans un ouvrage où
sont déjà exposées toutes les techniques de chirurgie plastique et leurs
indications : tous les éléments y sont en principe présents pour répondre
aux problèmes posés par la réparation des pertes de substance complexes
ou étendues de la région cervicofaciale.
Il suffit, en théorie, de combiner
les méthodes comme l’on combine les mots pour former des phrases,
pour faire face à toutes les situations.
Mais avoir un dictionnaire ne suffit pas pour savoir écrire, d’autant que
les progrès considérables de notre discipline, ces 20 derniers années, ont
beaucoup multiplié les solutions techniques.
En fait, l’élaboration d’une
stratégie opératoire s’apparente plutôt à la composition d’un haïku qui
réclame le choix judicieux de quelques kenji préférés à de multiples
autres idéogrammes, aux significations proches, qu’à l’écriture de
simples phrases.
Généralités
:
La solution de chaque problème de réparation dépend de trois
variables :
– localisation de la perte de substance ;
– étiologie avec ses conséquences particulières : radiothérapie
complémentaire, nécessité d’une surveillance clinique ou paraclinique ;
– état du patient, tant général (âge, fragilité) que local (gestes
antérieurs).
Le geste chirurgical se propose trois buts, hiérarchisés comme suit :
– guérir une pathologie et éviter les complications engageant le
pronostic vital ;
– rétablir les fonctions élémentaires (respiration et alimentation
naturelles) ou plus fines (mastication, vision binoculaire...) ;
– restaurer un habitus admissible, idéalement par reconstruction des
formes anatomiques revêtues par un tégument approprié.
Le choix technique se fait selon trois axes :
– du plus simple au plus complexe ;
– du plus léger au plus agressif ;
– du plus rustique au plus esthétique.
Ces critères, apparemment proches, sont en fait bien différents : un geste
très difficile techniquement n’est pas nécessairement lourd pour le
patient ; un autre, ambitieux et risqué, peut n’avoir aucune prétention
esthétique.
Tout ceci est bien complexe, et d’ailleurs, la définition même des pertes
de substances complexes ou étendues de la région cervicofaciale manque.
Nous limiterons arbitrairement le sujet aux mutilations
(existantes ou à réaliser) intéressant tous les composants d’une des
régions définies ci-après ou, a fortiori, tout ou partie de plusieurs régions
voisines.
Plusieurs systèmes de classement pouvaient être envisagés.
Pour un
maximum de clarté et pour limiter les redites, la localisation de la perte
de substance a été choisie comme facteur principal.
Les conséquences
fonctionnelles et risques vitaux à pallier d’une part, les procédés
chirurgicaux élémentaires d’autre part sont étudiés dans ce cadre, car ils
en dépendent étroitement.
En revanche, les problèmes liés aux étiologies
et au terrain (au sens large) sont traités à part, comme indications
opératoires.
Enfin, les principales situations rencontrées en clinique sont
évoquées et illustrées par des exemples.
Régions cervicofaciales
:
A -
Région orbito-oculo-palpébrale :
1-
Contenu
:
Elle inclut :
– la totalité du squelette orbitaire : ses parois supérieure (crânienne),
interne (éthmoïdonasale), inférieure (maxillomalaire) et externe
(fronto-sphéno-malaire) ;
– les viscères orbitaires : globe et cône musculoaponévrotique ;
– le rideau palpébral.
2- Caractéristiques
:
– C’est une région sensorielle.
– La conservation de l’oeil ne se résume pas au respect du globe luimême
: le rideau bipalpébral doit impérativement être préservé ou
reconstitué pour protéger la cornée.
– La conservation d’une vision binoculaire impose en outre celle des
muscles oculomoteurs et la reconstruction des parois osseuses,
particulièrement d’un soutien inférieur.
– Elle fait partie des confins craniofaciaux.
– La perte de la paroi supérieure pose le problème de la couverture
méningée (voire cérébrale), et surtout son isolement d’avec les cavités
aériennes de la face (nez, sinus, voire bouche et pharynx).
B - Région interorbitaire
:
1-
Contenu
:
Son squelette se compose principalement de l’éthmoïde, c’est-à-dire ses
masses latérales, la lame criblée et le septum.
Il est complété en avant
par les branches montantes des maxillaires et les os propres du nez.
La face médiale et supérieure de ce squelette est tapissée de muqueuse,
la supérieure par la dure-mère adhérente et non étanche à ce niveau.
En
avant sont les téguments de la région glabellaire et du dorsum nasal.
En bas, elle comprend les loges lacrymales et leur contenu.
2- Caractéristiques
:
– C’est une région fonctionnelle.
– Bien que d’un volume réduit, sa perméabilité conditionne la
respiration nasale et doit être préservée.
– C’est aussi une région sensorielle.
– En fait, le problème de la perte de l’olfaction entraînée par le sacrifice
de la muqueuse pituitaire est rarement évoqué.
– C’est un des confins craniofaciaux.
– Son sacrifice entraîne obligatoirement une fuite de liquide
céphalorachidien, au moins par la section des filets olfactifs.
La duremère
doit donc être réparée et couverte par un tissu capable de l’isoler
de façon sûre des fosses nasales.
– C’est un carrefour esthétique.
– De sa reconstruction dépendent deux caractéristiques géométriques
esthétiquement importantes : la projection antéropostérieure de la
pyramide nasale et la distance interorbitaire.
C - Carrefour maxillo-naso-palatin
:
1-
Contenu
:
Cette dénomination a été préférée à celle de région maxillaire
supérieure, car les problèmes se posent en avant, au niveau du
prémaxillaire.
Cette pièce osseuse est revêtue en arrière des muqueuses, nasale en haut,
buccale en bas.
En avant, l’épine nasale reçoit les insertions des muscles périorificiels de la bouche et du nez.
En bas, le groupe dentaire incisivocanin y est appendu.
Surtout, cette structure profonde soutient les éléments de l’étage moyen
de la face : lèvre supérieure, pointe et columelle du nez.
2- Caractéristiques
:
– C’est une région fonctionnelle.
– Elle participe à l’occlusion interbucconasale.
– Elle assure la fermeture des sphincters orificiels narinaires et surtout
buccal.
– C’est un carrefour esthétique.
– La disparition, l’effondrement, ou même simplement la déformation
du nez et de la lèvre supérieure, zone centrale de la face, entraînent des
conséquences esthétiques et sociales désastreuses.
D - Région mandibulo-pelvi-buccale
:
1-
Contenu
:
Son squelette est constitué des branches horizontales de la mandibule et
de sa symphyse.
Il soutient la lèvre inférieure et suspend la région du
plancher de bouche au sens large, en pratique toutes les structures situées
entre la cavité buccale et la limite hyoïdienne, y compris la langue et les
régions sous-mentale et sous-maxillaire.
2- Caractéristiques
:
– C’est une région fonctionnelle.
La suspension antérieure à la symphyse est indispensable à la liberté des
voies aériennes supérieures, et donc à la préservation d’une respiration bucconasale.
La sensibilité et la mobilité de la base de langue sont indispensables aux
mécanismes complexes de la déglutition.
Une réparation du circuit
digestif trop volumineuse, trop flasque, ou au contraire trop figée, est
fonctionnellement inutilisable ou ne permet au mieux qu’une
alimentation très adaptée.
La conservation ou la réparation de la lèvre inférieure est, plus encore
que pour la supérieure, indispensable à l’occlusion et à la continence
buccale.
– C’est une région esthétique.
La perte ou simplement le manque de projection de l’étage moyen de la
face constitue une grave mutilation esthétique, réalisant au pire le
tableau classique de l’agnathe.
E - Région mandibulo-jugulo-carotidienne
:
1-
Contenu
:
La branche montante de la mandibule en constitue le squelette.
Elle
couvre en profondeur la fosse infratemporale, prolongée vers le bas par
la région jugulocarotidienne.
2- Caractéristiques
:
Ce n’est pas une région importante esthétiquement, ni
fonctionnellement.
En revanche c’est une voie de passage pour des
éléments anatomiques importants (carotides et jugulaires) et nerveux
(nerfs mixtes).
Ceux-ci doivent être conservés, puis protégés.
Surtout, le contrôle des limites profondes (supérieures) est difficile et
dangereux.
F - Région auriculo-pétro-parotidienne
:
1-
Contenu
:
Selon sa dénomination, elle comprend le rocher, la loge parotidienne, et
les téguments qui les recouvrent, y compris le pavillon auriculaire.
2- Caractéristiques
:
– Elle fait partie des confins craniofaciaux.
– La pétrectomie pose des problèmes de recouvrement
méningoencéphalique.
– C’est une région sensorielle.
– L’amputation de la région peur entraîner différentes formes de
surdité : appareillable (simple amputation ou oblitération du conduit
auditif externe), difficilement appareillable (évidement pétromastoïdien), ou totale et définitive (destruction de l’oreille interne).
– Elle contient le nerf facial et ses branches.
– Son atteinte peut donner des paralysies faciales partielles ou totales,
transitoires ou définitives.
– C’est une région esthétique.
– Elle l’est essentiellement en raison du pavillon auriculaire, dont le
sacrifice est toujours mal vécu par les patients.
Méthodes de reconstruction
:
A - Principes généraux
:
Il est indispensable de garder à l’esprit la classique hiérarchie technique
des procédés chirurgicaux en chirurgie plastique, bien qu’ici elle doive
subir certaines distorsions en raison des particularités de l’extrémité
céphalique, et aussi de l’importance des mutilations envisagées ici.
Du plus simple au plus complexe, on envisage :
– cicatrisation dirigée et greffe cutanée simple, qui ne peuvent se
concevoir que sur des zones cruentées de bonne vitalité et peu fragiles
(un peu moins pour la greffe de peau), sont ici exceptionnelles.
Elles ne
peuvent se défendre que comme des situations d’attente ou de nécessité,
pour permettre une surveillance clinique particulièrement vigilante ;
– autoplasties au hasard, qui jouissent d’une flatteuse réputation de
sécurité dans cette région.
Malheureusement, elles ne peuvent mobiliser
que de petites surfaces, et l’apport de l’expansion cutanée ne peut
modifier radicalement cette donnée ;
– autoplasties locales à axe vasculaire direct, nombreuses ici, élégantes
(lambeaux en « îlot »), mais qui partagent le défaut des précédentes ;
– autoplasties régionales à pédicule continu, particulièrement
nombreuses puisqu’elles peuvent provenir, soit du thorax, soit des tissus
épicrâniens ;
– transferts microchirurgicaux, qui offrent le maximum de possibilités
et dont les aléas vasculaires sont dans cette région tempérés par la
richesse en pédicules de qualité et un régime de pression
particulièrement favorable.
En pratique, on retient deux groupes : d’une part les autoplasties locales,
petites mais irremplaçables pour apporter des tissus autologues (lèvres
et paupières) et en fait seules à même d’apporter une couverture
esthétiquement satisfaisante, d’autre part les lambeaux régionaux ou à
distance (et libres), sans aucune prétention esthétique mais sûrs,
volumineux ou pluritissulaires si nécessaire, indispensables pour les
reconstructions importantes.
C’est déjà annoncer que plusieurs
techniques peuvent être associées, conjointement ou successivement.
Les protocoles sont donc multiples et peuvent confiner à l’embarras du
choix.
La décision finale doit peser, outre les facteurs liés au patient, les
possibilités techniques de la structure hospitalière (bloc et surveillance),
et surtout celles du chirurgien : autoestimation, souvent à faire avec
réalisme et humilité.
B - Précision technique
:
Il paraît utile de rappeler ici les ressources en lambeaux régionaux des
tissus qui recouvrent le crâne. Trois couches sont utilisables :
– lescalp (revêtement cutanéograisseux et pileux avec son épicrâne porte-vaisseaux correspondant), utilisé en lambeaux dessinés soigneusement sur des pédicules vasculaires repérés (temporal en
général, mais parfois la branche postérieure, temporopariétale ou plus
rarement l’antérieure, temporofrontale).
La difficulté vient souvent de
gestes antérieurement réalisés qui peuvent avoir utilisé ou sectionné des
pédicules, et surtout de craniotomies nécessaires qui doivent
impérativement être couvertes.
La technique du « scalp total »
(JP Real) est irremplaçable dans certaines situations, particulièrement
les très larges exérèses craniofaciales latérales ;
– l’épicrâne (même couche vasculaire mais sans le revêtement cutané)
est utilisé retourné sous la forme du lambeau de fascia frontal, équivalent
du fascia temporal en continuité avec le muscle frontal dont il partage
les quatre pédicules (deux frontaux internes et deux sus-orbitaires).
Largement anastomosés entre eux, ceux-ci assurent une excellente
fiabilité ;
– lepérioste (ou péricrâne), plus souvent utilisé en prolongement d’un
lambeau de muscle temporal que sur ses pédicules antérieurs.
C - Principales techniques élémentaires
par région et incompatibilités :
1- Région orbito-oculo-palpébrale
:
*
Pour les plans profonds
:
La couverture de la dure-mère fait le plus souvent appel au muscle
temporal ou au scalp, mais ils ne sont pas toujours disponibles.
– En chirurgie tumorale, les tumeurs orbitomaxillaires envahissent en
règle la fosse ptérygomaxillaire et les artères temporales profondes
doivent être sacrifiées avec la maxillaire interne, interdisant l’usage du
muscle temporal.
– En chirurgie craniofaciale, réglée ou non, le muscle temporal peut être
lésé ou sacrifié.
Surtout, les incisions dans le scalp doivent être
réfléchies : ne pas sectionner les pédicules des lambeaux en faisant les
abords, ne pas découvrir les abords en faisant les lambeaux.
* Pour les plans superficiels
:
La conservation de l’oeil impose la présence d’une paupière supérieure
souple et mobile pour la protection et l’usage.
En cas d’amputation, celle-ci peut être reconstruite par tout ou partie de
la paupière inférieure.
La reconstruction de la paupière inférieure est moins problématique : la
technique la plus courante est le lambeau temporojugal de Mustardé,
associé à une greffe fibromuqueuse ou chondromuqueuse.
En pratique, les amputations bipalpébrales totales sont virtuellement
incompatibles avec la conservation oculaire.
2- Région interorbitaire
:
Si l’amputation de cette région est associée à celle d’une région orbitaire
adjacente, sa réparation peut être faite dans le même temps par les
mêmes lambeaux volumineux.
En revanche, si elle est isolée, l’exiguïté du foyer et la présence des yeux
qui l’encadrent sont de réels problèmes.
* Pour le plan profond
:
Seuls le péricrâne et/ou l’épicrâne, pédiculisés sur leurs vaisseaux
antérieurs et retournés, peuvent accéder à la dure-mère, dans cette zone
particulièrement critique, rappelons-le.
* Pour les plans superficiels
:
En principe, les techniques de rhinopoïèse sont les plus appropriées,
mais elles souffrent de limitations : les téguments frontaux sont
fragilisés par le prélèvement des lambeaux d’épicrâne, l’utilisation
simultanée de toutes les couches tissulaires de recouvrement est
dangereuse en cas de volet ou de craniectomie frontale.
Enfin, la perte des supports latéraux, la difficulté de les reconstruire dans
un espace déjà occupé par la couverture dure-mérienne, la parcimonie
des tissus de recouvrement disponibles, font que ces rhinopoïèses
« surtotales » manquent en général de projection.
3- Région maxillo-naso-palatine
:
On retrouve ici les mêmes problèmes d’exiguïté, dans une région moins
dangereuse sur le plan vital mais encore plus complexe.
Les autoplasties
locales atteignent vite leurs limites, d’autant que le tissu labial restant
est réservé à la reconstitution d’un sphincter buccal fonctionnel.
Le
palais peut bénéficier d’une solution prothétique, mais sans
reconstitution d’un soutien osseux une éventuelle rhinopoïèse a priori
facile donne un résultat très décevant.
4- Région mandibulo-pelvi-buccale
:
La reconstruction mandibulaire osseuse dans les pertes de substance
complexes est maintenant le plus souvent assurée par des transferts
revascularisés, les greffes osseuses conventionnelles n’ayant plus leur
place que dans les pertes de substance simples.
De même pour les
autoplasties locales (lambeaux nasogéniens, lambeaux de langue) pour
les reconstructions du plancher de bouche : cette région est le domaine
de gestes complexes, utilisant des lambeaux multiples ou composites .
En revanche, pour les reconstructions de la lèvre inférieure, les
autoplasties régionales doivent être privilégiées, l’utilisation de tissus
autologues donnant des résultats fonctionnels et esthétiques très
supérieurs à tous les autres procédés.
5- Région mandibulo-jugulo-carotidienne
:
La reconstruction du plan osseux représenté par la branche montante de
la mandibule est facultative, tant esthétiquement que fonctionnellement.
Lors de grands délabrements, il n’y a pratiquement pas de place dans
cette région pour les autoplasties locales.
C’est ici le domaine d’élection
des lambeaux myocutanés thoraciques ou, lorsqu’ils sont inutilisables,
des transferts libres, car les possibilités de branchement sont
nombreuses, in situ ou un peu à distance (base du cou, vaisseaux
axillaires éventuellement).
6- Région auriculopétreuse
:
L’exposition dure-mérienne et l’évidement pétromastoïdien nécessitent
impérativement une couverture.
Elle peut être assurée par :
– un lambeau de scalp, pédiculisé en arrière ou en avant (la perte du
pédicule temporal homolatéral est pratiquement de règle), ce qui est peu
compatible avec un abord neurochirurgical réglé ;
– un lambeau musculocutané thoracique (grand dorsal ou trapèze) ;
– un lambeau libre.
Ces deux dernières méthodes ont l’avantage d’assurer en même temps
comblement et couverture, évitant l’apport de graisse dévascularisée
dans la cavité d’évidement, technique oto-rhino-laryngologique peu
séduisante aux yeux des plasticiens.
En revanche, l’interposition de
tissus mous aggrave les difficultés de l’appareillage auditif.
La reconstruction du plan osseux est en règle inutile.
Si elle s’impose
(versant temporal de l’articulation temporomandibulaire), elle peut se
contenter de greffes conventionnelles, restant à distance des cavités
faciales.
La paralysie faciale est exceptionnellement prise en compte dans le
même temps opératoire, même quand elle s’annonce certaine et
définitive.
On peut néanmoins réaliser des gestes de suspension passive,
voire active (lambeau libre musculocutané réinnervé), dans des cas
exceptionnels.
Reste le problème de la reconstruction du pavillon de l’oreille, pour
laquelle il y a presque toujours une demande, même quand
objectivement ce souci paraît mineur dans le contexte d’une anatomie postchirurgicale localement très remaniée.
En l’absence de peau glabre
mastoïdienne, elle est vivement déconseillée, les résultats étant par trop
mauvais.
D - Procédés composites
:
1- Association de plasties simples
:
Comme évoqué en début de chapitre, les qualités et défauts des
autoplasties locales et des lambeaux à distance étant complémentaires,
il est souvent tentant de les associer.
Les meilleurs résultats sont obtenus
en dissociant la reconstruction des structures profondes et du volume
d’une part, celle de la peau et des éléments superficiels de l’autre : une
plastie locale en tissus autologues recouvrant une reconstruction
profonde qui doit être stable, étanche et charpentée.
Ces deux gestes peuvent et dans la pratique doivent souvent être
dissociés.
C’est même la règle si un protocole d’expansion est prévu
pour augmenter les possibilités de couverture des autoplasties locales.
2- Lambeaux composites
:
Ils associent plusieurs tissus et se prêtent donc bien aux réparations des
pertes de substances complexes.
Associant en proportion variable peau,
os et tissus mous, très peu sont pédiculés sur un axe utilisable en région cervicofaciale, et la plupart doivent être utilisés comme lambeaux libres.
On distingue les lambeaux composites naturels et les lambeaux
composites préfabriqués.
* Lambeaux composites naturels
:
+ Lambeaux pédiculés
:
Plusieurs variantes ostéomusculaires des lambeaux pédiculés ont été
décrites, mais ils ont perdu beaucoup de terrain par rapport aux transferts
libres.
– Le lambeau de sterno-cléido-mastoïdien emportant un fragment de
clavicule est abandonné.
– Les lambeaux de grand pectoral et de grand dorsal emportant des
fragments costaux sont discutés, la vascularisation de l’os étant précaire.
– L’équivalent réalisé avec le grand dentelé est meilleur, mais son
pédicule court le rend peu utilisable.
Il garde sa place dans des
protocoles complexes, associé avec le grand dorsal, et pédiculisé avec
lui sur les vaisseaux thoracodorsaux.
– Le lambeau de trapèze emportant un fragment d’omoplate garde
quelques indications.
En pratique, seul le lambeau de muscle temporal emportant un fragment
d’os temporal est important : il permet, en uni- ou bilatéral, des
reconstructions du maxillaire supérieur faciles et sûres.
+ Lambeaux libres
:
Actuellement, l’amélioration des techniques de prélèvement et des
tactiques de branchement, jointe à l’entraînement de tous les chirurgiens
plasticiens actuels a entraîné une relative banalisation de la
microchirurgie : certains lambeaux, possibles en pédiculé, sont même
plus sûrs en transfert libre.
Les meilleurs lambeaux composites naturels sont ainsi devenus
utilisables dans la sphère cervicofaciale.
– Le lambeau de péroné, ostéocutané ou ostéomyocutané, est le
lambeau de choix des reconstructions mandibulaires étendues,
intéressant plus d’un segment mandibulaire.
La versatilité de ses
palettes cutanées et son aptitude à recevoir des implants dentaires en
font le lambeau de référence dans les situations qui nous intéressent
ici.
– Lelambeau antébrachial radial (ou lambeau « chinois ») a perdu de
son intérêt comme lambeau ostéocutané.
Il garde sa caractéristique de
lambeau fin, notamment pour le plancher de bouche, mais c’est en
lambeau de pontage par l’axe radial qu’il contient qu’il trouve ses
meilleures indications.
– Lelambeau brachial externe, de faible volume mais à pédicule court,
est plutôt utilisé comme lambeau ostéofasciocutané pour la
reconstruction de lésions du prémaxillaire, fasciocutané simple pour la
langue.
– Le lambeau de crête iliaque, centré par un os spongieux bien
vascularisé, idéal pour résister au contexte infectieux de l’exposition en
bouche et à la salive, peut être associé au prélèvement de muscle et de
peau assurant dans le même temps couverture et comblement.
Il faut revenir ici sur les lambeaux thoraciques basés sur le pédicule thoracodorsal.
Ce pédicule unique, constant, de fort calibre, et à débit
important grâce à son territoire musculaire, est très aisément anastomosable et même pontable avec sécurité.
Ces multiples lambeaux
sont donc plus souvent maintenant réalisés en transfert libre, surtout
lorsqu’ils sont associés à plusieurs pour des reconstructions
pratiquement à la demande.
Ce sont :
– le lambeau de grand dorsal, musculocutané ou musculaire pur.
Éventuellement réinnervable, il est en fait beaucoup trop puissant pour
pallier une paralysie faciale ;
– lelambeau de grand dentelé, musculaire ou ostéomusculaire.
Il peut
emmener une, deux, voire trois côtes.
Il a également été utilisé pour
réanimer la face ;
– les lambeaux scapulaire et parascapulaire, cutanés, ont l’avantage de
proposer des palettes indépendantes des corps musculaires ;
– le lambeau scapulaire osseux permet de prélever le bord externe de
l’omoplate sur les branches ostéopériostées de l’artère scapulaire
inférieure.
Une des caractéristiques de ces lambeaux est d’autoriser le transfert
de très grandes quantités de tissus et cela les indique dans les très
larges pertes de substance concernant plusieurs régions adjacentes.
Cet avantage devient un inconvénient lors de la reconstruction
d’espaces exigus, comme les régions interorbitaire et
maxillo-naso-palatine.
* Lambeaux composites préfabriqués
:
Malgré ce catalogue, certains problèmes nécessitent des solutions
véritablement sur mesure, non disponibles directement.
Au prix d’un
temps de préparation plus ou moins long, il est possible de réaliser à
distance la pièce manquante par modelage, greffe, transplant libre.
Après
achèvement, elle est amenée en place comme un lambeau libre
conventionnel.
Il est même possible de construire un lambeau composite à pédicule
induit pour choisir des sites où n’existe pas de pédicule utilisable...
E - Méthodes prothétiques
:
Dans les reconstructions des pertes de substance complexes, l’utilisation
des prothèses doit être prise en compte, qu’il s’agisse des prothèses
dentaires, des épithèses ou des prothèses oculaires.
1- Prothèses endobuccales
:
*
Prothèses obturatrices
:
Elles sont une alternative aux reconstructions du maxillaire supérieur
mais demandent, pour être efficaces, des points d’appui stables et
équilibrés, ainsi que des moyens d’ancrage.
Elles s’adressent donc plutôt
aux pertes de substance partielles du palais.
* Prothèses dentaires
:
Elles assurent la réhabilitation fonctionnelle et esthétique des
reconstructions du maxillaire et de la mandibule.
Malheureusement, la stabilité des prothèses conventionnelles est
difficile à obtenir sur les reconstructions : la fibromuqueuse normale
adhérente à l’os est toujours remplacée par un complexe peau-tissu
cellulaire qui interdit une fixation rigide.
La solution qui s’est imposée est l’utilisation d’implants intraosseux et
de prothèses implantoportées, mais cette technique est exigeante sur la
qualité de la reconstruction osseuse.
En principe vascularisé (pour
limiter le risque d’ostéolyse), il est idéalement corticospongieux comme
la mandibule elle-même : la crête iliaque, le péroné sont les meilleurs
choix. Il peut être cortical dense (brachial externe, pariétal), mais le
spongieux seul n’est pas assez résistant.
2- Épithèses
:
Malgré une image peu valorisée, elles se présentent comme des
alternatives valables à la chirurgie, soit chez le patient fragile pour
économiser l’agression chirurgicale, soit comme solution transitoire
d’attente en attendant la fin d’un traitement complémentaire (ou parfois
pour le permettre : prothèses porte-source).
Dans certains cas, elles donnent de meilleurs résultats que la chirurgie et
doivent lui être préférées : c’est incontestablement le cas des
amputations totales d’oreille, des destructions oculobipalpébrales et de
certaines rhinopoïèses.
Ces solutions prothétiques ne sont pas un abandon chirurgical car elles
nécessitent en général une préparation du site :
– constitution d’un plan de réception solide qui ne s’ulcérera pas au
contact ;
– préparation de l’accrochage.
La technique des cavités rétentives,
comme celle du collage, étant très décevante, on préfère en général
l’accrochage sur implants qui peuvent être unitaires intraosseux ou à
cadre sous-périosté.
Ceci implique évidemment les mêmes conditions
que pour les prothèses dentaires.
Influence des étiologies sur les indications
:
A - Traumatismes
:
Les traumatismes responsables de mutilations complexes sont de deux
types.
On distingue les lésions balistiques et assimilées, des brûlures et
autres destructions de surface.
Leurs caractéristiques propres influencent
le choix des méthodes de réparation.
1- Lésions balistiques
:
Toutes les mutilations de type balistique, c’est-à-dire provoquées par des
mobiles de grande vélocité, ont en commun l’association à la mutilation
elle-même d’attritions tissulaires à distance des lésions visibles.
Elles se
traduisent au niveau osseux par des refends multiples, et des polyfragmentations dans les parties molles par des lésions micro- et
macrovasculaires, rendant incertaine la trophicité tissulaire en
périphérie de la zone d’attrition.
Ceci contre-indique les plasties locorégionales en urgence ou les rend
très périlleuses.
D’ailleurs, seul un parage extensif permettrait
d’entreprendre une reconstruction primaire d’emblée, et au niveau de
l’extrémité céphalique, le sacrifice délibéré de tissus qui, laissés à euxmêmes,
ont de bonnes chances de récupérer, est inacceptable, sauf en
cas de risque vital.
En pratique, ces sacrifices ne sont légitimes que pour
la couverture d’organes vitaux : axes vasculaires principaux, méninges
réparées. Hors de ce cas, le parage doit être extrêmement économique.
Si elle est nécessaire, la plastie choisie doit être basée sur un pédicule
suffisamment à distance des lésions pour être sûr, et surtout pensée pour
ne pas couper les ponts des interventions ultérieures.
En revanche, après la phase de cicatrisation primaire, le pronostic est
excellent et les possibilités de reconstruction ne sont limitées que par
l’âge, l’état général et aussi la demande du patient.
2- Lésions de type brûlures
:
Ce sont des lésions peu profondes (relativement !), mais très étendues
en superficie.
On peut en rapprocher légitimement d’autres lésions
cutanées extensives : nævi géants, angiomes plans, syndrome de Solomon.
Le traitement radical est une véritable gageure, puisque ce problème
essentiellement cutané ne peut être résolu que par l’apport de téguments
de couleur et de texture appropriées, alors même que les réserves
régionales sont nulles ou très insuffisantes.
Peut-être l’expansion de
certaines zones cutanées (cervicales) apportera-t-elle une solution.
En pratique, on doit souvent se contenter de solutions imparfaites, soit
en surface, ne prenant en compte que certaines zones, soit en qualité,
utilisant des greffes cutanées hétérotopiques et forcément dyschromiques.
B - Tumeurs
:
Les reconstructions après exérèse tumorale vont être soumises à de
multiples impératifs liés à la nature de la lésion.
Nous ne ferons que
relever les particularités d’ordre général que cela entraîne dans le
contexte des pertes de substances complexes.
1- Tumeurs bénignes
:
Parmi les tumeurs bénignes, seules les malformations artérioveineuses
imposent aux procédés de reconstruction des caractères particuliers.
Il
s’agit de dysplasies vasculaires régionales modifiant profondément les
comportements hémodynamiques des pédicules de voisinage.
Ces
tumeurs ou malformations vasculaires ont par ailleurs une tendance à la
récidive, voire à l’aggravation, après tentative thérapeutique : le point
de savoir s’il s’agit de récidives vraies de type tumoral, ou de réveil de
zones dysplasiques antérieurement quiescentes est discuté.
Ces lésions curieuses ont deux particularités thérapeutiques.
La
perturbation du régime circulatoire à leur voisinage est telle que
d’éventuels lambeaux ne peuvent utiliser que des pédicules à distance.
De façon plus surprenante encore, des lésions évolutives, inextirpables
en totalité, peuvent être stabilisées par l’apport à leur contact d’un
lambeau, pédiculisé à distance bien sûr, mais assurant surtout un retour
veineux à fort débit et à basse pression, technique baptisée du nom imagé
de « lambeau-éponge ».
2- Tumeurs malignes
:
En principe, la reconstruction au sens de réhabilitation esthétique doit
attendre la certitude d’une guérison au moins locale.
En pratique, des
gestes précoces sont souvent réalisés, en vertu des trois considérations
énoncées ci-après.
* Couverture des structures vitales
:
La couverture des structures méningoencéphaliques, ainsi que celle des
gros axes vasculaires est bien entendu un impératif absolu et doit être
assurée dans le même temps que l’exérèse.
Elle sera plus ou moins
complexe selon les caractéristiques de la lésion, du patient et du
chirurgien, pouvant aller jusqu’au « tout en un temps ».
* Maintien des grandes fonctions
:
Cet impératif est moins rigoureux, trachéotomie et/ou gastrostomie (ou
jéjunostomie) pouvant différer des reconstructions complexes.
* Radiothérapie
:
L’association d’un traitement radiothérapique et d’un geste chirurgical
dans le même site pose des problèmes différents selon que celui-ci
précède, succède à, ou encadre la chirurgie.
– Si la radiothérapie précède la chirurgie, les radiolésions, patentes ou
quiescentes, compliquent l’appréciation des envahissements tumoraux
et doivent parfois être réséquées avec la tumeur, aggravant les problèmes
de reconstruction. En principe, les pédicules situés en zone irradiée ne
doivent pas être utilisés par les lambeaux.
– Si elle lui succède, le protocole de réparation ne doit la différer ni par
la nature des matériaux employés, ni par les aléas de la cicatrisation, ni
par la susceptibilité de ses composants à la radiothérapie.
Un cas
extrême est celui de la radiothérapie interstitielle postopératoire
immédiate, où les gaines porte-source sont fixées au contact d’un
reliquat tumoral inextirpable et couvertes par un lambeau dont la
trophicité et la sécurité doivent être parfaites.
– Si elle l’encadre, les contraintes précédentes s’additionnent.
Le
principal intérêt est de permettre une radiothérapie itérative par
remplacement de tissus ayant déjà reçu une dose totale.
A contrario, l’absence de possibilités radiothérapiques (tumeurs
radiorésistantes comme certains sarcomes) alourdit encore la
responsabilité chirurgicale et doit conduire à des exérèses et des
reconstructions maximalistes.
Influence du terrain sur les indications
:
A - Âge
:
1- Chez l’enfant
:
Le problème est celui de la poursuite de la croissance, tant dans les zones
reconstruites qu’au niveau des sites donneurs.
* Pour les sites reconstruits
:
À l’étage cervicofacial, peu de reconstructions gardent une dynamique
de croissance propre.
Seule la région condylienne de la mandibule peut
bénéficier du transfert d’un centre de croissance avec l’utilisation de
greffes chondrocostales.
Avec le temps apparaissent donc des déformations par retard de
croissance, encore aggravées par une éventuelle radiothérapie.
Elles
nécessitent des gestes correcteurs et l’apport des procédés de distraction
osseuse est tel qu’ils devront être pris en compte dans le choix des
méthodes de reconstruction osseuse ou composite.
* Pour les sites donneurs
:
Les conséquences sur la croissance du choix du site donneur doivent être
pesées.
C’est particulièrement le cas pour les lambeaux musculaires
thoraciques, tel le grand dorsal, dont le prélèvement entraîne des
troubles de la statique rachidienne.
2- Chez l’adulte jeune
:
La croissance achevée et l’état général a priori excellent représentent des
conditions techniques idéales mais doivent rendre particulièrement
exigeant.
* Dans les pertes de substance traumatiques
:
La réhabilitation esthétique et fonctionnelle doit être la plus complète
possible :
– restitution des volumes ;
– reconstruction maxillaire appareillable, c’est-à-dire le plus souvent
implantable ;
– rétablissement de plans cutanés de qualité par des autoplasties de
voisinage.
Ceci peut être réalisé d’emblée ou de façon différée, surtout
si un protocole de gain cutané est nécessaire.
Celui-ci doit d’ailleurs être
prévu (et en tout cas pas interdit...) par le geste initial.
L’attitude doit être la même pour les séquelles d’une mutilation pour
tumeur après guérison.
Enfin, l’exigence de qualité doit s’étendre aux sites donneurs dont les
séquelles doivent être minimisées.
* Pour le traitement primaire d’une tumeur
:
Ici la guérison prime.
Si une radiothérapie complémentaire est prévue, la reconstruction doit
permettre de l’appliquer dans les meilleures conditions, et surtout ne pas
lui être un obstacle ni la retarder.
En revanche, les traitements complémentaires par voie générale
n’influent pas sur les gestes locaux.
En l’absence de ces possibilités (sarcome), les exérèses doivent être
maximales et l’indispensable reconstruction morphofonctionnelle doit
assurer au moins une qualité de survie acceptable si la maladie résiduelle
ne peut être contrôlée.
Un peu moins ambitieuse peut-être, elle doit
s’attacher à minimiser les délais et le nombre de temps opératoires.
3- Chez le patient âgé et fragilisé
:
Certaines techniques (en fait rares) ne peuvent être envisagées, leur
morbidité et le risque vital qu’elles représentent paraissant
déraisonnables.
A priori, les protocoles les plus simples et les plus rapides doivent être
privilégiés, avec en particulier le recours aux solutions prothétiques pour
les réhabilitations esthétiques ou plutôt sociales.
Le plus important est de ne pas récuser les traitements sous prétexte
d’une espérance de vie limitée.
Cette notion est très relative et nullement
entamée par les tumeurs cutanées, si fréquentes chez les personnes
âgées. Abandonnées, elles sont revues plus tard, dans un état bien pire...
et toujours à opérer.
B - Pathologies associées
:
Les cas de figures sont infinis, mais certains posent des problèmes de
stratégie particulièrement douloureux.
– Les maladies cutanées prénéoplasiques (xeroderma pigmentosum),
pour lesquelles on serait tenté d’élargir sans limite les zones traitées (par
exérèse ou radiothérapie) en raison du risque d’apparition d’autres
lésions.
– Les immunosuppressions thérapeutiques (greffes d’organe,
hémopathies), qui aggravent énormément l’incidence et surtout
l’agressivité des tumeurs cutanées et pour lesquelles l’adaptation de la
thérapeutique fait hésiter entre deux risques vitaux.
– Les maladies de terrain (épithéliomas d’origine otorhino-
laryngologique), dont on connaît l’histoire.
– Plus généralement, les patients dont l’espérance de vie est
hypothéquée par une autre pathologie : néoplasmes divers, défaillance
d’un grand système.
Leur prise en charge se rapproche en pratique de
celle des patients âgés.
Principales situations
et quelques illustrations
:
Par définition, les pertes de substance complexes et étendues n’ont pas
de systématisation, et nous nous sommes efforcés de donner des
principes généraux de tactique permettant de faire face à des situations
très variées.
Il existe néanmoins des situations plus fréquentes
auxquelles correspondent des procédures relativement normalisées.
Leur présentation, commentée par la motivation des choix
thérapeutiques, nous a paru utile pour aider à résoudre des problèmes
apparentés.
Ici encore une présentation topographique a été retenue.
A - Région orbito-oculo-palpébrale
:
1-
Amputation totale et isolée de la région
:
Ceci correspond aux orbitectomies totales pour cancer primitif du
contenu orbitaire.
Elles sont rares, la plus fréquente de ces tumeurs, le rhabdomyosarcome du sujet jeune, étant également radio- et
chimiosensible, ce qui réduit les indications.
La méthode de réparation de choix est le transfert isolé du muscle
temporal, éventuellement avec une extension de péricrâne, couvert dans
le même temps par une greffe de peau totale.
Simple, rapide et sûre, cette technique donne des résultats très
acceptables.
Le bénéfice d’une reconstruction bipalpébrale,
esthétiquement toujours fort médiocre, ne justifie pas les efforts qu’il
faudrait lui consacrer.
L’ablation de la paroi externe de l’orbite ne
demande pas de reconstruction et d’ailleurs, sa disparition, complétée
par la régularisation délibérée des reliefs résiduels, atténue la
déformation régionale en harmonisant le contour du visage.
2- Amputation dépassant l’unité
:
Nous n’envisageons ici que les extensions vers le bas, de loin les plus
communes.
* Traumatismes balistiques limités
:
Ils sont caractérisés par la perte de la fonction oculaire et la destruction
de la paroi inférieure et/ou interne de l’orbite, mais sans perte de
substance volumétrique très importante (projectiles à faible vélocité).
La fermeture de la communication sinusienne et le support des viscères intraorbitaires sont assurés dans le même geste, par un lambeau
ostéomusculaire ou musculaire pur de temporal, cette fois utilisé en
« hamac de suspension ».
Le volume intraorbitaire est restitué par un implant endoscléral ou
intraconique qui est aussi le premier temps de l’appareillage à visée
esthétique.
La reconstitution des plans superficiels, en particulier palpébraux, se fait
impérativement par des autoplasties locorégionales.
* Amputation radicale élargie
:
Fruit de traumatismes balistiques graves ou d’exérèses carcinologiques
élargies, ces pertes de substances entraînent des déficits
volumétriques majeurs nécessitant des apports tissulaires en grande
quantité.
C’est ici le domaine des grands transferts d’origine thoracique, en règle
maintenant réalisés en libre car, dans ce site situé à la limite de leur arc
de rotation, ils s’avèrent moins sûrs pédiculés.
Le premier choix est le lambeau musculocutané de grand dorsal,
d’autant qu’il peut comporter deux, trois et même quatre palettes
cutanées permettant de reconstruire simultanément joue, bouche, nez et
même conjonctive si la face cutanée de la paupière est intacte.
En l’absence de sacrifice cutané important, une excellente alternative est
le lambeau ostéocutané de grand dentelé qui apporte à la fois volume et
rigidité.
Les lambeaux composites naturels permettent des reconstructions à
l’excellente tenue tridimentionnelle.
Les meilleurs associent
prélèvement scapulaire et/ou grand dorsal et/ou grand dentelé.
Ce sont
néanmoins des interventions plus longues et plus hémorragiques,
pouvant nécessiter un changement de position, à discuter selon le
contexte.
Une alternative plus simple est la réalisation de greffes osseuses
conventionnelles, couvertes par un lambeau musculaire dans le même
temps ou de façon différée.
3- Pertes de substance partielles avec conservation oculaire
:
Le problème est évidemment de conserver une fonction visuelle utile.
La réparation des parois par greffes osseuses ou par simple transfert de
muscle temporal est indispensable pour éviter la diplopie.
La réparation d’une destruction totale et simultanée des deux paupières
donne très difficilement des paupières suffisamment souples et mobiles
pour assurer à la fois occlusion de protection et ouverture fonctionnelle.
La difficulté est encore accrue par la destruction fréquente de la région temporojugale. Nous avons traité un cas par transfert libre réinnervé de
peaucier du cou.
B - Région interorbitaire
:
Il s’agit, comme nous l’avons vu, d’une région exiguë, d’accès difficile,
carrefour respiratoire et visuel, qui pose deux problèmes dominants : la
couverture de la partie centrale de la base du crâne (étage antérieur) et la
restauration nasale totale sans aucune base disponible.
Les situations chirurgicales conduisant à ces situations sont peu
fréquentes et correspondent aux résections de tumeurs cutanées du dorsum étendues en profondeur au squelette glabellaire : ce sont en règle
soit des dermatofibrosarcomes de Darier-Ferrand, qui peuvent être
guéris par une exérèse large emportant une barrière saine, soit des épithéliomas basocellulaires qui, même très évolués, restent curables par
des exérèses larges, pourvu qu’elles soient bien totales.
Les épithéliomas spinocellulaires, en revanche, même s’ils ne sont pas à
l’évidence métastasés, ont un pronostic trop sombre pour mériter des
gestes très ambitieux et mutilants.
1- Couverture cérébroméningée
:
Indispensable, ne serait-ce qu’à cause de la section des filets olfactifs,
elle doit être étanche et surtout bien vascularisée pour résister à
l’agression septique des fosses nasales.
Ce cahier de charges est rempli au mieux par le fascia frontal retourné :
de vascularisation sûre, même si plusieurs de ses quatre pédicules
doivent être sacrifiés dans le temps d’exérèse, il est suffisamment long
pour atteindre facilement le cavum et large puisqu’il peut être prélevé
d’une crête temporale à l’autre.
Pour plus de sécurité (plus d’épaisseur)
nous préférons le prélever avec l’épicrâne sous-jacent.
S’il n’est pas disponible, même en partie (cas exceptionnel après
récidives et interventions multiples), on utilise le péricrâne en extension
d’un lambeau de muscle temporal.
En dernier recours, un lambeau cutané est possible, mais il ne couvre
que la partie antérieure des gouttières olfactives.
2- Rhinopoïèse
:
Outre la reconstruction nasale proprement dite, elle doit comprendre la
confection d’un soutien osseux appuyé sur le front et/ou l’infrastructure
maxillaire avec sa couverture profonde.
Ce soubassement doit être
protégé en profondeur.
Les deux gestes peuvent être dissociés ou intégrés dans la même
intervention.
* Reconstruction dissociée
:
– Des plans profonds, soit par l’association autoplastie cutanée de
voisinage et greffe osseuse conventionnelle, soit par un transfert
composite osseux revascularisé de petite taille par exemple ostéofascial
brachial cutané externe.
– Du plan cutané, de préférence par un lambeau scalpant de Converse,
plus sûr après utilisation du fascia frontal.
* Reconstruction intégrée
:
Elle fait appel à des lambeaux composites, soit naturels (lambeau ostéocutané frontal), soit préfabriqués (modelage d’un lambeau
antibrachial sur une baguette de radius).
Notre préférence va à la première solution.
3- Épithèse nasale
:
En pratique, le résultat de ces reconstructions nasales est au mieux
médiocre.
L’épithèse offre en fait un meilleur rapport qualité-prix, c’est
d’ailleurs souvent la seule solution raisonnable, avec en prime la
possibilité d’une surveillance de la cavité.
Malheureusement, son
principe est souvent difficile à faire accepter par les patients.
C - Région maxillo-naso-palatine
:
Deux étiologies se partagent ces mutilations : les lésions balistiques par
tentative de suicide et les épithéliomas évolués de la sous-cloison.
1- En carcinologie
:
Le terrain et la nécessité de surveiller le site concourent à faire préférer
des protocoles relativement simples :
– la lèvre doit être réparée avec une très grande préférence pour les
autoplasties locales qui seules permettent d’espérer un résultat
fonctionnel ;
– le prémaxillaire est remplacé par une simple prothèse obturatrice.
Le problème nasal est plus complexe.
Si la solution prothétique n’est pas
possible, on peut éventuellement réaliser une rhinoplastie de pointe, de
préférence par un lambeau frontal médian ou oblique.
2- En traumatologie
:
La reconstruction peut être plus ambitieuse, mais elle est difficile à cause
des problèmes de complexité anatomique et d’exiguïté du site déjà
évoqués.
Le point le plus délicat est l’obtention d’une infrastructure osseuse peu
volumineuse, couverte sur ses faces buccale et nasale, assurant le soutien
de la lèvre reconstruite et de la base nasale, et enfin susceptible de
recevoir des implants.
Parmi les lambeaux composites naturels, le brachial externe ostéocutané
est le plus adapté : peu volumineux, il est suffisamment résistant pour
pouvoir éventuellement être laissé cruenté, comptant sur
l’épithélialisation spontanée.
La solution la plus séduisante, et celle qui nous a donné les meilleurs
résultats, est cependant la préfabrication de la pièce squelettique sur
mesures (l’apport du scanner 3D est ici déterminant), incorporée dans
un lambeau à double palette.
Celui-ci peut être naturel (lambeau antibrachial) ou même à pédicule induit, permettant de choisir la
qualité de la peau à transférer ou de minimiser les séquelles du site de
prélèvement.
D - Région mandibulo-pelvi-buccale
:
On retrouve les deux mêmes groupes étiologiques : balistique par
tentative de suicide et tumoral.
Il s’agira ici de tumeurs d’origine otorhino-laryngologique, plus agressives sur le plan cancérologique que
celles d’origine cutanée.
C’est dire que les contextes de réintervention
et d’associations radiothérapiques sont particulièrement fréquents.
Le
rétablissement d’une filière aérodigestive fonctionnelle étant difficile, la
réparation primaire se fait en général sous couvert d’une trachéotomie
et/ou d’une gastrostomie.
1- Réparation osseuse
:
Elle est fondamentale, tant pour des motifs fonctionnels (la suspension
du plancher de bouche à la région symphysaire est indispensable à la
perméabilité de la filière aérienne et au mécanisme de la déglutition),
que sociaux (la morphologie et les fuites salivaires des agnathes les
rendent repoussants).
En primaire, le consensus est pratiquement fait sur le lambeau ostéocutané de péroné.
Outre un os d’excellente qualité, suffisamment
long pour faire face à toutes les situations, il apporte une palette cutanée
souvent mince, bien adaptée aux réparations du plancher de bouche
antérieur, des defects cutanés limités et même de la lèvre inférieure à
titre provisoire.
Les autres lambeaux ostéocutanés (brachial externe, crête iliaque) sont
moins performants et surtout moins polyvalents.
En deuxième choix, des greffes conventionnelles, armées ou non,
peuvent être réalisées sous un excellent lambeau musculaire ou entre
deux lambeaux.
2- Réparation pelvilinguale
:
La palette du lambeau ostéocutané ne suffit pas toujours : les vastes
pertes de substance peuvent être réparées par un lambeau antibrachial,
choisi pour sa minceur, ou un transfert d’origine digestive (jéjunum
ouvert).
L’amputation de langue peut être réparée par un lambeau brachial
externe.
Au maximum, les pelvectomies totales avec glossectomie totale,
héroïques gestes de rattrapage dans un contexte de radiothérapie et de
curage bilatéral, sont au mieux réparées par le lambeau gastroépiploïque
de Baudet.
E - Région mandibulo-jugulo-carotidienne
:
La quasi-totalité des cas relèvent de la très classique
buccopharyngectomie transmaxillaire (opération dite de
« commando ») pour cancer.
Sa reconstruction est bien codifiée et est
parfaitement réalisée par le lambeau myocutané pédiculé de grand
pectoral, la réparation de la branche montante de la mandibule n’étant
pas nécessaire.
e sont en fait les élargissements de cette amputation qui compliquent
le problème : les élargissements vers le haut dépassent l’arc de rotation
du grand pectoral et conduisent à utiliser le lambeau myocutané de grand
dorsal, l’élargissement au plancher et à la branche horizontale de la
mandibule nécessite sa reconstruction par un transfert libre de péroné
ou éventuellement par un deuxième lambeau thoracique associé à une
greffe osseuse classique interposée.
F- Région auriculopétreuse
:
Les amputations larges de cette région relèvent d’exérèses tumorales de
lésions qui sont le plus souvent d’origine auriculaire (épithéliomas
spinocellulaires).
Le principal problème qu’elles posent est celui de la
couverture de l’oreille interne et éventuellement du cerveau
(pétrectomie totale).
1- Couverture
:
Dans les cas les plus simples, un lambeau de scalp peut être réalisé,
éventuellement associé à un comblement d’une cavité d’évidement pétromastoïdien (lambeau de muscle temporal par exemple).
Cette
technique a l’avantage d’offrir un camouflage de la région après
repousse des cheveux.
Le plus souvent, ces exérèses débordent sur les régions voisines et
nécessitent un lambeau volumineux.
Ce sont des indications parfaites
pour le lambeau myocutané de grand dorsal, généralement en transfert
libre, et en deuxième choix, surtout lors d’extensions postérieures
occipitales, le lambeau myocutané de trapèze, réalisé en pédiculé.
2- Reconstruction du pavillon de l’oreille
:
Dans ce contexte, la réparation chirurgicale est illusoire et ne doit pas
être tentée.
L’épithèse ne peut être envisagée que si son maintien par implant osseux
est possible.
C’est en pratique rarement le cas, en raison des sacrifices
osseux dans l’aire de projection et de l’épaisseur des lambeaux de
couverture.
Presque toujours, on se contente du camouflage capillaire...ou de rien.
Ces pages n’ont aucune prétention à l’exhaustivité.
Elles ne font que refléter l’expérience de notre équipe et se
périmeront vite car il existe de nombreuses pistes de recherche,
simplement évoquées.
Nous espérons néanmoins qu’elles aideront nos lecteurs à
soulager des patients pitoyables auxquels la chirurgie peut
néanmoins apporter une amélioration importante, et quelquefois
spectaculaire.
La plupart des techniques élémentaires, avec leur bibliographie
spécifique, étant détaillées en d’autres articles de l’ouvrage, nous
ne citons que quatre références particulières qui ont spécialement
marqué la stratégie de cet article.