Pathologie immunitaire cornéenne
Cours d'Ophtalmologie
Physiopathologie
:
A - RAPPELS GÉNÉRAUX
:
1- Classification :
La classification de Gell et Coombs distingue quatre types
d’hypersensibilité en fonction de la chronologie de la réponse
immunitaire :
– le type I est l’hypersensibilité immédiate médiée par les
immunoglobulines E (IgE).
Les mastocytes et les éosinophiles jouent
un grand rôle dans les phénomènes d’hypersensibilité immédiate
par le biais des médiateurs solubles qu’ils libèrent lors de leur
dégranulation.
Les mastocytes peuvent dégranuler sous l’effet de
différents facteurs : complexes antigènes-IgE, fractions C3a et C5a
du complément (anaphylatoxines), certaines cytokines et certains
neuropeptides libérés par des terminaisons nerveuses ;
– le type II est la cytotoxicité dépendante des anticorps, médiée par
les IgG, A et M ;
– le type III est l’hypersensibilité semi-retardée, médiée par les
dépôts de complexes immuns antigènes-anticorps avec activation du
complément ;
– le type IV est l’hypersensibilité retardée (HSR) médiée par les
lymphocytes T.
Il est admis que les réponses immunitaires sont rarement
monomorphes et que plusieurs types d’hypersensibilité peuvent être
associés au cours d’une réponse immunitaire à un antigène donné.
2- Immunité cellulaire
:
La réponse immunitaire cellulaire fait intervenir l’activation des
lymphocytes T helpers (CD4+) par des cellules présentatrices de
l’antigène (cellules dendritiques dont les cellules de Langerhans,
macrophages, lymphocytes B) qui métabolisent les protéines
antigéniques en peptides et présentent ceux-ci aux lymphocytes T
dans le contexte d’une molécule human leukocyte antigen (HLA)
(HLA classe II pour les lymphocytes T CD4+ , classe I pour les
lymphocytes T CD8+).
Les effecteurs de la réponse immunitaire
cellulaire sont variés : lymphocytes T cytotoxiques (CD8+),
macrophages, polynucléaires, lymphocytes killer et cellules natural
killer (NK).
3- Immunité humorale :
La réponse immunitaire humorale (production d’anticorps par les
lymphocytes B et les plasmocytes) aux antigènes T-dépendants
(peptides dérivés de protéines) nécessite l’activation des
lymphocytes T helpers (CD4+) et donc, la présentation des antigènes
aux cellules T.
En revanche, les antigènes T-indépendants (glucides)
peuvent activer directement les lymphocytes B sans le concours des
cellules T.
Il existe deux sous-populations de lymphocytes T helpers (Th).
La sous-population Th-1 est activée par les macrophages, les cellules
dendritiques et l’interleukine 12 (IL12).
Son activation est spécifique
de l’antigène, nécessite un contact cellulaire et ne peut se faire
qu’avec les antigènes T-dépendants.
Cette sous-population favorise
la réponse cellulaire (HSR), inhibe la présentation de l’antigène par
les lymphocytes B, favorise la sécrétion d’IgA et G et la cytotoxicité
des lymphocytes T cytotoxiques.
Elle produit de l’IL2, de l’interféron c (IFNc), du tumor necrosis factor (TNF) b et de l’IL3.
Sa
croissance est favorisée par l’IFNc. L’IL10 et l’IL4 inhibent ses
fonctions. La sous-population Th-2 est activée par les lymphocytes B
et l’IL4.
Elle favorise la réponse anticorps, inhibe la réponse
cellulaire (HSR), favorise la synthèse d’IgE par les plasmocytes.
Elle
produit de l’IL3, de l’IL4, de l’IL5, de l’IL6, de l’IL10, de l’IL13 et du granulocyte-macrophage colony stimulating factor (GM-CSF).
Sa
croissance est inhibée par l’IFNc.
Il existe de nombreux
intermédiaires entre le phénotype Th-1 et le phénotype Th-2.
4- Conséquences pathologiques
:
Si le système immunitaire a pour but de protéger l’organisme contre
des agresseurs extérieurs (agents microbiologiques, corps étrangers),
la réponse immunitaire est à l’origine de lésions cellulaires et
tissulaires qui n’intéressent pas que l’agent agresseur, mais aussi les
cellules et tissus environnants.
Cette réaction au niveau de l’oeil peut
entraîner rapidement une perte de transparence des milieux.
Au
niveau du segment antérieur, il existe un phénomène de répression
de la réaction immunitaire (anterior chamber associated immune
deviation [ACAID]) qui permet de limiter les conséquences de la
réaction immunitaire sur la cornée.
Ce phénomène est actif,
spécifique de l’antigène présent dans le segment antérieur et médié
par des lymphocytes suppresseurs.
Les maladies immunitaires peuvent résulter d’une réaction
d’hypersensibilité à un antigène extérieur (allergie, rejet de greffe),
d’un déficit du phénomène ACAID ou d’une rupture de la tolérance
du système immunitaire aux antigènes du soi (auto-immunité).
Cette
rupture de tolérance peut être induite par des phénomènes de
mimétisme antigénique entre des antigènes du soi et des agents
extérieurs.
Elle peut être favorisée par certaines molécules HLA qui
jouent sur la présentation de certains antigènes aux lymphocytes T.
Des erreurs dans le développement intrathymique du répertoire du
récepteur des lymphocytes T (TCR) sont également évoquées.
L’affinité de certaines molécules HLA pour des peptides
antigéniques particuliers pourrait expliquer l’association entre
antigènes HLA et maladies auto-immunes.
La répartition périphérique des IgM et de la fraction C1 du
complément dans la cornée explique la localisation préférentielle
périphérique des kératites liées à des dépôts de complexes immuns.
B - PARTICULARITÉS DES DIFFÉRENTES PATHOLOGIES :
1- Pathologies allergiques :
Les mécanismes physiopathologiques des kératoconjonctivites
atopique et vernale sont des hypersensibilités de types I et IV.
Les
biopsies conjonctivales montrent une augmentation des mastocytes,
éosinophiles et lymphocytes (souvent CD4+).
Les mastocytes interviennent en dégranulant et par des dépôts de
collagène V au niveau de la membrane basale épithéliale
conjonctivale et des vaisseaux sanguins conjonctivaux.
Ils peuvent,
ainsi que les basophiles, induire une synthèse d’IgE par les
lymphocytes B.
Leur phénotype peut être de deux types :
– cellules MCT (mastocytes muqueux) : ils contiennent de la tryptase
(marqueur spécifique de l’activité mastocytaire), ils sont présents
dans la substantia propria (moins de 5 % des mastocytes du chorion)
et dans l’épithélium (à très faible densité ou absents) ;
– cellules MCTC (mastocytes conjonctifs) : ils contiennent de la
tryptase, de la chymase et de la cathepsine G, ils sont présents dans
la substantia propria (95 % des mastocytes, environ 11 000 cellules/
mm3) et absents de l’épithélium.
Globalement, 97 % des mastocytes de la conjonctive normale sont
de type MCTC.
Dans les kératoconjonctivites atopique et vernale, on
observe une hyperplasie mastocytaire avec une augmentation
importante des cellules MCT dans l’épithélium et dans la substantia
propria.
La formation de complexes allergène–IgE et leur fixation
sur les mastocytes entraînent une dégranulation mastocytaire sous
le contrôle de l’adénosine monophosphorique cyclique (AMPc) et
une activation de la voie de l’acide arachidonique avec production
de prostaglandines (voie de la cyclo-oxygénase) et de leucotriènes
(voie de la lipoxygénase).
Les produits de dégranulation des
mastocytes sont notamment l’histamine, la sérotonine, l’ECF, le NCF,
la tryptase, l’héparine, la chymotripsine, la trypsine, des
interleukines (IL1, IL3, IL4, IL5, IL6), des cytokines (TNF, GM-CSF,
platelet activating factor [PAF]), des leucotriènes, des prostaglandines
et du thromboxane.
Les éosinophiles sont stimulés par le GM-CSF, l’IL3 et l’IL5
(croissance cellulaire), l’ECF, le PAF, les leucotriènes, l’IL3, l’IL5, le
CSF et le C3a (chémoattractants).
Leurs granules contiennent des
médiateurs major basic protein (MBP), eosinophil derived neurotoxin
(EDN), eosinophil cationic protein (ECP), eosinophil protein X (EPX),
esinophil major basic protein (EMBP) qui ont un rôle dans la
physiopathologie des kératoconjonctivites allergiques.
Les lymphocytes T4 helper jouent également un rôle important.
La sous-population Th2 est activée par les parasites et les allergènes.
L’expression HLA-DR conjonctivale est augmentée dans l’allergie
oculaire, ainsi que l’expression des molécules d’adhésion integrin
cellular adhesion molecule (ICAM) et vascular cell adhesion molecule
(VCAM).
L’augmentation de l’expression de la molécule ICAM-1
par l’épithélium conjonctival participe au recrutement des cellules
inflammatoires.
Le nombre de cellules de Langerhans du limbe est
augmenté.
La réponse allergique au test de provocation conjonctival se fait en
deux phases :
– précoce : augmentation de l’histamine, de la tryptase et de la
prostaglandine E2 dans les larmes (dégranulation des mastocytes) ;
– tardive : augmentation de l’histamine seule (rôle des basophiles).
Une synthèse d’interleukines (IL2, IL3, IL4, IL5, IL10, IL13) et d’IFNc
se produit dans la conjonctive.
La synthèse d’IFNc, IL10 et IL13
semble spécifique de la kératoconjonctivite atopique par opposition
à la kératoconjonctivite vernale.
* Dermatite atopique
:
L’allergie oculaire associée à la dermatite atopique est une
pathologie systémique, avec des anomalies du système immunitaire
entraînant une augmentation de la fréquence des infections (Herpès
simplex virus, staphylocoque).
La dermatite atopique est une
pathologie autosomique dominante dans laquelle les facteurs
environnementaux jouent un rôle important.
Sur le plan
physiopathologique, il pourrait s’agir d’un déficit en cellulessouches
médullaires.
Les anomalies du système immunitaire sont
une surproduction d’IgE et un déficit de l’immunité cellulaire avec
une diminution de la production d’IFNc.
Au niveau de la
conjonctive, on retrouve une augmentation des cellules caliciformes,
des structures pseudotubulaires épithéliales, un infiltrat comprenant
des mastocytes, des éosinophiles, des lymphocytes T activés, des
cellules dendritiques et des macrophages.
* Kératoconjonctivite vernale
:
Beaucoup de symptômes de la kératoconjonctivite vernale sont liés
à un mécanisme d’hypersensibilité immédiate dépendante des IgE.
Ainsi, on retrouve un taux élevé d’histamine dans les larmes des
patients, une dégranulation des mastocytes dans l’épithélium
conjonctival et la substantia propria, la présence d’éosinophiles dans
la conjonctive.
L’hypersensibilité retardée (type IV) joue également
un grand rôle dans le processus inflammatoire.
Histologiquement,
cela se traduit par la présence de cellules mononucléées (notamment
des lymphocytes T4 de type Th-2, sécréteurs d’IL4), de fibroblastes,
par une expression des molécules HLA classe II et par une
néosynthèse de collagène.
Les papilles conjonctivales comportent un
infiltrat inflammatoire composé de plasmocytes, d’éosinophiles, de
mastocytes et de lymphocytes, une hyperplasie épithéliale avec une
augmentation du nombre de cellules caliciformes.
* Kératites immunoallergiques
:
Les kératites marginales immunoallergiques sont secondaires à une
blépharoconjonctivite microbienne, souvent staphylococcique.
Elles
résultent de la formation de complexes immuns (antigènes microbiens-anticorps) qui activent le complément et entraînent un
recrutement des polynucléaires neutrophiles.
L’hypersensibilité
retardée, dirigée contre des antigènes staphylococciques, explique la
formation des phlyctènes.
2- Pathologies auto-immunes
:
* Syndrome de Gougerot-Sjögren
:
Les glandes lacrymales sont le siège d’un infiltrat inflammatoire
lymphocytaire B et T avec un dysfonctionnement lymphocytaire
(inversion du rapport T4/T8, défaillance des cellules NK, activation
polyclonale des cellules B puis progressivement monoclonale), une
expression des antigènes HLA-DR par les cellules épithéliales et une
régression ou une disparition des acini sécrétoires.
Au niveau de la
surface oculaire, on retrouve une atteinte épithéliale avec une
diminution de la sécrétion des mucines, une surexpression
épithéliale des antigènes HLA-DR et ICAM-1 et de l’interleukine 6,
un infiltrat lymphocytaire conjonctival.
Le virus d’Epstein-Barr
(EBV) a été suspecté comme facteur déclenchant chez des sujets
génétiquement prédisposés : réponse immunitaire aberrante à
l’infection virale ou infection EBV anormalement persistante.
Il
existe une association entre syndrome de Gougerot-Sjögren et
antigènes HLA-DQB1.
L’étude des empreintes conjonctivales au cours des syndromes secs
montre l’induction d’une expression HLA-DR par les cellules
épithéliales conjonctivales.
L’expression de CD40 et de son ligand
est augmentée dans les syndromes secs, mais pas celle de Fas ni
celle d’Apo2.7 (marqueur d’apoptose).
L’expression de HLA-DR,
CD40 et Fas est plus importante dans les syndromes de Gougerot-
Sjögren que dans les syndromes secs non Gougerot-Sjögren.
L’inflammation joue un rôle important dans les syndromes secs de
type Gougerot-Sjögren ou non Gougerot-Sjögren.
Elle contribue à
l’irritation de la surface oculaire (atteinte épithéliale), à l’atteinte de
la glande lacrymale (inflammation neurogénique), des glandes de
Meibomius et des cellules caliciformes. Syndrome sec et allergie
oculaire peuvent être intimement intriqués.
* Ulcère de Mooren
:
Il s’agit d’une réaction auto-immune dirigée contre l’épithélium et
le stroma cornéens.
Des anticorps dirigés contre un antigène stromal
tétramérique d’un poids moléculaire de 30 000 Da (CO-Ag, dont la
séquence de l’acide désoxyribonucléique [ADN] est identique à celle
de la calgranuline C, molécule de la famille de la protéine S-100
présente à la surface des polynucléaires neutrophiles et de certaines
filaires) ont été retrouvés dans le sérum de certains patients.
De
même, des anticorps dirigés contre des antigènes épithéliaux, ainsi
que des complexes immuns circulants ont été isolés chez des
patients atteints d’ulcère de Mooren.
L’acide ribonucléique (ARN)
messager de la calgranuline C est présent dans le stroma de cornées
pathologiques (ulcère de Mooren, dystrophie de Fuchs, kératites
infectieuses).
La surexpression du gène de la calgranuline C par les
kératocytes, induite par des cytokines pro-inflammatoires lors de
traumatismes ou d’une pathologie inflammatoire, pourrait être à
l’origine de l’auto-immunité.
De plus, le mimétisme antigénique
entre le CO-Ag et la calgranuline C pourrait intervenir dans
l’auto-immunité.
Des facteurs déclenchants à l’ulcère de Mooren ont été décrits :
helminthiases, hépatite C chronique active, traumatismes,
chirurgie de la cataracte, kératoplastie, épikératoplastie, brûlures
cornéennes chimiques, kératites herpétiques et zostériennes.
Ces
facteurs déclenchants pourraient modifier certains antigènes
cornéens normaux et ainsi déclencher la réaction auto-immune. Des
anticorps circulants antiankylostome ont été retrouvés chez des
patients africains ayant un ulcère de Mooren.
Les helminthiases
pourraient jouer le rôle d’activateur polyclonal des lymphocytes B.
Histologiquement, on observe des infiltrats cellulaires conjonctivaux
constitués de lymphocytes B et T (avec un rapport CD4/CD8
augmenté), plasmocytes, polynucléaires neutrophiles, macrophages
et histiocytes, des dépôts d’IgG, IgM (mais aussi IgE) et de
complément au niveau de l’épithélium conjonctival, une destruction
du collagène et une disparition des protéoglycanes.
L’expression des
antigènes HLA-DR est augmentée au niveau de l’épithélium
conjonctival et cornéen et des kératocytes.
Il existe une augmentation
du taux d’enzymes protéolytiques dans la conjonctive, enzymes
libérés par les cellules inflammatoires.
La réaction immunitaire au cours de l’ulcère de Mooren est à la fois
une réaction cellulaire et une réaction humorale.
Les mécanismes
immunologiques supposés sont une réaction d’hypersensibilité semi-retardée de type Arthus (type III), une réaction immunitaire
cellulaire (type IV) contre des antigènes cornéens, un déficit en
lymphocytes CD8 suppresseurs avec augmentation du rapport
T4/T8, la production d’autoanticorps anticollagène, la présence
de complexes immuns circulants et l’augmentation du taux humoral
des IgA.
Les antigènes HLA-DR17 et HLA-DQ2 sont plus fréquents
dans l’ulcère de Mooren que dans la population générale.
* Kératites ulcérantes périphériques secondaires à une vascularite
:
Leur physiopathologie fait intervenir des dépôts de complexes
immuns, formés à partir d’autoantigènes ou d’antigènes microbiens,
dans les vaisseaux scléraux et limbiques.
La cytotoxicité à médiation
cellulaire jouerait un rôle important dans les vascularites avec
anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles.
Les biopsies conjonctivales faites au cours de maladies lupiques
compliquées de kératite immunitaire montrent la présence de
lymphocytes T4, de cellules NK et de cellules de Langerhans dans
l’épithélium avec augmentation de l’expression HLA-DR épithéliale.
Dans la substantia propria, le nombre de lymphocytes B, de
macrophages, de cellules dendritiques, de lymphocytes T activés
ainsi que le rapport CD4/CD8 sont augmentés.
* Pemphigoïde oculaire cicatricielle
:
Elle est due à des dépôts d’Ig et de complément sur la membrane
basale de l’épiderme et des épithéliums conjonctival et de la
muqueuse orale (hypersensibilité de type II).
Des autoanticorps
circulants sont retrouvés dans moins de 50 % des cas.
L’antigène
reconnu par ces anticorps appartient à la membrane basale, mais il
est différent de l’antigène de la pemphigoïde bulleuse.
Ces dépôts
immuns sont source d’activation du complément avec production
d’anaphylatoxines et de réaction immunitaire cellulaire.
Les
antigènes HLA-B12, HLA-DQw7 et HLA-DR4 sont associés à un
risque accru de développer la maladie.
La maladie peut être iatrogène, induite par certains collyres (timolol,
épinéphrine, pilocarpine, idoxuridine).
* Syndrome de Stevens-Johnson et syndrome de Lyell
:
Les antigènes HLA-B12 et HLA-Bw44 sont associés à un risque accru
de développer ces pathologies.
Les deux syndromes peuvent être
iatrogènes, induits par des sulfamides le plus souvent, mais aussi
par des antiépileptiques, la phénylbutazone, le tropicamide, les
pénicillines et salicylés.
Ils peuvent être déclenchés également par
une infection bactérienne ou virale, notamment herpétique ou à
mycoplasme.
La fréquence de ces syndromes est augmentée au
cours du syndrome de l’immunodéficience acquise (sida).
Le
mécanisme est principalement une réaction immunitaire cellulaire,
avec un recrutement local de lymphocytes T suppresseurs
cytotoxiques (CD8+ , CD45RA+ , CD29+).
Des complexes immuns se
déposent au niveau de la paroi des microvaisseaux de la conjonctive.
3- Pathologies liées à une greffe
:
Le rejet d’allogreffe de cornée a déjà été abordé dans cet ouvrage.
Globalement, il s’agit d’une réponse immunitaire cellulaire
dirigée contre des allo-antigènes du donneur.
Ces alloantigènes
peuvent être des antigènes HLA ou des antigènes mineurs
d’histocompatibilité.
La réponse est de type Th-1.
Au cours de la réaction du greffon contre l’hôte, les lymphocytes du
donneur apportés par l’allogreffe de moelle réagissent contre des
antigènes HLA ou contre des antigènes mineurs d’histocompatibilité
du receveur.
4- Pathologies immunitaires de mécanisme discuté :
* Rosacée
:
L’obstruction des glandes de Meibomius par kératinisation des
orifices est probablement l’un des premiers événements
physiopathologiques avec les modifications de la composition et du
pH du film lacrymal, la production accrue d’acides gras libres par
ces glandes et les infiltrats lymphocytaires autour de celles-ci.
Au
niveau de la conjonctive, il existe des infiltrats sous-épithéliaux
lymphoplasmocytaires (notamment des lymphocytes T4) et
gigantocellulaires.
Des phénomènes d’hypersensibilité retardée,
l’infection chronique palpébrale staphylococcique ou par des Propionibacterium acnes et des Demodex sont évoqués comme
mécanismes de l’inflammation chronique des paupières et de la
surface oculaire.
Les patients atteints de rosacée ont un risque
majoré de maladies auto-immunes.
* Kératite ponctuée superficielle de Thygeson
:
Les antigènes HLA-DW3 et HLA-DR3 sont associés à un risque
accru de développer la maladie.
Celle-ci pourrait être déclenchée
par un virus. Par la suite, les phénomènes immunitaires seraient au
premier plan.
* Kératoconjonctivite limbique supérieure de Théodore
:
Sa physiopathologie demeure obscure et la nature immunitaire de
cette kératoconjonctivite n’est pas démontrée.
Le traumatisme
chronique de la paupière supérieure sur une conjonctive bulbaire
supérieure lâche pourrait entraîner l’inflammation limbique.
Sémiologie
:
Plusieurs grands tableaux cliniques peuvent être observés au cours
des kératites immunitaires. Ils peuvent être isolés ou associés entre
eux.
1- Kératite ponctuée superficielle
:
Les signes fonctionnels sont des douleurs variables d’un patient à
l’autre, une baisse de la vision, des halos autour des lumières, un
éblouissement, un larmoiement, une photophobie et un blépharospasme.
L’oeil est rouge avec un cercle périkératique. Les mires sont
déformées au Javal.
On observe un dépoli de la surface cornéenne
(éclairage oblique), un grisé ponctué de la lueur pupillaire (éclairage
direct de la pupille), des points prenant la coloration par la
fluorescéine (qui correspondent aux ulcérations de l’épithélium
cornéen) et le rose Bengale (qui colore les cellules altérées).
2- Ulcère cornéen :
Les signes fonctionnels sont une douleur d’autant plus importante
que l’ulcère est superficiel et débutant et que la sensibilité n’est pas
altérée, une photophobie, un larmoiement, une baisse de la vision
d’autant plus importante que l’ulcère est central, des halos lumineux
autour des lumières et un blépharospasme.
L’oeil est rouge avec un cercle périkératique.
On observe une perte
de substance prenant la fluorescéine.
Il faut rechercher un descemétocèle, un hypopion et apprécier la topographie
périphérique ou centrale de l’ulcération.
L’ulcère peut se compliquer
de perforation, d’une endophtalmie, d’un passage à la chronicité,
d’une taie cornéenne et d’un amincissement stromal séquellaire.
3- Sécheresse oculaire :
Les signes fonctionnels sont souvent riches : sensations de brûlures,
de sécheresse, de corps étranger, photophobie, rougeur oculaire,
sécrétions muqueuses, déficit en larmes, larmoiement réflexe, prurit,
douleurs.
La kératoconjonctivite sèche se manifeste sous forme de kératite
ponctuée superficielle avec un test à la fluorescéine positif en bande
horizontale, plus intense dans la partie inférieure de la cornée, et un
test au rose Bengale positif au niveau de la conjonctive et de la
cornée.
Dans les formes sévères, des filaments épithéliaux peuvent
former une kératite filamenteuse, très douloureuse.
Ils sont
particulièrement bien visibles après instillation de fluorescéine ou
de rose Bengale.
La sémiologie de l’hyposécrétion lacrymale comporte l’intensité
maximale des signes le matin, l’augmentation du réflexe de
clignement, l’aspect terne et jaunâtre des conjonctives, un film
cornéen épais visqueux, un test de Schirmer inférieur à 5-10 mm à
5 minutes, un test au rose Bengale ou au vert de lissamine positif,
des rivières lacrymales diminuées avec des débris muqueux, un
temps de rupture du film lacrymal inférieur à 5-10 secondes.
La sémiologie de l’excès d’évaporation comporte une topographie
en bande de la kératite ponctuée superficielle, le plus souvent
inférieure, et un temps de rupture du film lacrymal inférieur à
5-10 secondes.
4- Insuffisance limbique et néovascularisation
cornéenne
:
La symptomatologie fonctionnelle est aspécifique : douleurs, baisse
de la vision, photophobie, larmoiement.
Le syndrome d’insuffisance en cellules-souches limbiques se
caractérise par un envahissement de la surface cornéenne par un
épithélium ayant une différenciation conjonctivale caractérisée par
la présence de cellules caliciformes au sein de l’épithélium limbique
et cornéen.
Il se manifeste cliniquement par une opacification et une néovascularisation de l’épithélium cornéen associées à des
troubles de la cicatrisation épithéliale (defects épithéliaux chroniques
ou récurrents), des ulcérations épithéliales étendues pouvant
conduire à la perforation.
5- Fibrose de la surface oculaire
:
Au cours des kératoconjonctivites immunitaires, la fibrose atteint
d’abord la conjonctive, puis, secondairement, la cornée.
Elle débute
par de petites stries blanchâtres (stade I) des conjonctives tarsales.
Par la suite, les culs-de-sac conjonctivaux se comblent (stade II) avec formation de symblépharons (stade III).
L’atteinte de
la cornée est généralement contemporaine de la formation d’un ankyloblépharon (stade IV) avec entropion-trichiasis.
En fonction du
pourcentage d’atteinte du cul-de-sac conjonctival inférieur, les stades II et III sont subdivisés en A (0–25 %), B (25–50 %), C (50–75 %) et D
(75–100 %).
Dans les formes évoluées, le xérosis s’accompagne d’une
kératinisation de l’épithélium conjonctival et cornéen donnant un
aspect blanc et terne à la surface oculaire.
ARGUMENTS POUR ÉVOQUER UNE ORIGINE
IMMUNITAIRE
:
Devant ces grands tableaux cliniques isolés ou associés, les éléments
en faveur d’une origine immunitaire à l’atteinte cornéenne sont :
– la présence d’une inflammation (hyperhémie, néovascularisation,
douleurs) chronique ;
– l’absence de cause infectieuse, notamment herpétique ;
– l’élimination des causes non inflammatoires (brûlure oculaire,
traumatisme, sécheresse oculaire d’origine hormonale, cause
iatrogène...).
Diagnostic étiologique clinique
:
A - PATHOLOGIES ALLERGIQUES :
Kératites allergiques :
* Kératoconjonctivite atopique
:
Il s’agit d’une manifestation oculaire de la dermatite atopique.
On
retrouve des antécédents familiaux d’atopie (notamment d’asthme,
rhinite allergique, ou eczéma) dans deux tiers des cas.
Les lésions
cutanées d’eczéma de la dermatite atopique sont de type érythème
vésiculobulleux, lichen, ou nodule.
L’atteinte cutanée débute le plus
souvent dans la petite enfance, rarement après l’adolescence.
La kératoconjonctivite survient chez environ un tiers des patients ayant
une dematite atopique.
La kératoconjonctivite atopique est une pathologie bilatérale et
symétrique qui survient entre 30 et 50 ans, avec une prédominance
masculine.
La symptomatologie perannuelle inclut un prurit, des
sensations de brûlure, un larmoiement, une photophobie, des
sécrétions.
Le processus pathologique atteint souvent les paupières,
la conjonctive et la cornée.
L’atteinte palpébrale peut prendre
l’aspect d’un eczéma des paupières, de lésions lichéniformes du
bord libre, d’une blépharite séborrhéique avec meibomiite,
d’une exagération des plis palpébraux, d’un ectropion, d’un ptosis
et d’une chute des cils.
Les paupières sont souvent colonisées par
du staphylocoque doré.
L’atteinte conjonctivale précède l’atteinte
cornéenne. Elle peut prendre l’aspect d’une pâleur conjonctivale,
d’un chémosis, d’une conjonctivite papillaire, d’une limbite, d’une
sécheresse oculaire et d’une hypertrophie gélatineuse de la
conjonctive périlimbique.
Des papilles géantes peuvent se
développer sur la conjonctive tarsale supérieure.
La chronicité de
l’inflammation peut conduire à la fibrose conjonctivale, au
raccourcissement du cul-de-sac conjonctival inférieur, à la
kératinisation de l’épithélium conjonctival et à la formation de symblépharons.
L’atteinte cornéenne peut prendre la forme d’une
kératite ponctuée superficielle, de microkystes épithéliaux, d’un
pannus vasculaire périphérique envahissant progressivement la
surface cornéenne, d’un ulcère périphérique ou central, d’une néovascularisation stromale et de dépôts lipidiques dans le stroma
cornéen (provenant des néovaisseaux cornéens).
Les lésions
cornéennes peuvent être sources de cicatrices opaques (taies) et d’un
amincissement stromal séquellaire.
Les ulcères peuvent conduire à
la perforation.
Le risque de surinfection bactérienne est réel et la
fréquence du kératocône, des kératites herpétiques, de la cataracte sous-capsulaire antérieure, des déchirures rétiniennes périphériques,
de la rosacée et des meibomiites est augmentée.
Les kératomycoses
peuvent compliquer l’évolution lorsque les patients sont traités par
une corticothérapie locale au long cours.
La prise en charge générale
de la maladie atopique requiert la collaboration d’un allergologue.
* Kératoconjonctivite vernale (printanière)
:
Il s’agit d’une manifestation oculaire de l’atopie qui survient
habituellement chez l’adolescent et disparaît après l’adolescence.
On
retrouve des antécédents personnels et familiaux d’atopie,
notamment d’asthme, d’eczéma, ou d’urticaire.
La fréquence du
kératocône et de la cataracte atopique est augmentée dans ce terrain.
La kératoconjonctivite vernale est plus fréquente dans les pays
chauds et secs, en cas de pollution atmosphérique.
La symptomatologie inclut un prurit, des sensations de brûlure, un
larmoiement, une photophobie, des sécrétions.
La kératoconjonctivite
est bilatérale et chronique avec une recrudescence
printanière.
Elle évolue par poussées et a une prédominance
masculine.
Les papilles géantes de la conjonctive tarsale supérieure
ont une forme polygonale et aplatie et une taille qui peut atteindre
plusieurs millimètres.
Elles sont très évocatrices, mais non
pathognomoniques.
Elles peuvent être entourées de sécrétions
formant une fausse membrane.
La conjonctive limbique est le siège
de nodules gélatineux.
Ceux-ci peuvent être centrés par des
concrétions blanchâtres (nodules de Trantas).
L’atteinte cornéenne
se manifeste par de fines opacités superficielles grisâtres
prédominant dans la partie supérieure de la cornée, qui peuvent
s’ulcérer pour former une kératite ponctuée érosive, voire un ulcère
ovale horizontal dont le fond est recouvert d’un enduit (plaque
vernale).
Le caractère chronique de l’ulcère peut conduire à la
formation d’une taie, d’un amincissement stromal localisé, voire à
une néovascularisation de la zone ulcérée.
L’ulcère peut se
compliquer de surinfection. Une kératite interstitielle peut se voir
sous forme de pseudogérontoxon, d’une néovascularisation
stromale.
L’évolution de la kératoconjonctivite vernale est habituellement
favorable après quelques années et ne met pas en cause le pronostic
visuel.
Néanmoins, elle peut se faire vers un tableau de kératoconjonctivite atopique.
L’avis d’un allergologue est utile.
* Kératites marginales immunoallergiques
:
Il existe une blépharoconjonctivite chronique.
Les infiltrats
marginaux catarrhaux intéressent le stroma périphérique.
Ils sont
disposés parallèlement au limbe et séparés de celui-ci par une bande
de cornée claire.
Ils s’accompagnent d’une hyperhémie conjonctivale
ou d’un chémosis et peuvent évoluer vers la formation de petits
ulcères superficiels proches du limbe, douloureux et récidivants.
On
peut en rapprocher les kératoconjonctivites phlycténulaires qui sont
des réactions d’hypersensibilité retardée à un antigène microbien
(staphylococcique le plus souvent).
Les lésions sont périphériques
sous forme de phlyctènes ou d’ulcérations qui cicatrisent rapidement
avec une néovascularisation, en laissant une taie.
B - PATHOLOGIES AUTO-IMMUNES :
1- Syndrome de Gougerot-Sjögren :
Il s’agit d’une pathologie assez fréquente dont la prévalence est
estimée à 0,4 % avec une prédominance féminine très nette (95 %).
Elle survient habituellement chez la femme après la ménopause.
Les signes fonctionnels de sécheresse oculaire sont souvent divers et
intenses.
Les critères diagnostiques comportent quatre éléments : la kératoconjonctivite (hyperhémie conjonctivale, diminution de la
sécrétion lacrymale au test de Schirmer, tests à la fluorescéine et au
rose Bengale, follicules possibles, kératite filamenteuse, voire
infiltrats sous-épithéliaux, ulcères cornéens stériles, centraux ou
paracentraux ronds ou ovales, de taille modérée mais creusant,
(ulcères bactériens), la xérostomie, la présence d’infiltrats
lymphocytaires focaux à la biopsie de glande salivaire accessoire et
celle d’autoanticorps (antinucléaires, anti-SS-A ou SS-B, facteur
rhumatoïde).
Une conjonctivite fibrosante peut se développer au
cours du syndrome de Gougerot-Sjögren.
Le syndrome de Gougerot-Sjögren peut être primitif (fréquence des
antigènes HLA-B8, HLA-DR3, HLA-DRw52a, HLA-DQW2.1) ou
secondaire (fréquence des antigènes HLA-DR4, HLA-DR2 et HLADR3)
à une polyarthrite rhumatoïde ou une autre maladie
systémique (lupus érythémateux disséminé, sclérodermie, polymyosite, périartérite noueuse, connectivite mixte, polychondrite
atrophiante, rhumatisme psoriasique, maladie de Behçet, maladie de
Horton, syndrome de Mac Duffie, thyroïdite de Hashimoto, cirrhose
biliaire primitive, pneumopathie interstitielle, dermatomyosite,
néphrite interstitielle, hépatite chronique active, syndrome de
Raynaud, purpura thrombopénique, maladie de Biermer, maladie
de Crohn, hypergammaglobulinémie, maladie de Waldenström,
maladie coeliaque, pancréatite, myasthénie, syndrome de Sweet,
lipodystrophie).
Le syndrome de Gougerot-Sjögren s’accompagne d’un risque majoré
de lymphome non hodgkinien à point de départ salivaire.
Quelques
formes cliniques particulières doivent être connues.
Le syndrome
d’Heerfordt, qui survient au cours d’une sarcoïdose, associe une
hypertrophie des glandes lacrymales, une parotidite et une paralysie
du VII.
La maladie de Mikulicz (hypertrophie des glandes
lacrymales et salivaires) doit faire rechercher une hémopathie et une
sarcoïdose.
2- Ulcère de Mooren (ulcus rodens) et kératites
ulcérantes périphériques
:
L’ulcère de Mooren peut être unilatéral, bilatéral simultané ou
bilatéral décalé dans le temps.
Il existe une prédominance masculine.
L’ulcère de Mooren survient souvent après un facteur déclenchant
(traumatisme, chirurgie de la cataracte, greffe de cornée, infection).
Les signes fonctionnels sont un oeil rouge avec une sensation de
corps étranger, douloureux (douleur d’intensité variable, parfois très
intense), larmoiement, photophobie, sans baisse de vision au début.
L’ulcère est plus souvent nasal ou temporal que supérieur ou
inférieur, d’abord marginal en regard d’un bourrelet conjonctival
limbique, puis annulaire, très creusant, mais la perforation est assez
rare.
Il s’étend jusqu’au limbe.
La sclère n’est pas ulcérée.
Il est
précédé et accompagné d’infiltrats blanchâtres périphériques en
avant du front de l’ulcère, progressivement confluents.
Il est
caractérisé par un bec abrupt (en promontoire) surplombant le bord
central de l’ulcère, avec une sclère non ulcérée, une
hyperhémie et un oedème conjonctival en regard formant un
bourrelet conjonctival, une vasodilatation épisclérale et sclérale.
La
progression est circonférentielle et centripète.
Une néovascularisation
cornéenne d’origine limbique recouvre progressivement la
zone ulcérée en formant une taie blanchâtre amincie et
néovascularisée.
L’évolution spontanée de la maladie se fait souvent
vers l’opacification complète de la cornée, avec une baisse de vision
sévère, et parfois vers la perforation qui met en jeu le pronostic
anatomique de l’oeil.
La classification clinique de Wood et Kaufman distingue ulcère
typique (sujet âgé, 3 hommes/2 femmes, unilatéral dans 75 % des
cas, évolution souvent favorable sous traitement) et ulcère atypique
(sujet jeune souvent d’origine africaine, 3 hommes/1 femme,
bilatéral dans 75 % des cas, pronostic souvent défavorable).
L’ulcère de Mooren est un diagnostic d’exclusion. Néanmoins, il faut
distinguer des ulcères marginaux de présentation clinique identique
à celle de l’ulcère de Mooren classique avec une étiologie retrouvée
(notamment l’hépatite C et les helminthiases) des autres kératites
ulcérantes périphériques dont la présentation clinique est différente.
Les vascularites peuvent donner des ulcères cliniquement proches
du Mooren, parfois un aspect d’ulcère de Mooren « typique » :
polyarthrite rhumatoïde, périartérite noueuse, maladie de Wegener,
mais aussi lupus érythémateux disséminé, polychondrite
atrophiante, syndrome de Gougerot-Sjögren, maladie de Churg et
Strauss, maladie de Crohn, maladie de Behçet, sarcoïdose.
Le bilan
d’un ulcère de Mooren est orienté en fonction du tableau clinique.
Il
peut comporter, à la base, les examens suivants : numérationformule
sanguine (NFS), vitesse de sédimentation (VS),
électrophorèse des protéines, urée, créatininémie, sérologie VHC
(+ sérologie virus de l’immunodéficience humaine [VIH], Treponema
pallidum hemagglutination [TPHA]/Venereal disease research laboratory
[VDRL], intradermoréaction [IDR] à la tuberculine, radiographie de
thorax), facteur rhumatoïde, anticorps anticytoplasme des
polynucléaires (ACAN), recherche de complexes immuns circulants,
dosage du complément, examen parasitologique des selles, voire
typage HLA.
Il faut examiner le visage et les mains du patient.
3- Polyarthrite rhumatoïde :
La polyarthrite rhumatoïde a une large prédominance féminine.
Elle
peut donner de nombreuses atteintes inflammatoires oculaires.
Les
plus fréquentes sont le syndrome de Gougerot-Sjögren et les sclérites
et épisclérites. Néanmoins, les atteintes cornéennes ne sont pas
exceptionnelles et peuvent prendre des formes très diverses.
La
cornée périphérique est volontiers atteinte et ce d’autant qu’il existe
une sclérite de voisinage, sous forme de kératite sclérosante
(infiltrats stromaux, néovaisseaux, opacités cristallines, dépôts
lipidiques), de kératite interstitielle aiguë, d’un amincissement
stromal périphérique sans ulcération épithéliale, d’une kératolyse
(fonte stromale conduisant très rapidement à la perforation), d’un
pseudo-ulcère de Mooren ou de dellen secondaires à une épisclérite
nodulaire.
La cornée centrale peut être également atteinte sous forme
d’ulcères creusants qui peuvent rapidement aboutir à la perforation.
Une chirurgie oculaire peut déclencher un ulcère sclérocornéen
nécrosant au cours de la polyarthrite rhumatoïde.
Habituellement, le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde est déjà
connu par le patient.
Si tel n’est pas le cas, une recherche de facteur rhumatoïde sera
demandée.
4- Pemphigoïde oculaire cicatricielle
(maladie de Lortat-Jacob)
:
Cette pathologie débute habituellement vers 70 ans.
Il existe une
prédominance féminine (2/1).
L’évolution est chronique et
progressive, parfois entrecoupée d’épisodes aigus.
L’atteinte oculaire
est bilatérale, mais peut être asymétrique.
L’atteinte cutanée (lésions vésiculobulleuses, plaques
érythémateuses) est inconstante.
L’atteinte des muqueuses est
beaucoup plus fréquente, sous forme de gingivite desquamative ou
de lésions vésiculobulleuses avec un risque de fibrose et de sténoses.
L’atteinte oculaire se manifeste par une conjonctivite chronique
souvent compliquée de blépharoconjonctivite bactérienne, des
ulcères cornéens et conjonctivaux, une néovascularisation et une
opacification cornéennes.
Les symblépharons débutent au niveau du
cul-de-sac inférieur, puis l’évolution se fait vers la fibrose de
toute la surface conjonctivale, limitant les mouvements du globe
(ankyloblépharon) et entraînant une lagophtalmie, un entropion et
un dystrichiasis.
Une sécheresse oculaire par déficit aqueux et excès
d’évaporation est associée, ainsi qu’une insuffisance limbique source
de néovascularisation et d’opacification de la cornée.
À
terme, toute la surface oculaire est kératinisée.
D’autres dermatoses bulleuses auto-immunes peuvent donner une kératoconjonctivite fibrosante : pemphigoïde bulleuse, épidermolyse
bulleuse acquise, dermatose à IgA linéaire, dermatite herpétiforme,
pemphigus.
L’atteinte conjonctivale et cornéenne dans ces maladies
est beaucoup plus rare que dans la maladie de Lortat-Jacob.
Le diagnostic étiologique de ces diverses pathologies bulleuses
requiert l’aide d’un interniste ou d’un dermatologue.
5- Syndrome de Stevens-Johnson et syndrome de Lyell
:
Il s’agit de pathologies très rares (environ 1 cas par million
d’habitants et par an).
La présentation est suraiguë. L’atteinte
oculaire est bilatérale. Après la phase aiguë, les lésions sont
cicatricielles et n’ont habituellement pas tendance à évoluer sur un
mode inflammatoire.
L’atteinte cutanée se fait sous forme de lésions en « cocarde » dans
le syndrome de Stevens-Johnson et de lésions bulleuses avec une
nécrose épidermique et un signe de Nikolsky dans le syndrome de
Lyell.
Dans le syndrome de Stevens-Johnson, l’atteinte cutanée est
inférieure à 20 % de la surface corporelle.
Au-delà de 20 %, il s’agit
d’un syndrome de Lyell (ou nécrolyse épidermique toxique).
Une
atteinte muqueuse, voire viscérale est associée, ainsi que des signes
généraux (fièvre).
L’atteinte oculaire est présente dans 80 % des cas
à la phase aiguë.
Il s’agit d’une conjonctivite qui peut être banale,
purulente ou pseudomembraneuse, d’ulcères de cornées et d’une
uvéite antérieure.
Les séquelles oculaires seront présentes dans un
tiers des cas après la phase aiguë.
Il s’agit de symblépharons,
entropions, trichiasis, insuffisance limbique source d’ulcères
cornéens chroniques, d’opacification et de néovascularisation
cornéennes et enfin d’une kératinisation de la surface oculaire.
Une
sécheresse oculaire par déficit aqueux et excès d’évaporation est
associée aux autres signes.
C - PATHOLOGIES LIÉES À UNE GREFFE
:
1- Réaction du greffon contre l’hôte
:
Cette pathologie survient chez les patients ayant reçu une greffe de
moelle. Suivant la date de survenue par rapport à la greffe, on parle
de graft versus host (GVH) aiguë, avant 100 jours, ou chronique,
après 100 jours.
L’atteinte oculaire s’associe à une atteinte cutanée,
hépatique et intestinale.
Au cours de la GVH aiguë, l’atteinte oculaire est classée en quatre
stade de gravité croissante :
– hyperhémie conjonctivale (stade 1) ;
– hyperhémie conjonctivale associée à un chémosis et des
hémorragies conjonctivales (stade 2) ;
– conjonctivite pseudomembraneuse (stade 3) ;
– conjonctivite pseudomembraneuse associée à une desquamation
de l’épithélium cornéen.
Au cours de la GVH chronique, on retrouve la même atteinte
oculaire, ainsi qu’une fibrose conjonctivale avec des symblépharons,
une kératinisation de la surface oculaire et un pannus cornéen
donnant un tableau clinique de pemphigoïde oculaire.
Par ailleurs,
la GVH donne un syndrome sec oculaire proche du syndrome de
Gougerot-Sjögren.
2- Rejet de greffe de cornée
:
Le diagnostic est ici facile du fait du terrain (greffe de cornée) et il
n’existe pas de difficulté diagnostique avec les autres kératites
immunitaires en dehors du cas difficile d’un patient greffé pour des
séquelles de kératite immunitaire chez qui la récidive de pathologie
initiale sur le greffon peut être intriquée avec le processus de rejet.
La description et le traitement du rejet de greffe ont déjà été traités
dans cet ouvrage.
D - PATHOLOGIES IMMUNITAIRES
DE MÉCANISME DISCUTÉ
:
1- Rosacée :
Cette pathologie survient habituellement entre 40 et 60 ans sans
prédominance masculine ni féminine.
La symptomatologie
fonctionnelle associe fréquemment des sensations de corps étranger
et de brûlure, une gêne mal définie.
Le tableau clinique associe une
atteinte cutanée et une atteinte oculaire.
L’atteinte cutanée est bilatérale et relativement symétrique.
On lui
décrit quatre stades évolutifs :
– stade 1, flushs apparaissant après la puberté, dans la région médiofaciale, avec hypersudation, déclenchés par l’ingestion de
boissons ou d’aliments très chauds, d’alcool, d’épices, l’anxiété, le
stress, le sport et les variations brusques de la température ambiante,
les douches ou les bains chauds ;
– stade 2, érythrose et télangiectasies faciales (couperose) ;
– stade 3, rosacée papulopustuleuse qui survient après l’âge de
40 ans ;
– stade 4, rosacée hypertrophique avec rhinophyma.
La fréquence de l’atteinte oculaire varie, suivant les séries, de 3 à
58 %.
Elle est le plus souvent bilatérale et associe une atteinte
palpébrale (meibomiite avec un excès de sébum visible au niveau
des orifices des glandes de Meibomius, télangiectasies du bord libre,
épaississement des paupières déplaçant le bord libre vers l’avant,
blépharite séborrhéique, chalazions, orgelets, éruption papuleuse des
paupières, entropion, infiltration du bord libre), une atteinte du film
lacrymal (anomalies de la couche lipidique, particules de mucines,
syndrome sec par excès d’évaporation), une atteinte conjonctivale
(hyperhémie conjonctivale, conjonctivite papillaire, lésions
granulomateuses possibles dans les rosacées papulopustuleuses) et
une atteinte cornéenne (kératite ponctuée superficielle inférieure
récidivante qui est la manifestation la plus fréquente,
kératoconjonctivite phlycténulaire qui évolue vers la kératite rosacée
sous forme de pannus néovasculaire périphérique triangulaire au
sein d’une opacité stromale inférieure, ulcérations, voire
perforation, infiltrats stromaux, taies, néovascularisation, lésions de
la membrane basale épithéliale proches des lésions de la dystrophie
de Cogan).
Les autres atteintes sont des épisclérites et, rarement,
des fibroses conjonctivales, des pseudo-ulcères de Mooren, des
sclérites et des iridocyclites.
L’obstruction des glandes de Meibomius peut être également
secondaire à une dermatite atopique ou à une dermatite
séborrhéique.
2- Kératite ponctuée superficielle de Thygeson :
Cette kératite survient habituellement entre 10 et 40 ans, sans
prédominance masculine ni féminine.
Elle est le plus souvent
bilatérale et évolue par poussées de 1 ou 2 mois entrecoupées de
rémissions.
Les lésions sont volontiers évanescentes et changent de
topographie au cours des poussées.
La guérison se fait
spontanément après plusieurs années, voire plusieurs dizaines
d’années.
La cornée centrale est atteinte de manière préférentielle, alors que la
conjonctive est en règle calme.
Néanmoins, une hyperhémie
conjonctivale peut précéder l’apparition des lésions cornéennes.
Il
s’agit de lésions intraépithéliales arrondies ou ovales, faites
d’opacités fines blanchâtres ou grisâtres, habituellement au nombre
de 15 à 20.
Le centre des lésions a tendance à former un relief et à
s’ulcérer (prenant la fluorescéine et le rose Bengale), avec
parfois des filaments muqueux. Les lésions ont parfois un aspect
étoilé, voire dendritiforme.
Entre les poussées, elles peuvent laisser une empreinte (image «
fantôme »). Une hypoesthésie cornéenne est parfois rapportée.
3- Kératoconjonctivite limbique supérieure de Théodore
:
Cette kératite survient habituellement entre 30 et 55 ans.
Elle évolue
par poussées et peut guérir spontanément après 1 à 10 ans
d’évolution.
Elle intéresse la partie supérieure de la cornée ainsi que
le limbe et la conjonctive adjacente.
Elle est souvent bilatérale et on
retrouve une prédominance féminine ainsi qu’une pathologie
thyroïdienne associée dans un tiers des cas.
La symptomatologie
fonctionnelle associe brûlures, sensations de corps étranger et
sécrétions.
Cliniquement, il existe une hyperhémie conjonctivale et des papilles
au niveau de la conjonctive bulbaire et tarsale supérieures, alors que
la conjonctive inférieure est calme.
La conjonctive supérieure prend
la coloration par le rose Bengale, typiquement en « arc de cercle ».
Des fausses membranes et des hémorragies sous-conjonctivales ont
été rapportées.
La cornée supérieure est le siège d’une kératite
ponctuée superficielle, maximale au niveau du limbe supérieur, et,
dans un tiers des cas, de filaments.
Cette kératite filamenteuse
s’accompagne d’une symptomatologie douloureuse sévère.
Le test
de Schirmer peut être perturbé.
4- Syndrome de Cogan :
Il s’agit d’une pathologie très rare, systémique, avec une atteinte
oculaire et auditive.
L’atteinte oculaire la plus fréquente est une
kératite interstitielle, suivie par des conjonctivites, uvéites
antérieures, sclérites et épisclérites.
D’autres atteintes oculaires rares
sont possibles : ulcère cornéen, uvéite postérieure ou intermédiaire,
pseudotumeur orbitaire, nodules cotonneux.
L’atteinte auditive se
manifeste par des vertiges, une hypoacousie, un nystagmus.
Les
autres atteintes comportent une vascularite des gros et moyens
vaisseaux, un syndrome inflammatoire, des atteintes articulaires,
musculaires, cutanées et viscérales.
5- Schémas diagnostiques
:
Les arbres décisionnels n° 1 à 5 présentent la
conduite du diagnostic étiologique face à plusieurs situations
cliniques suspectes d’une origine immunitaire.