La fréquence de la mononucléose infectieuse (MNI) est
estimée à environ 45/100 000 personnes par an.
Expression clinique de la primo-infection par le virus
d’Epstein-Barr (EBV), elle atteint surtout l’adolescent et
l’adulte jeune, avec un pic de fréquence entre 15 et 25 ans.
Dans cette tranche d’âge, une primo-infection sur deux
est symptomatique alors que dans l’enfance, elle est le
plus souvent inapparente.
Cette primo-infection survient
d’autant plus précocement que le niveau de vie est
faible, elle confère une immunité durable.
Dans les enquêtes sérologiques, 80 à 90 % des adultes
ont des anticorps anti-EBV et 20 à 30 % sont excréteurs
asymptomatiques de virus.
Le réservoir viral est humain avec excrétion au niveau oropharyngée.
La transmission se fait par voie salivaire
(« maladie du baiser »), exceptionnellement de façon
accidentelle par voie sanguine.
La contagiosité est faible
et la mononucléose infectieuse survient de façon
sporadique, un contage précis étant rarement retrouvé.
L’incubation est en moyenne de 45 jours (2 à 6 semaines).
Après pénétration dans l’organisme, le virus se lie par des récepteurs spécifiques aux cellules épithéliales oropharyngées
et parotidiennes, où il se multiplie pendant
30 à 50 j, entraînant une destruction de ces cellules et
une libération du virus dans la salive.
Lors de leur
passage dans les tissus épithéliolymphoïdes de l’oropharynx,
les lymphocytes B s’associent au virus
d’Epstein-Barr par l’intermédiaire de récepteurs qui lui
sont spécifiques.
Les lymphocytes B sont alors stimulés
et prolifèrent, d’où une synthèse de nombreux anticorps :
– des anticorps spécifiques dirigés contres les antigènes
viraux (antigène de la capside virale ou VCA pour
viral capside antigen, antigène précoce ou EA pour
early antigen, antigène nucléaire ou EBNA pour
Epstein-Barr nuclear antigen) ;
– des anticorps non spécifiques dirigés contre les hématies
de diverses espèces animales dits anticorps hétérophiles
ou hétérologues ;
– enfin, des anticorps variés dont les anticorps antipolynucléaires
neutrophiles, anti-plaquettes, antinucléaire,
anti-pénicilline, etc.
L’immunité cellulaire contrôle la prolifération des lymphocytes
B, d’abord de façon non spécifique par l’action
des cellules natural killers (NK), puis par les lymphocytes
T cytotoxiques spécifiques.
Ces lymphocytes T
activés entraînent la plupart des signes cliniques de la
mononucléose infectieuse avec atteinte des organes
lymphoïdes riches en lymphocytes T (amygdales,
ganglions, rate). Sur le plan biologique, l’activation
lymphocytaire T se traduit par le syndrome mononucléosique.
Ce contrôle immunitaire ne permet pas l’éradication du
virus qui persiste dans les lymphocytes B infectés en
phase de latence.
Le virus d’Epstein-Barr est incriminé
dans la genèse de cancer comme le lymphome africain
de Burkitt et le carcinome indifférencié du rhino-pharynx.
Diagnostic
:
A - Diagnostic clinique
:
Après une phase prodromique de 3 à 5 j qui associe
céphalées, asthénie et myalgies, l’expression clinique de
la mononucléose infectieuse est variable.
1- Forme typique
:
Dans sa forme typique, 4 signes cliniques sont retrouvés
de façon fréquente.
• La fièvre est présente dans 80 à 90 % des cas, aux
alentours de 38,5 °C et dure en moyenne 10 à 15 j.
• L’angine typique est une angine à fausses membranes
ou pseudomembraneuse avec un enduit pultacé, sur les
amygdales hypertrophiques, respectant la luette et
devant faire éliminer une angine diphtérique.
Le plus souvent, l’angine est érythémateuse ou érythématopultacée
et s’accompagne d’un oedème de la luette
avec voix nasonnée et gêne respiratoire ; elle est caractérisée
par sa durée et sa persistance.
• Les adénopathies sont quasi constantes, précoces,
diffuses, parfois douloureuses mais sans suppuration,
de localisation cervicale et occipitale mais parfois aussi
axillaire, rarement inguinale ou épitrochléenne. Les
adénopathies profondes sont exceptionnelles.
Enfin, dans 50 % des cas environ, l’examen clinique
retrouve une splénomégalie modérée.
À ces 4 signes principaux peut s’associer une atteinte
cutanée dans 5 à 10 % des cas sous la forme d’une éruption
de type variable : exanthème rubéoliforme, morbilliforme, scarlatiniforme.
Cette éruption est à différencier de l’éruption qui
accompagne la prise d’ampicilline dans 90 % des cas et qui ne
contre-indique pas la prise ultérieure d’ampicilline.
La présence d’un purpura du voile du palais est
évocatrice mais non spécifique de la mononucléose infectieuse.
Enfin, très rarement il peut y avoir une
hépatomégalie voire un ictère.
2- Localisations révélatrices :
La mononucléose infectieuse peut se révéler par des
localisations trompeuses, parfois sévères.
• Des atteintes cardiaques sous forme de péricardites,
de myocardites ont été décrites en sachant que des anomalies électrocardiographiques sont retrouvées dans
6% des cas de mononucléose infectieuse en dehors de
toute manifestation clinique.
• Des atteintes neurologiques sont de bon pronostic :
encéphalite notamment cérébellite, méningite aiguë
lymphocytaire, rare polyradiculonévrite voire myélite
transverse.
• Des atteintes respiratoires existent avec présence
d’un infiltrat interstitiel pulmonaire dans 3 à 5% des cas
et plus rarement un oedème pharyngé pouvant aller
jusqu’au syndrome asphyxique.
• Plus rarement, il s’agit d’ulcérations génitales ou
digestives, de formes pseudo-appendiculaires liées à une
adénolymphite mésentérique, d’atteintes rénales avec
présence d’une hématurie dans 10 % des cas de mononucléose
infectieuse voire des glomérulonéphrites plus
ou moins grave.
Le syndrome de Purtilo ou maladie de Duncan caractérisé
par un déficit immunitaire lié à l’X doit être considéré à
part.
Chez les garçons, la primo-infection par le virus
d’Epstein-Barr se manifeste d’emblée par un tableau
sévère avec prolifération lymphocytaire, infiltration du
foie et des organes lymphoïdes entraînant le décès 2 fois
sur 3.
La physiopathologie de ce tableau est mal connue.
Enfin, la primo-infection par le virus d’Epstein-Barr est
une des causes du syndrome hémophagocytaire avec
prolifération histiocytaire, hémophagocytose médullaire
et ganglionnaire.
B - Diagnostic biologique :
1- Éléments d’orientation :
La numération formule sanguine montre dans 70 % des
cas un syndrome mononucléosique.
Ce syndrome est
défini par la présence d’une hyperlymphocytose absolue
(60 à 70 % de lymphocytes) et par la présence de
grandes cellules mononucléées hyperbasophiles, dites
lymphocytes atypiques et qui sont en fait des lymphocytes
T-CD8 activés.
Une thrombopénie modérée, entre 100 et 150 000 plaquettes/
mm3 est assez fréquente, alors qu’un purpura thrombopénique avec un taux de plaquettes inférieur à
10 000/mm3 est rare.
Dans 0,5 à 3% des cas, on peut observer une anémie
hémolytique auto-immune avec test de Coombs positif,
liée à la présence d’IgM de spécificité anti-i.
La présence d’une cytolyse hépatique avec des transaminases
à 3 ou 4 fois la normale est constatée dans
80 à 90 % des cas et est évocatrice dans le contexte.
Divers anomalies immunologiques sont possibles avec
présence d’anticorps anti-muscle lisse, anticorps antinucléaires,
anti-plaquettes, cryoglobulinémie.
2- Confirmation sérologique :
Le diagnostic de la mononucléose infectieuse repose sur
la recherche d’anticorps sériques hétérologues dirigés
contre les hématies de cheval : c’est le MNI-test ou test
d’agglutination rapide qui met en évidence des agglutinines
de type IgM. Réalisable en quelques minutes,
d’une sensibilité de 98 %, le MNI-test devient positif
dès les premiers jours mais du fait d’une mauvaise spécificité,
il doit être confirmé par la réaction de Paul-
Bunnell-Davidsohn (PBD).
Ce test, très spécifique, met en
évidence des agglutinines anti-hématies de mouton, non
absorbées par le rein de cobaye mais absorbées par les
hématies de boeuf à l’inverse des agglutinines naturelles.
Il se positive au-delà du 7e j d’évolution et se négative
après plusieurs semaines.
Sa réalisation demande 24 à
48 h et le seuil de positivité est au 1/80e.
Ces 2 tests d’agglutination, MNI-test et Paul-Bunnell-
Davidsohn, peuvent être retardés de 2 à 3 semaines et ne
sont positifs que dans 80 % des cas de mononucléose
infectieuse.
En cas de réactions douteuses ou négatives dans un
contexte clinique ou biologique évocateur, il est possible,
avant d’écarter le diagnostic de mononucléose infectieuse,
de rechercher les anticorps anti-EBV spécifiques par
immunofluorescence indirecte.
Les anticorps anti-VCA
avec IgM spécifiques apparaissent précocement et persistent
jusqu’à 3 mois, les IgG anti-VCA persistent à
vie.
Plus tardivement, apparaissent les anticorps anti-EA
et les anticorps anti-EBNA.
La présence d’IgM anti-
VCA et l’absence d’anticorps anti-EBNA signent une
infection récente par le virus d’Epstein-Barr.
En pratique,
les anticorps anti-EA et anti-EBNA sont surtout recherchés
lors de la surveillance de réactivation virale éventuelle
au cours d’immunodépression ou au cours de certains
lymphomes associés au virus d’Epstein-Barr.
Diagnostic différentiel :
Sur le plan clinique, la présence d’une angine pseudomembraneuse
doit faire éliminer une diphtérie en
recherchant un contexte épidémiologique (notion de
vaccination, voyages récents), l’absence de membrane
sur la luette et doit faire pratiquer un MNI-test en urgence.
Devant une angine érythématopultacée, l’origine streptococcique
est évoquée.
Sur le plan biologique, un syndrome mononucléosique
typique peut aussi s’observer au cours de la primoinfection
par le cytomégalovirus (CMV), au cours d’une
primo-infection par le virus de l’immunodéficience
humaine (VIH) et au cours de la toxoplasmose acquise.
• La primo-infection par le CMV se manifeste environ
3 semaines après le contage par une fièvre persistante,
un rash morbilliforme, une hépatosplénomégalie, une
hépatite biologique et une thrombopénie.
Le diagnostic
repose sur une séroconversion avec présence d’IgM
anti-CMV et d’une virémie CMV positive.
• La primo-infection par le VIH, symptomatique dans
40 à 60 % des cas peut revêtir l’aspect de la mononucléose
infectieuse avec de la fièvre, un rash cutané, une pharyngite,
une polyadénopathie, des ulcérations buccales ou génitales.
Ce tableau doit faire demander la recherche de l’antigénémie
VIH (voire le dosage de la virémie VIH plasmatique).
• La toxoplasmose acquise donne de la fièvre, une polyadénopathie cervicale postérieure, une atteinte
hépatique, une hyperéosinophilie modérée.
Le diagnostic
repose sur la mise en évidence d’anticorps spécifiques.
Une réaction mononucléosique avec présence simple de
lymphocytes hyperbasophiles peut s’observer plus rarement
au cours d’infections bactériennes (syphilis, brucellose,
typhoïde, rickettsiose), virales (rubéole, rougeole,
oreillons, hépatite…).
Parfois, chez un enfant ou un adulte jeune, présentant un
tableau avec une angine plus ou moins ulcérée, une polyadénopathie, une altération de l’état général, une
hyperlymphocytose avec de grands lymphocytes bleutés
évoquant des blastes, le diagnostic de leucémie aiguë est
évoqué d’où la réalisation d’un myélogramme au
moindre doute.
Évolution
:
L’évolution habituelle de la mononucléose infectieuse se
fait vers la guérison en 2 à 3 semaines, marquée par une
asthénie prolongée.
Le traitement est symptomatique :
repos, notamment le sport est à éviter surtout s’il existe
une splénomégalie antipyrétique.
Une antibiothérapie sera
prescrite uniquement s’il existe une surinfection pharyngée.
De rares complications mortelles sont décrites : la rupture
splénique est exceptionnelle survenant dans 0,1 % à 0,5%
des cas, 10 à 20 j après le début de l’infection.
L’oedème
pharyngé peut aller jusqu’au syndrome asphyxique.
Dans cette situation, une corticothérapie est prescrite à
la dose de 1 mg/kg et par jour pendant 10 j avec diminution
progressive.
Certaines complications biologiques
comme le purpura thrombopénique peuvent également
nécessiter une corticothérapie.
L’indication des corticoïdes
dans les autres complications (neurologiques,
cardiaques) est discutée.
En fin, l’évolution peut se faire sur un mode chronique,
associant une fatigue chronique, une fébricule, une
faiblesse musculaire, des arthralgies migratrices, des
adénopathies cervicales et axillaires, une irritabilité.
Pour l’instant, il n’existe pas de vaccin anti-EBV, ni
d’immunoglobulines spécifiques anti-EBV.