Ontogenèse du système immunitaire embryonnaire et foetal Cours de
Gynécologie Obstétrique
Introduction
:
La réponse immune non spécifique (ou immunité naturelle)
concerne les cellules phagocytaires (polynucléaires et macrophages,
capables de fonctions de bactéricidie et de production de cytokines),
les cellules douées de cytotoxicité naturelle (cellules natural killer
[NK] et cellules responsables de la cytotoxicité dépendante
d’anticorps) et le système du complément impliqué dans la
bactéricidie et l’opsonisation.
La réponse immune spécifique met en jeu les lymphocytes T
responsables de l’immunité cellulaire (cytotoxicité directe des
cellules infectées, activation des macrophages et des lymphocytes
B), les lymphocytes B responsables de l’immunité humorale
(production d’anticorps capables de neutralisation et
d’opsonisation).
Cette réponse, spécifique de l’antigène, nécessite
une « éducation » des lymphocytes T et B.
Elle requiert également
une cellule capable de présenter l’antigène (cellule monocytairedendritique)
aux cellules T effectrices.
Les différents effecteurs de l’immunité non spécifique et spécifique
se développent progressivement durant la vie intra-utérine.
Cependant, ils n’ont pas acquis une maturation complète à la
naissance ; ceci rend compte de la susceptibilité particulière du
nouveau-né et particulièrement du prématuré aux infections
bactériennes et virales.
Les cellules souches pluripotentes, à l’origine des différentes lignées
hématopoïétiques, sont présentes dans le sac vitellin entre 3,5 et
8 semaines de développement, où seule une différenciation myélomonocytaire est observée.
Le foie foetal est ensuite le principal
organe hématopoïétique (1,5-7,5 mois), relayé à partir du troisième
trimestre par la moelle osseuse.
Développement du système
immunitaire non spécifique :
A - DÉVELOPPEMENT DES CELLULES PHAGOCYTAIRES
(POLYNUCLÉAIRES ET MACROPHAGES)
:
La lignée myéloïde, déjà présente dans le sac vitellin, se
différencie très précocement dans le foie foetal puis dans la moelle
osseuse.
Cependant, les polynucléaires sont en nombre réduit puisqu’ils ne représentent en période anténatale que 10 % des
leucocytes circulants.
Après la naissance, leur nombre augmente
brutalement pour atteindre les valeurs de l’adulte en quelques jours.
Le métabolisme oxydatif des polynucléaires a pu être
étudié au cours du développement foetal.
Dès que celui-ci a pu être
testé (21e semaine de développement), il a été trouvé normal, tant
en ce qui concerne la chimiluminescence que la réduction du nitrobleu
de tétrazolium ou la production d’anions superoxydes.
Cette
normalité a permis le développement du diagnostic prénatal des
anomalies héréditaires des polynucléaires (granulomatose septique)
par méthode fonctionnelle avant que les gènes impliqués dans cette
pathologie ne soient identifiés.
Cependant, certains auteurs ont
décrit une diminution du métabolisme oxydatif des polynucléaires
en cas de stress.
Des anomalies du polynucléaire qui perdurent après la naissance
semblent être responsables de la susceptibilité particulière du
nouveau-né aux infections bactériennes : la capacité de production
des polynucléaires et le pool de réserve sont diminués par rapport à
ceux de l’adulte.
Cette anomalie peut être rattachée à une
diminution de production des cytokines activant la myélopoïèse
(granulocyte-macrophage colony-stimulating factor [GM-CSF] et
granulocyte colony-stimulating factor [G-CSF]) par les monocytes et
les lymphocytes T.
D’autre part, les polynucléaires du
nouveau-né ont une capacité réduite de migration vers les sites
d’infection : l’adhésion aux endothéliums vasculaires est
diminuée, probablement de façon secondaire à un défaut
d’expression de certaines molécules d’adhésion, tout
particulièrement la L-sélectine.
Le chimiotactisme et les capacités de
phagocytose des polynucléaires en condition suboptimale ont été
rapportés déficients en période périnatale.
Ces anomalies sont accentuées en cas de prématurité et de stress.
Les premières cellules de la lignée monocytaire sont détectées dès la
cinquième semaine dans la vésicule vitelline.
Leur différenciation
ultérieure prend place dans le foie foetal puis dans la moelle osseuse.
À 8 semaines, les cellules monocytaires-dendritiques sont présentes
dans les organes lymphoïdes secondaires (ganglions lymphatiques
et rate) où elles peuvent participer à la réponse immune.
Leur
capacité à cataboliser l’antigène et à le présenter aux lymphocytes T
a été montrée par certains auteurs comme inférieure à celle observée
chez l’adulte, en relation avec une diminution d’expression
membranaire des molécules d’histocompatibilité de classe II.
Cette
observation, controversée, ne semble pas primitive mais secondaire
au défaut de production d’interféron (IFN) c par les lymphocytes T.
La diminution de la production par les cellules dendritiques-monocytes de cytokines importantes dans la réponse
anti-infectieuse comme l’interleukine (IL)12 semble également
secondaire au défaut de production d’IFNc.
La capacité de phagocytose et de bactéricidie des monocytes foetaux
est trouvée normale dès qu’elle peut être testée (20e semaine).
Cependant, leur chimiotactisme apparaît diminué et cette anomalie
de migration persiste durant les premiers mois de vie, comme en
témoigne le faible nombre de macrophages tissulaires.
B - DÉVELOPPEMENT DE L’ACTIVITÉ « NATURAL KILLER »
ET DE L’ACTIVITÉ CYTOTOXIQUE DÉPENDANTE
D’ANTICORPS :
L’activité NK se développe progressivement au cours de la vie
foetale.
Une activité de type NK a pu être mise en évidence dans le
foie foetal dès 9 semaines de développement.
Cependant, cette
activité cytotoxique est très inférieure à celle que l’on peut observer
dans le sang d’adultes normaux.
Le nombre de cellules NK
(CD16+/CD56+) et la fonction NK sont diminués dans le sang des
foetus (18-22 semaines) et des nouveau-nés à terme.
Le nombre
de cellules NK et leur activité cytotoxique se normalisent au cours
de la première année de vie.
Cette anomalie a pu être rapportée à
une diminution de la production d’IL15 par les cellules stromales de
la moelle osseuse et d’IFNc par les lymphocytes T au cours de la vie
anté- et périnatale.
L’activité cytotoxique non spécifique dépendante de l’anticorps
(ADCC) a également été décrite diminuée chez le foetus (22
semaines) et chez le nouveau-né.
Ces anomalies peuvent, dans une certaine mesure, rendre compte
de la susceptibilité particulière du nouveau-né aux infections virales.
C - DÉVELOPPEMENT DU SYSTÈME DU COMPLÉMENT :
La synthèse des différents composés du complément débute
progressivement dans le foie à partir de la huitième semaine de
développement, mais leurs taux sont inférieurs à la naissance à ceux
observés chez l’adulte d’environ 50 %.
Il n’y a pas de passage transplacentaire, donc pas de mécanismes de compensation.
Ce
déficit physiologique observé à la naissance s’accentue encore en cas
de prématurité ou de stress, et apparaît comme un des facteurs de
la sensibilité particulière du nouveau-né aux infections.
Développement de l’immunité
spécifique :
A - DÉVELOPPEMENT DE L’IMMUNITÉ CELLULAIRE
(LYMPHOCYTES T)
:
Les précurseurs des lymphocytes T générés dans le foie foetal se
différencient dans le thymus.
La composante épithéliale de cet
organe provient des troisième et quatrième poches branchiales qui
migrent et fusionnent aux alentours de la huitième semaine.
La
colonisation lymphoïde du thymus débute dès la dixième
semaine, les lymphocytes pré-T y étant attirés par des facteurs
chimiotactiques sécrétés par les cellules épithéliales.
Les cellules
épithéliales comme les cellules dendritiques thymiques (d’origine
hématopoïétique) jouent un rôle majeur dans l’activation des
précurseurs lymphoïdes T par l’intermédiaire des molécules
d’histocompatibilité, human leukocyte antigen (HLA) de classes I et
II, qu’elles expriment en membrane.
Les cellules précurseurs
lymphoïdes pré-T acquièrent dans le thymus des récepteurs
membranaires, et tout particulièrement le récepteur de l’antigène (T cell receptor [TCR]), associé au complexe multimérique CD3.
Le récepteur T est un hétérodimère qui permet la reconnaissance
spécifique d’un peptide antigénique.
Il existe deux types de
récepteurs, le récepteur TCR c/d et le récepteur TCR a/b,
mutuellement exclusifs à la surface des lymphocytes T.
Les
lymphocytes T portant le TCR c/d représentent une minorité des
lymphocytes T du sang périphérique et des organes lymphoïdes (1
à 5 %) mais sont largement majoritaires dans les épithéliums et les
muqueuses. Leur rôle n’est pas exactement connu.
Les lymphocytes
T exprimant le TCR a/b sont les lymphocytes T majoritaires (95 %)
du sang périphérique et des organes lymphoïdes.
Le TCR de type
a/b est capable de reconnaître spécifiquement un peptide
antigénique présenté par les molécules HLA de classe I s’il est
coexprimé avec la molécule accessoire CD8 ou de classe II s’il est
coexprimé avec la molécule CD4.
Ainsi, les lymphocytes T CD4
(65 % des lymphocytes T circulants dans le sang périphérique) sont
impliqués dans la coopération cellulaire avec les lymphocytes B
(production d’anticorps), les cellules monocytaires-dendritiques
(production de cytokines), tandis que les lymphocytes T CD8 (35 %
des lymphocytes T circulants) sont impliqués dans la réponse
cytotoxique (réponse antivirale et antitumorale).
La diversité du
répertoire des lymphocytes T, c’est-à-dire la possibilité de générer
un très grand nombre de TCR capables de reconnaître spécifiquement un très grand nombre de peptides antigéniques, est
acquise progressivement par des phénomènes de réarrangements
aléatoires des gènes codant les différents segments du TCR.
La différenciation intrathymique commence très tôt au cours de la
vie foetale ; l’organisation corticomédullaire du thymus débute à 10
semaines et, dès 12 semaines de gestation, on observe dans le sang
foetal des lymphocytes T matures CD3-TCR a/b portant les
molécules CD4 ou CD8 dans un rapport identique à celui observé
chez l’adulte.
À la naissance, du fait d’une hyperlymphocytose caractéristique de la première année de vie, le
nombre absolu de lymphocytes T CD4 et CD8 est supérieur à celui
de l’adulte.
Les fonctions prolifératives des lymphocytes T vis-à-vis
de mitogènes non spécifiques sont détectées dans le sang du foetus
dès 12 semaines et la capacité de reconnaître et de répondre
spécifiquement à un antigène est acquise à la 16e semaine.
Un répertoire complet du TCR des lymphocytes T semble acquis à
la naissance.
La normalité du phénotypage et des fonctions
prolifératives des lymphocytes T permet le diagnostic anténatal par
méthode immunologique des déficits immunitaires héréditaires dont
la base génétique n’est pas connue.
Cependant, une caractéristique très importante des lymphocytes T
du nouveau-né est le fait que ce sont des lymphocytes naïfs, et
non mémoires, dont la réponse à l’antigène est une réponse de type
primaire.
À la naissance, les lymphocytes T expriment en majorité le
récepteur membranaire CD45RA, caractéristique des lymphocytes T
naïfs.
L’acquisition du marqueur membranaire CD45RO,
caractéristique des lymphocytes T mémoires, se produit
progressivement dans les premières années de vie ; les valeurs
observées chez l’adulte sont acquises après la première décennie.
La réponse primaire se traduit par une production médiocre
de cytokines de type Th1 (IL2 et IFNc) et Th2 (IL4, IL10, IL13).
La faible capacité des lymphocytes naïfs à
produire ces cytokines a des effets multiples : l’IL2 est nécessaire à
l’amplification de la réponse cellulaire, l’IFNc et le GM-CSF ont un
rôle primordial dans la réponse anti-infectieuse, tout
particulièrement par leur capacité à activer les monocytes-cellules
dendritiques.
L’IL2 et l’IFNc sont également impliqués dans la
cytotoxicité NK et ce déficit cytokinique peut rendre compte de la
médiocre activité NK observée chez le foetus et le nouveau-né.
L’IL4,
l’IL10 et l’IL13 jouent un rôle dans la prolifération et la maturation
terminale des lymphocytes B et leur défaut de production est
responsable de la réponse humorale médiocre observée en période
néonatale.
À ce défaut de production de cytokines s’ajoute un défaut
d’interaction cellulaire T/B
En effet, chez l’adulte, l’activation par la
reconnaissance de l’antigène des lymphocytes T CD4 auxiliaires
entraîne l’expression membranaire transitoire d’une molécule
impliquée dans la coopération T/B, le CD40 ligand, capable d’activer
la molécule CD40 présente sur les lymphocytes B.
Chez le nouveauné,
l’expression de cette molécule d’activation est défectueuse
et sa normalisation se fait progressivement dans les
premiers mois de vie.
Enfin, il a pu être montré que les lymphocytes
T naïfs CD45RA avaient une capacité de réponse cytotoxique
moindre que celle exercée par les lymphocytes T mémoires, ce
qui peut rendre compte de la susceptibilité aux infections virales du
nouveau-né et surtout du prématuré.
Ces caractéristiques, qui peuvent expliquer un certain degré
d’immaturité immunologique chez le nouveau-né, ont poussé
certains auteurs à utiliser le sang du cordon plutôt que la moelle
osseuse dans des situations de greffe HLA partiellement
incompatibles afin de limiter la réponse allogénique.
B - DÉVELOPPEMENT DE L’IMMUNITÉ HUMORALE
(LYMPHOCYTES B)
:
Les précurseurs lymphoïdes B sont détectables dans le foie foetal à
7-8 semaines de gestation.
Leur maturation se fait dans les organes
lymphoïdes primaires (foie foetal puis moelle osseuse).
Le premier
marqueur de surface qui signe l’engagement du précurseur dans la
lignée lymphocytaire B est l’antigène CD19, spécifique de la lignée
B.
Puis les lymphocytes B réarrangent les gènes codant les
immunoglobulines (Ig) de membrane, IgM et IgD.
Les
lymphocytes B matures IgM+ IgD+ sont ainsi détectables dès 12
semaines dans la circulation foetale.
La production d’Ig chez le foetus normal est difficile à apprécier du
fait de l’absence de stimulation antigénique. En cas d’infection, la
production d’IgM est détectable dès la 12e semaine et celle d’IgG et
d’IgA plus tardivement (15-20 semaines).
À la naissance, les
lymphocytes B du nouveau-né produisent essentiellement de l’IgM
et ont une capacité réduite de commutation isotypique (c’est-à-dire
de produire des IgG et des IgA) comparativement aux lymphocytes
B de l’adulte.
Ce défaut peut être relié, d’une part à l’immaturité
intrinsèque des lymphocytes B naïfs, caractérisés par leur phénotype
(IgM+, IgD+, CD27-), et d’autre part au défaut des lymphocytes T
auxiliaires (production de cytokines et expression du ligand de CD40 défectueuses).
Les diverses stimulations antigéniques et la
coopération avec les lymphocytes T vont permettre la génération de
lymphocytes B mémoires, CD27+, capables de réponse secondaire et
de production d’IgG et d’IgA.
La diversité du répertoire des Ig de surface (capacité à générer un
grand nombre de récepteurs capables de reconnaître spécifiquement
un grand nombre d’antigènes différents) est acquise, comme celle
du TCR, progressivement par réarrangements aléatoires des gènes
codant les différents segments des Ig.
Elle débute à 11 semaines de
gestation.
Cependant, l’acquisition d’un répertoire complet ne
semble pas entièrement acquis à la naissance, comme le suggère,
par exemple, la médiocre production d’anticorps antitoxoplasme
retrouvée chez certains nouveau-nés infectés précocement in
utero.
Enfin, les lymphocytes B, dans la première année de vie, ont une
réponse vis-à-vis des antigènes polysaccharidiques très diminuée,
sans que ce défaut soit à l’heure actuelle compris.
À la naissance, le taux d’Ig synthétisées par l’enfant est très faible ;
la production augmente progressivement pour atteindre les taux de
l’adulte après la quatrième année.
La faible production d’Ig à la
naissance est compensée par le passage actif transplacentaire des
IgG maternelles, à partir du troisième trimestre.
Cette compensation
de fin de grossesse est donc inexistante chez le grand prématuré,
particulièrement exposé aux infections bactériennes.
Les IgG
maternelles disparaissent progressivement au cours des premiers
mois de vie, rendant compte de l’hypogammaglobulinémie
transitoire du nourrisson, vers l’âge de 6 mois.
Conclusion
:
Le système immunitaire inné et spécifique se met en place très
précocement au cours du développement foetal.
Cependant, sa complète
maturité n’est obtenue que plusieurs mois après la naissance.
Trois
anomalies principales, majorées en cas de prématurité ou de stress, sont
à retenir : le défaut de chimiotactisme et de migration vers les sites
infectieux des polynucléaires, le défaut des différents composés du
complément et le caractère naïf des lymphocytes T et B capables d’une
réponse uniquement de type primaire.
Ce relatif déficit immunitaire de
la période périnatale est responsable de la susceptibilité particulière du
nouveau-né aux pyogènes (streptocoque B, Escherichia coli), aux
pathogènes intracellulaires (Listeria, Salmonella) et aux virus (herpès
simplex virus, cytomégalovirus et entérovirus).
Des essais
thérapeutiques ont été tentés, en particulier chez le prématuré :
administration d’Ig par voie intraveineuse ou injection d’IFNc, mais
leur efficacité n’a pas été démontrée.