Ostéotomies maxillomandibulaires Cours de Chirurgie
Harmonie et proportions, équilibre
et symétrie maxillomandibulaire :
L’ensemble maxillomandibulaire représente les étages moyen et
inférieur de la face, dans des proportions différentes selon
l’approche anatomique ou artistique que l’on peut faire de
l’extrémité céphalique.
L’anatomie classique distingue, à égale distance de la base du
crâne représentée par la ligne bipupillaire, un étage crânien ou voûte
cranioencéphalique et un ensemble facial, lui-même séparé par le
plan d’occlusion en deux étages, l’un maxillaire, l’autre
mandibulaire.
La conception artistique, quant à elle, obéit à la règle du tiers.
Le visage, ou face visible, se décompose en trois étages de hauteur
égale à celle du pouce et dont les limites sont : la ligne capillaire
antérieure (trichion), le bord supérieur des sourcils (ophryon), le
point sous-nasal et le point menton.
Cette notion de proportion équilibrée est à la base de tout examen
clinique et plus encore de l’analyse architecturale sur
téléradiographie.
Cette céphalométrie basée sur la localisation de
certains points de repères osseux permet d’établir un diagnostic par
rapport à une norme anthropométrique.
Étage maxillomandibulaire
:
L’ensemble maxillomandibulaire, support de l’étage facial, dispose
de deux plans de référence :
– en haut, le plan de la base du crâne, par l’intermédiaire duquel
s’établit :
– en avant, une relation craniomaxillaire fixe ;
– latéralement, une relation craniomandibulaire mobile ;
– en bas, le plan de l’arcade dentaire, site d’une relation occlusale
particulièrement sophistiquée, précise et adaptative.
A - MAXILLAIRE
:
Suspendu à l’étage antérieur, adossé aux apophyses ptérygoïdes,
encadré par les brancards zygomatiques, le maxillaire projette devant lui la pyramide nasale, constituant avec elle le tiers médian
facial.
Seule l’infrastructure porteuse de l’arcade dentaire
d’accès simple par la seule voie endobuccale est concernée par la
chirurgie orthognathique.
Pneumatisé et fragilisé par la présence des cavités sinusiennes et
des fosses nasales, le maxillaire n’en est pas moins un os résistant
de par sa construction architecturale faite de poutres et de piliers
orientés selon les contraintes verticales de la mastication.
Sa vascularisation dépendante du territoire carotidien externe est
distribuée par l’intermédiaire de la fibromuqueuse palatine dans
l’axe des pédicules palatins descendants qui doivent être préservés
lors de la mobilisation de la maxillectomie.
Cette
vascularisation est complétée en arrière par les attaches musculaires
du vélopharynx.
L’innervation dépendante du V2 est partiellement
et temporairement interrompue par l’acte opératoire.
Enfin, les
rapports dentaires sont à prendre en considération au moment du
tracé de la maxillectomie, en particulier ceux des apex canins dans
le pilier antérieur, molaire au niveau de la tubérosité, alors que le
canal lacrymonasal qui débouche au tiers postérieur du méat
inférieur n’est pas exposé par le tracé de l’ostéotomie.
B - MANDIBULE
:
La mandibule, seul os mobile de la face, se révèle d’une grande
complexité à travers les rapports anatomiques et les implications
fonctionnelles d’un appareil dit « manducateur » qui s’étend du
neural au viscéral.
On distingue :
– le ramus ou branche montante, os profond et musclé ;
– le corpus ou branche horizontale plus accessible et porteur du
secteur alvéolodentaire.
1- Ramus
:
Il est directement dépendant de la base du crâne par son extrémité
condylienne dont la position au sein de l’articulation temporomandibulaire représente un des problèmes de stabilité des
ostéotomies mandibulaires.
Le ramus contracte aussi des rapports
indirects avec la région sphénotemporale et les ptérygoïdes par
l’intermédiaire des haubans musculaires dont les insertions sont à
respecter au cours de l’abord chirurgical.
2- Corpus
:
La portion dentée du fer à cheval mandibulaire assure la tenue du
plancher buccal et de la masse musculaire linguale qui en émerge.
Elle règle en toute complicité avec l’os hyoïde la position de la
langue et les dimensions de l’oropharynx, au sein d’un complexe hyomandibulolingual à implication essentiellement viscérale.
C - OCCLUSION OU RELATION MAXILLOMANDIBULAIRE
:
Le développement du maxillaire et de la mandibule a pour objectif
et référent permanent l’intercuspidation physiologique des deux
arcades dentaires.
Cette précision dans la relation maxillomandibulaire
au niveau du plan occlusal est possible, grâce à
l’interface adaptative représentée par le secteur avéolodentaire
à la recherche constante d’un équilibre.
Cette capacité d’adaptation
du secteur alvéolodentaire a pour corollaire son extrême labilité sous
l’influence de son environnement fonctionnel labiolingual, ainsi
qu’aux pratiques orthodontiques.
Ainsi, l’occlusion dentaire fait-elle partie intégrante du « concept
d’équilibre facial » en tant que :
– critère de normalité : physiologique et squelettique ;
– plan de référence thérapeutique : au cours des mouvements
squelettiques ;
– facteur d’équilibre : dans la relation maxillomandibulaire et la
stabilité des résultats.
D - PARTIES MOLLES
:
Le squelette maxillomandibulaire imprime à la face ses proportions
et sa projection ; ainsi, toute mobilisation de l’un ou l’autre de ces
secteurs osseux apporte un changement significatif à l’intérieur d’un
espace allant du nez cartilagineux à l’angle cervicomentonnier.
Il y a lieu cependant de considérer la place toute relative de
la projection des reliefs osseux dans la constitution des contours de
la face, le galbe facial, support de l’identité, étant pour une grande
part lié à la distribution des parties molles, dans ses trois
composantes que sont :
– les sangles musculoaponévrotiques ;
– la graisse jugale ;
– le tégument et les points fixes ostéocutanés.
1- Sangles musculoaponévrotiques
:
Distribuées à partir d’une attache osseuse ou fibreuse fixe, vers le
tégument, elles adoptent une disposition concentrique autour des orifices, ou radiée à partir des régions orificielles.
Elles se disposent
en deux couches de la région cervicale basse au sommet de
l’extrémité céphalique et subissent, ipso facto, les modifications tensionnelles et directionnelles induites par le déplacement des
pièces osseuses ostéotomisées.
Ces modifications au niveau de la
dimension et de l’orientation des peauciers retentissent sur les deux
autres composantes du galbe facial que sont la graisse et le
revêtement cutané.
2- Graisse jugale
:
Disposée en deux couches superficielle et profonde, c’est un
constituant essentiel du modelé facial.
* Plan superficiel
:
Sous-dermique, il occupe un espace triangulaire à base orbitaire et à
pointe commissurale ; il surplombe la lèvre supérieure en dessinant
un sillon nasolabial puis labiojugal marqué par le tonus et la
dynamique de la région labiocommissurale animée par les sangles
élévatrices.
Latéralement, la graisse crée un plan de glissement entre
les muscles et le tégument jugal, lequel n’est pas sollicité par le jeu
musculaire.
* Plan profond
:
Il est constitué de plusieurs compartiments dont le rôle mécanique
est à la fois lipostatique au niveau de la graisse orbitaire et de
glissement (sysarcoses de Paturet) au niveau de la boule de Bichat
et de ses expansions rétromaxillaire et temporozygomatique.
Le
prolongement zygomatique de ce tissu adipeux profond fait hernie
en avant du muscle grand zygomatique pour rejoindre le plan
graisseux superficiel, créant la redondance pré- et sous-malaire,
laquelle représente pour nous l’essentiel du relief de la pommette.
* Tégument et points fixes cutanés
:
Précisés par Furnas, les ligaments rétenteurs de la joue sont des
adhérences tendues entre le derme profond et le périoste sousjacent,
au niveau zygomatique, mandibulaire, orbitaire externe et
massétérin.
Ainsi assujetti au squelette, le tégument se redistribue
entre ces points fixes, lors du déplacement des pièces osseuses.
Les modifications enregistrées au niveau des parties molles, au décours
des ostéotomies maxillomandibulaires, ne sont pas totalement
prévisibles mais participent, pour une grande part, à la qualité du
résultat esthétique.
Elles concernent essentiellement :
– le relief génien, accusé par la réorientation des sangles musculoaponévrotiques et la redistribution de la graisse jugale ;
– la région nasolabiale, soumise aux mouvements antéropostérieurs
et surtout verticaux du maxillaire.
Le déplacement vertical du point stomion représente 20 à 40 % de l’impaction maxillaire.
Les
modifications de l’angle nasolabial, de la base narinaire et de la
projection de la pointe du nez ont été particulièrement
étudiées au cours des ostéotomies de Le Fort I.
Résultant de la
sommation de plusieurs facteurs, le changement est variable, mais
constant et irréversible, dès lors que le déplacement osseux est
supérieur à 5 mm ;
– l’angle cervicomentonnier : il dépend de la projection du relief
mentonnier, de la situation de l’os hyoïde, de l’orientation du
platysma, de l’importance et de la distribution du pannicule
adipeux.
Les modifications les plus importantes sont enregistrées au
cours des génioplasties et des avancées mandibulaires.
Dysharmonies maxillomandibulaires
:
A -
ANALYSE DES DÉFORMATIONS :
La dysharmonie maxillomandibulaire se présente à l’examen selon
deux cas de figure :
– soit, la seule malposition des arcades dentaires et des bases
osseuses qui leur sont directement assujetties, résume le déséquilibre
au sein d’une extrémité céphalique par ailleurs harmonieuse.
Situation habituellement rencontrée en chirurgie orthognathique,
elle s’apprécie à travers une analyse téléradiographique, tracée dans
les trois plans de l’espace, centrée sur la relation occlusale ;
– soit, la malocclusion fait partie d’un état dysmorphique plus
complexe imposant une analyse clinique attentive et une imagerie
précise des déformations, qui peuvent siéger schématiquement à la
voûte fronto-orbitaire, au tiers médian craniofacial, au niveau des
secteurs latéraux.
1- Voûte fronto-orbitaire et tiers supérieur de la face
:
De nombreux syndromes dysmorphiques intéressant la voûte, le
front et les orbites affectent peu ou prou l’occlusion.
Les
déformations fronto-orbitaires font habituellement l’objet d’un
remodelage, précoce à l’occasion de la libération chirurgicale
néonatale des sutures de la voûte, assurant un résultat
morphologiquement stable au niveau de l’équerre fronto-orbitaire,
mais aléatoire à dégradation progressive au niveau de l’orbite
inféroexterne.
Ces dystopies et rétrusions de la composante faciale
de l’orbite sont analysées avec précision et prises en compte lors du
tracé de l’ostéotomie maxillaire.
2- Tiers médian nasomaxillaire
:
L’examen de la pyramide nasale est tout aussi essentiel ; la
morphologie du nez reflète à ce stade les défauts de la croissance
centrofaciale, ce qui peut se traduire sur le plan morphologique par :
– une hyporhinie haute frontoethmoïdale, séquelle fréquente d’un
hypertélorisme ;
– une hyporhinie basse voméroprémaxillaire, dans le cadre d’une
hypoplasie nasomaxillaire du syndrome de Binder.
À l’opposé, la projection excessive d’une hyperseptorhinie, parfois
associée aux promaxillies et excès de verticalité antérieure, doit être
appréciée, en tenant compte du nécessaire équilibre nez/menton.
L’exploration de la perméabilité des fosses nasales, par rhinoscopie,
miroir de Glatzel, ou rhinomanométrie, est de routine.
L’obstruction
de la filière nasale, apanage des nez déviés, doit faire l’objet d’une
chirurgie fonctionnelle préalable à toute ostéotomie.
Le maxillaire sera apprécié dans sa dimension transversale (forme et
largeur de la voûte palatine) et verticale au repos et au sourire.
3- Étage mandibulaire et secteurs latéraux
:
* Prognathie mandibulaire
:
Rarement isolée, elle n’est pas toujours aisément distinguée d’une rétromaxillie et doit toujours être confirmée par le tracé
céphalométrique.
Une composante asymétrique portant parfois sur
les deux maxillaires fait rechercher :
– une hypercondylie par hypertrophie unilatérale de la tête
condylienne ou par allongement du col ;
– une hémihypertrophie mandibulaire, atteignant la branche
horizontale avec écartement des apex dentaires, épaississement du
rebord basilaire et disparition de l’encoche préangulaire ;
– une hémihypertrophie faciale intéressant toute l’hémiface,
squelette et parties molles (hémilangue comprise).
* Insuffisance mandibulaire
:
Effaçant l’angle cervicomentonnier, c’est le plus souvent une
évidence clinique.
– Symétrique, l’hypoplasie mandibulaire porte sur les deux
branches montantes et la région préangulaire, siège d’inclusions ou
d’absences molaires.
Elle caractérise les hypomandibulies
fonctionnelles (Pierre Robin, arthrogrypose, ankylose...) parfois
dysplasiques dans le cadre d’une dysostose mandibulofaciale
bilatérale.
– Asymétrique, l’atteinte unilatérale prédomine sur la branche
montante, selon des degrés divers, allant de la discrète hypoplasie à
l’absence de ramus selon la classification de Pruzansky en grades
I, II, III.
L’asymétrie déborde souvent sur le maxillaire, parfois sur
l’orbite, réalisant la classique microsomie hémifaciale.
4- Secteur alvéolodentaire
:
Il doit faire l’objet d’une attention toute particulière, l’occlusion
dentaire étant l’impératif incontournable d’équilibre et de stabilité
dans les résultats.
La malocclusion est notée dans :
– le sens antéropostérieur en tenant compte des relations canines et
molaires telles qu’elles sont définies dans la classification d’Angle ;
– classe II (division 1, ou 2) ;
– classe III ;
– le sens vertical (béance, supracclusion, découvrement gingival) ;
– le sens transversal (largeur de l’arcade).
L ’orientation du plan occlusal, s’apprécie :
– de face, par rapport à la ligne bipupillaire ;
– de profil, par rapport au plan de Frankfort en s’aidant de l’analyse
céphalométrique.
L’orientation des axes incisifs rend compte des phénomènes
compensatoires qui peuvent atténuer, parfois camoufler, le décalage
des bases osseuses.
Les dysharmonies dentomaxillaires (DDM) et l’incurvation de la
courbe de Spee sont évaluées en bouche puis sur les moulages.
Les absences dentaires, les retards et les inclusions, l’état de la
denture et du parodonte sont autant d’éléments indispensables à
l’établissement du protocole thérapeutique ; ils sont confirmés par
un cliché panoramique.
Les dyspraxies labiolinguales (hypotonie labiale, respiration buccale
exclusive, déglutition primaire...) sont recherchées et doivent faire
l’objet d’un bilan orthophonique.
À l’issue de cet examen, le déséquilibre squelettique et le trouble occlusal qui lui est assorti sont identifiés.
Il reste cependant à les
quantifier par deux examens complémentaires que sont l’analyse
céphalométrique et l’enregistrement à l’arc facial.
B - ANALYSE CÉPHALOMÉTRIQUE
:
Utilisée depuis le début du siècle, la céphalométrie initialement
dévolue à la seule pratique orthodontique a connu l’efflorescence
d’un nombre impressionnant de tracés, basés sur un concept de
normalité arithmétique.
L’évolution des connaissances en pathologie
du développement craniofacial et l’avènement de la chirurgie
craniofaciale ont élargi l’utilisation de l’analyse :
– au diagnostic des désordres squelettiques (Sassouni, Coben...) ;
– à l’évaluation du pronostic de croissance (Ricketts) ;
– au concept de proportionnalité entre les différents secteurs
céphaliques (Delaire).
Ce dernier procédé, par son approche volumétrique de
l’équilibre craniofacial, est à nos yeux le mieux adapté à la chirurgie
craniofaciale et orthognathique.
Elle associe une étude architecturale des constituants céphaliques
par rapport à un sujet idéalement équilibré à une analyse
structurale de chaque pièce osseuse et des parties molles.
La notion
de proportionnalité entre les différents secteurs, introduite par ce
procédé, permet au chirurgien de simuler avec une certaine
précision les déplacements à effectuer en vue de l’obtention de
l’équilibre idéal.
Cette analyse réalisée sur une incidence de profil peut être complétée
en cas d’asymétrie par deux études complémentaires, l’une en
incidence axiale, l’autre en incidence frontale.
C - ENREGISTREMENT À L’ARC FACIAL
ET SIMULATION SUR ARTICULATEUR :
Les mensurations faciales, menées à partir d’un point fixe représenté
par l’orifice des conduits auditifs externes, sont comparées aux
informations obtenues de la céphalométrie.
Cet enregistrement
renseigne avec précision sur l’orientation du plan occlusal et
apprécie la hauteur du maxillaire par rapport à l’orifice buccal en
tenant compte de la dynamique labiale.
Ces données, portées sur un
articulateur, permettent une simulation des déplacements maxillaires
à effectuer pour restituer une relation occlusale idéale, tout en
préservant le découvrement des incisives supérieures, au repos et
au sourire.
L’ensemble de ces observations compose l’indispensable dossier de
tout patient susceptible de subir une chirurgie orthognathique.
Ces
données sont confrontées à l’avis de l’orthodontiste qui a le rôle
essentiel de rendre les arcades dentaires congruentes en levant les
compensations de sorte à faire correspondre le décalage dentaire au
décalage osseux.