Néoplasies intraépithéliales de la vulve Cours de
Gynécologie Obstétrique
Introduction
:
Le terme de néoplasie intraépithéliale de la vulve (vulval
intraepithelial neoplasia [VIN]) définit les néoplasies intraépithéliales
vulvaires précarcinomateuses, développées à partir des
kératinocytes.
La maladie de Paget vulvaire et les proliférations intraépithéliales mélanocytaires en sont ainsi exclues.
Le terme ne
correspond pas en fait à une entité isolée.
Il recouvre plusieurs
entités cliniques et anatomocliniques distinctes et tend, dans les pays
anglo-saxons, à remplacer les appellations plus classiques de
maladie de Bowen, érythroplasie de Queyrat, dysplasie avec atypies,
carcinome in situ, papulose bowenoïde...
Vulval intraepithelial neoplasia :
Le terme de VIN, recommandé par l’International Society for the
Study of Vulvo-vaginal Diseases, a été forgé par analogie avec la
classification des lésions précancéreuses du col utérin ou cervical
intraepithelial neoplasia (CIN).
Une VIN est ainsi définie et
caractérisée sur des critères purement anatomopathologiques :
désorganisation et perte de l’architecture épithéliale associées à des
atypies cellulaires, hyperchromasie, pléomorphisme (anisocytose,
anisocaryose), mitoses anormales.
La subdivision des VIN a été
établie selon les mêmes critères que ceux du col : les anomalies
cytologiques et architecturales sont limitées au tiers inférieur de
l’épithélium (VIN 1), à sa moitié inférieure (VIN 2) ou enfin, sur ses
deux tiers inférieurs ou toute sa hauteur (VIN 3).
L’analogie est
cependant quelque peu artificielle et cette distinction en trois grades est par ailleurs controversée.
Quoi qu’il en soit, contrairement au col
où l’on observe une progression CIN 1, CIN 2, CIN 3, les lésions
vulvaires correspondant aux situations cliniques dont il va être
question sont d’emblée des VIN 3.
Ce terme de VIN 3, que l’on retiendra, désigne en fait une entité
histologique.
Ce sont les données cliniques qui permettent d’en
évaluer le risque évolutif.
On doit ainsi distinguer deux types de lésions : les VIN 3
indifférenciées avec atypies étagées et les VIN différenciées avec
atypies basales, qui surviennent sur lichen scléreux.
Elles se rencontrent dans trois situations cliniques : la maladie de Bowen classique, connue depuis le début du siècle, la papulose
bowenoïde, entité récente, et enfin la VIN 3 confluente.
Ces trois entités, distinctes sur le plan clinique et sur le plan évolutif,
correspondent à la même image histologique, celle d’une néoplasie intraépithéliale de grade III avec dysplasies sévères étagées (VIN 3
indifférenciée).
L’aspect anatomopathologique est donc celui d’un carcinome intraépithélial peu différencié.
L’épithélium a un aspect basophile,
avec une architecture désorganisée.
On note l’existence d’atypies
sévères étagées sur toute la hauteur de l’épithélium. Pour certains
auteurs, ces VIN 3 indifférenciées sont subdivisées en deux entités :
– les VIN 3 basaloïdes qui sont caractérisées par l’absence de
maturation épidermoïde, toute la hauteur de l’épithélium étant
occupée par des cellules de type basal ; ces VIN 3 correspondent à
l’image classique du « carcinome in situ » ;
– les VIN 3 condylomateuses qui comportent une différenciation
épidermoïde avec hyperkératose, parakératose, associée le plus souvent à la présence de koïlocytes dans la couche granuleuse,
témoins de l’infection à Human papillomavirus (HPV).
Ces deux formes de VIN 3 indifférenciées peuvent d’ailleurs
coexister chez la même patiente.
L’atteinte des annexes est
également possible.
A - MALADIE DE BOWEN VULVAIRE
:
Individualisée dès 1921 par Jessner (Bowen décrivit en 1912
l’affection cutanée qui porte son nom), la maladie de Bowen vulvaire
dite « classique » survient le plus souvent après 50 ans, chez la
femme ménopausée.
Elle peut être découverte par un examen
gynécologique systématique.
Souvent, en fait, elle se traduit par un
prurit vulvaire ou une sensation de cuisson et des brûlures
chroniques.
La lésion est uni- ou plurifocale, muqueuse et/ou cutanée, en
général unifocale.
Il s’agit d’une ou de plusieurs plaques bien
limitées en périphérie, polycycliques, rouges (forme érythroplasique
ou velvétique), blanches (forme leucoplasique), érythroleucoplasiques
et/ou pigmentées, légèrement en relief.
L’aspect rouge est celui d’une érythroplasie vulvaire équivalant à
l’érythroplasie dite « de Queyrat », décrite dans le sexe masculin sur
la verge.
Elle pose d’ailleurs le problème diagnostique d’une
localisation érythroplasique d’une dermatose vulvaire (lichen
scléreux, lichen plan, vulvites inflammatoires) et seul l’examen
anatomopathologique en permet la distinction.
L’évolution naturelle se fait vers l’extension en surface et vers la
constitution, dans 5 à 20% des cas, d’un carcinome épidermoïde
invasif.
L’association à une CIN est rare en
revanche et il n’existe pas d’association significative à
une infection à HPV.
On peut suspecter une évolution
vulvaire vers l’invasion devant l’existence d’une lésion
bourgeonnante, d’une ulcération, d’une zone infiltrée.
Mais parfois
le carcinome n’est détecté que sous forme de foyers d’invasion à
l’examen antomopathologique.
Le meilleur choix
thérapeutique est donc l’exérèse simple de la ou des lésions.
Un suivi régulier est ensuite nécessaire pour dépister
d’éventuelles récidives.
B - PAPULOSE BOWENOÏDE VULVAIRE
:
La papulose bowenoïde fut individualisée en 1978 par Wade et Kopf
chez l’homme pour décrire des lésions condylomateuses des organes
génitaux externes, multiples, d’évolution bénigne, correspondant
d’un point de vue anatomopathologique à une image de maladie de
Bowen.
La papulose bowenoïde atteint en fait les deux sexes. Des
lésions identiques avaient été antérieurement décrites comme
« atypie vulvaire réversible », « atypie bowenoïde » ou
« maladie de Bowen multicentrique pigmentée ».
La papulose bowenoïde est une affection de la femme jeune,
contrairement à la maladie de Bowen classique, en règle générale
entre 20 et 40 ans.
Elle peut être rencontrée chez l’enfant.
Son incidence tend à croître ces deux dernières décennies, et
cette augmentation de la fréquence chez la femme jeune est
responsable de l’incidence croissante des VIN depuis 25 ans.
Cette atteinte de la femme jeune est volontiers plurifocale,
associée à des condylomes génitaux, à des lésions
du col, contrairement à la maladie de Bowen
classique.
Les études virologiques ont mis en
évidence certains HPV dits « à haut risque », différents de ceux
retrouvés dans les simples condylomes vulvaires : HPV 16, 18, 31,
33, 39.
Il n’existe cependant aucune corrélation entre le type de virus
et l’aspect clinique et/ou évolutif, et il est donc inutile en pratique
de faire des typages de virus onéreux et sans intérêt pronostique.
D’autres facteurs interviennent dans la genèse de ces VIN 3, en
particulier le tabac, les infections herpétiques génitales, tout comme
dans la genèse des plus classiques CIN, la fréquence et la précocité
des rapports sexuels.
Les lésions de papulose bowenoïde sont asymptomatiques, ou
responsables d’un prurit vulvaire dit banal ou d’une gêne percoïtale.
Le plus souvent, les lésions sont découvertes lors d’un
examen gynécologique systématique ou réalisé dans le cadre du
bilan locorégional d’une dysplasie du col utérin (CIN).
Les lésions sont multifocales. Il s’agit d’élevures plus ou moins condylomateuses, fermes, papuleuses, non papillomateuses, de
quelques millimètres de diamètre, roses, rouges, violacées ou brunes,
pigmentées, à surface lisse, squameuse ou verruqueuse.
Les
éléments peuvent être isolés les uns des autres ou confluer en
placards papuleux, avec une surface érythémateuse, parfois leucoplasique, pigmentée, le plus souvent hétérochrome en fait, qui
peut blanchir après application d’acide acétique.
Les lésions siègent
sur les versants muqueux et/ou cutanés des lèvres, débordent
fréquemment sur le périnée et sur la région périanale.
Le diagnostic se pose avec de simples condylomes, des lésions de
lichen plan, des nævi, des verrues séborrhéiques, et l’examen
anatomopathologique reste indispensable au diagnostic.
La constatation de lésions de papulose bowenoïde vulvaire, du fait
du caractère multicentrique des néoplasies intraépithéliales et du
rôle de l’infection à HPV chez la femme jeune, impose la recherche
d’autres foyers (vagin, col, périnée, canal anal).
Le bilan d’une papulose bowenoïde justifie la réalisation d’un frottis cervicovaginal
et d’une colposcopie, mais également d’un examen de la marge
anale et du canal anal, en raison du risque d’association existant
dans 20 à 35 % des cas.
L’évolution, malgré l’aspect histologique de néoplasie intraépithéliale, est dans l’extrême majorité des cas
parfaitement bénigne et comparable à celle des condylomes
génitaux : persistance, guérison spontanée ou après traitement,
récidives après traitement, quelle que soit la méthode d’ailleurs,
dans près de 50 % des cas.
La destruction des lésions
par électrocoagulation ou par laser CO2, par applications de
5-fluorouracile (5-FU) (Efudixt), de podophylline ou de
podophyllotoxine (Condylinet), donnent de très bons résultats
« cosmétiques ».
C - VIN 3 CONFLUENTES :
Il n’en est pas de même des VIN 3 dites confluentes, formes
extensives de papulose bowenoïde, qui surviennent sur un
terrain immunodéprimé et qui ont un potentiel invasif important.
Cette forme de VIN 3 est d’individualisation récente.
Elle s’observe chez des femmes un peu moins jeunes que la papulose
bowenoïde classique, entre 18 et 65 ans, avec une médiane d’âge de
35 ans et une chronicité d’évolution quand le diagnostic est porté de
quelques mois à quelques années.
Un déficit immunitaire est
souvent présent : maladie de Hodgkin, lymphome, leucémie,
traitement immunosuppresseur pour maladie auto-immune ou
transplantation d’organe, polyarthrite rhumatoïde, lupus,
thrombopénie auto-immune, lymphopénie CD4 idiopathique,
syndrome d’immunodéficience acquise (sida).
Les lésions sont très prurigineuses, voire douloureuses et fissuraires.
Ces placards papuleux ont des aspects verrucoïdes, érythroleucoplasiques
et pigmentés, à contours polylobés, envahissent la
muqueuse vulvaire, débordent sur le versant cutané, le périnée, la
région périanale ou même à distance.
L’existence de zones ulcérées,
infiltrées, indurées doit faire redouter une invasion ou une microinvasion
et pratiquer des biopsies multiples.
Ces lésions sont souvent associées à d’autres dysplasies (CIN, voire
cancer cervical invasif, vagin, urètre, canal anal).
Il n’existe aucune tendance à la régression spontanée et l’évolution
est dominée par le risque d’apparition d’un ou plusieurs foyers de
carcinome micro-invasif ou invasif.
Le traitement est encore mal
codifié mais doit être chez ces femmes jeunes le moins mutilant
possible.
Le recours aux applications de 5-FU (Efudixt) peut être
tenté, mais est souvent décevant.
La chirurgie conservatrice, la
destruction par laser CO2 restent les traitements de choix.
Quand
existent des zones infiltrées et ulcérées, un ou plusieurs contrôles
histologiques sont nécessaires.
Quel que soit le traitement, ces
formes extensives justifient une surveillance régulière, car elles ont
tendance à récidiver.
La mise sous rétinoïdes (Soriatanet) ou sous
interféron systémique est justifiée pour contrôler la réaction immune locale, mais le pronostic reste sombre et l’évolution dépend bien sûr
du contexte d’immunosuppression sous-jacent et du génie évolutif
de l’affection existante.
VIN différenciées :
Sont qualifiées de VIN différenciées avec atypies basales des
situations moins fréquentes, considérées comme VIN 3 d’ailleurs
malgré la localisation strictement basale des anomalies.
Celles-ci sont
localisées au tiers inférieur de l’épithélium : kératinocytes
éosinophiles de grande taille, cellules basales nucléolées, chromatine
vésiculaire.
Il n’existe pas de koïlocytes.
Ces VIN 3 ne renferment
pas de HPV. Le terme d’hyperplasie épithéliale avec atypies des
couches basales leur a aussi été attribué.
Ces VIN différenciées sont en règle associées à un lichen scléreux
vulvaire (LSV), lequel, dans sa forme atrophique ou dans
sa forme hyperplasique, fait classiquement le lit du carcinome
épidermoïde invasif de la vulve.
Cette évolution d’un lichen scléreux
connu, traité et suivi, reste rare, puisqu’elle ne s’observe que dans
3 à 5 % des LSV.
Il s’agit alors d’un cancer de la femme âgée qui,
dans plus de 75 % des cas, survient en cas de LSV hyperplasique,
avec une image associée de VIN différenciée avec atypies basales.
En pratique, toute zone leucoplasique et/ou ulcérée, fixe et infiltrée,
et résistante au traitement dermocorticoïde habituel d’un LSV connu
est a priori suspecte de pouvoir correspondre au développement
d’une VIN différenciée et doit être biopsiée.
L’évolution de ces VIN différenciées ne connaissant pas de
régression spontanée, à la différence de certaines VIN
indifférenciées, et se faisant toujours vers le carcinome épidermoïde,
leur constatation impose la chirurgie d’exérèse complète afin de
rechercher des signes de micro-invasion, voire d’invasion franche.