Ophtalmopathie associée aux maladies thyroïdiennes
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
L’ophtalmopathie thyroïdienne, également dénommée ophtalmopathie de
Graves, est la première cause des exophtalmies uni- ou bilatérales de
l’adulte.
Cette exophtalmie est souvent associée à d’autres manifestations, en
particulier la rétraction palpébrale, la congestion orbitaire et les troubles
oculomoteurs.
La sévérité et la durée de l’ophtalmopathie thyroïdienne sont
imprévisibles.
Il s’agit néanmoins d’une maladie chronique qui dure plusieurs
années (en moyenne 3 à 5 ans).
Classiquement, les signes orbitaires
s’amendent au cours des années, cependant des altérations fonctionnelles
sévères pouvant aller jusqu’à la perte de la vision, liées à une atteinte
cornéenne ou à une compression du nerf optique, peuvent se produire tout en
demeurant rares.
Une surveillance régulière, associée à une prise en compte
du retentissement psychologique, s’impose.
Dans certains cas, un traitement
médical et/ou chirurgical est nécessaire.
Pathogénie
:
La pathogénie de l’ophtalmopathie thyroïdienne demeure discutée.
La
maladie de Basedow et l’ophtalmopathie thyroïdienne sont deux maladies
auto-immunes, souvent associées mais différentes.
Trois anticorps ont été particulièrement individualisés : le long acting thyroid
stimulator (LATS), le thyroid stimulating antibodies (TSAB) et le TSH
receptor antibodies (TRAB).
Ils se fixeraient sur les récepteurs thyroid
stimulating hormone (TSH) des cellules thyroïdiennes stimulant ainsi la
thyroglobuline et la synthèse thyroïdienne.
Par le système du feed back
négatif, les sécrétions de la thyrotropin releasing hormone (TRH) par
l’hypothalamus et de la TSH par l’hypophyse sont inhibées quand la concentration d’hormones thyroïdiennes dépasse un niveau seuil.
Ainsi, dans
la maladie de Basedow, les hormones thyroïdiennes circulantes sont à un taux
élevé alors que le niveau de la TSH est effondré.
La réponse de la thyroïde à une agression, qu’elle soit d’origine
inflammatoire, traumatique ou chirurgicale, consiste en une libération
sanguine brutale d’antigènes thyroïdiens qui stimulent à la fois le système
immunologique humoral et cellulaire.
Les lymphocytes T activés envahissent le tissu conjonctif orbitaire.
Les
fibroblastes orbitaires prolifèrent, entraînant une synthèse et une libération
accrue de glycosaminoglycanes.
Des lymphokines produites localement
participent à cette cascade immunologique.
L’association des réponses immunitaires d’origines humorale et cellulaire
déclenche une migration de cellules inflammatoires et le développement d’un
oedème orbitaire, une augmentation de volume des muscles oculomoteurs et
de la graisse orbitaire.
Le rôle des anomalies génétiques et plus spécifiquement du système HLA
(human leukocyte antigen), n’est pas clair.
Les antigènes HLA B8 et DR3
ont été retrouvés plus fréquemment chez des patients présentant une maladie
de Basedow et d’autres maladies auto-immunes.
Épidémiologie
:
Aux États-Unis, l’incidence de l’ophtalmopathie thyroïdienne est
approximativement de 0,4 %.
En
Grande-Bretagne, l’incidence annuelle
serait de trois cas pour 1 000.
L’ophtalmopathie thyroïdienne touche le plus souvent des femmes de 30 à 50
ans, elle est moins fréquente chez les sujets âgés.
Le sex-ratio est de quatre
femmes pour un homme en ce qui concerne la maladie de Basedow.
La prédominance féminine est loin d’être aussi marquée pour
l’ophtalmopathie thyroïdienne (sex-ratio : 2,5 femmes pour 1 homme).
L’atteinte est plus sévère chez les fumeurs, les hommes âgés de plus de 65
ans.
Le stress serait également un facteur aggravant.
La prédisposition familiale est vraisemblable puisque 30 % des patients ont
des antécédents familiaux de pathologie thyroïdienne.
Chez les jumeaux
monozygotes, lorsque l’un d’entre eux est atteint, le second présente la
maladie dans 30 à 60 %des cas.
Ce taux relativement bas démontre que
d’autres facteurs non héréditaires jouent également un rôle dans la survenue
de l’affection.
Les sujets de race blanche sont plus fréquemment atteints que
les mélanodermes ou les sujets asiatiques.
Les enfants peuvent également être
atteints de façon non exceptionnelle.
Relation avec la pathologie thyroïdienne :
La survenue de l’ophtalmopathie thyroïdienne peut se faire avant la maladie
systémique dans 10 à 25 % des cas, le plus souvent en même temps ou dans
les 18 mois qui suivent le diagnostic.
L’ophtalmopathie thyroïdienne existe chez 20 à 40 %des patients atteints de
maladie de Basedow et chez 2 % des patients atteints de thyroïdite
d’Hashimoto.
Elle est occasionnelle au cours de certaines inflammations et
néoplasies thyroïdiennes.
Dans le cadre de la maladie de Basedow, la pratique systématique d’une
exploration neuroradiologique augmente très largement la fréquence de
découverte de cette orbitopathie.
L’association de l’ophtalmopathie thyroïdienne à la maladie de Basedow est
évidente, mais la première n’est pas la complication de la seconde.
Il s’agit de
deux maladies auto-immunes distinctes, le plus souvent associées.
Différents
arguments plaident pour cette thèse.
Les patients ayant une ophtalmopathie
thyroïdienne peuvent être hyperthyroïdiens, hypothyroïdiens ou
euthyroïdiens.
Cependant, la plupart des patients qui ont une hypothyroïdie
ont été traités pour hyperthyroïdie et les patients en euthyroïdie ont des
anomalies thyroïdiennes.
La sévérité de l’ophtalmopathie n’est pas corrélée à l’état thyroïdien clinique
et biologique.
L’évolution de l’ophtalmopathie thyroïdienne ne se calque en
aucun cas sur l’évolution de la maladie de Basedow.
Certains patients avec une ophtalmopathie euthyroïdienne pourraient ne
jamais développer de maladie thyroïdienne auto-immune.
Les traitements de l’hyperthyroïdie n’ont que très peu d’effets sur le
développement, la progression ou l’amélioration de l’ophtalmopathie.
Signes cliniques
:
A - Signes précoces
:
Le début est le plus souvent insidieux avec une symptomatologie riche :
photophobie, larmoiement, sensation de corps étrangers, de douleurs
oculaires, oedème des paupières, diplopie.
L’atteinte est le plus souvent bilatérale dans 80 à 90 % des cas.
Lorsqu’elle est unilatérale, il existe toujours une atteinte controlatérale
minime bien visible sur les explorations neuroradiologiques.
Diagnostic différentiel
:
Les conjonctivites allergiques et la sécheresse oculaire sont souvent
diagnostiquées en présence de ces signes fonctionnels.
Une sécheresse
oculaire vraie peut accompagner l’ophtalmopathie thyroïdienne.
Le plus
souvent les larmes sont produites en quantité suffisante, mais elles sont
anormales qualitativement : la concentration en protéines et en
immunoglobulines est accrue.
De plus, l’évaporation des larmes est
augmentée par la malposition palpébrale.
Ces altérations de la stabilité du film
lacrymal peuvent être responsables de symptômes et d’altérations cornéennes
identiques à ceux de la kératoconjonctivite par sécheresse lacrymale.
L’augmentation de la tension oculaire ne doit pas être confondue avec un
glaucome chronique à angle ouvert.
B - Rétraction palpébrale
:
L’impression de fixité du regard est accentuée par la rétraction de la paupière
supérieure qui peut être isolée ou associée à l’exophtalmie.
Le bord libre de la paupière supérieure est situé habituellement à 1 ou 2mm
sous le limbe cornéoscléral supérieur.
La rétraction de la paupière supérieure,
également connue sous le nom de signe de Dalrymple, découvre le limbe et la sclère sus-jacente sur une hauteur de 1 à 3 mm ; elle est présente chez un tiers
des patients.
La rétraction de la paupière inférieure est moins fréquente ; elle est liée à
l’importance de l’exophtalmie.
L’asynergie oculopalpébrale (signe de von Graefe) est caractéristique : la
paupière supérieure suit avec retard les mouvements du globe oculaire lors
du regard vers le bas.
Au maximum, l’abaissement de l’oeil ne s’accompagne
d’aucun mouvement de la paupière supérieure.
1- Physiopathologie :
La rétraction de la paupière supérieure est d’abord attribuée à une réponse
sympathomimétique.
Par la suite, il existe une infiltration puis une fibrose
rétractile du releveur de la paupière supérieure.
2- Diagnostic différentiel
:
L’existence d’une rétraction de la paupière supérieure peut se voir en dehors
de l’ophtalmopathie thyroïdienne, chez les patients traités par du lithium,
dans le cas des myopies fortes et en cas de ptosis unilatéral.
L’hydrocéphalie ou une pathologie mésencéphalique (tumeur, ischémie) peut
s’accompagner d’une rétraction palpébrale.
La limitation de l’élévation
accompagne toujours cette forme de rétraction palpébrale d’origine
neurologique.
La lagophtalmie est absente, les tests de duction forcée et les
globes oculaires sont normaux, alors que la motricité pupillaire est altérée
dans ce contexte neurologique.
La rétraction de la paupière supérieure est parfois asymétrique, elle donne
alors une impression de faux ptosis.
C - Exophtalmie
:
C’est le signe majeur de l’ophtalmopathie thyroïdienne.
Elle est cependant
moins fréquente que la rétraction palpébrale.
L’exophtalmie est définie comme une protrusion du globe oculaire vers
l’avant liée à une inadéquation entre le contenant orbitaire inextensible, formé
par les parois osseuses, et un contenu dont le volume est augmenté.
Le
contenu orbitaire est représenté par le globe oculaire, les muscles
oculomoteurs, la graisse orbitaire et les paquets vasculonerveux.
La poussée vers l’avant du globe s’explique par la faiblesse du plan palpébral
par rapport à la rigidité des parois osseuses.
Cliniquement, l’exophtalmie apparaît comme une saillie du globe oculaire en
avant du cadre orbitaire antérieur.
Cette saillie est le plus souvent bilatérale,
parfois asymétrique, axiale.
Les exophtalmies modérées ou unilatérales
s’apprécient au mieux lorsque le plan du regard de l’examinateur est
tangentiel au front du patient.
L’examinateur étant au-dessus de l’examiné, la
saillie d’un ou des deux globes oculaires en avant du rebord orbitaire inférieur
est plus facilement apparente.
L’exophtalmie est exceptionnellement isolée, elle est souvent associée à une
rétraction minime de la paupière supérieure qui signe le diagnostic.
1- Mesure clinique :
L’exophtalmomètre de Hertel est l’appareil le plus utilisé.
La mesure s’établit
entre une ligne virtuelle réunissant les bords orbitaires externes au niveau des canthus sur lesquels repose l’appareil et le sommet cornéen vu
tangentiellement par l’observateur à travers un miroir.
La valeur moyenne chez le sujet normal emmétrope est de 17 mm avec une
déviation standard de 2 mm (les mires peuvent présenter une valeur
augmentée en raison d’une longueur axiale du globe accrue).
La mesure doit
être toujours réalisée par le même observateur avec un écart constant de
l’appareil, sa précision étant au mieux de 2 mm.
Ces résultats sont à
confronter avec ceux de la tomodensitométrie qui permet une mesure
beaucoup plus précise.
2- Diagnostic différentiel :
L’exophtalmopathie thyroïdienne est la première cause des exophtalmies de
l’adulte.
Le problème du diagnostic différentiel se pose surtout en présence d’une
exophtalmie unilatérale ou très asymétrique et le scanner permet alors
d’éliminer les exophtalmies d’origine tumorale, souvent non axiales.
L’exophtalmie liée à un processus inflammatoire orbitaire non spécifique
s’accompagne habituellement de douleurs importantes et d’une myosite
impliquant les insertions tendineuses, ce qui la différencie des ophtalmopathies thyroïdiennes (scanner).
Les infections orbitaires sont également douloureuses, les sinus sont
impliqués.
Enfin l’exophtalmie liée à une fistule carotidocaverneuse est
consécutive à un traumatisme.
La dilatation des vaisseaux conjonctivaux,
classiquement en « tête de méduse » et le souffle orbitaire à l’auscultation
ainsi que les explorations radiologiques permettent le diagnostic.
Il faut également éliminer les fausses exophtalmies chez les myopes forts ou
d’origine ethnique, en particulier chez les sujets de race noire.
D - Anomalies de la motilité extrinsèque :
La diplopie en position primaire ou dans certaines directions du regard est
fréquente.
L’ophtalmopathie thyroïdienne est la première cause de diplopie
chez l’adulte.
La limitation de l’élévation précède la limitation des mouvements
horizontaux.
La mesure objective de cette limitation se fait par le test de
Lancaster.
Par ordre de fréquence décroissante, il s’agit d’une atteinte du muscle droit
inférieur, droit interne, puis, plus rarement, droit externe et droit supérieur.
La diplopie est transitoire au début, n’apparaissant qu’à la fatigue, verticale,
s’accompagnant d’une position compensatrice de la tête projetée en arrière.
Elle est rarement isolée ; le diagnostic est facile lorsqu’elle s’associe à une
rétraction minime de la paupière supérieure ou à une dilatation vasculaire à
l’insertion musculaire du droit interne.
Le scanner est très utile, mettant en évidence une myosite caractéristique se
traduisant par une augmentation du volume du corps musculaire.
Ce n’est que
secondairement que l’on verra apparaître une rétraction fibreuse.
L’augmentation de volume musculaire respecte les tendons d’insertion à
l’inverse des autres myosites inflammatoires.
Il est important de comprendre que la limitation de l’élévation n’est pas liée à
une atteinte du droit supérieur mais à une myosite du droit inférieur qui tire le
globe oculaire vers le bas.
De la même façon, la limitation de l’abduction est en rapport avec une myosite
du droit interne qui empêche le globe de se déplacer en dehors.
Diagnostic différentiel :
Les étiologies les plus fréquentes de diplopie acquise sont les paralysies des
nerfs oculomoteurs, la myasthénie, les traumatismes et les myosites.
Les paralysies oculomotrices ne sont pas restrictives, le test de duction forcée
est normal.
Elles sont cliniquement bien définies. La myasthénie
s’accompagne d’une anomalie de la motilité non restrictive s’aggravant à la
fatigue et en fin de journée.
Il existe un ptosis plutôt qu’une rétraction
palpébrale.
Cinq pour cent des patients myasthéniques souffrent d’une
pathologie thyroïdienne et 1 % des patients présentant une pathologie
thyroïdienne souffrent de myasthénie ; une combinaison des deux types
d’anomalies oculomotrices est donc possible.
Les traumatismes orbitaires impliquant le plancher ou la paroi interne sont
responsables d’une anomalie restrictive; l’antécédent de traumatisme
orbitaire permet le diagnostic.
Nous avons déjà mentionné que les myosites
sont douloureuses ; le scanner met en évidence l’implication des insertions
tendineuses à la différence de l’ophtalmopathie thyroïdienne.
E - Signes liés à l’inflammation
:
Ils sont importants à reconnaître car ils constituent l’indication à un traitement
anti-inflammatoire, corticothérapie et/ou radiothérapie.
La triade classique associe rougeur, oedème, douleur.
– L’hyperhémie conjonctivale marquée en regard des insertions musculaires
des droits internes mais surtout le chémosis (impression de gonflement de la
conjonctive bulbaire) sont caractéristiques.
Ils s’associent parfois à un
érythème des paupières.
– L’oedème des paupières est à rechercher et à différencier du gonflement
palpébral lié à la protrusion de la graisse orbitaire.
Il se localise
préférentiellement sur le rebord, le long des cils.
– L’association à des douleurs oculaires vraies complète le tableau.
Il s’agit
de douleurs profondes, rétro-oculaires, déclenchées par la mobilisation des
globes oculaires, en particulier vers le haut et en abduction.
Ces douleurs sont
à différencier de la sensation de tiraillement à la mobilisation des globes
oculaires.
En revanche, le larmoiement, l’impression de corps étranger, l’association de
démangeaisons, la photophobie, parfois liés à une kératite d’exposition, sont
moins typiques et peuvent également être simplement liés à l’exophtalmie et
à la rétraction palpébrale.
F - Signes oculaires
:
Nous avons déjà évoqué les signes conjonctivaux : dilatation des vaisseaux et chémosis, qui dans les cas sévères peut être hémorragique.
La kératite
d’exposition liée à un mauvais recouvrement palpébral est responsable de
photophobie et de sensation de sable.
Le test à la fluorescéine met en évidence la kératite ponctuée superficielle
souvent de disposition inférieure.
Le test au rose bengale marque les cellules
conjonctivales nécrosées dans l’aire de la fente palpébrale.
La sécheresse oculaire souvent associée majore ces signes.
Les complications dramatiques de la kératite d’exposition sont l’ulcération
de cornée, la perforation, la panophtalmie pouvant conduire à la perte du
globe oculaire.
Elles sont exceptionnelles actuellement et doivent être
prévenues par le traitement.
L’augmentation de la pression oculaire en position primaire, mais surtout
dans le regard vers le haut, doit être recherchée systématiquement.
Elle est
due à la compression de la paroi externe du globe par un muscle augmenté de
volume, le plus souvent le droit inférieur.
Une différence égale ou supérieure
à 4 mmde pression intraoculaire entre la position primaire et le regard vers le
haut est évocatrice d’une ophtalmopathie thyroïdienne.
Il ne faut pas
confondre cette augmentation de pression oculaire mécanique avec un vrai
glaucome chronique.
La surveillance du champ visuel s’impose
régulièrement.
La présence de plis choroïdiens visibles à l’examen du fond d’oeil traduit la
compression du globe par les structures intraorbitaires.
Ces plis ne sont pas
spécifiques. Ils apparaissent au cours de processus expansif intraorbitaire et
n’ont pas de retentissement fonctionnel.
G - Neuropathie optique :
La neuropathie optique représente une menace réelle pour la fonction
visuelle; sa fréquence est de 5 % en présence d’une ophtalmopathie
thyroïdienne.
Elle est due à une compression du nerf optique à l’apex orbitaire
par les muscles oculomoteurs.
Le diagnostic précoce, avant la diminution de l’acuité visuelle, repose sur
l’examen du champ visuel (périmétrie de Goldmann ou périmétrie
automatique) mettant en évidence un scotome central ou paracentral ou un
déficit altitudinal fasciculaire.
Les altérations de la vision des couleurs, les anomalies de la motilité
pupillaire, et le relevé des potentiels évoqués visuels contribuent également
au diagnostic.
La diminution de l’acuité visuelle est plus tardive, l’oedème papillaire
également.
Une atrophie optique irréversible avec décoloration papillaire au fond d’oeil
constitue le stade ultime.
La neuropathie optique peut être présente même si l’exophtalmie est
modérée ; elle doit être particulièrement recherchée lorsque l’apex orbitaire
apparaît « encombré » sur le scanner.
Elle est le plus souvent corrélée au degré
de l’inflammation orbitaire.
Le diagnostic différentiel de cette neuropathie optique d’origine thyroïdienne
est le glaucome chronique à angle large.
Le relevé du champ visuel permet de
les distinguer.
Cette neuropathie optique justifie un traitement anti-inflammatoire majeur,
voire, dans certains cas, une sanction chirurgicale.
Imagerie
:
A - Tomodensitométrie :
1- Technique :
Elle est habituellement réalisée sans injection de produit de contraste, car la
graisse intraorbitaire permet un contraste de bonne qualité entre les différentes
structures de l’orbite.
Par ailleurs, les produits iodés sont contre-indiqués si
un traitement par iode radioactif est envisagé.
Les coupes axiales transverses visualisent l’exophtalmie, les muscles
horizontaux, l’apex orbitaire et le nerf optique.
Le plan neuro-oculaire de
Cabanis (passant par le cristallin, les muscles horizontaux et le canal optique)
permet des études comparatives reproductibles, les coupes coronales
complétant l’examen.
2- Résultats :
Le scanner permet de mesurer l’exophtalmie en trois grades par rapport au
plan bicanthal externe joignant les deux apophyses orbitaires externes.
Il
permet de mesurer l’augmentation de volume du corps musculaire sans
modification de volume des tendons d’insertion, le plus souvent du droit
inférieur et du droit interne.
Il visualise le nerf optique à l’apex orbitaire, comprimé ou non, ainsi que
l’augmentation du volume de la glande lacrymale.
Il apprécie la déformation du planum ethmoïdal en « parenthèses »
(secondaire à l’hyperpression chronique sur le squelette).
Il permet d’éliminer la présence d’une masse orbitaire, d’une atteinte des
sinus ou d’une malformation vasculaire.
Il existe une corrélation entre le volume musculaire, l’évolutivité
inflammatoire et le risque de neuropathie optique.
En revanche, aucune
corrélation n’a été démontrée entre le volume musculaire, l’exophtalmie et le
risque de survenue d’une neuropathie optique.
3- Indications :
Il est utile au diagnostic dans les formes débutantes, dans les exophtalmies
asymétriques ou unilatérales (50 à 70 % des patients ont une atteinte
bilatérale), dans les formes atypiques, dans les formes compliquées de
neuropathie optique inflammatoire.
Il se justifie lorsqu’un geste chirurgical sur la thyroïde ou un traitement par
l’iode radioactif est envisagé, pour prévoir la survenue d’une poussée
inflammatoire et instituer une corticothérapie préventive.
Il est indispensable lorsqu’une décompression orbitaire chirurgicale est
nécessaire.
B - Résonance magnétique nucléaire :
Elle n’entraîne aucune irradiation.
Elle ne nécessite pas d’injection de produit
de contraste.
Elle améliore la qualité des images et permet d’apprécier
quantitativement et qualitativement les différentes structures intraorbitaires.
L’analyse permet de détailler la structure musculaire, la structure de la graisse
orbitaire, visualisant l’infiltration ou la fibrose dans les différentes séquences
T1, T2.
Elle est utile dans la surveillance de l’efficacité thérapeutique.
C - Échographie oculaire :
Elle est peu pratiquée en France pour le diagnostic et pour suivre l’évolution.
Classification
:
Le but des classifications est de répondre à deux questions qui se posent une
fois le diagnostic fait :
– apprécier l’évolutivité inflammatoire ;
– apprécier le retentissement sur le nerf optique, pour poser les indications
thérapeutiques et prévoir l’évolution.
Les signes classiques de l’inflammation doivent être recherchés
spécifiquement : douleurs, rougeurs, oedèmes, précédemment décrits.
Trois autres arguments supplémentaires sont à considérer ; il s’agit
d’observer, à 2 mois d’intervalle, l’augmentation de l’exophtalmie de plus de
2 mm, la diminution de la motilité oculaire et la baisse d’acuité visuelle qui
annonce la survenue d’une neuropathie optique.
De très nombreuses classifications ont été proposées pour suivre ces ophtalmopathies thyroïdiennes; nous n’en retiendrons que deux :
– la classification deWerner (1969) a été modifiée en 1977 et
intitulée en abréviation NOSPECS dont les deux premiers stades 0 et 1
comportent une atteinte oculaire minime et les stades 2 à 6 sont associés à des
complications oculaires plus sévères.
Chaque stade est subdivisé en quatre
degrés de gravité croissante (0 absent, a modéré, b moyen, c sévère);
– la seconde nous paraît d’utilisation plus simple en pratique quotidienne : la
classification de Mourits (1989) établit un score d’évolutivité
inflammatoire en cotant un point par signe.
Si le score est supérieur ou égal à 3, il s’agit d’une ophtalmopathie
thyroïdienne inflammatoire qui doit être traitée par un traitement antiinflammatoire,
corticothérapie et/ou radiothérapie.
Si le score est égal ou
inférieur à 2, l’ophtalmopathie thyroïdienne n’est pas inflammatoire (même
si l’exophtalmie est importante) et les traitements anti-inflammatoires seront
inefficaces donc inutiles.
Évolution naturelle de la maladie
:
L’ophtalmopathie thyroïdienne est une maladie chronique qui va évoluer sur
plusieurs années.
Indépendamment de la maladie thyroïdienne,
l’inflammation orbitaire est fréquente et se résout en 3 à 5 ans.
La rétraction de la paupière supérieure uni- ou bilatérale a une prévalence de
90 % et persiste habituellement.
La diplopie existe chez 40 % des patients.
Lorsqu’elle est intermittente, elle
disparaît avec le temps. Un tiers des patients qui présentaient une diplopie
permanente s’améliorent spontanément.
L’exophtalmie existe chez 60 % des patients.
L’amélioration est rare.
Moins
de 10 % ont une régression significative au bout de 5 ans.
La baisse d’acuité visuelle, complication la plus redoutée, ne survient que
dans moins de 5 % des cas.
Des séquelles, en cas de prise en charge inappropriée, sont dues à la
neuropathie optique, à des opacifications cornéennes et à des glaucomes
secondaires.
La perforation cornéenne est exceptionnelle.
Traitement
:
Il se discute dans deux circonstances différentes.
Au stade aigu de la maladie, devant une ophtalmopathie inflammatoire, en
urgence lorsqu’il existe une compression du nerf optique ou une exophtalmie
majeure avec une exposition cornéenne.
Le traitement fait appel au traitement médical anti-inflammatoire
(corticothérapie), à la radiothérapie et parfois à la chirurgie.
Au stade des séquelles, le traitement est chirurgical, il s’agit alors d’indication
fonctionnelle et/ou esthétique : traitement d’une exophtalmie, d’une diplopie
résiduelle, d’une rétraction de la paupière.
Chaque geste chirurgical doit
suivre un ordre précis.
On commence par les parois osseuses puis par les
muscles et enfin par les paupières.
A - Traitement médical
:
Il est rassurant pour le patient de lui expliquer l’évolution naturelle de cette
maladie chronique qui ne pourra se résoudre en quelques semaines, et les
moyens thérapeutiques dont on dispose, tant à la période aiguë qu’au stade
des séquelles.
Il est important qu’il sente que la situation n’est pas figée et
qu’elle s’améliorera avec le temps.
Des recettes simples permettent d’améliorer le confort visuel : pour diminuer
l’oedème palpébral matinal, on peut conseiller de dormir sur le dos, la tête
surélevée.
Les brûlures, la sensation de corps étranger sont traitées
efficacement par les collyres mouillants sans conservateur, associés à une
hygiène parfaite des paupières.
Le port de lunettes solaires améliore la
photophobie et a un certain intérêt esthétique.
Le traitement local de la rétraction palpébrale peut faire appel à un collyre alpha-adrénergique bêtabloquant (guanéthidine sulfate) ; il agit dans les
rétractions récentes inférieures à 6 mois.
L’amélioration est rapide (72 heures)
et elle se maintient à l’arrêt du traitement.
Elle peut s’accompagner d’un
myosis et d’une hyperhémie conjonctivale en limitant l’utilisation. Une
certaine toxicité pour l’épithélium cornéen est parfois retrouvée.
Le résultat obtenu est de l’ordre de 1,5 mm.
La durée du traitement est de 6 à 9 mois en cas de bonne tolérance en attendant
que la paupière retrouve sa position normale.
1- Corticothérapie
:
Elle a un rôle anti-inflammatoire et immunomodulateur.
Elle est utilisée à des doses allant de 1/2 à 1 mg/kg/j pendant plusieurs
semaines avant d’être diminuée de façon progressive.
Elle s’adresse à des patients qui ont une ophtalmopathie inflammatoire (telle
qu’elle a été définie) compliquée ou non d’une neuropathie optique.
Elle est inefficace dans les exophtalmies non inflammatoires au stade de
fibrose.
En urgence, une corticothérapie par bolus de Solu-Médrolt à la dose de 1 g/j,
3 jours de suite, est très efficace, devant une neuropathie optique avec baisse
d’acuité visuelle ou devant une exophtalmie maligne.
Le relais est ensuite pris par une corticothérapie orale à la dose de 1 mg/kg/j.
Autres traitements immunosuppresseurs
2- Agents cytotoxiques :
La ciclosporine et les plasmaphérèses ont été utilisées pour traiter les ophtalmopathies inflammatoires avec succès, en cas de contre-indications aux
stéroïdes, ou en cas de résistance ou de récidive.
Il semble que la plupart des patients qui répondent bien à ces traitements
immunosuppressifs répondent de la même façon aux stéroïdes ou à la
radiothérapie, mais les complications sont plus sévères en limitant fortement
leurs indications.
3- Radiothérapie orbitaire externe
:
Elle s’adresse également au traitement des ophtalmopathies inflammatoires,
compliquées ou non de neuropathie optique.
Son utilisation est très largement
discutée par les auteurs.
Elle vient en complément du traitement par stéroïdes
et elle permet d’en limiter la durée d’utilisation.
Les doses sont faibles, de 20 à 25 Gy, fractionnées en dix séances.
Classiquement, la radiothérapie est utilisée de seconde intention en cas de
mauvaise réponse à la corticothérapie, en cas de rechute, ou en cas de contreindication
à la corticothérapie.
Cette radiothérapie est toujours encadrée par une corticothérapie à la dose de
0,5 mg/kg/j, car il existe une exacerbation précoce de l’inflammation.
L’amélioration débute entre la deuxième et la quatrième semaine.
Si l’état ophtalmologique ne s’est pas amélioré 1 mois après le début, un
traitement chirurgical de décompression orbitaire devra être proposé.
Les complications de la radiothérapie sont rares.
Des cataractes, des
rétinopathies postradiques et l’augmentation de risque de cancer sont
signalées dans la littérature mais elles paraissent extrêmement rares.
B - Traitement chirurgical de l’ophtalmopathie
associée aux maladies thyroïdiennes
:
Le traitement chirurgical de l’ophtalmopathie associée aux maladies
thyroïdiennes comporte trois grands types d’intervention : la décompression
orbitaire qui vise à diminuer l’exophtalmie et les compressions qui en
résultent, la chirurgie oculomotrice afin d’améliorer la position des globes
oculaires et leur motilité, enfin la chirurgie palpébrale destinée à diminuer la
rétraction des paupières.
On peut y ajouter la blépharorraphie et l’ablation des
poches graisseuses palpébrales.
La chirurgie peut être proposée en semi-urgence en cas de neuropathie
optique ou d’exophtalmie oedémateuse compressive après échec des autres
thérapeutiques (corticothérapie, radiothérapie) ; il s’agit alors de
décompression orbitaire.
Le plus souvent, elle est indiquée au stade des
séquelles de l’ophtalmopathie, chez un patient présentant une
symptomatologie oculaire stable et un état thyroïdien stable avec euthyroïdie
nécessitant un minimum de traitement à visée thyroïdienne depuis au moins
6 mois.
Ces chirurgies interfèrent les unes sur les autres et leurs indications doivent
être mûrement pesées et respecter un ordre chronologique.
En effet, la
décompression orbitaire va modifier la position des globes oculaires et celle
des paupières ; de la même façon, la chirurgie oculomotrice va modifier la
position palpébrale.
De ce fait, il est impératif de respecter l’ordre
chronologique suivant lorsque les trois types d’intervention sont envisagés :
la décompression orbitaire sera réalisée en premier, puis la chirurgie
oculomotrice et enfin la chirurgie palpébrale.
Toutefois, dans certains cas,
certains auteurs conseillent d’associer deux types de chirurgie dans le
même temps, par exemple la décompression orbitaire et la chirurgie
palpébrale lorsqu’il n’y a pas de trouble oculomoteur majeur.
1- Décompression orbitaire :
Elle vise à adapter le contenu orbitaire augmenté de volume à son contenant.
Deux grands types de décompression orbitaire peuvent être envisagés.
* Décompression osseuse
:
Réalisée pour la première fois par Dollinger en 1911, cette décompression
osseuse consiste à augmenter le volume orbitaire en fracturant et en
effondrant les parois de l’orbite.
On peut ainsi effondrer une, deux, trois ou
quatre parois : la paroi inférieure ouvrant l’orbite dans le sinus maxillaire, la
paroi médiale ouvrant l’orbite dans les cellules ethmoïdales, la paroi latérale ouvrant l’orbite vers la fosse temporale, enfin la paroi supérieure au niveau
du sinus frontal et de l’étage antérieur de la base du crâne.
En fonction des
habitudes du chirurgien et de l’importance de l’exophtalmie, deux ou trois
parois sont habituellement effondrées.
La technique actuellement la plus
utilisée consiste à décomprimer l’orbite au niveau de ses parois inférieure et
médiale et, en cas d’atteinte importante, d’y associer un effondrement de la
paroi latérale avec ou sans ostéotomie comme pour une orbitotomie de type
Krönlein.
D’après Garrity, la décompression au niveau d’une paroi permet de gagner
entre 0 et 4 mm d’exophtalmie ; la décompression au niveau de deux parois
entre 3 et 6 mm ; la décompression au niveau de trois parois entre 6 et 10 mm ;
celle au niveau de quatre parois, entre 10 et 17 mm.
Tous les auteurs insistent
sur l’importance non seulement d’effondrer les parois correspondantes, mais
d’ouvrir largement la périorbite afin de permettre à la graisse orbitaire de
s’expandre vers l’espace gagné.
Il faudra respecter le nerf infraorbitaire au
niveau de la paroi inférieure.
Pour effondrer ces différentes parois, diverses voies d’abord sont possibles :
on peut schématiquement opposer les abords par voie transantrale de type
ORL, utilisée par Walsh et Ogura, permettant, après ouverture du sinus
maxillaire par une voie de Caldwell-Luc, d’effondrer le plancher orbitaire et
également la paroi médiale, les voies d’abord cutanées palpébrales avec abord
sous-ciliaire au niveau de la paupière inférieure ou canthal médial pour
aborder les parois médiale et inférieure, ou canthale latérale pour l’abord de
la paroi latérale ; les abords par voie bicoronale avec réalisation d’un scalp
frontal permettant de dégager les parois latérale, supérieure et médiale de
l’orbite et d’atteindre par cette voie, la paroi inférieure, les voies d’abord
transconjonctivales utilisées pour aborder les parois médiale et inférieure.
Chacune de ces voies d’abord a ses avantages et ses inconvénients et certaines
complications paraissent plus fréquentes selon le type d’abord.
Les
complications postopératoires principales étant l’apparition ou
l’augmentation d’une diplopie, d’une sinusite, le risque de dacryocystite par
atteinte du canal lacrymonasal, l’hypoesthésie du nerf infraorbitaire, la fuite
de liquide céphalorachidien, l’exophtalmie pulsatile en cas d’effondrement
du plafond orbitaire.
L’abord par voie transantrale tel qu’il est pratiqué par Garrity permet
d’obtenir une diminution de l’exophtalmie de 4,7 mm en moyenne, en
réalisant une décompression sur deux ou trois parois.
Les complications les
plus fréquentes dans ce type d’abord sont la survenue d’un entropion dans 9 %
des cas, d’une fuite de liquide céphalorachidien dans 3,5 % des cas, d’une
sinusite, d’une anesthésie du nerf infraorbitaire, quasi constante mais
résolutive, d’un hématome frontal, d’une sténose du canal lacrymonasal.
Fatourechi, lors des décompressions par voie transantrale de deux parois,
obtient une diminution de l’exophtalmie de 5,2 mm ; la complication la plus
fréquente étant la survenue d’une diplopie dans 73 % des cas.
Lyons, sur 65 orbites, obtient une réduction de l’exophtalmie moyenne de
4 mm avec des extrêmes allant de 1 à 10mm; la diplopie postopératoire
survient dans 18 % des cas.
La complication la plus fréquente étant
l’hypoesthésie infraorbitaire souvent résolutive. Pour lui, l’effondrement de
deux parois fait gagner 3,7 mm, celui de trois parois, 7,3 mm. Otto et
Koorneff, utilisant un abord par voie bicoronale avec scalp frontal et la
décompression de trois parois, obtiennent une diminution de l’exophtalmie
de 4,34 mm.
La diplopie n’apparaît que dans 3,2 % des cas.
Pour lui, le
résultat est meilleur en cas d’exophtalmie importante supérieure à 23 mm à
l’exophtalmomètre de Hertel.
Cette équipe a mesuré la pression rétrobulbaire
qui, au cours de la décompression, va diminuer de 8 à 12mm de mercure.
Une alternative est la réalisation d’une décompression par voie endoscopique transnasale qui permet d’aborder l’ethmoïde, de réaliser une ethmoïdectomie
subtotale, et également la paroi inférieure de l’orbite.
Lee rapporte les
résultats obtenus par différentes techniques.
Pour lui, la décompression de
trois parois donne les résultats suivants : par voie transantrale, associée à une
orbitotomie latérale, 4,99 mm de gain d’exophtalmie, par voie
transconjonctivale inférieure associée à une orbitotomie latérale, 3,95 mm,
par voie transnasale endoscopique associée à une orbitotomie latérale,
5,13 mm.
Là encore, les troubles oculomoteurs sont fréquents : 61 % de
diplopie postopératoire, 100 % en cas d’abord transnasal endoscopique.
* Décompression graisseuse ou lipectomie orbitaire par voie antérieure
:
Elle est de réalisation plus récente.
Décrite initialement par Olivari et par
Trokel, elle a été développée en France par Adenis.
Son principe est d’adapter
le contenu au contenant sans modifier ce dernier, en retirant la graisse orbitaire
à la fois extra- et intraconique.
Cette intervention se réalise sous anesthésie
générale, tout comme la décompression osseuse.
Elle se fait sous microscope
opératoire en ne traitant qu’un oeil à la fois.
L’abord est celui d’une
blépharoplastie avec abord de la paupière supérieure au niveau du pli
palpébral supérieur et abord de la paupière inférieure, soit par une voie
cutanée sous-ciliaire, soit par une voie transconjonctivale.
Les différentes
poches graisseuses extraconiques sont retirées : les deux poches médiale et
médiane au niveau de la paupière supérieure et les trois poches latérale,
médiane et médiale au niveau de la paupière inférieure.
La dissection est
poursuivie à l’intérieur de l’orbite en réalisant une hémostase soigneuse.
Le
but de l’intervention est de retirer entre 5 et 7 cm3 de graisse, parfois jusqu’à
9 cm3, en admettant le principe que 1cm3 de graisse fait diminuer
l’exophtalmie de 1 mm. Trokel, sur 158 cas, rapporte une diminution de
l’exophtalmie de 1,8 mm en moyenne avec des extrêmes allant de 0 à 6 mm.
Là encore, les résultats sont meilleurs en cas d’exophtalmie supérieure à
25 mm à l’exophtalmomètre de Hertel. Les principales complications
rapportées sont la survenue de troubles oculomoteurs avec apparition d’une
diplopie, la possibilité de lésions nerveuses (nerfs supraorbitaire,
supratrochléaire, infraorbitaire), la survenue d’un syndrome sec et surtout le
risque d’hématome orbitaire avec risque de cécité postopératoire.
Actuellement, il est de plus en plus envisagé d’associer les deux types de
décompression orbitaire, à la fois osseuse, en réalisant l’effondrement des
deux parois inférieure et médiale de l’orbite, et graisseuse permettant ainsi
une adaptation, la meilleure possible, entre le contenant et le contenu
orbitaire.
Le bilan radiologique préopératoire est important : scanner RX ou imagerie
par résonance magnétique afin de juger du volume respectif de la graisse
orbitaire et des muscles : la décompression graisseuse donnera de
meilleurs résultats en cas de muscles de petite taille avec importante
augmentation du volume graisseux, alors qu’en cas de muscles
hypertrophiques avec peu de graisse, la décompression osseuse donnera de
meilleurs résultats.
L’existence de volumineuses poches palpébrales orientera
plutôt vers une décompression graisseuse.
De toute façon, la prédictibilité de
l’effet sur l’exophtalmie reste difficile à établir.
* Indications de la décompression orbitaire
:
Que la décompression orbitaire soit osseuse ou graisseuse, ses indications
sont les suivantes : en semi-urgence, lors de neuropathie optique compressive
ou d’exophtalmie oedémateuse importante avec exposition cornéenne ; en cas
d’échec des autres thérapeutiques : radiothérapie, corticothérapie.
Il en est de
même en cas d’exophtalmie oedémateuse corticorésistante.
Dans les
neuropathies optiques, les décompressions osseuses par voie transantrale ont
donné les résultats suivants : amélioration de l’acuité visuelle ou
stabilisation dans 89 % des cas, diminution dans 11 %, amélioration des
déficits périmétriques dans 91 % des cas, diminution ou régression totale de
l’oedème papillaire dans 94 %des cas, amélioration de l’exposition cornéenne
dans 92 % des cas.
En revanche, apparition ou aggravation d’une diplopie
dans 64 % des cas.
Au stade des séquelles de l’ophtalmopathie dysthyroïdienne, la
décompression est indiquée en cas d’exophtalmie défigurante, surtout si
l’exophtalmie dépasse 23 mm à l’exophtalmomètre de Hertel, avant une
intervention à visée musculaire en cas d’exophtalmie importante, en cas de
phénomènes douloureux.
Il faudra attendre 6 mois pour apprécier les résultats
de cette décompression.
2- Chirurgie oculomotrice :
Elle s’adresse aux troubles oculomoteurs fixés, stabilisés, non compensables
par une correction prismatique. Elle vise à supprimer la diplopie en position
primaire et dans la position du regard vers le bas pour favoriser la lecture.
Proche de la chirurgie du strabisme, elle s’adresse toutefois à des muscles fibrosés souvent inextensibles et fragilisés par le processus inflammatoire.
Les muscles le plus souvent en cause sont les muscles droits inférieurs avec hypotropie et diplopie verticale, et les muscles droits médiaux avec ésotropie.
On réalise le plus souvent des reculs des droits inférieurs ou des droits
médiaux, souvent importants, pouvant aller jusqu’à 10 mm pour le droit
inférieur, 8 mm pour le droit médial, que l’on peut augmenter par la
réalisation d’anses.
Certains utilisent une chirurgie réglable.
La plicature de
muscles antagonistes peut y être ajoutée, mais il est de règle de ne jamais
réaliser de résection musculaire en cas de myopathie dysthyroïdienne, ni de
toucher plus de deux muscles droits par oeil.
Les risques de perforation
sclérale peropératoires sont plus importants que dans la chirurgie du
strabisme.
Certains auteurs ont réalisé des allongements musculaires
par interposition de biomatériaux, mais cette technique expose au risque
d’extrusion.
Les suites opératoires sont en général plus inflammatoires que
dans la chirurgie du strabisme, les risques d’ischémie du segment antérieur
également.
La prédictibilité des résultats est moins bonne du fait de l’état de
fibrose musculaire.
Le plus souvent, on est amené à réaliser un recul d’un muscle droit inférieur
sur un oeil en hypotropie.
Il faut savoir que ce geste risque d’augmenter la
rétraction palpébrale inférieure de façon importante.
3- Chirurgie palpébrale :
Elle s’adresse d’abord et avant tout aux rétractions de paupière ; elle doit être
réalisée après la chirurgie oculomotrice et après une éventuelle
décompression.
La rétraction de paupière sera estimée en préopératoire et on
peut opposer les rétractions mineures aux rétractions majeures, aussi bien en
paupière supérieure qu’en paupière inférieure.
En ce qui concerne la paupière supérieure, diverses techniques sont utilisées : myotomie latérale du muscle
releveur de la paupière supérieure, myotomie isolée du muscle de Müller,
ablation du muscle de Müller (mullerectomie), recul simple du complexe
releveur de la paupière supérieure-muscle de Müller ou allongement du
muscle releveur par interposition d’un biomatériau.
En ce qui concerne la
paupière inférieure, on peut réaliser un recul isolé des muscles rétracteurs ou
un recul des muscles rétracteurs associé à une interposition d’un biomatériau.
Ces interventions peuvent se faire par un abord cutané au niveau du pli
palpébral supérieur pour la paupière supérieure, sous-ciliaire au niveau de la
paupière inférieure ou par voie transconjonctivale.
Lorsque l’on utilise un
matériau d’interposition, on peut utiliser soit du fascia lata, soit du cartilage
autologue pris au niveau auriculaire ou nasal, ou encore du périoste orbitaire
ou de l’aponévrose temporale ; néanmoins, ceci allonge le temps chirurgical
et impose souvent une deuxième cicatrice ou un biomatériau type Goretext
ou Gore-text à larges pores. Suivant le matériel d’interposition
utilisé, il faudra surcorriger et, en cas de Gore-text, il est conseillé de mettre
un patch deux fois plus important que l’allongement à réaliser.
En cas d’excès
cutané avec dermatochalasis ou poches graisseuses importantes, leur
résection peut être réalisée dans le même temps.
Certains auteurs ont
insisté sur l’intérêt éventuel d’une chirurgie ajustable et réglable.
La mullerectomie et la mullerotomie ainsi que la myotomie marginale sont
utilisées en cas de rétraction de faible importance, le recul du releveur avec
ou sans interposition de matériel en cas de rétraction plus importante.
Ucello obtient des résultats satisfaisants dans 75 % des cas après une
chirurgie unique en utilisant la mullerotomie, la mullerectomie ou le recul du
releveur.
Les indications de cette chirurgie sont les expositions cornéennes avec
kératite et risque d’ulcère de cornée, mais également des indications
esthétiques : diminution de la rétraction permettant de diminuer l’aspect
d’exophtalmie et d’améliorer la motilité palpébrale (en particulier la
lagophtalmie).
Les complications de cette chirurgie sont représentées par
l’existence d’un hématome postopératoire, la possibilité d’infection ou
d’extrusion du matériel interposé, mais surtout par les surcorrections avec
risque de ptosis et les sous-corrections nécessitant parfois un geste
complémentaire.
4- Autres gestes pouvant être utilisés
dans l’ophtalmopathie dysthyroïdienne :
Blépharorraphie : en cas d’exposition cornéenne majeure, il s’agit là d’un
geste d’urgence visant à éviter une perforation cornéenne, il est de moins en
moins réalisé.
On peut y ajouter l’ablation des poches graisseuses de façon isolée, lorsque
celles-ci sont majeures.
Cette ablation des poches graisseuses pouvant
s’intégrer dans le cadre d’une décompression graisseuse ou d’une chirurgie
de rétraction palpébrale.