Métaplasie myéloïde primitive avec myélofibrose Cours
d'hématologie
Introduction
:
Le terme de métaplasie myéloïde primitive avec myélofibrose
(MMM) tend à remplacer, en France, celui de splénomégalie
myéloïde, pour des raisons à la fois d’harmonisation des
dénominations avec les hématologistes d’autres pays, et de meilleure
adéquation au tableau clinique et biologique habituel.
L’étiologie de
cette affection reste inconnue et sa physiopathologie mal comprise,
probablement en partie du fait de sa complexité.
Sa faible incidence,
l’absence de traitement curatif ou entraînant une rémission complète
expliquent le relatif désintérêt des hématologistes depuis des années
pour cette pathologie chronique.
Ce désintérêt a lui-même été cause
de l’absence d’études clinicobiologiques portant sur des séries
importantes.
Depuis quelques années cependant, des travaux
coopératifs clinicobiologiques ont fait progresser la compréhension
de certains des mécanismes physiopathologiques de la MMM et
amené à proposer des approches thérapeutiques nouvelles qui sont
en cours d’évaluation.
Épidémiologie :
La fréquence réelle de la maladie, difficile à évaluer, est
probablement sous-estimée.
Souvent comparée à celle de la leucémie
myéloïde chronique (LMC), la fréquence moyenne serait de une
MMM pour trois ou quatre LMC.
L’affection concerne
essentiellement la race blanche. L’âge moyen au diagnostic se situe
autour de 60 ans, avec des extrêmes de 15 à 94 ans.
Les cas
de moins de 50 ans représentent 15 à 21 % et ont une survie plus
longue.
Sont exclus les cas isolés décrits chez les enfants, qui
diffèrent par leur sévérité au diagnostic et leur évolution vers une acutisation, fatale le plus souvent.
Les deux sexes sont atteints de
façon équivalente. Les cas familiaux sont tout à fait exceptionnels.
Des facteurs favorisants ont été incriminés : l’exposition prolongée
aux dérivés benzéniques et les radiations ionisantes.
Clinique :
A - SIGNES D’APPEL :
L’évolution de la maladie est classiquement chronique et insidieuse.
Lors de la première consultation, des signes évocateurs sont
retrouvés dans 30 à 100 % des cas depuis 6 mois à 2 ans avec des
extrêmes jusqu’à 20 ans.
La maladie est le plus souvent
suspectée lors de la découverte fortuite d’une splénomégalie et/ou
d’anomalies de l’hémogramme.
Suivant les séries, la fréquence des
signes est calculée au diagnostic ou plus tard, ce qui peut rendre
compte en partie des différences observées.
Les symptômes sont divers, dominés par le syndrome anémique,
noté dans la moitié des cas environ, et caractérisé essentiellement
par l’asthénie, souvent multifactorielle.
Les signes abdominaux (douleurs, dyspepsie...) sont mentionnés
dans 10 à 47 % des cas. L’amaigrissement, plus ou moins
chiffré, est retrouvé dans 7 à 50% des cas.
Les autres signes sont
plus rares au début : hyperthermie permanente ou à prédominance
vespérale (4 à 6 % des cas), douleurs osseuses (1 à 20 % des cas),
syndrome hémorragique avec ou sans thrombopénie (5 à 10 % des
cas), infarctus splénique (3 % des cas).
La splénomégalie est le signe fondamental, constant dans de
nombreuses séries.
Parfois absente au moment du diagnostic,
elle apparaît toujours rapidement, en règle dans l’année.
Sa taille
est très variable, modérée (débord < 10 cm) dans 38 à 75 % des cas,
parfois très volumineuse, atteignant la fosse iliaque dans 22 % des
cas de la série de Barosi.
Classiquement, elle fait partie des plus
grosses rates hématologiques, pouvant envahir tout l’abdomen et
peser plus de 5 kg.
L’hépatomégalie est présente dans la moitié des cas environ
avec des extrêmes proches de 100 %.
Jamais isolée, elle est de taille
souvent modérée, sauf après splénectomie. Des signes
d’hypertension portale (HTP) sont notés dès le diagnostic dans 1 à
4 % des observations.
Des adénopathies périphériques, de volume modéré et de
topographie variable, sont retrouvées dans moins de 10 % des cas.
B - ÉVOLUTION :
La rémission spontanée est exceptionnelle et toujours transitoire.
L’évolution est émaillée de complications souvent multifactorielles,
liées à la prolifération tumorale et/ou aux cytopénies et
partiellement favorisées par l’âge.
1- Syndrome tumoral
:
L’augmentation progressive du volume splénique est presque
constante durant l’évolution, d’allure très variable.
Due à la
métaplasie myéloïde et à l’augmentation du flux sanguin, aggravée
ensuite par l’HTP, elle entraîne un hypersplénisme progressif, en
partie responsable des cytopénies.
L’augmentation de volume du foie est fréquente, parallèle et elle est
due aux mêmes causes que celle de la rate.
Favorisée par la
splénectomie, elle apparaît dans un délai très variable, de quelques
mois à plusieurs années, chez 12 à 53 % des splénectomisés.
D’autres foyers d’hématopoïèse ectopique, rarement au premier plan
du tableau clinique, sont exceptionnels, parfois favorisés par la
splénectomie.
Les adénopathies peuvent atteindre un volume tel
qu’on évoque le diagnostic de lymphome, qu’il s’agisse de
métaplasie myéloïde simple ou de transformation aiguë
ganglionnaire isolée, les territoires profonds étant
exceptionnellement seuls touchés.
Les localisations séreuses
peuvent occasionner des épanchements : métaplasie myéloïde du
péritoine surtout, responsable d’ascite, du péricarde avec
tamponnade, ou des synoviales, avec arthrite.
Les localisations
cutanées, d’aspect clinique variable, sont à distinguer des formes
atypiques de pyoderma gangrenosum et du syndrome de Sweet,
parfois associées à diverses hémopathies myéloïdes.
Les localisations
au système nerveux central, méninges, intestins et/ou mésentère,
reins, poumons sont exceptionnelles.
2- Hypertension portale :
C’est une complication fréquente, souvent tardive, observée dans
7 à 17 % des cas.
Le terme classique d’évolution « cirrhogène »
est peu approprié et l’existence d’une véritable cirrhose est discutée.
Elle se traduit par des signes diversement associés : varices
oesophagiennes asymptomatiques ou responsables d’hémorragies
digestives, perturbations du bilan hépatique, syndrome oedématoascitique (tardif) qui assombrit considérablement le
pronostic.
Les mécanismes en sont complexes : rarement obstruction
vasculaire à différents niveaux responsable d’une HTP « passive », à
type de syndrome de Budd-Chiari posthépatique ou préhépatique
par thrombose portale ou splénique ; plus fréquemment à type de
bloc intrahépatique, de mécanisme controversé (hémosidérose,
métaplasie myéloïde, fibrose).
L’augmentation du flux sanguin
splénique, qui entraîne une HTP « active » par augmentation du flux
d’entrée (comparable à celle des fistules artérioveineuses spléniques
ou portes), et l’obstruction intrahépatique s’associent pour réaliser
cette HTP.
3- Transformation aiguë
:
Selon les équipes, la fréquence varie de 4 à 28% des cas en fonction
des critères de définition utilisés. L’acutisation survient dans un
délai très variable après le diagnostic, souvent précédée d’une phase
« d’accélération », caractérisée par des signes cliniques d’évolutivité
(hyperthermie, amaigrissement, sueurs), une augmentation de
l’hépatosplénomégalie, de l’anémie, de la thrombopénie et de la
leucocytose.
Partie intégrante de l’évolution naturelle de la
maladie, elle pourrait être favorisée par la thérapeutique : busulfan,
splénectomie.
Il s’agit presque exclusivement de leucémies
aiguës non lymphoblastiques, de types divers.
La transformation
aiguë est en général myélosanguine.
Cependant, des foyers
d’hématopoïèse extramédullaires acutisée peuvent apparaître,
souvent en même temps que dans la moelle, beaucoup plus
rarement de façon isolée.
Comme dans toutes les leucémies
aiguës secondaires, le pronostic est très défavorable à court terme et
la chimiorésistance habituelle.
4- Anémie :
Quasiment constante dans l’évolution, elle demeure le problème
principal dans plus de la moitié des cas.
La compréhension de son
mécanisme, lequel est complexe et rarement univoque, est utile pour
les indications thérapeutiques : diminution de durée de vie des
hématies, souvent modérée, par séquestration splénique ;
érythropoïèse inefficace souvent au premier plan. Les transfusions
itératives exposent aux risques viscéraux de la surcharge en fer.
5- Autres complications :
Elles sont habituellement multifactorielles, liées non seulement à la
maladie elle-même, mais aussi à l’âge et au terrain, en particulier la
cachexie progressive, fréquente à la phase terminale.
Les complications infectieuses sont très fréquentes (19 à 33 % des
cas) : infections bronchopulmonaires surtout, tuberculoses
pulmonaires ou ganglionnaires.
Elles sont favorisées par de
multiples causes : neutropénie spontanée ou chimio-induite, défaut
qualitatif des polynucléaires neutrophiles, splénectomie, déficits
immunitaires rares, affections cardiaques et pulmonaires.
Les complications hémorragiques dues à une thrombopénie sévère
sont notées dans 16 à 27 % des cas.
Les anomalies qualitatives
plaquettaires augmentent le risque hémorragique mais ces
complications restent rares.
Les complications cardiovasculaires sont les causes majeures de
décès : la MMM aggrave les phénomènes ischémiques et les
cardiopathies préexistantes, fréquents chez ces patients souvent
âgés.
Les accidents thromboemboliques et les hémorragies, peu
corrélés aux tests biologiques, sont favorisés par la thrombopathie.
L’insuffisance cardiaque est observée dans 10 à 26 %
des cas, favorisée par l’anémie, l’hypervolémie plasmatique et
l’hémochromatose.
Les classiques complications de l’hyperuricémie (goutte, lithiases
urinaires) et l’insuffisance rénale, ont presque disparu avec
l’utilisation large des hypo-uricémiants.
6- Causes de décès
:
Elles sont parfois inconnues chez les patients peu ou pas suivis, ou
intercurrentes (18 à 23 %) chez des patients âgés.
Le caractère
lié ou non à la maladie est parfois difficile à préciser (intrication
avec le terrain), de même que la cause exacte du décès (intrication
des différentes complications).
La transformation aiguë est responsable dans 15 à 27 % des observations, l’HTP dans 3 à 15%
des cas.
Les complications regroupées sous le terme
« d’insuffisance myéloïde » (anémie, hémorragies, infections) sont les
plus fréquentes : hémorragies digestives et cérébroméningées dans
7 à 15 % des cas, infections dans 13 à 41 % des cas ; l’anémie
n’étant pas une cause isolée de décès.
La cachexie est mise en cause
dans 4 à 15% des cas.
Les complications cardiovasculaires,
fréquentes, regroupent l’insuffisance cardiaque, responsable du
décès dans 11 à 34 % des cas, les accidents vasculaires cérébraux et
les embolies pulmonaires.
Examens complémentaires :
A - SANG :
1- Hémogramme :
L’anémie, de niveau variable, souvent majorée par l’hémodilution
en cas de splénomégalie volumineuse, est présente dans 75 % des
cas lors du diagnostic.
Elle s’accompagne de déformations
multiples des hématies : anisocytose, poïkilocytose, hématies en
« larme » relativement caractéristiques de la myélofibrose,
schizocytes, sphérocytes, cellules en « cible »... sans modification des
constantes érythrocytaires.
Les réticulocytes sont normaux ou
augmentés mais en général sans signes biologiques d’hémolyse.
Une augmentation du glutathion réduit, une élévation de la
concentration érythrocytaire en glucose-6-phosphatedéshydrogénase
ou des stigmates d’hémoglobinurie nocturne
paroxystique peuvent s’observer.
L’érythropoïétine (EPO) sérique est
corrélée au degré de l’anémie dans 87 % des cas.
La présence dans
le sang d’érythroblastes acidophiles et polychromatophiles, variable
dans le temps, est presque toujours observée et représente moins de
10 % des éléments nucléés, sauf chez les splénectomisés où elle
devient prédominante.
Une hyperleucocytose modérée (10 à 25 X 109/L) avec polynucléose neutrophile et myélémie est très
fréquente.
La présence de blastes indifférenciés, dans une proportion
pouvant aller jusqu’à 10 %, est possible, parfois transitoire.
Une monocytose excessive est parfois constatée.
La numération plaquettaire est normale chez la moitié des patients ;
les autres se partagent également entre une thrombocytose et une
thrombopénie modérées.
Des anomalies morphologiques sont
habituelles : anisothrombocytose avec plaquettes géantes et surtout
plaquettes « vides » rappelant celles du syndrome des plaquettes
grises.
Dans quelques cas, notamment après splénectomie, le sang
comporte un petit contingent de fragments mégacaryocytaires ou
des micromégacaryocytes.
Les fonctions plaquettaires sont
souvent anormales : le temps de saignement (TS), mesuré par
technique d’Ivy, est prolongé dans plus de la moitié des cas,
l’agrégabilité des plaquettes au collagène et à l’acide adénosine
diphosphorique (ADP) est déficiente dans 50 à 60 % des cas sans
corrélation avec l’allongement du TS ni le risque hémorragique.
La
coagulation proprement dite est régulièrement anormale, avec
surtout une diminution modérée de l’activité du complexe prothrombinique ; une coagulation intravasculaire latente est parfois
invoquée.
Le nombre des progéniteurs circulants CD34+ par
cytométrie en flux est régulièrement augmenté à plus de
20 cellules/µL (pour une norme < 10), avec des chiffres parfois
considérables atteignant 100 fois les valeurs physiologiques ; cette
augmentation est principalement corrélée à la fibrose médullaire
mais n’est pas indépendante du caractère prolifératif de la maladie,
notamment de la myélémie.
Il existe un parallélisme entre la
concentration sanguine des cellules CD34+ et l’évolution de la
maladie ; en cas de transformation aiguë, les blastes circulants
viennent encore augmenter la population CD34+.
2- Marqueurs sériques et/ou plasmatiques :
Comme au cours des autres syndromes myéloprolifératifs
chroniques, hyperuricémie et élévation de la concentration sérique
en vitamine B12 sont fréquentes.
Une autre perturbation non
spécifique est l’augmentation considérable des lacticodéshydrogénases
(LDH) jusqu’à dix fois la normale.
L’activité des
phosphatases alcalines sériques est modérément accrue dans 20 à
50 % des cas.
La concentration sérique du peptide aminoterminal du procollagène III est augmentée, en rapport avec
l’activité fibrosante de la maladie.
Ces molécules circulent aussi
en quantité augmentée lors des fibroses médullaires ou tissulaires
relevant d’autres étiologies.
B - MOELLE OSSEUSE :
1- Myélogramme :
Il est généralement difficile à réaliser, du fait de la dureté de l’os, et
la tentative d’aspiration de la moelle est souvent infructueuse :
« blanche » ou prélèvement dilué de sang.
Lorsque le frottis est
analysable, on observe des anomalies traduisant une dysérythropoïèse, voire une dysplasie plus globale, affectant
notamment la lignée mégacaryocytaire, sans excès de blastes.
En présence d’un prélèvement riche, le diagnostic d’anémie
réfractaire peut se discuter ; la coloration de Perls n’identifie que
rarement des sidéroblastes en couronne.
Les anomalies mégacaryocytaires sont connues de longue date mais ont été, au
moins en France, assez peu étudiées et n’ont pas fait l’objet de
descriptions systématisées et comparatives avec celles observées
dans d’autres syndromes myéloprolifératifs (polyglobulie primitive
et thrombocytémie essentielle) et dans les myélodysplasies.
Certains
anatomopathologistes, en particulier le groupe de Thiele en
Allemagne, considèrent l’analyse mégacaryocytaire comme
essentielle et identifient des anomalies qu’ils considèrent comme
spécifiques d’une phase préfibrotique de la MMM.
Cette entité n’est
pas reconnue comme telle par de nombreux hématologistes
européens, dont les Français, qui la rattachent plutôt aux thrombocytémies essentielles ou à certains syndromes
myélodysplasiques.
2- Biopsie médullaire
:
Elle est indispensable au diagnostic de MMM.
L’aspect histologique
est variable d’un malade à l’autre, et souvent d’un territoire à l’autre
chez un même patient. Ward et Block ont proposé une
classification en trois groupes, largement utilisée actuellement.
Des
caractères constants caractérisent l’aspect histologique médullaire de
la MMM : l’hypertrophie et la dystrophie de la population mégacaryocytaire ; les remaniements vasculaires avec augmentation
du nombre et de la taille des sinusoïdes qui contiennent des foyers
d’hématopoïèse intravasculaire ; la fibrose due à l’augmentation de
la population fibroblastique et au dépôt de collagène et d’autres
molécules stromales dans le tissu hématopoïétique.
S’y associent des
aspects spécifiques de chacun des trois types :
– type 1 : forme hyperplasique dite de « fibrose réticulinique » : le tissu
hématopoïétique est riche, le tissu adipeux normalement présent
dans certaines logettes chez l’adulte a presque disparu.
La
densification de la trame fibreuse médullaire est mise en évidence
uniquement par colorations spéciales argentiques.
Périvasculaire et
située autour des logettes médullaires, particulièrement nette dans
les zones de prolifération mégacaryocytaire, elle ne désorganise pas
l’architecture médullaire normale.
Cette fibrose, dite réticulinique,
est due au dépôt dans la matrice de collagène de type III et de
diverses molécules glycaniques ;
– type 2 : forme de « fibrose collagène » : le réseau fibreux intramédullaire beaucoup plus important, constitué de faisceaux
épais, détruit l’architecture médullaire normale.
L’hématopoïèse est
normale ou diminuée, la population mégacaryocytaire
proportionnellement très abondante, cernée par la fibrose.
On parle
de fibrose mutilante, à laquelle on peut voir s’associer un début
d’ossification anormale.
Ce réseau est constitué de collagènes de
types I et III ;
– type 3 : ostéomyélosclérose : le tissu hématopoïétique a quasiment
disparu, remplacé par une prolifération anarchique de tissu fibreux,
qui désorganise l’architecture et occupe les logettes médullaires.
S’y
associe une ostéosclérose, c’est-à-dire une calcification osseuse de
ces fibres, avec ostéoblastes et ostéoclastes qui peuvent être assez
abondants.
Cette classification, assez communément admise, incluait
implicitement une notion d’évolutivité progressive d’une forme vers
l’autre, qui ne repose pourtant sur aucun argument objectif solide.
On peut même dire que la coexistence de plusieurs aspects
histologiques chez le même patient, et la relative stabilité dans le
temps de l’aspect histologique chez un même malade sont des
arguments contre cette hypothèse.
C - AUTRES EXAMENS :
1- Cytogénétique
:
Le caryotype médullaire est souvent infructueux en raison de la
pauvreté du prélèvement ; l’étude cytogénétique des leucocytes du
sang (sans stimulation par la phytohémagglutinine [PHA]) est en
revanche relativement aisée, du fait de la quantité importante de
précurseurs hématopoïétiques circulants, aptes à se diviser.
Une
culture de 24 heures est en règle suffisante pour obtenir des mitoses
analysables.
L’exploitation des prélèvements sanguins a permis
l’étude de séries de patients conséquentes.
L’analyse du caryotype
permet de vérifier l’absence du chromosome Philadelphie (Ph1,
marqueur de la translocation chromosomique q-22 spécifique de la CMC) et identifie une anomalie cytogénétique clonale, aneuploïdie
ou anomalie numérique, dans 30 à 50 % des cas.
Un traitement
préalable ne semble pas accroître notablement cette proportion.
Les
anomalies observées ne sont pas spécifiques ; les plus communes,
totalisant 90 % des caryotypes anormaux, sont des délétions 13q,
20q, 7q et 5q, des trisomies 1q, 8, 9 et 21 et des monosomies 7.
Des remaniements complexes sont rares et peuvent laisser augurer
d’une transformation aiguë.
2- Imagerie :
Une ostéocondensation localisée ou diffuse est manifeste dans 40 %
des cas sur les radiographies du squelette, sans correspondance avec
le stade histologique de la fibrose médullaire.
Elle se voit surtout sur les os longs, le bassin, le crâne, les corps vertébraux par un
épaississement de la corticale et une densification de la trame
osseuse.
L’imagerie par résonance magnétique nucléaire met en évidence
l’expansion de la moelle hématopoïétique dans les territoires
normalement adipeux ; la présence de tissu hématopoïétique,
marquée par un hyposignal en T1 et T2 dans les têtes fémorales et
les grands trochanters, est significative et liée à la sévérité de la
maladie.
Cet aspect non spécifique s’observe dans d’autres
hémopathies prolifératives.
3- Explorations isotopiques :
La scintigraphie médullaire à l’111In transferrine montre une
raréfaction des territoires hématopoïétiques dans le squelette axial
et leur extension vers les os longs et la rate, croissante au cours
de l’évolution.
La mesure isotopique des volumes sanguins donne une indication
du degré réel de l’anémie et fait la part de l’hémodilution liée à la
splénomégalie.
La durée de vie des hématies peut être étudiée après leur marquage
au 51Cr : une réduction modérée de la survie (15-25 jours) est
habituelle en auto- comme en allotransfusion, une hémolyse
franche ne s’observe que chez 15 % des sujets.
Une étude de la survie des plaquettes marquées précise le
mécanisme d’une éventuelle thrombopénie.
L’étude isotopique du métabolisme du fer est utile pour préciser le
mécanisme de l’anémie : l’injection de 59Fe transferrine, suivie de
comptages externes précoces, permet d’ affirmer l’érythropoïèse
splénique dans 90 % des cas.
L’exploration complète associe à des
comptages externes répétés, en regard de la rate, du foie et du
sacrum, une étude cinétique de l’épuration plasmatique et de
l’incorporation globulaire de l’isotope.
La fixation osseuse du fer est
faible ou nulle tandis que la captation splénique, voire hépatique,
est importante et rapide, témoignant de l’activité érythropoïétique
de la rate et du foie.
Le turn over plasmatique du fer, indice de
l’érythropoïèse totale, est augmenté dans 80 % des cas, jusqu’à dix
fois la normale, et contraste avec une incorporation globulaire faible,
ce qui indique une érythropoïèse inefficace.
Barosi distingue trois
catégories de patients :
– la classe I se caractérise par une érythropoïèse inefficace majeure
avec conservation d’une érythropoïèse efficace notable, captation
splénique ou hépatosplénique exclusive de l’isotope et anémie
modérée ou absente ;
– la classe II comporte une hyperhémolyse franche non compensée
par une érythropoïèse partiellement inefficace, à la fois médullaire
et splénique ; l’anémie y est constante ;
– la classe III, plus rare, se définit par une insuffisance globale de
l’érythropoïèse produisant une anémie de type aplasique.
La fixation
osseuse et splénique est faible et l’isotope rapidement détourné vers
les réserves hépatiques.
4- Histologie splénique, hépatique et d’autres organes :
* Rate :
La splénomégalie, parfois très volumineuse, est essentiellement due
à la métaplasie myéloïde de cet organe, c’est-à-dire à l’installation
de foyers d’hématopoïèse hétérotopique.
La capsule splénique est
épaissie et l’examen microscopique montre une hématopoïèse active,
avec de nombreux mégacaryocytes, en particulier dans les
sinusoïdes spléniques.
La fibrose splénique est peu fréquente, en
général peu intense sauf sur des rates de patients ayant une longue
évolution et une hypertension portale.
* Foie :
L’hépatomégalie, retrouvée dans 70 % des cas, est probablement
due à un double mécanisme.
Il existe certes, au niveau des
sinusoïdes hépatiques, une métaplasie myéloïde évidente, là encore
caractérisée par sa richesse en mégacaryocytes.
Une hyperplasie kupfférienne est également décrite.
Mais l’hépatomégalie semble
plus liée à la stase vasculaire hépatique, générée par le
ralentissement du débit circulatoire intrahépatique (métaplasie) et
l’augmentation du flux sanguin afférent (grosse rate) qu’à la
prolifération clonale elle-même.
La fibrose, comme dans la rate, est
un phénomène mineur et tardif qui ne semble pas corrélé à la
métaplasie.
* Autres organes :
Des localisations très variables sont possibles, volontiers
asymptomatiques.
Les ganglions sont les organes le plus souvent
touchés, d’autres peuvent l’être également, de façon plus rare.
Il
s’agit en règle d’une hématopoïèse hétérotopique riche en
mégacaryocytes et en îlots érythroblastiques.
5- Manifestations dysimmunitaires :
Des publications relativement anciennes rapportent des anomalies
immunologiques variées associées à la MMM.
On peut les classer
schématiquement en trois rubriques :
– déficit de l’immunité à médiation cellulaire : des phénomènes
d’anergie cutanée aux antigènes et d’anomalies de formation des
rosettes E ont été décrits ;
– manifestations auto-immunes : une fréquence accrue de divers autoanticorps a été rapportée par certains et contestée par d’autres,
comme des tests de Coombs directs positifs dans 50 % des cas ;
– modifications du complément et présence de complexes immuns
circulants : elles ont été rapportées, avec pour certains une liaison à
l’évolutivité et au pronostic.
Des immunoglobulines (Ig)
monoclonales ont également été décrites.
Ces résultats sont discutables du fait des techniques employées et
de l’absence d’évaluation en fonction de l’âge assez élevé de ces
populations.
Ces descriptions ont fait envisager des mécanismes
pathogéniques auto-immuns à la MMM, à peu près abandonnés
actuellement.
Il est cependant intéressant de noter que certaines
maladies auto-immunes vraies peuvent s’accompagner au cours de
leur évolution de véritables fibroses médullaires.
Diagnostic différentiel
:
Le diagnostic différentiel avec les autres SMP ne se pose guère,
exception faite de certains tableaux hématologiques dits
« transitionnels ».
A - MYÉLODYSPLASIES :
Elles se révèlent aussi par une anémie, affectent la même tranche
d’âge et ont en commun avec la MMM une hématopoïèse
dysplasique, certaines anomalies du caryotype et, dans certains cas,
une fibrose médullaire parfois majeure.
La distinction peut être
difficile dans les formes avec splénomégalie, notamment la dysplasie myélomonocytaire chronique et les syndromes de condensation
anormale de la chromatine.
B - MYÉLOFIBROSES AIGUËS :
Atteignant des patients d’âge varié, elles se sont avérées
correspondre à des leucémies aiguës mégacaryoblastiques (type M7
selon la classification franco-américaine [FAB]) ou à certaines
myélodysplasies aiguës.
Il s’agit d’anémies de constitution rapide
avec splénomégalie discrète ou absente, pancytopénie,
érythromyélémie modeste et déformations minimes des hématies.
La moelle est hyperplasique avec fibrose réticulinique ; on y observe
un excès de blastes et de mégacaryocytes.
L’évolution, rapidement
défavorable, justifie des thérapeutiques lourdes si l’âge le permet.
C - MÉTASTASES MÉDULLAIRES DES ADÉNOCARCINOMES :
Les métastases de cancer, notamment du sein et de la prostate,
produisent à leur contact une importante fibrose qui se traduit à
l’hémogramme par des anomalies identiques à celles de la MMM, si
ce n’est une thrombopénie quasi constante.
Les douleurs osseuses
diffuses sont habituelles et il n’y a pas ou peu de splénomégalie ; les
antécédents sont souvent évocateurs et la biopsie médullaire assure
le diagnostic.
D - TRICHOLEUCOCYTOSE ET LYMPHOMES SPLÉNIQUES :
Ils peuvent se présenter avec une myélofibrose prédominante sans
envahissement médullaire évident.
L’image sanguine est plutôt celle
d’une pancytopénie avec déformations des hématies et
érythromyélémie.
La splénectomie peut être nécessaire au
diagnostic.
Physiopathologie :
A - MODÈLES EXPÉRIMENTAUX
:
À ce jour, il n’existe que quelques types de modèles expérimentaux
murins de myélofibrose associée à un syndrome myéloprolifératif
qui puissent être rapprochés de la pathologie humaine.
L’un est
induit par le rétrovirus sarcomatogène myéloprolifératif (MPSV)
, les autres résultent d’une surexpression de la thrombopoïétine
(Tpo).
Nous avons montré que le modèle provoqué par le virus MPSV partage de nombreuses caractéristiques cliniques et
biologiques avec la pathologie humaine, tant pour ce qui
concerne la myélofibrose que la myéloprolifération.
En
particulier, les modifications qualitatives et quantitatives des progéniteurs hématopoïétiques pluripotents et différenciés
myéloïdes périphériques sont très comparables à celles
observées chez des patients atteints de MMM.
Comme dans la
pathologie humaine, ces progéniteurs forment des colonies en
l’absence de facteurs de croissance exogènes lorsqu’ils sont
ensemencés non purifiés à forte concentration cellulaire.
Dans le
modèle MPSV, l’amplification du compartiment des progéniteurs et
leur « pseudoautonomie » de croissance in vitro résultent d’une
production anormalement élevée de cytokines à activité
fibrogénique (tumor necrosis factor [TNF]-a, transforming growth
factor [TGF]-b, basic fibroblast growth factor [bFGF]) et de facteurs de
croissance hématopoïétiques (interleukine [IL] 1a, IL3, IL6,
granulocyte-macrophage colony stimulating factor [GM-CSF],
granulocyte colony stimulating factor [G-CSF] et macrophage colony
stimulating factor [M-CSF]).
L’injection aux souris infectées
d’anticorps neutralisant l’activité biologique de certains de ces
facteurs de croissance confirme leur rôle dans la genèse de cette myélofibrose expérimentale en freinant son développement.
L’injection de GM-CSF, d’ IL 1, IL 3, IL 6, de leukemia inhibitory factor
(LIF), ou de platelet derived growth factor (PDGF) à des souris, ou
encore la transfection de vecteurs rétroviraux porteurs de ces gènes
provoquent des myéloproliférations proches de celles du modèle
MPSV, mais non systématiquement associées à une myélofibrose.
Ces résultats renforcent le mécanisme pathogénique invoqué.
D’autres modèles expérimentaux dans lesquels la Tpo a été
surexprimée in vivo ont été récemment développés : souris
transgéniques ou transfert du gène par des vecteurs rétroviraux ou
adénoviraux.
Comme dans la pathologie humaine, la myélofibrose
est présente.
Elle s’associe à une thrombocytose peu fréquente dans
la MMM humaine et à des taux sériques de Tpo atteignant des
valeurs 40 000 fois supérieures à la normale, qui contrastent avec
son augmentation modérée de trois à quatre fois chez les patients.
La myélofibrose observée dans la pathologie humaine et dans ces
modèles expérimentaux Tpo induits résulte probablement de
processus distincts.
De plus, les autres élements diagnostiques
définissant la pathologie humaine ne sont pas, pour la majorité
d’entre eux, systématiquement retrouvés dans ces modèles
expérimentaux induits par la Tpo.
Ces modèles sont plus
vraisemblablement des modèles de fibrose hématopoïétique aiguë,
tels qu’on les rencontre dans des pathologies de type myélofibrose
subaiguë maligne et leucémie à mégacaryocytes.
Dans les modèles
de transgenèse, les taux très importants de Tpo entraînent une
augmentation de la production plaquettaire et mégacaryocytaire de
certaines cytokines fibrosantes.
À l’inverse, dans la pathologie
humaine, la production beaucoup plus modeste de Tpo est très
probablement secondaire à la production dérégulée d’autres
cytokines par les cellules hématopoïétiques primitives ou plus
différenciées (mégacaryocytes, macrophages) clonales.
B - PATHOGENÈSE DE LA MYÉLOFIBROSE :
La myélofibrose est l’un des éléments anatomocliniques majeurs de
la MMM.
Vraisemblablement réactionnelle, sa pathogenèse est
désormais mieux comprise. Plusieurs observations suggèrent un rôle
important des cellules de la lignée mégacaryocytaire dans le
développement de cette fibrose :
– l’hyperplasie mégacaryocytaire, avec formes atypiques ou
dysplasiques, caractéristique constante et prédominante de la
MMM ;
– l’association souvent étroite de cette hyperplasie au tissu fibreux ;
– le nombre augmenté de mégacaryocytes et la présence de leurs
précurseurs dans le sang circulant ;
– les transformations leucémiques à micromégacaryoblastes ;
– l’analogie avec certaines pathologies des granules a plaquettaires
s’accompagnant de fibrose médullaire.
Castro-Malaspina a, le premier, montré que les homogénats de
mégacaryocytes stimulaient la prolifération de fibroblastes
médullaires et suggéré le rôle d’un facteur de croissance, le PDGF,
dans la genèse de la myélofibrose.
Selon son hypothèse, le
développement de la myélofibrose résulterait d’un déséquilibre
entre la production accrue de collagène induite par le PDGF et la
diminution de sa dégradation par un inhibiteur de l’activité
collagénase, le facteur plaquettaire 4 (PF4).
Depuis, de nombreuses autres cytokines ont également été
impliquées dans la genèse de cette fibrose réactionnelle.
1- « Platelet derived growth factor »
:
Le PDGF est un polypeptide homo- ou hétérodimérique (AA, BB,
AB).
Produit par différents types cellulaires, il est cependant
principalement synthétisé dans les mégacaryocytes et stocké dans
les granules a des plaquettes.
Parmi ses nombreuses propriétés
biologiques, le PDGF induit la prolifération des cellules du
mésenchyme, telles que fibroblastes, cellules du muscle lisse et
cellules gliales ; il est en outre chimiotactique pour les
fibroblastes, les cellules du muscle lisse, les polynucléaires
neutrophiles et les monocytes.
L’hypothèse d’une libération
anormale de PDGF par les mégacaryocytes dans l’espace
intramédullaire a conduit à mesurer ses concentrations
intraplaquettaires et plasmatiques dans la MMM.
Certains groupes
ont rapporté des taux intraplaquettaires diminués de PDGF et
parfois d’autres protéines a-granulaires comme le PF4 et/ou la
b-thromboglobuline (b-TG), contrastant avec des taux élevés dans le
plasma pauvre en plaquettes.
D’autres groupes ont rapporté
des résultats opposés, avec des valeurs de PDGF intraplaquettaire
significativement élevées.
Bien qu’apparemment contradictoires,
ces données évoquent un relargage anormal et une
synthèse accrue du PDGF par les mégacaryocytes/plaquettes.
Dans
les syndromes myéloprolifératifs en général et dans la MMM en
particulier, des niveaux d’expression élevés de l’acide
ribonucléique (ARN) messager codant les chaînes A et/ou B du
PDGF soutiennent cette dernière hypothèse.
Mais l’absence de stricte
corrélation entre les taux de PDGF intraplaquettaire et le degré de
fibrose suggère fortement que d’autres facteurs de croissance
d’origine mégacaryocytaire, tels que les TGF-b et les bFGF, sont
impliqués dans ce processus complexe.
2- « Transforming growth factor-b »
:
Le TGF-b est une cytokine pléiotrope qui induit l’activation des
fibroblastes et une fibrose dans des modèles animaux et dans des
pathologies non hématologiques.
Il a de puissantes propriétés angiogéniques, stimule l’expression génique et la production
d’inhibiteurs de protéases ainsi que des collagènes de types I, III et
IV, de la fibronectine et de protéoglycanes, alors qu’il inhibe
l’expression de protéases capables de dégrader la matrice.
Comme
le PDGF, ce peptide dimérique synthétisé dans les mégacaryocytes,
présent à des concentrations élevées dans les granules a des
plaquettes, est chimiotactique pour les monocytes et les fibroblastes.
Tous ces arguments suggèrent son implication dans le
développement de la myélofibrose associée aux maladies
hématologiques et en particulier à la MMM.
La synthèse par les mégacaryoblastes de TGF-b sous sa forme active,
alors qu’il est généralement produit sous forme latente, et les
concentrations plasmatiques augmentées rapportées dans la
leucémie à micromégacaryocytes apportent des informations
intéressantes sur son rôle pathogène et sa possible implication dans
la genèse de la fibrose médullaire associée à cette leucémie.
On a
rapporté des taux intraplaquettaires de TGF-b très augmentés dans
la MMM et montré que les mégacaryocytes circulants des
malades expriment et produisent des taux élévés de TGF-b sous
forme latente.
Ces résultats suggèrent fortement que
mégacaryocytes et TGF-b sont étroitement liés à la physiopathologie
de la MMM.
Le TGF-b, puissant agent angiogénique, pourrait, en
outre, participer à la néoangiogenèse observée dans la MMM.
3- « Fibroblast growth factor » basique
:
Le bFGF produit par les cellules stromales médullaires et les cellules
hématopoïétiques est aussi présent dans les mégacaryocytes et les
plaquettes.
Le bFGF est un mitogène puissant pour les cellules
stromales médullaires humaines et, comme le TGF-b, c’est un
puissant facteur angiogénique.
Le bFGF participe à l’hématopoïèse,
en particulier en potentialisant la prolifération des mégacaryocytes
médullaires et de leurs progéniteurs.
Les données sur la possible
implication du bFGF dans des hémopathies sont encore rares ;
cependant, des études récentes ont montré une augmentation de
l’expression du bFGF dans les cellules mégacaryocytaires circulantes
et les plaquettes de malades atteints de MMM.
De façon intéressante,
bien que produisant du bFGF, les cellules mégacaryocytaires de
patients ne l’exportent pas à l’extérieur de la cellule.
Les anomalies
morphologiques des mégacaryocytes de patients, les taux urinaires
élevés de bFGF, ainsi que les taux sériques augmentés détectés chez
les patients font évoquer le relargage anormal du facteur de
croissance par ces mégacaryocytes/plaquettes anormaux et/ou en
cours de lyse.
4- Autres facteurs de croissance
:
Leur rôle dans l’étiologie de la fibrose médullaire ne doit pas être
écarté.
L’epidermal growth factor (EGF) est lui aussi présent dans les
mégacaryocytes et relargué par dégranulation.
Il coopère avec le PDGF et le TGF-b pour stimuler la prolifération des fibroblastes
médullaires humains.
Cependant, la seule étude réalisée a montré
que ses taux intraplaquettaires chez les malades sont normaux.
Outre ces différents facteurs, on a récemment montré que les
mégacaryocytes présents dans la moelle osseuse produisent et
sécrètent de grandes quantités de vascular endothelial growth factor
(VEGF).
Le VEGF est une cytokine multifonctionnelle ; essentielle à
l’angiogenèse, qui peut également favoriser le développement de la
fibrose.
À cet égard, les taux plasmatiques élevés détectés chez les
patients suggèrent que le VEGF pourrait participer au
développement de la MMM, maladie dans laquelle une
néoangiogenèse médullaire est présente également.
Enfin, les
plaquettes sont une source importante de calmoduline, facteur qui
régule la prolifération des fibroblastes humains normaux in vitro.
À
l’inverse des syndromes myéloprolifératifs non associés à une
fibrose, des taux urinaires élevés de calmoduline ont été détectés
chez les patients avec MMM ; ceci pouvant résulter d’un relargage
anormal à partir de mégacaryocytes/plaquettes défectueux.
C - PROLIFÉRATION HÉMATOPOÏÉTIQUE
:
Quelques résultats expérimentaux solides démontrent que la MMM
est une maladie clonale des cellules hématopoïétiques, et que les
fibroblastes, dont le nombre et l’activité fonctionnelle sont accrus,
sont génotypiquement et fonctionnellement normaux.
Jacobson et
al, se basant sur la clonalité de l’enzyme G6PD, ont montré que
les populations hématopoïétiques (érythrocytes, plaquettes,
granuleux) sont monoclonales, alors que les fibroblastes sont
d’origine polyclonale.
Cette première conclusion a ensuite été
confirmée par d’autres méthodes : cytogénétique et analyse
fonctionnelle des populations fibroblastiques et, plus
récemment, techniques de génétique moléculaire montrant des
anomalies géniques acquises touchant les trois lignées
hématopoïétiques.
Nous avons récemment montré que, chez des
patients présentant des anomalies caryotypiques lors de l’analyse
du sang total, les cellules CD34+ appartiennent au clone
pathologique puisqu’elles portent les mêmes anomalies (résultats
personnels non publiés).
La prolifération myéloïde est à rapporter à des augmentations de
10, 15 ou 150 fois des progéniteurs circulants, granulomonocytaires,
érythroblastiques et mégacaryocytaires respectivement, et à des
augmentations très importantes des progéniteurs spléniques,
contrastant avec une diminution, au moins relative, des progéniteurs
médullaires.
Quand les cellules mononucléaires sanguines sont
implantées à forte concentration cellulaire, les progéniteurs forment
des colonies spontanées en l’absence de facteurs de croissance
exogènes.
Nous avons montré récemment que cette « pousse »
spontanée disparaît lorsque l’on cultive des progéniteurs CD34+
purifiés, suggérant que dans la MMM, les cellules non CD34+ du
sang produisent des facteurs de croissance indispensables à la
prolifération et/ou différenciation des progéniteurs
hématopoïétiques.
L’identité de ces facteurs de croissance
hématopoïétiques et/ou fibrosants et les mécanismes de la
dérégulation de leur production sont encore incomplètement
élucidés.
Des résultats récents suggèrent que ces cytokines
pourraient être produites non seulement par les cellules
hématopoïétiques clonales (progéniteurs, mégacaryocytes,
macrophages..), mais également par les cellules de l’environnement
hématopoïétique (fibroblastes, cellules endothéliales..) du sang et des
organes hématopoïétiques atteints.
Leur liaison aux molécules du
stroma médullaire anormalement abondant pourrait être
responsable de fortes concentrations locales, dérégulatrices de
l’hématopoïèse.
1- Rôle des facteurs de croissance fibrosants :
L’augmentation de la population mégacaryocytaire et ses anomalies
morphologiques ont conduit à rechercher l’implication potentielle
du TGF-b et du bFGF produits par ces cellules dans l’amplification
des progéniteurs hématopoïétiques caractéristique de la MMM.
En
effet, ces deux cytokines fibrosantes sont aussi de puissants
régulateurs de l’hématopoïèse précoce : le TGF-b est l’un des
principaux inhibiteurs de la mise en cycle des progéniteurs
hématopoïétiques primitifs, alors que le bFGF stimule leur
prolifération en association avec d’autres facteurs de croissance
hématopoïétiques et/ou en s’opposant aux effets inhibiteurs du
TGF-b.
Des résultats récents ont montré que si l’expression du TGF-b n’est
pas modifiée dans les progéniteurs CD34+ circulants des malades,
en revanche, celle de son récepteur de type II, sous-unité qui lie le
TGF-b est significativement diminuée.
Cette diminution est en
corrélation avec une diminution de la sensibilité des progéniteurs
CD34+ au TGF-b in vitro.
À l’inverse, l’expression du bFGF et de ses
récepteurs de types I et II est très augmentée dans les cellules CD34+
des malades.
Ainsi, la diminution de l’expression du récepteur de
type II du TGF-b et l’augmentation de celle du bFGF et de ses
récepteurs pourraient participer aux mécanismes conduisant à
l’expansion du compartiment des cellules CD34+ chez ces malades.
2- Rôle des facteurs de croissance hématopoïétiques :
Comme cela a été rapporté pour le TGF-b et le bFGF, il existe une
altération de la sensibilité des progéniteurs hématopoïétiques CD34+
de MMM à d’autres facteurs de croissance, dont le stem cell factor
(SCF) (MC Le Bousse-Kerdilès, résultats non publiés).
Par ailleurs,
l’importance des cellules mégacaryocytaires et leur dystrophie dans
la MMM ont conduit diverses équipes à étudier l’implication de la
Tpo et de son récepteur, le c-mpl, régulateurs physiologiques de la
mégacaryocytopoïèse.
Leurs résultats parfois discordants ne
permettent pas aujourd’hui de proposer une hypothèse consensuelle
sur le rôle potentiel de cette cytokine dans la physiopathologie de la MMM.
Le M-CSF, facteur de croissance et d’activation des cellules
monocytaires/macrophagiques, est aussi présent à des taux
augmentés dans le sérum de patients atteints de MMM.
Ces taux
élevés sont corrélés au degré de splénomégalie et d’extension de
l’hématopoïèse aux os longs et ils sont liés à l’augmentation
significative de la population macrophagique de l’organisme, mise
en évidence dans la moelle osseuse par immunohistochimie.
De
plus, l’hypercholestérolémie, l’augmentation du catabolisme des low
density lipoprotein (LDL), l’hypertriglycéridémie, l’augmentation du
lysozyme traduisent l’activation fonctionnelle des macrophages.
L’augmentation de cette population et son activation pourraient
jouer un rôle dans le processus fibrosant et dans l’amplification de
l’hématopoïèse, en produisant de multiples cytokines telles que le
PDGF, le TGF-b, le TNF-a et l’IL1.
Le TNF-a et l’IL1 stimulent la
prolifération des fibroblastes de façon directe, induisent la
production et la sécrétion d’autres cytokines par leurs cellules cibles
et interviennent dans la production de collagène.
Les taux
anormalement élevés de VEGF et de M-CSF pourraient jouer un rôle
synergique dans l’engagement des cellules hématopoïétiques vers la
différenciation macrophagique, s’ils ont, in vivo, le même effet que
celui montré, in vitro, sur des cellules CD34+ purifiées.
Enfin, d’autres facteurs de croissance tels que l’EPO, SCF et IL6
semblent également être impliqués dans le réseau complexe
d’interactions cellulaires participant au développement de la
maladie.
D - HYPOTHÈSES ET MODÈLE PHYSIOPATHOLOGIQUE
:
L’hématopoïèse physiologique est finement régulée par des
interactions entre cellules hématopoïétiques et cellules stromales via
les molécules d’adhésion, les composants de la matrice
extracellulaire et les facteurs de croissance.
Une augmentation de la
production de facteurs de croissance par les cellules
hématopoïétiques et stromales, leur concentration accrue in situ dans
les organes hématopoïétiques et les modifications qualitatives et
quantitatives des molécules stromales semblent avoir un rôle
déterminant dans la pathogenèse de la MMM.
Nos résultats récents
et les données de la littérature nous ont amené à proposer un
modèle pathogénique et physiopathologique de la MMM.
Dans cette pathologie complexe, une altération du dialogue entre
les cellules souches hématopoïétiques et les cellules de leur
environnement stromal pourrait être à l’origine de la production
excessive de cytokine(s) par les cellules du clone hématopoïétique
(progéniteurs CD34+, mégacaryocytes, monocytes, etc), avec pour
conséquence l’activation réactionnelle des cellules stromales.
Celles-ci produiraient alors en excès facteurs de croissance, cytokines
et composants de la matrice extracellulaire et entretiendraient
l’amplification de ce clone dont la sensibilité à certaines de ces
cytokines inhibitrices et/ou stimulatrices est altérée.
La spécificité
de ce processus pathologique résulterait d’altérations dans le réseau
d’interactions humorales plus que de la nature et des effets de
chaque cytokine prise individuellement.
Outre les signaux transmis par les facteurs de croissance via leurs
récepteurs, des interactions cellule-cellule ou cellule-matrice
pourraient également moduler l’expression de gènes impliqués dans
le développement des cellules hématopoïétiques.
La mise en
évidence récente de modifications de l’expression de composants de
la matrice extracellulaire et de molécules d’adhérence par les
fibroblastes spléniques de patients corrobore cette hypothèse.
De
plus, des expériences de coculture croisée entre cellules CD34+ et
fibroblastes de patients et de sujets sains suggèrent
l’interdépendance du couple progéniteurs CD34+/fibroblastes dans
la myéloprolifération de la MMM.
Enfin, la néoangiogenèse,
importante dans cette pathologie, et les taux plasmatiques élevés de
VEGF détectés chez les malades suggèrent que les cellules
endothéliales pourraient participer au processus pathologique.
Les
éléments énumérés ici suggèrent tous que même si l’anomalie
primitive initiatrice de la MMM est unique et simple, elle déclenche
une cascade de réponses multiples des cellules hématopoïétiques
clonales comme des cellules stromales environnantes telles que
cellules endothéliales et fibroblastes.
Initialement local, médullaire,
le processus pathologique s’étend progressivement, alors que
s’installe la fibrose, aux territoires métaplasiques hépatique et
splénique colonisés par les cellules hématopoïétiques.
Le diagnostic
de MMM est souvent posé à des phases avancées de la maladie,
alors que se sont installées des interactions complexes entre le(s)
phénomène(s) pathogène(s) initial(aux) et des phénomènes
réactionnels secondaires.
L’analyse individuelle de chacun de ces
paramètres est difficile, expliquant sans doute les larges plages
d’ombre qui persistent dans la compréhension de la pathogénie et
de la physiopathologie de cette affection d’incidence rare.
Pourtant,
l’ensemble des résultats présentés dans ce paragraphe, récents pour
la plupart, ont permis de progresser dans la compréhension des
mécanismes physiopathologiques de la MMM.
Survie et pronostic :
A - SURVIE :
Elle est très variable d’un patient à l’autre et d’une étude à l’autre,
beaucoup plus longue quand elle est calculée à partir des premiers
signes (paramètre difficile à établir avec précision car entaché de
subjectivité) qu’à partir du diagnostic, généralement daté de la
première biopsie médullaire, témoignant de la myélofibrose.
La
médiane de survie globale à partir du diagnostic se situe habituellement autour de 40 à 60 mois.
Certaines séries sont
plus pessimistes avec des médianes de 17 à 18 mois, d’autres
beaucoup plus favorables, avec une médiane de 110 à 127 mois
probablement en partie à cause de l’inclusion de polyglobulies.
La
durée de vie varie de façon continue dans de larges mesures, et l’on
ne peut décrire en fait de groupes distincts, contrairement à ce qui
avait été proposé.
La plus longue survie, difficile à répertorier, se
situerait autour de 20 ans, à partir du diagnostic, en excluant les
polyglobulies.
B - FACTEURS PRONOSTIQUES :
La valeur pronostique vis-à-vis de la survie de nombreux paramètres
cliniques et paracliniques, évalués lors du diagnostic, a été étudiée
dans de nombreuses séries de la littérature.
1- Présentation clinique :
Un délai court (< 13 mois) entre le diagnostic et les premiers signes
serait péjoratif.
Le caractère symptomatique de la maladie est
généralement de mauvais augure, en particulier l’amaigrissement et
l’hyperthermie inexpliquée, ou leur apparition lors de l’évolution.
Le sexe n’a aucune valeur pronostique dans la majorité des
publications avec parfois des exceptions en faveur des
femmes.
L’âge élevé est unanimement reconnu comme un critère
défavorable, en partie pour des causes intercurrentes.
Une
médiane à 120 mois est en particulier retrouvée chez les moins de
45 ans.
La taille de la rate semble sans valeur pronostique.
L’hépatomégalie a une signification pronostique mineure ou nulle
, même après splénectomie.
2- Hémogramme
:
L’anémie (hémoglobine [Hb] < 10g/dL) est le paramètre pronostique
majeur, reconnu par tous.
La réticulocytopénie a peu d’intérêt,
considérée parfois comme péjorative, ou non.
Sans
signification dans des séries anciennes, la numération leucocytaire
revêt un caractère péjoratif majeur dans les valeurs extrêmes dans
une série plus récente, au même plan que l’Hb.
Une myélémie
importante et/ou une blastose sanguine sont souvent considérées
comme défavorables.
Le caractère légèrement péjoratif de la
thrombopénie est fréquemment retrouvé.
3- Histologie
:
Les études anciennes retrouvaient un pronostic plus favorable dans
les types I par rapport aux types II et III.
Les études plus récentes
dénient toute valeur pronostique à l’histologie médullaire, en dehors
des rares formes dites aplasiques ou avec une métaplasie myéloïde
hépatique marquée plus péjorative.
4- Épreuves isotopiques
:
Elles sont d’interprétation difficile, les résultats étant peu
reproductibles et discordants d’une équipe à l’autre.
L’aspect
d’érythroblastopénie, très rarement observé (classe III de Barosi),
semble très péjoratif.
5- Cytogénétique
:
Les études précisant la valeur pronostique de la cytogénétique sont
rares, le nombre de cas y étant généralement trop faible pour se
prêter à une analyse statistique.
Récemment, la valeur pronostique
péjorative des anomalies du caryotype au diagnostic a été
démontrée (p < 0,01), indépendamment des autres facteurs, cette
différence n’étant liée qu’en partie à une fréquence apparemment
accrue de transformation aiguë.
Une modification du caryotype
lors de l’évolution serait également défavorable, annonçant
notamment la transformation aiguë.
6- Traitement :
Aucune étude n’a pu démontrer à ce jour d’amélioration de la survie
avec le traitement, qu’il soit médical ou chirurgical, mais
l’appréciation est difficile en raison de l’absence d’analyses
comparatives et de la grande variabilité d’évolutivité de la maladie.
Visani retrouve un pronostic plus favorable chez les patients
splénectomisés, élément qui perd sa valeur dans l’analyse
multiparamétrique.
En conclusion, l’évolution est assez imprévisible pour un patient
donné au moment du diagnostic, malgré le développement de scores
et d’arbres de décision.
Les cytopénies, en particulier l’anémie et
les formes aplasiques, sont péjoratives, ainsi que les signes généraux
d’hypermétabolisme (amaigrissement surtout), les grandes
proliférations de la lignée blanche (hyperleucocytose, myélémie,
blastose sanguine) et les anomalies cytogénétiques.
Traitement
:
Les formes asymptomatiques doivent être surveillées tous les 2 à
3 mois par un examen clinique (état général, splénomégalie), un
hémogramme complet et un bilan métabolique (uricémie,
créatinine).
Les formes prolifératives, caractérisées par une hyperleucocytose,
une thrombocytose, une splénomégalie volumineuse ou
symptomatique, justifient une tentative de chimiothérapie prudente
sous surveillance hebdomadaire de l’hémogramme ; la myélofibrose
majore en effet la toxicité hématologique de ces agents.
L’hydroxyurée à la posologie initiale de 0,5 g/j, progressivement
augmentée en fonction de la tolérance hématologique, amène en
quelques mois une réponse objective dans 50 % des cas (réduction
de la leucocytose, de la numération plaquettaire, diminution, voire
disparition de la splénomégalie et de ses conséquences, y compris
l’anémie).
La réponse peut être entretenue avec des posologies plus
faibles.
Le risque aplasiant est minime dans ces conditions et les
éventuelles cytopénies rapidement réversibles.
La toxicité limitante
principale à long terme est une anémie progressive qui peut
conduire à interrompre le traitement.
Le pipobroman à la posologie
de 25 à 50 mg/j représente une alternative valable en cas d’échec,
d’échappement ou d’intolérance à l’hydroxyurée.
Les alkylants ne
sont plus utilisés en raison de leur risque aplasiant (busulfan) et
surtout leucémogène.
Plus de cent cas traités par interféron a
recombinant sont rapportés dans la littérature en observations
isolées ou courtes séries ; les patients sont généralement âgés, avec
une maladie évoluant depuis plusieurs années.
Les posologies
varient de 9 à 30 X 106 UI par semaine.
La tolérance est médiocre et
entraîne fréquemment un arrêt de traitement dans les premiers mois.
Chez la minorité de patients ayant pu poursuivre jusqu’à 1 an, les
résultats sont mitigés et contradictoires mais plusieurs auteurs
décrivent un bénéfice sur l’anémie et/ou la splénomégalie.
Sur le
plan biologique, l’interféron a ne modifie pas la concentration
sérique du procollagène III ni la myélofibrose ; la réduction de la
quantité de progéniteurs circulants est vraisemblable mais
controversée.
L’interféron c a été peu utilisé et son efficacité clinique semble
modeste en regard de sa toxicité générale.
Les deux interférons
pourraient avoir des effets synergiques comme c’est le cas in vitro
mais leur association n’a pas fait l’objet d’expérimentations
cliniques.
A - TRAITEMENT DE L’ANÉMIE :
Les mécanismes de l’anémie sont divers et les explorations
isotopiques utiles pour guider les indications thérapeutiques. On
recherche d’abord les rares états de carences (fer, folates, vitamines
B6 ou B12) nécessitant une correction spécifique.
La transfusion de concentrés érythrocytaires, parfois nécessaire dès
le diagnostic, le devient en cours d’évolution : on utilise d’emblée
des préparations phénotypées pour prévenir l’immunisation vis-àvis
des antigènes érythrocytaires.
En cas de splénomégalie
volumineuse, la rate séquestre une partie des hématies transfusées,
phénomène à prendre en compte pour apprécier l’effet des
transfusions.
Les dérivés peu virilisants des androgènes comme la noréthandrolone ou la fluoxymestérone, qui stimulent
l’érythropoïèse, ont été utilisés par voie orale ; la posologie
recommandée est de 1 mg/kg/j comme dans les érythroblastopénies.
Ces traitements, peu coûteux, sont de toxicité réduite
et réversible (rétention hydrosodée, cholestase).
L’indication de
choix est l’insuffisance de l’érythropoïèse mais ils méritent d’être
essayés dans d’autres cytopénies, qu’ils peuvent aussi améliorer.
Une réponse s’observe en 3 à 6 mois dans plus de 50 % des anémies
(Hb majorée d’au moins 2 g/dL) et 90 % des thrombopénies ; le
bénéfice peut être entretenu par des posologies faibles. Des résultats
intéressants ont aussi été signalés avec le danazol à raison de 400 à
600 mg/j.
Les corticoïdes, à la posologie de 60 mg/j, sont parfois efficaces sur
la composante hémolytique de l’anémie ou sur la thrombopénie ; ils
constituent le traitement de première intention en cas d’anémie
hémolytique (ou de thrombopénie) auto-immune avérée
(exceptionnelle).
L’induction par la méthylprednisolone d’une
rémission hématologique avec correction de l’hémogramme et
résolution de la myélofibrose a été signalée dans plusieurs cas avec
des posologies élevées (20 à 30 mg/kg/j).
L’EPO est inefficace aux posologies usuelles (50 à 300 U/kg), quelle
que soit la concentration d’EPO dans le sérum du patient ; de
rares succès ont été décrits dans des formes érythroblastopéniques.
B - SPLÉNECTOMIE :
Sa mauvaise réputation s’attache à la notion ancienne de
complications postopératoires fréquemment fatales ; cela n’est pas
confirmé par les séries récentes où la décision chirurgicale n’est
plus considérée comme l’ultime recours et où la mortalité précoce
est inférieure à 10 % (9 % dans la série de 223 patients opérés à la
Mayo Clinic).
Les indications de la splénectomie sont : l’existence
d’un besoin transfusionnel majeur non amélioré par les traitements
conventionnels (androgènes ou corticoïdes), plus généralement les
cytopénies de mécanisme périphérique et notamment une
thrombopénie menaçante, la splénomégalie volumineuse et/ou
compliquée de douleurs, d’infarctus spléniques réitérés ou
d’hypertension porte.
La décision d’intervenir ne s’envisage
qu’après échec d’une tentative de traitement médical.
Les contreindications
sont également claires : un profil isotopique
d’insuffisance quantitative majeure de l’érythropoïèse (classe III de
Barosi), un état général dégradé, une numération plaquettaire élevée
doivent faire récuser l’intervention.
Les risques hémorragiques sont
appréciés par un bilan d’hémostase préopératoire soigneux incluant
la recherche d’une coagulation intravasculaire disséminée et les
dosages des facteurs V, VIIIc, vWF, de manière à appliquer la
prévention appropriée (transfusion de concentrés plaquettaires
notamment).
Les conditions de succès de la splénectomie sont le
respect des contre-indications, le choix judicieux du moment et le
recours à une équipe chirurgicale entraînée à ce geste dans cette
situation.
La morbidité postopératoire précoce, dans les 3 mois, est estimée à
40 % dans une revue de 307 cas de la littérature et concerne surtout
des patients avec splénomégalie très volumineuse : il s’agit
d’hyperleucocytose et de thrombocytose nécessitant la reprise d’un
traitement cytoréducteur, d’hémorragies, d’abcès sous-phréniques,
d’infections pulmonaires et de thromboembolisme.
La morbidité
tardive affecte 30 à 50 % des patients et comporte une hépatomégalie
progressive avec cholestase anictérique, une inflation leucocytaire
ou plaquettaire difficilement contrôlable ainsi que des accidents
thrombotiques.
La fréquence accrue des transformations aiguës
après splénectomie a été établie, mais l’intervention n’est peut être
pas en cause : une bonne part des patients splénectomisés le
sont tardivement pour des signes compatibles avec une évolution
subaiguë : augmentation de la dépendance transfusionnelle,
cytopénies, splénomégalie compliquée.
La biopsie médullaire et le
caryotype sont rarement répétés ; une étude histologique
rétrospective de pièces de splénectomie de huit patients
ultérieurement décédés de transformation aiguë a mis en évidence
dans tous les cas des foyers blastiques.
Les résultats de l’intervention ne sont pas tout à fait homogènes
selon les auteurs : dans les séries européennes et selon notre propre
expérience, ils sont largement favorables : amélioration du confort
et de l’état général chez 90 % des patients opérés, correction de
l’anémie dans la moitié des cas, de la thrombopénie ou de la
leucopénie dans 75 à 90 % des cas.
Dans la plus importante série
américaine, la correction des cytopénies est plus aléatoire, mais à
l’inverse de notre pratique, la sélection des patients ne repose pas
sur les explorations isotopiques de l’érythropoïèse ou de la durée de
vie des plaquettes selon les cas.
La médiane de survie postopératoire est voisine de 2 ans dans la
plupart des séries ; l’intervention ne semble pas modifier la survie
globale et il est admis par tous qu’une splénectomie précoce
n’apporte aucun bénéfice en termes de survie.
C - RADIOTHÉRAPIE
:
Elle conserve des indications limitées : une irradiation splénique
prudente (3 à 10 Gy) peut être efficace sur les douleurs d’infarctus
splénique mais s’adresse surtout aux complications de la
splénomégalie en cas de contre-indication opératoire.
L’irradiation doit être fractionnée et nécessite une surveillance
hématologique rigoureuse en raison du risque de cytopénie
majeure ; la réduction du volume splénique et le bénéfice fonctionnel
sont transitoires ; objectivement, on observe une diminution de la
quantité de progéniteurs circulants.
Une radiothérapie
abdominale en « bain » de 8 à 10 Gy est bénéfique sur les foyers
péritonéaux de métaplasie myéloïde responsables d’ascite. Un
foyer douloureux osseux localisé peut être soulagé par quelques
séances d’irradiation en flash.
Les rares foyers d’hématopoïèse
ectopique douloureux ou compressifs sont également accessibles à
la radiothérapie.
D - GREFFE DE CELLULES SOUCHES HÉMATOPOÏÉTIQUES :
La greffe allogénique ne peut concerner qu’une minorité de patients
suffisamment jeunes et pourvus d’un donneur human leukocyte
antigen (HLA) identique.
En effet, l’âge limite de 55 ans pour cette
procédure est bien inférieur à l’âge médian du diagnostic.
De plus,
il est établi que les patients les plus jeunes ont en général une survie
prolongée (médiane > 12 ans), ce qui suppose une évaluation
soigneuse du pronostic afin de réserver l’allogreffe aux patients
ayant des critères défavorables.
Les résultats d’une large étude
coopérative européenne font état d’une probabilité de prise de
greffe de 82 % au 30e jour, favorablement influencée par la
splénectomie, le nombre élevé de progéniteurs transplantés et une
fibrose de grade inférieur à III ; la myélofibrose disparaît dans
l’année qui suit la greffe.
La probabilité de développer une maladie
de greffon contre l’hôte (MGCH) de grade II à IV est de 60 % et les
deux tiers de patients survivant plus de 100 jours ont une MGCH
chronique.
La probabilité de survie à 5 ans est d’environ 50 % avec
une réapparition de la maladie chez la plupart des survivants,
notamment ceux indemnes de MGCH ou ayant manifesté une
MGCH modérée.
Les cellules souches périphériques sont abondantes en cas de myélofibrose et peuvent être facilement collectées.
Ceci a donné lieu
chez des patients évolués à des tentatives d’autogreffe par
réinjection après un conditionnement relativement modeste par busulfan seul de 16 mg/kg.
Moyennant une toxicité modérée, la
reconstitution hématopoïétique s’obtient assez rapidement
(médianes de 21 jours pour les granulocytes neutrophiles et 25 jours
pour les plaquettes) ; les résultats sont favorables sur l’anémie dans
50 % des cas et la splénomégalie régresse chez la plupart des
patients.
La maladie rechute immanquablement puisque les cellules
réinjectées sont clonales.
Néanmoins, cette procédure expérimentale
a permis d’appliquer un conditionnement suffisant pour obtenir une
régression notable du syndrome myéloprolifératif et de la fibrose.
E - TRAITEMENT DES COMPLICATIONS :
Les infarctus spléniques justifient le repos, l’application de glace et
l’administration d’antalgiques et d’anti-inflammatoires ; un
traitement cytoréducteur est souvent nécessaire.
En cas de répétition des accidents, la splénectomie sera discutée.
La transformation aiguë
relève de mesures purement palliatives (transfusion, antalgiques) ;
son évolution peut être progressive sur plusieurs mois.
F - AUTRES THÉRAPEUTIQUES :
Divers produits ont été essayés avec des succès occasionnels :
dihydroxyvitamine D3, étidronate, deféroxamine, colchicine.
La D-pénicillamine, les inhibiteurs de la monoamine-oxydase,
empêchant la formation de collagène, et la suramine, antagoniste du
PDGF, sont toxiques et inefficaces.
La démonstration d’une implication de l’angiogenèse dans la
physiopathologie de la maladie a conduit récemment à essayer le
thalidomide ; ce médicament, encore en cours d’évaluation, en
particulier dans un essai multicentrique européen, semble chez
certains patients améliorer les cytopénies, au prix d’une toxicité
notamment neurologique parfois rédhibitoire ; selon quelques
observations préliminaires, l’influence du thalidomide sur les
marqueurs sériques d’angiogenèse ne paraît pas évidente.
Par un
mécanisme mal compris, certains patients manifestent, après
quelques semaines de traitement, une exacerbation proliférative de
leur maladie avec inflation leucocytaire et/ou plaquettaire et risque
élevé de thromboses.
Conclusion :
La MMM a été individualisée depuis plus d’un siècle maintenant. Sa
fréquence faible explique peut-être pour une part le relatif désintérêt des
hématologistes depuis ces 20 dernières années.
Mais il est plus probable
que celui-ci est essentiellement dû à la relative chronicité de l’affection,
aux résultats décevants des thérapeutiques depuis 20 ans, et à l’absence
d’explications physiopathologiques claires.
Depuis quelques années,
l’exploration de la physiopathologie progresse.
Ces résultats, encore
modestes, peuvent provoquer un regain d’intérêt pour cette pathologie
peu fréquente de la deuxième partie de la vie, dont l’évolution
« traitée » reste encore hélas assez proche de l’histoire naturelle de
l’affection.
On peut en particulier envisager de nouvelles approches
thérapeutiques fondées sur ces nouvelles connaissances et sur la
disponibilité de nouvelles molécules dont les cytokines.
Cependant, du
fait de l’évolution relativement lente et imprévisible de la splénomégalie
myéloïde et de la complexité de sa physiopathologie, il est hautement
probable qu’on ne pourra pas se contenter d’approches thérapeutiques
univoques et qu’il faudra des essais thérapeutiques successifs portant
sur un nombre de malades relativement important et sur des périodes
d’évolution assez longues, pour voir se dessiner des schémas de
traitement efficaces et satisfaisants.