L’hydratation du stroma cornéen (H) représente le rapport entre le poids
d’eau du stroma et le poids sec du stroma (en mg d’eau par mg de poids sec).
Elle est linéairement liée à l’épaisseur cornéenne (e, en mm) selon la formule
H = 8e - 0,7.
Sa valeur normale est de 3,04 mg H2O/mg de poids sec dans le
stroma antérieur et 3,85 mg H2O/mg de poids sec dans le stroma postérieur.
À l’état normal, la cornée contient 78 % d’eau et a une épaisseur de
0,52 mm.
La pression de gonflement du stroma cornéen (PG) correspond à la force
nécessaire in vitro (cornée isolée) pour éviter un gonflement du stroma.
Elle
est due aux charges négatives des protéoglycanes qui entourent les fibrilles de
collagène.
Celles-ci tendent à éloigner les molécules les unes des autres et
donc à augmenter l’épaisseur cornéenne et l’hydratation du stroma.
Cette
pression de gonflement est de l’ordre de 55 mmHg.
Elle diminue
exponentiellement lorsque l’hydratation cornéenne augmente.
La pression d’imbibition du stroma (PI) est égale à la pression négative qu’il
faut maintenir dans des microcanules remplies de sérum salé et implantées
dans le stroma cornéen in vivo pour éviter tout mouvement liquidien dans les
canules.
Ceci montre que le stroma est maintenu in vivo dans un état de
déshydratation relative.
En valeur absolue, la PI augmente avec la PG, qui
tend à créer une rétention d’eau au niveau du stroma, et diminue avec la
pression intraoculaire (PIO), qui tend à créer une sortie d’eau hors du stroma, selon la formule : PI = PIO-PG.
Pour une PIO égale à 15 mmHg et une PG
égale à 55 mmHg, la PI est égale à -40 mmHg.
Quand la PIO dépasse la PG,
la PI devient positive (ce qui signifie un flux liquidien hors du stroma) et un
oedème sous-épithélial apparaît.
Cette situation est réalisée pour des valeurs
élevées de la PIO (glaucome aigu) ou pour des valeurs basses de la PG
(oedème cornéen).
L’endothélium et l’épithélium permettent de réguler l’hydratation du stroma
et de lutter contre l’oedème stromal (fonction de déshydratation ou de
déturgescence).
Après désépithélialisation, on obtient une augmentation
d’épaisseur de la cornée qui ne dépasse pas le double de l’épaisseur normale,
l’oedème siège dans le stroma antérieur.
En revanche, après destruction de
l’endothélium et de la Descemet, l’oedème cornéen est beaucoup plus
important et l’épaisseur cornéenne est multipliée par trois en 4 heures puis
peut atteindre cinq fois l’épaisseur normale.
La décompensation survient en
dessous de 300 à 500 cellules/mm2.
2- Fonctions de l’endothélium
:
* Fonction de barrière endothéliale
:
Elle est assurée par les jonctions intercellulaires des parois latérales des
cellules endothéliales : tight junctions, ou jonctions étanches, présentes à la
partie apicale des parois latérales et gap junctions ou jonctions
communicantes.
Ces jonctions sont perméables à l’eau et aux petites
molécules.
La barrière endothéliale s’oppose au flux liquidien de la chambre
antérieure vers le stroma cornéen en empêchant la diffusion des grosses
molécules.
Cette fonction de barrière est altérée par l’absence de calcium,
l’exposition à la diamide et les variations de pH en dehors de l’intervalle 6,8-
8,2.
La perfusion de l’endothélium de lapin avec un milieu sans calcium
désintègre les complexes de jonction et provoque un oedème stromal ; la
diamide oxyde le glutathion intracellulaire.
Elle peut être appréciée in vivo
en étudiant la perméabilité de l’endothélium à la fluorescéine par fluorophotométrie.
Le diabète a des conséquences sur l’hydratation du stroma cornéen.
Ainsi,
l’augmentation d’épaisseur de la cornée et la fonction de barrière endothéliale
après stress hypoxique sont diminuées chez le diabétique, alors que les
capacités de récupération de l’oedème hypoxique ne sont pas altérées.
* Fonction de pompe endothéliale
:
Elle est essentielle au maintien d’un niveau relativement bas d’hydratation stromale compatible avec la transparence cornéenne.
Cette fonction de pompe est un mécanisme actif nécessitant de l’énergie.
Le transport d’eau à travers
l’endothélium cornéen se fait en fonction du gradient d’ions bicarbonates et
sodium entre le stroma et la chambre antérieure.
Pour entraîner une
déshydratation (déturgescence) du stroma, la cellule endothéliale augmente
la concentration des ions bicarbonates et sodium dans l’humeur aqueuse.
L’anhydrase carbonique des cellules endothéliales permet une libération
d’ions bicarbonates dans la chambre antérieure en catalysant la production de
ces ions à partir de dioxyde de carbone et d’eau.
L’ATPase Na+/K+ présente
sur la membrane latérale des cellules endothéliales a un rôle essentiel.
Elle
transporte le sodium hors de la cellule vers la chambre antérieure et le
potassium à l’intérieur de la cellule (trois Na+ contre deux K+).
L’augmentation de la concentration du sodium libre dans l’humeur aqueuse
(143 mEq/L dans l’humeur aqueuse versus 134 mEq/L dans le stroma) crée
un flux d’eau, via les espaces intercellulaires, du stroma vers la chambre
antérieure.
Le nombre de sites d’ATPase est d’environ 3x106/cellule et
modulable.
Le fonctionnement de la pompe endothéliale nécessite la présence
de glucose, d’oxygène et de certains ions (bicarbonates).
Il est inhibé de
manière réversible par le froid et chimiquement par l’iodoacétate (inhibiteur
de la glycolyse), le cyanite, l’ouabaïne, les inhibiteurs de l’anhydrase
carbonique.
La fonction de pompe endothéliale peut être appréciée en étudiant la
récupération de l’oedème induit par stress hypoxique de la cornée (lentille
dure à faible perméabilité à l’oxygène).
L’augmentation d’épaisseur
cornéenne sous lentille de contact survient après 30 minutes de port et est
maximale vers 3 heures.
Elle est de l’ordre de 10 à 15 % en cas de port
nocturne de lentilles souples hydrophiles, plus faible pour les lentilles rigides
perméables aux gaz.
La capacité de déturgescence après stress hypoxique
diminue avec l’ancienneté du port des lentilles.
Il faut remarquer que les réserves cellulaires endothéliales sont très
importantes.
Ainsi, un modèle théorique basé sur le taux de perte cellulaire
endothéliale annuel permet de prévoir une longévité de l’endothélium (temps
au bout duquel surviendrait la décompensation) de 200 ans pour une perte de
0,5 %par an (taux physiologique chez l’adulte), de 100 ans pour une perte de
1,0 % par an, de 50 ans pour une perte de 2,0 % par an et de 33 ans pour une
perte de 3,0 % par an.
* Cicatrisation
:
Les mécanismes de cicatrisation de l’endothélium cornéen sont particuliers.
L’endothélium humain est quasiment incapable de se multiplier par mitose.
Ainsi, après destruction de cellules endothéliales, le recouvrement
indispensable de la membrane de Descemet ne peut se faire que par extension
des cellules voisines.
Les cellules lésées desquament dans la chambre
antérieure.
Les cellules voisines intactes émettent des pseudopodes (dès la
30e minute chez le lapin), rompent leurs jonctions intercellulaires (vers la 60e
heure chez le lapin) et migrent vers la zone pathologique (vitesse de
migration : 0,5 à 1 mm par jour).
Les mouvements cellulaires sont facilités
par la polymérisation de l’actine f cytoplasmique.
La morphologie cellulaire
est modifiée avec un allongement des cellules et une perte de leur forme
hexagonale.
Lorsque les cellules se rencontrent au niveau de la zone
dépourvue d’endothélium, l’inhibition de contact induit un arrêt de leur
migration.
Les jonctions intercellulaires se reforment et la barrière
endothéliale se reconstitue.
La récupération de la fonction de pompe est plus
longue et demande plusieurs jours à plusieurs mois suivant l’importance du
traumatisme initial.
Les cellules recouvrent leur morphologie hexagonale en
2 à 3 mois.
Après un stress, les cellules endothéliales peuvent subir une métaplasie
fibroblastique qui a pour conséquences la perte de la fonction de pompe et la
production de collagène essentiellement de type IV.
En cas de rupture de la
membrane de Descemet, les cellules endothéliales sécrètent une nouvelle
membrane basale sans résorber la membrane de Descemet lésée.
Elle peuvent
subir une métaplasie fibroblastique transitoire pendant cette phase de
réparation, puis reprendre secondairement une morphologie endothéliale.
3- Fonctions de l’épithélium :
La fonction de barrière épithéliale est assurée par les jonctions étanches entre
les cellules épithéliales et la présence de glycocalix à la surface des cellules
superficielles.
Elle s’oppose au flux liquidien des larmes vers le stroma
cornéen.
Un transport actif de sodium vers le stroma (ATPase Na+/K+ inhibée par
l’ouabaïne, potentialisée par l’amphotéricineBou l’argent) est possible, mais
le flux net de sodium se fait vers les larmes.
Le transport actif de chlore vers
les larmes est régulé par des récepteurs bêta-adrénergiques (adénilate-cyclase,
acide monophosphorique cylique second messager) stimulés par l’adrénaline
et la théophylline.
La densité en récepteurs est diminuée après administration
locale d’adrénaline et augmentée après section du ganglion sympathique
cervical supérieur.
Le flux net de sodium et de chlore à travers l’épithélium
vers les larmes contribue à la fonction de déturgescence du stroma.
4- Évaporation à la surface cornéenne :
Elle joue un rôle relatif dans la fonction de déturgescence du stroma.
L’épaisseur cornéenne est plus basse de 5 % le jour que la nuit.
Le port de
lentilles de contact augmente l’évaporation du film lacrymal, induit un
larmoiement réflexe, diminue le clignement palpébral, modifie l’osmolarité
des larmes et entraîne une stagnation des larmes derrière la lentille.
B - Étiologie de l’oedème cornéen
:
L’oedème cornéen peut résulter d’une altération de la fonction de pompe
endothéliale, d’une atteinte de la barrière endothéliale, d’une augmentation
de la pression d’imbibition du stroma ou d’une atteinte de la barrière
épithéliale.
Ainsi, le primum movens de l’oedème cornéen peut intéresser
l’endothélium, le stroma ou l’épithélium.
Les atteintes fonctionnelles peuvent
être secondaires à des processus intrinsèques (pathologies génétiques ou liées
à l’âge) ou extrinsèques.
L’oedème cornéen entraîne une augmentation de l’épaisseur cornéenne, une
diminution de la transparence cornéenne par augmentation du diamètre des
fibrilles de collagène du stroma et modification de leur agencement spatial, et
une irrégularité de la surface cornéenne.
Tous ces effets retentissent sur la
vision.
Si une augmentation de l’épaisseur cornéenne allant jusqu’à 70 % de
l’épaisseur normale peut permettre le maintien d’une acuité visuelle correcte,
l’apparition de l’oedème épithélial entraîne une baisse de la vision profonde.
Symptomatologie
:
A - Signes de l’oedème cornéen débutant
:
Les signes fonctionnels comportent la sensation de brouillard prédominant le
matin et s’estompant dans la journée et la perception de halos colorés autour
des sources lumineuses.
Au kératomètre de Javal, les mires sont irrégulières.
À la lampe à fente, la surface épithéliale est irrégulière en lumière bleue après
instillation de fluorescéine, la lueur pupillaire est inhomogène en rétroillumination
(pupille dilatée).
La pachymétrie ultrasonore ou optique
objective une augmentation de l’épaisseur cornéenne centrale (> 0,55 mm).
B - Signes de l’oedème cornéen constitué
:
Les signes fonctionnels comportent la baisse d’acuité visuelle, les douleurs,
la photophobie et le larmoiement lors de la rupture de bulles épithéliales.
La
gêne visuelle est d’abord maximale le matin avec une amélioration au cours
de la journée, puis permanente.
La symptomatologie douloureuse peut
devenir très sévère lors de la formation des bulles sous-épithéliales et peut
entraîner un blépharospasme.
Elle diminue lorsque se forme une fibrose sous-épithéliale.
À la lampe à fente, on observe une irrégularité marquée de la surface
épithéliale et un épaississement de l’épithélium, des bulles sous-épithéliales
(oedème épithélial), un épaississement du stroma qui devient opalescent, des
plis et une irrégularité de la membrane de Descemet sources d’astigmatisme
postérieur.
La pachymétrie objective une augmentation importante de
l’épaisseur cornéenne centrale.
L’oedème cornéen est sensible aux variations
de la PIO et augmente avec celle-ci.
On regroupe sous le terme de kératopathie bulleuse tout oedème cornéen s’accompagnant de la formation
de bulles sous-épithéliales, quelle qu’en soit la cause.
À un stade très évolué,
se forme une fibrose sous-épithéliale visible en fente et entraînant souvent une
diminution relative de l’épaisseur cornéenne.
Par la suite, une néovascularisation cornéenne peut se former.
Lorsque l’oedème cornéen devient important, la visualisation des autres
structures de l’oeil devient difficile et il est souvent délicat d’apprécier la part
respective de la cornée, du cristallin, de la macula et du nerf optique dans la
baisse de la vision.
Il est alors utile de s’aider du test de Maddox ou deWatzke,
de l’échographie en mode B, du champ visuel au périmètre de Goldmann,
voire de tests électrophysiologiques ou de tests de la fonction maculaire pour
rechercher une cause extracornéenne de mauvaise vision.
Étiologie
:
A - Causes endothéliales
:
L’évaluation morphologique fine de l’endothélium fait appel à la lampe à
fente avec un grossissement de x 40 et une fente de 30 à 45° permettant de se
mettre en condition de réflexion spéculaire sur la membrane de Descemet, à
l’utilisation du verre d’Eisner et à la microscopie spéculaire.
L’observation
de l’endothélium nécessite une cornée relativement claire.
Elle devient donc
difficile lorsque l’oedème cornéen est à un stade avancé.
1- Causes traumatiques :
* Kératopathie bulleuse de l’aphake et du pseudophake
:
+ Épidémiologie
Bien que le pourcentage d’opérations de la cataracte qui se compliquent d’un
oedème cornéen soit faible, le grand nombre d’opérations réalisées chaque
année dans les pays industrialisés rend compte de la fréquence de la kératopathie bulleuse de l’aphake et du pseudophake qui représente la
première indication de la greffe de cornée dans le cadre des oedèmes cornéens.
La constitution de l’oedème pouvant être très retardée par rapport à la
chirurgie, le taux d’oedèmes cornéens postopératoires augmente avec le recul
par rapport à l’intervention.
Il a augmenté avec le temps pour atteindre un
maximum à la fin des années 1980.
Il a considérablement diminué avec les
progrès de la chirurgie de la cataracte.
Il était proche de 50 % avec les
premiers implants de chambre antérieure puis inférieur à 10 % avec les
modèles suivants, de 4 à 9%avec les implants clippés à l’iris, de 1 % en cas
d’extraction intracapsulaire sans implantation ni issue de vitré.
Parmi les
implants de chambre antérieure, les implants à anses fermées sont ceux qui
ont donné le plus d’oedèmes cornéens.
Une étude récente rapporte un taux
d’oedèmes cornéens de 14 % après un suivi moyen de 10 ans après
implantation en chambre antérieure.
L’extraction extracapsulaire associée à
une implantation en chambre postérieure a entraîné une diminution du taux à
0,1-0,3 %.
Il est proche de 0,1 % en cas de phacoémulsification avec
implantation dans le sac capsulaire.
+ Clinique
:
L’oedème cornéen peut être immédiat après l’intervention ou peut
apparaître après un intervalle libre.
Celui-ci est très variable et peut atteindre
plusieurs années et même plusieurs décennies.
Il est en moyenne de 5 ans pour
les implants de chambre antérieure.
Les signes fonctionnels sont ceux
présents dans tout oedème cornéen sans particularité liée à l’étiologie.
L’oedème est souvent localisé à la partie supérieure et en périphérie de la
cornée au début.
Il intéresse progressivement la totalité de la périphérie
cornéenne puis la cornée centrale.
Il se manifeste au début par une irrégularité
de la face postérieure de la cornée donnant souvent un aspect en argent battu
de la membrane de Descemet.
À un stade peu avancé, l’examen de la
mosaïque endothéliale en réflexion spéculaire au grossissement × 40 montre
une visibilité anormalement bonne des cellules endothéliales liée à
l’augmentation de leur taille.
Les précipités rétrocornéens pigmentés sont
fréquents, probablement liés aux dégâts iriens chroniques.
L’épaisseur
cornéenne augmente progressivement avec formation de plis de la membrane
de Descemet.
L’évolution se fait vers l’apparition des bulles sous-épithéliales avec une symptomatologie douloureuse souvent sévère, puis vers la
constitution d’une fibrose sous-épithéliale.
En microscopie spéculaire, lorsque l’endothélium est encore visible, on
retrouve une diminution importante de la densité endothéliale avec un
polymorphisme sévère, une dispersion pigmentaire et un oedème cellulaire,
puis une disparition de l’endothélium.
Cet examen peut permettre de
découvrir une dystrophie endothéliodescemétique associée.
Une forme particulière, le syndrome de Brown-McLean, associe un oedème
cornéen périphérique débutant en inférieur à des dépôts rétrocornéens brun
orangé de pigments.
L’oedème est très tardif par rapport à la chirurgie et la
cornée centrale reste en générale claire.
Il est sensible aux corticoïdes locaux.
La kératopathie bulleuse peut se compliquer d’ulcères de cornée d’origine
infectieuse dans environ 5 % des cas.
Le germe le plus fréquent est le
streptocoque.
Cette complication est favorisée par l’utilisation de corticoïdes
locaux, de lentilles pansements, par la formation de bulles et par la durée
d’évolution de la pathologie.
+ Facteurs préopératoires
:
Les causes préopératoires des kératopathies bulleuses de l’aphake et du
pseudophake correspondent aux pathologies préexistantes de l’endothélium
cornéen.
Il s’agit essentiellement d’endothéliums primitivement pauvres
(densité endothéliale faible) ou présentant un polymorphisme anormalement
important (coefficient de variation de la surface cellulaire endothéliale élevé,
diminution du pourcentage de cellules hexagonales), ou de patients ayant une cornea guttata ou une dystrophie de Fuchs.
La perte cellulaire endothéliale
postopératoire est grossièrement proportionnelle au pléomorphisme
endothélial préopératoire.
Les dystrophies endothéliodescemétiques sont
beaucoup plus fréquentes chez les patients ayant une kératopathie bulleuse
sur implant de chambre postérieure (plus de 50 %) que chez ceux ayant une
kératopathie bulleuse sur implant de chambre antérieure (environ 10 %).
+ Facteurs peropératoires
:
Les causes peropératoires comportent :
– la taille de l’incision (plus celle-ci est grande, plus la perte endothéliale est
importante) et son site (les incisions supérieures sont plus nocives que les
incisions temporales, les cornéennes plus nocives que les sclérales) ;
– les déformations de la cornée (aplatissement de la chambre antérieure) ;
– le contact de l’implant ou d’un instrument avec l’endothélium : les
implants enPMMAou en silicone peuvent adhérer aux cellules endothéliales
et les détacher de l’endothélium lors de leur introduction dans l’oeil ;
– l’issue de vitré avec contact du vitré avec l’endothélium, le contact de l’iris,
du noyau du cristallin ou de fragments de celui-ci avec l’endothélium ;
– l’irrigation de la chambre antérieure avec une solution inadaptée : le sérum
physiologique est plus toxique pour l’endothélium que le Ringer lactate qui
est lui-même plus toxique que le BSSt, lui-même plus toxique que le BSSt
Plus ;
– l’injection de drogues dans la chambre antérieure : conservateurs contenus
dans les solutions d’adrénaline, acétylcholine 1 %, mitomycine ;
– l’injection d’air dans la chambre antérieure ou la formation de bulles d’air
au cours de la phacoémulsification ;
– les ultrasons à proximité de l’endothélium ;
– les décollements traumatiques peropératoires de la membrane de
Descemet ;
– les brûlures cornéennes dues à l’augmentation de température de la sonde
de phacoémulsification ;
– la formation de radicaux libres secondaire aux oscillations de la sonde de phacoémulsification ;
– les saignements en chambre antérieure.
L’utilisation de substances viscoélastiques pendant la chirurgie de la cataracte
a un effet protecteur démontré vis-à-vis de la perte endothéliale.
L’effet
protecteur du hyaluronate de sodium est moins important que celui de la
chondroïtine sulfate associée au hyaluronate de sodium, essentiellement en
cas de chirurgie compliquée.
Les substances viscoélastiques de haute
viscosité ont un meilleur pouvoir protecteur.
L’effet protecteur du méthylcellulose est inférieur à celui du hyaluronate de sodium.
+ Facteurs postopératoires
:
Les causes postopératoires comportent le contact intermittent de l’haptique
ou de l’optique (en cas d’athalamie) d’un implant de chambre antérieure avec
l’endothélium qui est favorisée par le déplacement de l’implant (luxation
d’une haptique dans le vitré à travers une iridectomie périphérique,
implant de diamètre insuffisant) ou sa dislocation, les implants pupillaires
(sources d’uvéite chronique avec oedème maculaire cystoïde, hypertonie et
oedème cornéen), les implants à anses fermées, le contact du vitré avec
l’endothélium (aphakie avec rupture de la hyaloïde antérieure), le port d’une
lentille d’aphake (l’oedème étant définitif ou réversible après arrêt du port de
la lentille), les synéchies antérieures périphériques, les uvéites chroniques, le
glaucome secondaire, l’endophtalmie, voire l’invasion épithéliale de la
chambre antérieure.
La perte cellulaire endothéliale moyenne après chirurgie de la cataracte,
mesurée en microscopie spéculaire, se fait en plusieurs phases.
La perte la
plus importante a lieu au cours des 3 premiers mois.
Elle est due aux lésions
mécaniques et toxiques peropératoires de l’endothélium.
Celles-ci entraînent
une mort cellulaire localisée au niveau du site lésionnel (contact avec
l’implant, etc) avec desquamation des cellules mortes dans la chambre
antérieure.
La perte cellulaire varie suivant la technique chirurgicale.
La
chirurgie de la cataracte entraîne un polymorphisme endothélial : anisocytose
objectivée par l’augmentation du coefficient de variation de la surface
cellulaire endothéliale et pléomorphisme objectivé par la diminution du
pourcentage de cellules hexagonales.
Ces phénomènes correspondent à la
cicatrisation de l’endothélium.
La régularité de la mosaïque cellulaire
endothéliale est restaurée au troisième mois en cas de chirurgie de la cataracte
non compliquée.
Après phacoémulsification avec implantation dans le sac
capsulaire, le taux de perte cellulaire endothéliale a été évalué à 9 % à 1 an et
12 %à 3 ans.
Le taux de perte endothéliale annuelle demeure par la suite plus
important que le taux annuel de perte endothéliale d’un oeil phake, mais
relativement faible et la morphologie cellulaire endothéliale reste normale.
Si
au contraire il persiste une cause postopératoire d’atteinte endothéliale
(inflammation chronique, implant de chambre antérieure à anses fermées,
implant à support irien, implant de chambre antérieure mobile, sources de
rupture chronique de la barrière hématoaqueuse), le taux de perte cellulaire
est anormalement élevé.
Les dégâts endothéliaux peuvent être localisés (par
exemple au niveau d’une zone de contact intermittent avec l’haptique d’un
implant de chambre antérieure mobile) ou diffus.
Dans les deux cas, il existe
un processus cicatriciel chronique avec un polymorphisme endothélial
chronique.
L’évolution aboutit progressivement à l’oedème cornéen lorsque
la densité endothéliale est trop basse pour que les fonctions de barrière et de
pompe endothéliales soient maintenues.
+ Histologie
:
Il existe une disparition complète de l’endothélium ou une perte cellulaire
endothéliale importante, un épaississement de la membrane de Descemet, un
oedème stromal, une diminution de la densité kératocytaire parallèle à
l’importance de l’oedème stromal, une fibrose sous-épithéliale, voire une
membrane fibreuse rétrocornéenne.
Des cellules inflammatoires et des
macrophages peuvent être présents dans le stroma postérieur et à la face
postérieure de la cornée, mais aussi sur l’implant ou dans les zones de fibrose
angulaire ou au niveau du corps ciliaire (zones de contact avec les haptiques).
Les haptiques des implants de chambre antérieure peuvent être entourées d’un
granulome à corps étranger.
L’activité cytochrome oxydase de l’endothélium
est très faible.
+ Microscopie électronique à transmission
:
L’ultrastructure de la membrane de Descemet est altérée.
La couche foetale
de la Descemet (ABZ ou anterior banded zone), qui est sécrétée par
l’endothélium entre le 4e mois et la fin de la grossesse, est normale (périodicité
100-110 nm, épaisseur 3 ím).
La membrane de Descemet postérieure (PNBZ
ou posterior non banded zone) a une épaisseur correspondant habituellement
à l’âge de survenue de l’atteinte endothéliale (son épaisseur normale est de
3 ímà 20 ans et 10 ímà 80 ans).
Elle est recouverte en arrière par une couche
postérieure de collagène fibrillaire moins dense, composée de fibrilles de
collagène de 20 nm de diamètre et d’un matériel amorphe.
Son
épaisseur varie de 0,5 à 8,5 ím. Dans certains cas, une couche postérieure de collagène périodique (périodicité 100-110 nm) est retrouvée entre la couche
fibrillaire et la PNBZ.
Il faut alors discuter une dystrophie endothéliodescemétique associée à la kératopathie bulleuse et ayant favorisé
sa survenue.
Les cellules endothéliales ont une épaisseur diminuée.
Quand
elle est présente, la fibrose sous-épithéliale peut dissocier la membrane basale
épithéliale et la membrane de Bowman.
Des fibrilles de collagène à longue
périodicité (110 nm) peuvent être présentes dans le stroma.
En microscopie électronique à balayage, il existe une perte cellulaire
importante avec des cellules de grande taille, voire une absence complète de
cellules endothéliales.
Ljubimov a étudié les modifications de la matrice extracellulaire dans les
kératopathies bulleuses de l’aphake et du pseudophake et dans les échecs de
greffe pour kératopathie bulleuse.
La fibrose acellulaire entre l’épithélium et
la membrane de Bowman est composée principalement de fibronectine, de
ténascine, de perlecan, de décorine et de collagènes I, III, IV, V, VIII, XII et
XIV, mais aussi de laminine 1, de laminine 5, d’entactine/nidogène et de
bamacan (basement membrane chondroitin sulfate proteoglycan).
La fibrose
cellulaire sous-épithéliale comporte des cellules exprimant la vimentine et
l’alpha-actine du muscle lisse (myofibroblastes), mais pas les cytokératines,
dans une matrice extracellulaire de même composition que la fibrose
acellulaire.
La couche fibreuse postérieure rétrodescemétique est composée
de collagènes I, III, IV, V, VI, VIII, XII et XIV, de ténascine, de fibronectine,
de décorine, de bamacan, de perlecan, de laminine et d’entactine/nidogène.
La quantité de collagène VIII retrouvé dans la membrane de Descemet (avec
la couche fibreuse postérieure) est augmentée par rapport à la cornée
normale. Dans le stroma, des dépôts de ténascine peuvent se former.
Leur
présence dans le stroma moyen est corrélée à la profondeur de la baisse de
vision.
Ils sont constamment retrouvés en cas d’échec de kératoplastie.
L’expression de la ténascine C, facteur modulateur de la migration et de
l’adhésion cellulaire, est augmentée au cours de la kératopathie bulleuse avec
une expression anormale de certaines isoformes spécifiques.
Ceci pourrait
jouer un rôle aggravant de la pathologie bulleuse.
Des dépôts de fibrilline-1
sont également retrouvés dans la couche postérieure fibrillaire, dans la
membrane basale épithéliale et dans la fibrose sous-épithéliale.
Une
accumulation de résidus bêta-galactose et B-D-galactose (1-3)-D-Nacétylgalactosamine
a été mise en évidence dans la membrane de
Descemet.
L’acide ribonucléique messager de l’interleukine-1á et de l’interleukine-8 est
présent dans les cornées présentant une kératopathie bulleuse, ce qui reflète
le rôle de l’inflammation dans cette pathologie.
* Autres oedèmes cornéens d’origine chirurgicale
:
Une kératopathie bulleuse peut compliquer d’autres interventions
chirurgicales intraoculaires : vitrectomie, notamment associée à un
tamponnement par une huile de silicone ; chirurgie du décollement de rétine ;
chirurgie réfractive de la myopie utilisant des implants de chambre antérieure
ou précristalliniens ; chirurgie filtrante (rôle de l’athalamie) ; greffe de
cornée ; iridotomie au laser argon (surtout sur une cornée ayant une
dystrophie endothéliodescemétique préexistante).
La fréquence de
l’oedème cornéen après vitrectomie est proche de 3 %.
* Traumatismes et brûlures
:
Les ruptures traumatiques de l’endothélio-Descemet peuvent être dues aux
forceps (avec des lignes de rupture de la membrane de Descemet à la lampe à
fente et des lignes de vergetures de la membrane de Descemet en microscopie
électronique à balayage visibles sous forme de guttata secondaire en
microscopie spéculaire), à une contusion appuyée ou à un hydrops
compliquant l’évolution d’un kératocône ou parfois d’une dégénérescence
pellucide marginale.
Les lésions dues aux forceps peuvent entraîner un
oedème cornéen chez le nouveau-né, habituellement résolutif après quelques
semaines ou quelques mois, laissant comme séquelles des plis parallèles de la
membrane de Descemet, typiquement verticaux.
Les bords de la membrane
de Descemet sont enroulés en histologie.
Une transformation épithélioïde des
cellules endothéliales a été rapportée.
L’oedème est dû à une atteinte de la
barrière endothéliale.
Le processus de cicatrisation après rupture de
l’endothélio-Descemet s’accompagne habituellement d’une résorption de
l’oedème.
Néanmoins, l’oedème peut être définitif ou peut se reconstituer par
la suite.
Les contusions oculaires et plaies du globe peuvent entraîner un oedème
cornéen.
Les lésions dues aux air bags comportent un oedème cornéen avec
des plis descemétiques marqués.
L’oedème peut s’accompagner d’un recul
de l’angle et d’un hyphéma.
Le mécanisme lésionnel dans les plaies du globe
peut être direct (lésions mécaniques endothéliales) ou indirect par
l’intermédiaire de l’inflammation, d’un glaucome secondaire, d’un hyphéma
ou de synéchies antérieures.
Les corps étrangers de l’angle sont sources d’oedème cornéen chronique
progressif, débutant souvent à la partie inférieure de la cornée.
Les brûlures caustiques de la cornée, notamment par une base, peuvent
entraîner un oedème cornéen par nécrose cellulaire endothéliale toxique.
D’autres processus physiopathologiques plus rares ont été rapportés,
notamment l’oedème de cornée induit par l’hypoxie en haute altitude,
l’oedème induit par le froid chez des patients ayant des lésions du trijumeau
ou par l’abus d’anesthésique de contact.
* Atteintes endothéliales toxiques
:
Un grand nombre de drogues, ainsi que leur véhicule et leurs conservateurs,
peuvent être toxiques pour l’endothélium.
Elles sont beaucoup plus toxiques
lorsqu’elles sont injectées dans la chambre antérieure qu’en utilisation
externe topique, car la concentration du produit à laquelle l’endothélium est
exposé est beaucoup plus importante.
Compte tenu des capacités
physiologiques d’excrétion de l’humeur aqueuse, il faut environ 4 heures pour
éliminer une drogue laissée dans la chambre antérieure en fin de chirurgie.
L’endothélium peut également être lésé par des variations du pH (< 6,8 ou
> 8,2) ou de l’osmolarité (< 200 mOsm/L ou > 400 mOsm/L) des solutions
d’irrigation ou de l’humeur aqueuse.
Ces lésions toxiques participent à la
genèse des kératopathies bulleuses postchirurgicales.
Globalement, les solutions d’irrigation de la chambre antérieure sont d’autant
moins toxiques pour l’endothélium que leur composition se rapproche de
celle de l’humeur aqueuse.
Expérimentalement, plus la composition de ces solutions s’éloigne de celle de l’humeur aqueuse et plus
les lésions cellulaires induites sont importantes.
Il s’agit d’une ouverture des
complexes jonctionnels et de lésions des mitochondries expliquant
l’augmentation de l’épaisseur cornéenne.
Ces solutions peuvent également,
de manière accidentelle, être contaminées par des champignons ou des
bactéries avec là aussi un pouvoir pathogène pour l’endothélium cornéen.
Des oedèmes cornéens ont été rapportés après utilisation peropératoire de
collyres à l’adrénaline pour maintenir la mydriase en cours de vitrectomie.
La
toxicité endothéliale était due au chlorure de benzalkonium et au véhicule.
L’utilisation d’adrénaline en solution à 1/1 000 (solution injectable utilisée
pure) directement dans la chambre antérieure peut également entraîner un
oedème de cornée.
Si l’on dilue cette solution au millième dans la solution
d’irrigation, le produit n’est plus toxique.
L’injection intracamérulaire de pilocarpine est toxique pour l’endothélium et
peut entraîner un oedème cornéen.
Les drogues injectables destinées à une utilisation autre qu’intraoculaire
contiennent souvent des conservateurs ou d’autres produits toxiques pour
l’endothélium, notamment le bisulfite de sodium, le chlorure de benzalkonium, la chlorhexidine, le thiomersal et le cétylpyridinium.
Le
chlorure de benzalkonium est toxique à très faible concentration (0,0001 %).
Les conservateurs créent expérimentalement un oedème cellulaire endothélial
suivi d’une nécrose cellulaire.
Il est donc impératif de n’utiliser en
intraoculaire que des drogues sans conservateur.
La stérilisation de tubulures d’irrigation par l’oxyde d’éthylène peut entraîner
un relargage de produits toxiques issus du plastique et être à l’origine d’un
oedème cornéen postopératoire.
2- Causes dystrophiques
:
Les dystrophies endothéliodescemétiques se caractérisent par la production
d’un matériel collagénique à la face postérieure de la membrane de Descemet
visible à la lampe à fente sous forme de gouttes, d’irrégularités ou d’un aspect
en « argent battu » de la membrane de Descemet, par l’interruption de la
mosaïque cellulaire endothéliale en réflexion spéculaire et par un oedème
cornéen localisé ou diffus.
La dystrophie de loin la plus fréquente est la
dystrophie de Fuchs.
* Dystrophie de Fuchs
:
La dystrophie de Fuchs se caractérise par la formation de vergetures de la
membrane de Descemet (gouttes) et évolue vers l’oedème cornéen.
+ Épidémiologie
:
Il s’agit d’une pathologie ubiquitaire.
La prévalence des gouttes en
microscopie spéculaire est élevée et va, suivant les études, de 5 à 70%.
Elle augmente avec l’âge.
Ainsi, Lorenzetti et al retrouvent, dans une étude
incluant plus de 2 000 patients, une prévalence de 31,5 %entre 10 et 39 ans et
70,4 % au-delà de 40 ans.
Dans cette étude, la prévalence des gouttes
confluentes est de 0,18 % entre 10 et 39 ans et 3,9 % au-delà de 40 ans.
La
plupart des cornea guttata sont non évolutives.
La dystrophie de Fuchs est
une pathologie héréditaire à transmission autosomique dominante ayant un
haut degré de pénétrance et une expressivité variable.
Après l’examen de
228 membres de la famille de patients ayant des gouttes confluentes, Krachmer et al ont retrouvé une prévalence des gouttes de 38 % chez les
sujets de plus de 40 ans.
La transmission héréditaire de la dystrophie sur un
mode dominant a été rapportée par plusieurs auteurs dans la première moitié
du XXe siècle.
Magovern et al ont décrit la transmission de la dystrophie
dans une famille comportant quatre générations : 16 sujets sont atteints et 16
indemnes, ce qui correspond à une transmission dominante avec une
pénétrance de 100 %.
Le sex-ratio est de 1, en faveur du caractère
autosomique de la maladie.
Néanmoins, la dystrophie de Fuchs a une
prédominance féminine pour de nombreux auteurs qui peut aller jusqu’à
quatre femmes pour un homme.
Généralement, le degré de sévérité de la
maladie est plus important chez les femmes que chez les hommes.
La raison
de la prédominance féminine n’est pas encore élucidée.
Il est possible qu’il
s’agisse d’une pathologie polygénique ou bien que des facteurs
environnementaux ou hormonaux interviennent.
Le gène responsable de la
dystrophie de Fuchs n’est pas encore connu ni localisé.
Des anomalies du
caryotype des kératocytes ont été mises en évidence récemment.
+ Aspects cliniques
:
La dystrophie de Fuchs se présente souvent comme une pathologie
sporadique à prédominance féminine, aucun autre cas de dystrophie n’étant
connu dans la famille du patient.
Il faut noter que ce fait n’exclut pas une
maladie héréditaire car l’expressivité est variable.
Dans une série personnelle
de 50 patients greffés pour une dystrophie de Fuchs confirmée en histologie
et en microscopie électronique, le sex-ratio est de trois femmes pour un
homme.
Devant un oedème cornéen, l’anamnèse et l’évolution des lésions cornéennes
sont des éléments clés pour porter le diagnostic de dystrophie de Fuchs.
Elle
évolue lentement sur environ 10 à 20 ans.
Elle est bilatérale et asymétrique.
Parfois le caractère asymétrique de la pathologie est très marqué, en imposant
pour une affection unilatérale.
Globalement, elle évolue en passant par des
stades de cornea guttata, puis d’oedème cornéen, suivi de kératopathie
bulleuse et enfin de néovascularisation et d’opacification cornéenne.
+ Classification
:
Wilson classe la dystrophie de Fuchs en trois stades évolutifs.
Au stade 1, il n’existe pas de symptomatologie fonctionnelle.
Les premières
lésions visibles à l’examen clinique apparaissent entre la troisième et la
cinquième décennies.
Les gouttes sont visibles à la lampe à fente en réflexion
spéculaire et en rétro-illumination (pupille dilatée) sous forme
d’excroissances arrondies postérieures de la membrane de Descemet.
Les gouttes sont présentes au centre de la cornée, espacées puis
progressivement confluentes.
Elles s’accompagnent souvent de dépôts de
pigments au niveau de l’endothélium qui peuvent être retrouvés souvent avant
l’apparition de gouttes visibles au biomicroscope.
Par la suite, la membrane
de Descemet centrale prend un aspect gris, irrégulier et épaissi, visible en
fente large tangentielle.
Très peu de patients (environ 4 %) évoluent vers le
stade 2.
Il n’est pas possible de prédire pour un patient donné au stade 1 s’il
va évoluer vers le stade 2 ou rester asymptomatique toute sa vie (éventualité
de loin la plus fréquente).
Le passage du stade 1 vers le stade 2 se fait
habituellement vers 50-60 ans.
Au stade 2, apparaît un oedème de cornée qui se manifeste par l’apparition
d’une symptomatologie fonctionnelle : flou visuel, éblouissement par les lumières vives, perception de halos colorés.
Ces signes fonctionnels sont
présents le matin au réveil, puis disparaissent.
Avec la progression de la
dystrophie, ils persistent de plus en plus longtemps pendant la journée,
jusqu’à devenir permanents.
Ils s’accompagnent ensuite d’une baisse d’acuité
visuelle de loin et de près due à l’opacification stromale et à l’astigmatisme
irrégulier cornéen postérieur.
La vision de près est atteinte de manière précoce
et importante au cours de la dystrophie de Fuchs.
Les patients peuvent
conserver longtemps une acuité visuelle de loin assez bonne, proche de 5/10,
mais être très handicapés en vision de près.
Avec l’installation de l’oedème
épithélial apparaît une symptomatologie douloureuse.
L’examen à la lampe à
fente objective un oedème stromal central prédescemétique, ainsi qu’un
oedème du stroma antérieur derrière la membrane de Bowman,
avec une augmentation de l’épaisseur cornéenne centrale.
La coalescence des
gouttes et l’oedème cornéen prédescemétique se traduisent par le classique
aspect en « argent battu » de la membrane de Descemet et une opacification
stromale postérieure en fente fine.
Il est alors souvent impossible de distinguer
les gouttes à la lampe à fente, notamment lorsque celles-ci sont enfouies dans
la couche fibreuse postérieure.
L’oedème prédescemétique crée une
diffraction de la lumière incidente.
Progressivement l’oedème intéresse toute
l’épaisseur du stroma puis s’étend en périphérie de la cornée.
L’examen de la
membrane de Descemet à la lampe à fente en réflexion spéculaire peut
retrouver des plis descemétiques et une dispersion pigmentaire (phagocytose
de grains de pigment mélanique par les cellules endothéliales).
Au niveau de
l’épithélium, on observe, lorsque la dystrophie évolue, un oedème épithélial
sous forme d’une irrégularité de la surface épithéliale en lumière bleue après
instillation de fluorescéine, puis de bulles intra- et sous-épithéliales, sources
d’érosions douloureuses lors de leur rupture.
La sensibilité cornéenne est
diminuée.
Paradoxalement, les kératites infectieuses sont moins fréquentes
que ne le laisserait supposer l’état de l’épithélium.
L’évolution de l’oedème
cornéen crée une opacification en verre dépoli et un épaississement net de la
cornée centrale avec une cornée périphérique plus claire et plus fine.
Au stade 3, apparaît une fibrose sous-épithéliale qui entraîne une diminution
de l’oedème épithélial.
La baisse d’acuité visuelle est alors profonde
et la vision est réduite à la perception des mouvements.
Une néovascularisation cornéenne périphérique peut se développer.
+ Microscopie spéculaire
:
En microscopie spéculaire, on retrouve des gouttes, sous forme de zones
noires avec un centre clair, masquant totalement les cellules qui les recouvrent, un pléomorphisme (diminution du pourcentage de cellules
hexagonales), un polymégathisme (anisocytose) et une diminution de la
densité cellulaire endothéliale.
Schnitzer et al rapportent que les parents
de patients ayant une dystrophie de Fuchs, présentant des gouttes en
microscopie spéculaire, ont une anisocytose endothéliale.
Laing et al
décrivent cinq stades progressifs de la dystrophie en microscopie spéculaire.
Au stade 1, les gouttes sont isolées, de taille inférieure à celle d’une cellule
endothéliale et leur spot clair central est bien défini.
La morphologie des
cellules endothéliales voisines est normale.
Au stade 2, les gouttes sont isolées, de taille proche de celle d’une cellule
endothéliale.
La morphologie des cellules endothéliales voisines est
anormale : celles-ci sont allongées et forment une rosette, leur contour est
estompé au contact de la goutte.
La morphologie cellulaire autour de la rosette
est normale.
Au stade 3, les gouttes commencent à confluer ; elles ont la taille de cinq à dix
cellules endothéliales.
La morphologie des cellules endothéliales voisines est
anormale, alors que les cellules à distance restent normales.
Deux types de
gouttes peuvent être observés.
Les gouttes régulières sont arrondies avec un
spot central bien limité rond ou ovale.
Les gouttes irrégulières ont un spot
central aux limites mal définies et d’intensité variable.
Au stade 4, les gouttes sont confluentes et donnent une image multilobée
comportant plusieurs spots clairs.
Il existe en outre des gouttes isolées de
distribution irrégulière.
La morphologie des cellules endothéliales est
anormale, même à distance des gouttes, avec une augmentation importante
de la surface cellulaire.
Les deux types de gouttes (régulières et irrégulières)
peuvent être observés.
Au stade 5, aucune cellule ni contour cellulaire ne sont visibles.
L’aspect du
reflet endothéliodescemétique est inversé avec des contours clairs beaucoup
plus brillants que la surface cellulaire normale entourant des zones noires qui
résultent des dépôts de collagène.
+ Associations pathologiques
:
La relation exacte entre dystrophie de Fuchs, cataracte, glaucome à angle
ouvert, hypermétropie et fermeture de l’angle n’est pas encore déterminée
avec précision.
Pour Pitts et al, la longueur axiale de l’oeil (22,1 mmversus
23,4 mm) et la profondeur de la chambre antérieure (2,2 mm versus 2,7 mm)
sont significativement plus petites chez des patients ayant une dystrophie de
Fuchs que chez des patients témoins. La réfraction montre une tendance nette
à l’hypermétropie (+ 2,48 D versus -0,31 D).
Dans cette étude, 12 % des
patients ayant une dystrophie de Fuchs (3/24) avaient un glaucome à angle
fermé et 38 %avaient une presbytie précoce avant l’âge de 30 ans.
De même, Loewenstein et al rapportent que les patients ayant une dystrophie de
Fuchs ont une longueur axiale plus courte, une chambre antérieure plus étroite
et sont plus souvent hypermétropes que des patients témoins normaux.
À
l’inverse, Brooks et al ont démontré que la chambre antérieure est
significativement plus étroite chez des patients ayant un glaucome à angle
fermé que chez ceux ayant une cornea guttata ou une dystrophie de Fuchs, la
cornea guttata et la dystrophie de Fuchs étant relativement rares chez les
patients ayant un glaucome à angle étroit (2/88) dans cette étude.
La cataracte
est souvent présente, associée à la dystrophie de Fuchs.
Il est difficile de savoir
si cette association est directe ou si elle est due à un facteur confondant : l’âge.
En effet, ces deux pathologies progressent significativement et leur fréquence
augmente avec l’âge des patients.
La dystrophie de Fuchs peut être associée
au kératocône.
+ Microscopie confocale
:
On retrouve des anomalies de la membrane de Bowman sous forme d’un reflet
brillant diffus et de l’absence de nerfs cornéens visibles, du stroma antérieur
(lacunes et augmentation du reflet dû à l’oedème) et du stroma postérieur (lacunes, bandes sombres de 5 à 20 ím de large et augmentation du reflet dû
à l’oedème).
La membrane de Descemet est toujours épaissie avec des bandes
sombres et des gouttes.
La densité endothéliale moyenne est diminuée.
+ Physiopathologie
:
La dystrophie de Fuchs est une pathologie qui intéresse primitivement la
couche endothéliodescemétique de la cornée.
Cette atteinte entraîne un
oedème cornéen stromal puis épithélial.
Ce dernier a pour conséquence la
formation d’une fibrose sous-épithéliale.
Les événements physiopathologiques
qui caractérisent cette dystrophie sont la production d’un
matériel anormal entraînant la formation d’une membrane de Descemet
multilamellaire à partir de la naissance et le dysfonctionnement de la pompe
endothéliale.
Des études en autohistoradiographie et en immunohistochimie
ont montré que la densité des sitesATPase Na+/K+ (pompe cellulaire sodium
/ potassium) diminue au cours de la dystrophie de Fuchs parallèlement à la
progression de la maladie.
La perte des sites ATPase se traduit par une
diminution de la capacité de récupération d’un oedème cornéen hypoxique
induit par le port d’une lentille de contact, puis par une augmentation de
l’épaisseur cornéenne.
Ainsi, Mandell et al ont trouvé que le pourcentage
moyen de récupération de l’oedème cornéen hypoxique (PRPH [Percent
recovery per hour]) était de 25,4 %/h dans un groupe de 22 patients ayant une
dystrophie de Fuchs contre 34,2 %/h dans un groupe témoin de patients du
même âge ayant une cornée normale.
L’épaisseur cornéenne moyenne à l’état
basal, paupières ouvertes, était de 562 ím dans le groupe pathologique et
537 ím dans le groupe témoin.
La diminution du PRPH précède
l’augmentation de l’épaisseur cornéenne à l’état basal.
L’apparition de
l’oedème cornéen évalué par l’augmentation de l’épaisseur cornéenne centrale
est corrélée au caractère confluent des gouttes.
À l’inverse de l’altération
de la pompe endothéliale, la barrière endothéliale évaluée par la diffusion de
la fluorescéine dans la chambre antérieure mesurée en fluorophotométrie n’est
pas altérée au cours de la dystrophie de Fuchs.
+ Histologie
:
L’étiologie de la dystrophie de Fuchs est toujours inconnue.
Cette pathologie
est classée comme une anomalie de la différenciation finale des crêtes
neurales.
Il faut noter que les lésions se développent après la naissance,
comme en témoigne la normalité de la couche foetale de la membrane de Descemet.
Les premières lésions se formeraient avant l’âge de 20 ans.
En histologie, le signe caractéristique est la présence d’excroissances
postérieures de la membrane de Descemet.
L’endothélium a une
épaisseur diminuée avec des noyaux irrégulièrement espacés, des vacuoles et
des granules de pigment.
La diminution de l’épaisseur des cellules
endothéliales est maximale en regard des gouttes.Àce niveau, l’endothélium
peut être absent.
Le nombre de noyaux visibles en coupe histologique est
diminué.
Le degré de coloration des noyaux par l’hématoxyline varie ; il
est plus important pour les cellules d’allure fibroblastique que pour celles
ayant gardé une morphologie normale.
La membrane de Descemet est
épaissie (14 à 40 ím, pour une épaisseur normale à l’âge de 50 ans d’environ
10 à 12 ím) et l’augmentation d’épaisseur est d’autant plus importante que la
dystrophie est cliniquement évoluée.
Elle a une structure laminaire avec
des densifications focales au PAS correspondant aux gouttes. Les gouttes
ont une forme ovale, sessile ou pédiculée.
Elles peuvent être recouvertes voire
enfouies dans une fibrose sous-endothéliale moins dense que la membrane de
Descemet.
Ceci peut aboutir à un aspect de gouttes dupliquées avec un plan
antérieur dans lequel les gouttes sont en continuité avec la membrane de Descemet et un plan postérieur dans lequel elles se forment au sein du tissu
conjonctif sous-endothélial.
La classification histologique de Hogan
distingue quatre formes :
– épaississement descemétique modéré avec des gouttes proéminentes
régulièrement espacées ;
– épaississement descemétique marqué avec des gouttes peu proéminentes ;
– épaississement descemétique et délamination de la membrane de Descemet
avec des gouttes dupliquées ou enfouies ;
– épaississement descemétique et délamination de la membrane de Descemet
sans goutte.
Plusieurs formes histologiques différentes peuvent être retrouvées sur la
même cornée.
L’utilisation du microscope à contraste de phase peut permettre
de visualiser des gouttes enfouies.
Le stroma est le siège d’un oedème avec un espacement irrégulier des lamelles
de collagène.
Cet oedème diminue lorsque la maladie arrive à un stade avancé
avec une augmentation du nombre de kératocytes.
La membrane de Bowman peut être normale ou présenter des ruptures
remplies d’un tissu fibreux.
Sous l’épithélium, à un stade avancé de la
maladie, se forme une fibrose avasculaire qui peut atteindre une épaisseur de
350 ím.
Cette fibrose peut pénétrer l’épithélium sus-jacent et parfois isoler
des îlots épithéliaux.
Au niveau de l’épithélium, on retrouve un oedème des
cellules basales puis des bulles sous-épithéliales.
L’épaisseur de l’épithélium
peut être irrégulière et la base de l’épithélium peut être ondulée.
Sur des préparations de la membrane de Descemet
à plat, on observe une diminution de la densité cellulaire
endothéliale et un polymorphisme endothélial.
Les noyaux des cellules sont repoussés entre les gouttes.
+ Immunohistochimie
:
En immunohistochimie, des dépôts de b ig-h3 sont retrouvés dans la
membrane de Descemet et la couche postérieure de collagène, ainsi que dans
la fibrose sous-épithéliale. Ces dépôts s’accompagnent de dépôts de
collagène VI.
L’association de â ig-h3 et de collagène VI suggère que ces
deux molécules pourraient jouer un rôle dans l’ancrage du tissu pathologique
(fibrose sous-épithéliale et couche postérieure de collagène) sur le stroma
sous-jacent. Kenney et al retrouvent un marquage du fibrinogène et de la
fibrine au sein de la couche postérieure de collagène des cornées présentant
une dystrophie de Fuchs.
+ Microscopie électronique à transmission
:
Les excroissances descemétiques sont retrouvées d’abord au centre de la
cornée puis également en périphérie.
Elles s’accompagnent d’une
augmentation d’épaisseur de la membrane de Descemet, d’une
désorganisation des structures périodiques et d’une augmentation du
collagène à longue périodicité.
Les gouttes sont parfois enfouies dans une
couche de collagène postérieure.
Elles peuvent être absentes.
Les cellules endothéliales ont un aspect souvent normal, mais on retrouve
également de nombreuses cellules dégénérées avec de grandes vacuoles, des
organites oedémateux et des ruptures de la membrane cytoplasmique.
L’épaisseur des cellules endothéliales est diminuée.
Les espaces
intercellulaires peuvent être élargis avec une ouverture des complexes jonctionnels (zonula occludens).
Des jonctions intercellulaires de type desmosomes (normalement absents dans l’endothélium) peuvent être
trouvées.
On observe des dilatations du réticulum endoplasmique remplies
d’un matériel granulaire et des granules de pigment.
On observe une
métaplasie fibroblastique des cellules endothéliales entraînant la présence de
deux types cellulaires différents : cellules d’aspect normal mais ayant une
fonction anormale et cellules d’aspect fibroblastique (prolongements
cytoplasmiques, structures oméga proches de celles des kératocytes,
augmentation des filaments du cytosquelette, du réticulum endoplasmique
granuleux et des ribosomes) produisant la matrice extracellulaire fibrillaire.
Iwamoto et al rapportent également la présence de cellules ayant un
réticulum endoplasmique granuleux allongé et un cytoplasme clair qui
pourraient correspondre à une dégénérescence des cellules d’aspect
fibroblastique.
La richesse des cellules endothéliales en mitochondries est
diminuée.
Des prolongements cellulaires fins peuvent s’insinuer à l’intérieur
de fissures dans les gouttes sous-jacentes.
Les noyaux sont repoussés dans
les espaces séparant les gouttes.Avec la progression de la maladie, les lésions
cellulaires endothéliales augmentent jusqu’à la mort cellulaire avec des
noyaux pycnotiques.
En cryofracture, la densité en particules intramembranaires est diminuée au niveau de la membrane cytoplasmique
latérale (ce qui reflète probablement la perte des sitesATPase Na+/K+) et les
complexes jonctionnels apicolatéraux sont altérés (ce qui serait en faveur
d’une altération de la fonction de barrière endothéliale).
L’ultrastructure de la membrane de Descemet est profondément modifiée au
cours de la dystrophie de Fuchs.
L’ABZ est normale (périodicité
de 100 à 110 nm, épaisseur 3 ím).
La PNBZ est très fine ou absente (son
épaisseur normale est de 3 ím à 20 ans et 10 ím à 80 ans).
La PNBZ est
recouverte en arrière par une couche postérieure de collagène périodique
(périodicité de 100 à 110 nm) en continuité avec les gouttes.
Cette couche
postérieure périodique, caractéristique de la dystrophie de Fuchs, est
constamment retrouvée.
Elle est composée de fibrilles de 10 à 20 nm de
diamètre et d’une substance fondamentale amorphe.
Son aspect ultrastructural est proche de celui de l’ABZ, mais l’arrangement des fibrilles
de collagène est moins régulier du fait de la présence de la substance amorphe.
Son épaisseur moyenne est de 16,6 ím dans l’étude de Bourne et al.