Médicaments et allaitement maternel Cours de
Gynécologie Obstétrique
Aspects pharmacologiques
:
A - MODÈLE PHARMACOCINÉTIQUE :
Le modèle pharmacocinétique utilisé est un système à trois
compartiments :
– le compartiment plasmatique maternel ;
– le compartiment lacté ;
– le nourrisson.
Le médicament passe par diffusion du plasma vers le lait (ou du lait
vers le plasma).
Le lait est ingéré et le médicament diffuse à nouveau
du tube digestif vers le secteur plasmatique du nourrisson.
Le compartiment maternel, le médicament, le compartiment
nouveau-né/nourrisson sont successivement envisagés.
B - COMPARTIMENT MATERNEL :
1- Taux plasmatiques maternels
:
Les taux plasmatiques maternels sont sous la dépendance de la voie
d’administration (entérale ou parentérale) et de la posologie.
Le métabolisme du médicament et sa biotransformation en
métabolites actifs sont à prendre en compte.
Des prises répétées
peuvent entraîner des pics plasmatiques du produit lui-même, puis
de son métabolite actif, et une diffusion quasi continue dans le lait
maternel, aboutissant à une accumulation chez le nourrisson.
En jouant sur les voies d’administration et les horaires des tétées, il
peut donc être possible de limiter les concentrations lactées et, par
conséquent, la dose délivrée au nourrisson.
2- Sécrétion lactée
:
La synthèse et la sécrétion lactées sont déclenchées par la sécrétion
de prolactine, elle-même entretenue par la succion.
La sécrétion
lactée quotidienne est variable (de 400 à 900 mL) et atteint un
maximum en fin de nuit.
Le flux plasmatique mammaire est
considérable, représentant 400 à 500 fois le volume de la sécrétion
lactée, ce qui facilite les échanges lait-plasma.
Le volume sécrété
augmente également au fil des semaines (400 à 900 mL/j).
L’ocytocine entraîne la contraction des cellules myoépithéliales et
l’éjection du lait dans les canaux galactophores.
D’autres hormones interviennent dans le volume sécrété : hormone corticotrope (ACTH), insuline, cortisol, hormones thyroïdiennes.
Certains médicaments également, qui sont envisagés plus loin,
jouent un rôle.
La tétée présente des particularités dont la connaissance est
indispensable aux études pharmacocinétiques : au cours des
5 premières minutes, plus de la moitié des protéines et la moitié du
volume sont ingérées.
En revanche, l’absorption des graisses est
constante et le reste de la tétée représente un quart à un tiers de
l’apport énergétique total.
3- Variations de la composition et du volume sécrété
:
La composition du lait varie très largement au cours des premières
semaines après l’accouchement.
Le colostrum est riche en protéines,
pauvre en lipides et électrolytes.
Il se transforme peu à peu pour
atteindre sa formule définitive au cours de la troisième semaine.
Le pH du colostrum est alcalin.
Celui du lait définitif est plus acide
mais varie d’une femme à l’autre et au cours de la tétée pour une
même femme (6,35 à 7,65).
Les taux de lipides sont plus élevés le matin et à la fin de la tétée (4
à 5 fois plus) qu’au début de celle-ci.
Les taux de protéines sont plus
élevés à la fin de la tétée.
Les variations de volume et de composition du lait jouent un rôle
dans le transfert du médicament du plasma vers le lait.
Les médicaments eux-mêmes ont une influence directe sur ces
variations :
– les neuroleptiques augmentent le volume excrété en stimulant la
synthèse de prolactine ;
– les diurétiques, les oestrogènes, les dérivés de l’ergot de seigle ont
un effet inverse.
4- Mode de passage du médicament dans le lait
:
Plusieurs modes de passage ont été décrits.
Le plus fréquent
correspond à la diffusion passive, mais d’autres mécanismes ont été
mis en évidence.
La diffusion passive concerne les substances de poids moléculaire
(PM) inférieur à 800 (salicylés, sulfamides...).
Elle se fait sans apport
d’énergie, dans le sens du gradient de concentration entre plasma et
alvéole de la glande mammaire, sous forme liposoluble et non
ionisée.
La diffusion se fait en deux temps : passage dans l’espace périalvéolaire, puis dans l’espace alvéolaire, directement à travers
les pores intercellulaires (PM inférieur à 200) ou par l’intermédiaire
des cellules sécrétrices.
La diffusion facilitée permet le passage de certaines molécules
inaptes au passage transmembranaire (en raison de leur taille et de
leur coefficient de partage), grâce à un transporteur spécifique.
Le transport actif se fait dans le sens inverse d’un gradient de
concentration et nécessite à la fois un transporteur et de l’énergie.
Il
ne concerne qu’un nombre très restreint de médicaments.
C - MÉDICAMENT
:
Le passage du médicament dans le lait maternel se fait surtout par
diffusion passive et dépend donc de ses propriétés
physicochimiques d’une part et de sa concentration dans le
compartiment plasmatique maternel d’autre part.
1- Propriétés physicochimiques
:
* Ionisation. pKa :
Chaque molécule a une capacité propre de se dissocier en forme
ionisée (I) et non ionisée (NI).
C’est son pKa (pour une substance
basique par exemple pKa = pH + log I/NI).
C’est le pH environnant
qui conditionne son degré d’ionisation.
La forme ionisée ne traverse
pratiquement pas les membranes biologiques.
Les médicaments de type base faible (érythromycine, lincomycine,
triméthoprime...) sont moins ionisés dans le plasma que dans le lait
qui est plus acide.
Après passage dans le compartiment lacté, la
forme non ionisée s’ionise et reste retenue dans le lait.
On parle d’ion trapping, phénomène expliquant des concentrations plus élevées
dans le lait que dans le plasma.
Le processus est inversé pour les
médicaments acides faibles (acide acétylsalicylique, phénobarbital...).
* Liposolubilité :
Le taux de lipides dans le lait de mère est de l’ordre de 30 à 35 g/L
contre 5 g/L dans le plasma.
La liposolubilité d’une molécule
explique un bon passage lait-plasma, voire une concentration dans
le lait supérieure à celle du plasma.
Ce phénomène est en partie contre-balancé par la capacité qu’ont
les molécules hydrosolubles de diffuser par l’intermédiaire des pores
cellulaires pour des poids moléculaires inférieurs à 600.
* Liaison aux protéines
:
Plus forte est la liaison aux protéines plasmatiques (albumine
essentiellement), plus faible est la diffusion plasma-lait.
Cette forte
liaison concerne en particulier les molécules acides faibles qui ont
une concentration basse dans le lait de la mère.
* Poids moléculaire :
La diffusion transmembranaire est liée à la petite taille du
médicament.
La majorité d’entre eux ont un PM faible (250 à 500).
Ainsi, les molécules liposolubles, peu ionisées, peu liées aux
protéines et de petite taille ont un passage facile et important dans
le lait de mère.
2- Gradient de concentration (rapport L/P)
:
Le passage d’une substance dans le lait de mère se fait dans le sens
du gradient de concentration, le pic plasmatique étant suivi d’un
pic dans le lait, les concentrations de part et d’autre des membranes
ayant tendance à l’équilibre.
La quantification du gradient de concentration est possible en
calculant le rapport lait/plasma (L/P) théorique.
– pour une substance neutre le rapport L/P est proche de 1 ;
– pour une substance acide (pKa entre 3 et 7), le rapport L/P est
inférieur à 1.
Elles sont très ionisées dans le plasma et peu
concentrées dans le lait, surtout si elles sont fortement fixées aux
protéines plasmatiques ;
– pour une substance basique (pKa entre 7 et 9), le passage est
proportionnel à la différence de pH entre lait et plasma.
Elles ont
tendance à se concentrer dans le lait maternel, surtout si elles sont
liposolubles (ion trapping).
En pratique, les variations sont grandes entre L/P théorique et L/P
mesuré par dosage et la valeur de ce dernier est beaucoup plus
pertinente.
De plus, le rapport L/P est une valeur évolutive en
fonction du temps et de la rapidité de diffusion de la substance.
Pour des médicaments à transfert rapide, le pic de concentration
dans le lait suit de près le pic plasmatique, puis décroît
parallèlement en fonction du temps : le rapport L/P reste constant.
Juste avant la prise médicamenteuse suivante, la concentration dans
le lait est la plus basse et la quantité ingérée par le nourrisson est
moindre.
Pour des substances dont la diffusion est lente, le ratio L/P évolue
en fonction du temps avec un pic lacté très décalé.
Le rapport peut
s’inverser lorsque les concentrations plasmatiques deviennent
inférieures à celles du lait et la substance peut diffuser en sens
inverse.
Pour d’autres enfin, au cours de traitements chroniques, (après 5 à
7 demi-vies du médicament) existe un plateau de concentration
maternelle et un transfert à ratio L/P constant pouvant aboutir à
une accumulation chez le nourrisson dont les capacités d’épuration
sont très différentes de l’adulte.
Le rapport L/P peut varier en fonction d’autres facteurs :
– le pH du lait ;
– le volume sécrété ;
– les variations de composition lipidique et protidique.
En pratique, ces différents paramètres doivent être appréhendés
conjointement.
La quantité ingérée par le nourrisson dépend en effet
non seulement de la concentration dans le lait au moment de la
tétée, mais encore de la quantité prise.
Celle-ci doit être évaluée sur
24 heures et ramenée au kilo de poids corporel si l’on veut avoir
une idée précise de l’action pharmacodynamique du produit sur
l’enfant allaité.
Deux exemples peuvent illustrer l’utilisation du rapport L/P.
– Médicament à rapport L/P inférieur ou égal à 1 : la théophylline.
La concentration plasmatique thérapeutique minimale est de
10 mg/L.
Le rapport L/P est en moyenne de 0,7, la concentration
lactée est donc de 7 mg/L, la quantité ingérée par l’enfant est donc
voisine de 3,5 mg/j pour 500 mL de lait ingéré, ce qui représente
environ 1/10e de la posologie adaptée au poids.
Cependant, la
pharmacocinétique variable en fonction de la maturation des
systèmes enzymatiques néonatals peut expliquer des effets
pharmacologiques au cours des premières semaines.
– Médicament à ratio L/P supérieur à 1 : l’acébutolol.
L’acébutolol
et son métabolite, le N-acétyl-acébutolol, sont excrétés dans le lait
avec un rapport L/P proche de 7 et de 12, respectivement.
Les
concentrations dans le lait dépendent des doses ingérées par la mère,
mais peuvent atteindre 4 mg/L, ce qui représente pour le
nouveau-né la moitié de la dose administrée à sa mère en mg/kg/j.
L’administration anténatale du médicament peut, dans cet exemple,
aboutir à un taux plasmatique néonatal relativement élevé et
expliquer une élévation postnatale rapide de ce taux avec
l’alimentation lactée.
Pour d’autres médicaments, en dépit d’un rapport L/P supérieur à
1, la quantité effectivement ingérée puis absorbée par l’enfant reste
très inférieure aux doses thérapeutiques.
C’est le cas de la cimétidine, dont les doses ingérées par le nourrisson sont plus de
100 fois inférieures à celles de sa mère, en dépit d’un rapport L/P
pouvant atteindre 12.
Ceci est expliqué par la faible
biodisponibilité de la cimétidine due à un effet de premier passage
hépatique marqué.
D - COMPARTIMENT NOUVEAU-NÉ/NOURRISSON :
Le compartiment représenté par le nouveau-né, puis le nourrisson,
a ses propres particularités pharmacocinétiques, dont la principale
est l’évolutivité dans le temps.
La croissance rapide du poids et de
la surface corporelle, du volume de distribution, et la maturation
des processus enzymatiques expliquent les grandes variations
observées pendant les premières semaines de vie et, à un moindre
degré, pendant les premiers mois.
La quantité de médicament ingérée est extrêmement variable car elle
dépend de paramètres multiples :
– abondance de la sécrétion lactée, moment de la tétée, volume bu ;
– délai prise médicamenteuse/allaitement, composition du lait.
L’évaluation la plus fiable de la quantité ingérée consiste à calculer
le produit du volume bu par la concentration du médicament.
L’évaluation exacte doit prendre en compte les variations de
concentration dans le temps, le moment des tétées et de la dernière
prise médicamenteuse.
1- Absorption digestive :
Certains médicaments sont détruits dans le tube digestif du
nourrisson (anesthésiques locaux, adrénaline, insuline) ou non
absorbés (aminosides, héparine).
Pour les autres, plusieurs facteurs interviennent pour expliquer la
diminution de l’absorption digestive chez le nouveau-né : vidange
gastrique plus lente, pH gastrique moins acide.
Le plus important
est la diminution de la vitesse d’absorption.
Elle a pour conséquence
des taux plasmatiques inférieurs en période néonatale, sauf pour les
molécules à demi-vie longue lors d’une prise chronique, et un
aplatissement du pic entraînant une augmentation de la durée des
concentrations les plus élevées.
2- Distribution :
Chez le nouveau-né et pendant les premiers mois, l’eau totale de
l’organisme est plus élevée que chez l’adulte (75 % du poids corporel
dont 45 % d’eau extracellulaire), le compartiment adipeux représente
15 à 25 % du poids du corps.
Le taux de protides est inférieur à celui de l’adulte et la liaison aux
protéines est limitée, augmentant d’autant la fraction active
circulante du produit (salicylés, sulfamides, furosémide, clonazépam).
La compétition des médicaments et de la bilirubine
dans la liaison à l’albumine doit être rappelée (phénytoïne,
sulfamides, salicylates).
Le volume de distribution est donc
particulièrement élevé.
Le stockage dans le tissu adipeux
(benzodiazépine) est facilité.
3- Métabolisme :
La captation hépatocytaire est faible à la naissance et augmente dès
les premières semaines de vie.
Les réactions d’oxydation, de
réduction, d’hydrolyse d’une part, de conjugaison d’autre part,
dépendent des processus de maturation enzymatique et expliquent
les longues demi-vies initiales des produits conjugués en période
néonatale (classique « Grey-Syndrome », demi-vie variable des bases
xanthiques, du paracétamol...).
La maturation différentielle des voies métaboliques explique la
nécessité des dosages médicamenteux à cette période de la vie
(théophylline, caféine, digoxine).
4- Élimination
:
L’importance de la filtration glomérulaire et les phénomènes de sécrétion-réabsorption tubulaire rénale varient rapidement au cours
des 3 premières semaines de vie et rendent compte de la grande
variété des demi-vies plasmatiques des médicaments administrés.
Aussi le produit passant dans le lait subit-il une absorption et une
cinétique toute particulière, variant rapidement en fonction de l’âge
postnatal.
Un autre paramètre à prendre en compte serait la quantité
ingérée effectivement par l’enfant.
5- Sommation pré- et postnatale :
La plupart des médicaments administrés à la femme allaitante
atteignent des concentrations très modérées dans le lait et les
quantités effectivement ingérées par le nourrisson sont souvent très
modestes, représentant le dixième ou le vingtième de la posologie
néonatale habituelle.
Dans certaines circonstances cependant, les
apports pré- et postnatals s’additionnent et des taux efficaces
peuvent être atteints.
Cela a été décrit avec les benzodiazépines
administrées au long cours chez la mère pendant la grossesse :
l’élimination postnatale est lente et les métabolites actifs
(nordiazépam) s’additionnent aux quantités, même modestes,
ingérées à partir du lait maternel.
E - ASPECTS PRATIQUES :
Pour beaucoup d’anciens médicaments, et certains plus récents,
aucune étude des rapports L/P, en fonction du temps ou des
concentrations moyennes dans le lait, n’a été réalisée.
Lorsqu’elles
existent, ces données ne portent que sur quelques dosages et sur un
nombre réduit de patientes.
Le recueil de données cliniques à partir des accidents rapportés au
cours de l’allaitement représente une autre source de documentation.
Cependant, l’imputabilité réelle du médicament reste quelquefois
très difficile à apprécier.
Enfin, pour nombre de substances, aucune étude n’ayant été
effectuée pendant la lactation, le laboratoire qui commercialise les
médicaments se contente de déconseiller ou de contre-indiquer leur
utilisation chez la femme allaitante.
1- Contre-indications absolues
:
Les contre-indications absolues sont très réduites.
2- Contre-indications temporaires
:
Elles concernent les isotopes radioactifs utilisés en thérapeutique
pendant la période de radioactivité dans le lait humain (de 15 à
72 heures pour le technétium 99, à 2 semaines pour le gallium 67).
Lors de l’administration de produits radiopharmaceutiques dans
un but diagnostique, on recommande l’utilisation du
radiopharmaceutique compatible avec l’examen ayant la plus courte
durée d’élimination dans le lait.
L’allaitement maternel est
interrompu pendant la durée d’élimination (en général 2 jours), tout
en prélevant le lait pour maintenir les mécanismes de sa production.
On peut envisager de réaliser une « réserve » de lait maternel dans
les jours précédant l’examen.
3- Quelques règles simples
:
– Réduire le nombre de médicaments :
– proscrire les médicaments non indispensables ou n’apportant
pas de bénéfice démontré ;
– ne prescrire que les médicaments nécessaires en évitant les
spécialités contenant une association de principes actifs ;
mettre en garde contre l'automédication.
Prudence chez le prématuré : les données publiées le sont avec le
nouveau-né a terme.
Choisir l'alternative la moins risquée lorsque le choix entre
plusieurs médicaments ou voies est possible :
médicaments passant moins dans le lait ;
substance non transformée en métabolite actif ;
médicament de demi-vie courte ou ne s'accumulant pas ;
voies d'administration pour lesquelles le passage
systémique
est généralement moindre : locale ou inhalée...
attention aux
produits a usage local sur le sein qui sont ingères en priorité par
le nouveau-né : proscrire les désinfectants iodes ;
pour un médicament a prise unique quotidienne, lorsque cela
est compatible avec le traitement, prendre le médicament après la
tétée du soir et
éviter la
tétée de la nuit ;
pour un médicament a demi-vie très courte, on peut
recommander de prendre le médicament juste après la tétée, afin
que les concentrations dans le lait soient les plus basses possibles
lors de la tétée suivante.
Pour un médicament "a risque" : le bénéfice du traitement ou de
l'allaitement doit largement dépasser le risque :
sinon : arrêt de l'allaitement ou différer le traitement si possible;
en règle générale, par prudence, se méfier des
médicaments de
rapport L/P supérieur a 1 dont le rapport concentration dans le
lait/dose ingérée par la mère en mg/kg est supérieur a 10 %.
Informer la mère de renforcer la surveillance du bébé en vue de
détecter un éventuel effet indésirable : ictère, diarrhée, refus
d'alimentation, somnolence, hypotonie...
Signaler tout effet indésirable grave ou inattendu au Centre
régional
de pharmacovigilance dont les coordonnées figurent dans les
premières pages du dictionnaire Vidal.
Principaux médicaments utilises
pendant la lactation
:
Quelques grandes classes de médicaments sont
envisagées
globalement, par famille.
Ceux dont l'utilisation est très improbable
au cours de l'allaitement pour des raisons évidentes de pathologie
maternelle ne seront pas mentionnes.
A - MÉDICAMENTS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL :
1- Anticonvulsivants :
A l'exception des médicaments les plus récents, tous les
anticonvulsivants ont été documentes et étudies assez largement.
Tous passent dans le lait maternel, mais aucun n'atteint de
concentrations importantes et, sous réserve de surveillance des taux
plasmatiques maternels, aucun ne présente d'inconvénient néonatal majeur et aucun n'est contre-indique par l'Academie
americaine de pédiatrie chez la femme allaitante.
* Valproate (Depakine)
:
L'acide valproique et le valproate de sodium sont faiblement
excrètes (ratio L/P de 0,15) et n'ont aucune accumulation dans le
lait.
* Barbituriques et analogue :
Le phénobarbital présente une excrétion lactée
modérée.
Le ratio
L/P se situe entre 0,4 et 0,6 et la quantité absorbée par jour par un
nourrisson au sein a été estimée entre 2 et 4 mg/j, ce qui est
négligeable, sauf en période néonatale (premier mois).
La pharmacocinétique du phénobarbital au cours des 15 premiers jours
est caractérisée par une demi-vie très longue et les risques
d'accumulation chez le nouveau-né ne sont pas négligeables avec
des effets secondaires de type somnolence ou difficultés
d'alimentation.
Rappelons cependant que la posologie recommandée
au titre d'induction enzymatique dans les ictères a bilirubine non
conjuguee est de 2,5 mg/kg/j.
Primidone (Mysoline) : analogue structural des barbituriques, la primidone passe bien dans le lait (ratio L/P de 0,8), mais les
concentrations lactées restent faibles (2 a 3 µg/mL).
Les remarques
sur la période des premières semaines sont les mêmes que celles
faites a propos du phenobarbital.
* Benzodiazepines :
Le diazepam (Valium) et le clonazepam (Rivotril) ont des
concentrations lactées stables après administration maternelle et le
ratio L/P avoisine 0,3 pour la plupart d'entre elles.
Le métabolite
actif, le desmethyl-diazepam (DDZ), a un rapport L/P équivalent et
une demi-vie longue (20 a 100 heures).
Il existe, dans les
administrations prolongées, un risque d'accumulation chez le
nouveau-né dont le métabolisme est lent.
Le diazepam et le DDZ
peuvent être retrouves dans les urines 10 jours après la naissance en
cas de traitement pendant la grossesse.
Somnolence, lenteur des tétées, retard de prise
pondérale et apnées ont été rapportes.
La
dose pédiatrique pouvant induire une somnolence est estimée a
0,1 mg/kg/j.
Après une prise de 30 mg/j pendant 6 jours, les taux dans le lait
atteignent 0,08 mg/L pour le diazepam et 0,05 mg/L pour le DDZ.
Les concentrations plasmatiques chez le nouveau-né ont
été mesurées a 0,18 et 0,24 mg/L pour le diazepam et le DDZ.
L'allaitement après une dose unique est possible (on peut envisager
de remplacer la tétée qui suit la prise par un allaitement artificiel),
mais reste a éviter pour les traitements plus longs.
* Carbamazepine (Tegretol) :
Le ratio L/P est de 0,24 a 0,95.
Les taux plasmatiques mesures chez
les enfants nourris au sein atteignent 7,5 µmol/L.
Il n'y a pas
d'accumulation du médicament.
Les taux thérapeutiques se situent
entre 5 et 10 µg/mL.
On retrouve 49 cas décrits dans la littérature.
Les publications les plus récentes mentionnent des effets
indésirables
chez les enfants, parmi lesquels deux cas de perturbations
hépatiques et quatre cas de troubles de la succion.
L'imputabilité de
la carbamazepine dans ces observations reste cependant discutée.
* Ethosuximide (Zarontin) :
La diffusion est rapide avec égalisation des concentrations L/P.
Parmi les 15 cas décrits dans la littérature, on note cinq effets
indésirables chez les nouveau-nés : hyperexcitabilité, troubles de la
succion, sédation.
* Phenylhydantoines :
Les phénylhydantoines sont excrétées dans le lait de
mère et le
rapport L/P se situe entre 0,18 et 0,54.
Les taux d'excrétion lactée ne
sont pas dangereux pour autant que la posologie et les taux
plasmatiques maternels restent dans les limites des zones
thérapeutiques.
Des observations d'effets indésirables ont été
rapportées (somnolence, tétées laborieuses, méthémoglobinémie) en
cas de surdosage maternel.
* Autres anticonvulsivants :
Pour les nouveaux antiépileptiques comme les inhibiteurs de l'acide
gamma-aminobutyrique (GABA)-transaminase (vigabatrin : Sabril),
il n'existe que peu de données chiffrées disponibles (aussi bien sur
le passage dans le lait que sur la pharmacocinétique chez le
nouveau-né).
Deux cas ont ete rapportes avec le vigabatrin. Le
rapport L/P varie de 0,04 a 0,22.
La dose reçue par l'enfant
correspondrait a environ 1 % de la dose maternelle. La gabapentine
(Neurontin), analogue GABA, n'est pas utilisée au-dessous de 3 ans.
Une étude non publiée du laboratoire qui le commercialise a
permis d’évaluer le rapport L/P à 0,7 sur cinq patientes volontaires
n’ayant pas allaité leur enfant.
Les taux retrouvés dans le lait
seraient équivalents aux taux plasmatiques.
La tiagabine (Gabitril),
inhibiteur de la capture du GABA, n’a pas d’indication au-dessous
de 12 ans.
Il n’existe pas d’étude sur sa concentration dans le lait, et
il doit être évité même si l’on sait son fort taux de liaison aux
protéines (96 %).
Pour la lamotrigine (Lamictal), deux cas
d’exposition ont été rapportés : on atteint chez l’enfant des
concentrations plasmatiques proches des concentrations
thérapeutiques.
Aucun effet indésirable n’a été observé dans ces
deux cas.
Cependant, compte tenu du passage non négligeable de la lamotrigine, des effets sédatifs ou de diminution de la succion
pourraient être attendus.
Le topiramate (Epitomax), peu lié, diffuse
très bien dans les tissus et reste contre-indiqué.
Le felbamate
(Taloxat) passe bien dans le lait, est peu lié, et a une demi-vie
prolongée (15 à 23 heures).
Il peut entraîner des effets indésirables
sévères chez l’adulte : anémie aplasique, insuffisance hépatique.
Il
doit aussi être évité.
2- Anxiolytiques et hypnotiques
:
* Benzodiazépines
:
Le diazépam a été étudié avec les anticonvulsivants.
Le clorazépate,
métabolisé en diazépam puis nordiazépam, en partage la
pharmacocinétique.
L’oxazépam est à la fois le produit du métabolisme des
benzodiazépines et une molécule active originale (Séresta).
Sa
demi-vie est plus courte que celle du diazépam.
Le rapport L/P
varie entre 0,1 et 0,2 et on estime la quantité reçue par l’enfant
inférieure à 0,015 mg dans 500 mL de lait.
Quelques cas de sédation,
perte de poids, cyanose ont été décrits.
(Quelques données concernant d’autres benzodiazépines y sont
également recensées.)
L’accumulation possible des dérivés à demi-vie longue et la
sommation possible avec une administration pendant la grossesse
doivent toujours être prises en compte au cours de l’allaitement.
En
cas de prise temporaire de benzodiazépines à demi-vie courte, la
tétée qui suit la prise peut être remplacée par un allaitement
artificiel. L’arrêt brutal chez une femme traitée pendant sa grossesse
expose le nouveau-né au syndrome de sevrage.
* Apparentés aux benzodiazépines :
Zopiclone (Imovane) et zolpidem (Stilnox) passent dans le lait
maternel avec des rapports L/P variant selon les auteurs
respectivement de 0,5 à 0,8 et de 0,13 à 0,18.
Selon Spigset et
Hägg, le zolpidem (Stilnox) n’est plus détectable dans le lait
10 heures après l’administration, alors que la zopiclone serait
retrouvée à des concentrations supérieures à 2 µg/L 22 heures après
une dose unique.
À notre connaissance, aucun effet indésirable n’a été rapporté chez
l’enfant.
Compte tenu du fait que l’on remplace habituellement la
tétée de la nuit par un allaitement artificiel (du fait de l’action
hypnotique), l’utilisation ponctuelle du zolpidem (Stilnox) en cas
de nécessité ne semble pas poser de problème particulier.
Le zaleplon (Sonata) passe dans le lait selon un rapport L/P égal à
0,5.
La quantité maximale reçue par l’enfant a été évaluée entre 1,28
et 1,66 µg (0,013 % à 0,017 % de la dose maternelle) soit 0,320 à
0,415 µg/kg pour un enfant de 4 kilos.
* Carbamates
:
Méprobamate : le pic de concentration dans le lait suit de 2 heures
le pic plasmatique.
Le rapport L/P est de 2 à 4 et le passage dans le
lait peut être important.
Des réserves sont à faire sur l’utilisation
pendant la lactation.
3- Antidépresseurs :
* Tricycliques et apparentés :
Les antidépresseurs tricycliques ont été les médicaments les
plus étudiés en ce qui concerne leur passage dans le lait.
Le nombre
total de paires mère-enfant suivies s’élève à 66 (amitriptyline et
nortryptiline : n = 19, dothiépine : n = 25, imipramine et
désipramine : n = 12, clomipramine : n = 7, doxépine : n = 2,
amoxapine : n = 1).
Il semble que tous les antidépresseurs tricycliques passent dans le
lait où l’on retrouve des concentrations proches des valeurs sériques.
Les valeurs des rapports L/P pourraient varier en fonction des
molécules, des conditions de prélèvement et de la fraction de lait
analysée de 0,1 à 3,7.
Le plus souvent, cependant, la fraction atteignant la circulation de
l’enfant n’a pas été détectable avec les techniques utilisées.
Deux cas
d’effets indésirables sévères cédant à l’arrêt de l’allaitement ont été
décrits avec la doxépine : somnolence, hypotonie, troubles de
la succion et de la déglutition, vomissement, dépression respiratoire.
* Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine
:
– Fluoxétine : six publications concernant 31 nouveau-nés de mères
traitées par fluoxétine montrent un passage notable de la fluoxétine
dans le lait, l’ingestion par le nourrisson variant entre 3 et 11 % de
la dose maternelle ajustée en mg/kg.
Les demi-vies longues de
la fluoxétine et de son métabolite actif, la norfluoxétine
(respectivement 1 à 4 et 7 à 15 jours) exposent au risque
d’accumulation chez l’enfant.
Parmi les cas rapportés, seul un enfant
de 6 semaines souffrait de coliques semblant céder à l’arrêt de
l’allaitement maternel avec réintroduction positive.
– Fluvoxamine : deux cas d’exposition à la fluvoxamine ont été
décrits dans la littérature. Le rapport L/P a été estimé à 0,3.
Les concentrations dans le sang des enfants n’ont pas été
déterminées.
Aucun effet adverse n’a été noté.
– Sertraline : les 39 nouveau-nés exposés dans la littérature
n’ont pas souffert d’effets indésirables cliniquement
repérables.
Les taux sériques retrouvés chez l’enfant pour la sertraline et la desméthylsertraline sont difficilement détectables
ou faibles (jusqu’à 3 ng/mL pour la sertraline et jusqu’à 10 ng/mL
pour son métabolite).
Pour quatre enfants, les taux de
5-hydroxytryptophane plaquettaire (habituellement effondrés après
un traitement par inhibiteur de la recapture de sérotonine) ont été
mesurés et se sont avérés normaux.
– Citalopram : trois publications apportent des résultats sur
11 femmes traitées par citalopram.
Les rapports L/P retrouvés
varient entre 1,2 et 1,9. Les taux détectés chez les enfants sont très
faibles (< 2 µg/L).
Aucun effet indésirable n’a été décrit chez les
enfants.
– Paroxétine : pour les 11 patientes étudiées, on retrouve un rapport
L/P variant de 0,32 à 0,51, soit une dose reçue par l’enfant de 0,5 à
1,7 % de la dose maternelle ajustée au poids.
Lorsqu’ils sont
détectables dans le sérum du nourrisson, les taux de paroxétine sont
trop faibles pour être quantifiés (< 4 µg/L).
Aucun effet n’a été décrit
chez les enfants exposés.
– Venlafaxine : pour la venlafaxine, les rapports L/P calculés pour
trois patientes traitées varient entre 2,8 et 4,8 pour la venlafaxine et
2,8 et 3,8 pour son métabolite, la O-desméthyl-venlafaxine.
Les taux
plasmatiques mesurés chez les enfants s’élèvent en moyenne à
100 µg/L.
La dose reçue par le nourrisson peut s’élever à 9,2 %
(3,5 % de venlafaxine et 4,1 % de O-desméthyl-venlafaxine) de la
dose maternelle ajustée au poids.
Aucun effet indésirable n’a été
observé chez les enfants.
Conclusion sur les antidépresseurs : comme pour un grand nombre
de psychotropes, les effets à long terme des antidépresseurs ne sont
pas évalués et les risques d’accumulation des médicaments à demi vie
longue ne peuvent être exclus.
Par mesure de prudence, il est
donc généralement conseillé d’éviter d’allaiter au cours de ces
traitements.
Pour les autres spécialités, compte tenu des faibles concentrations
retrouvées et du peu d’effets indésirables notifiés, certains auteurs
estiment que l’allaitement maternel peut être maintenu si nécessaire
en vérifiant un certain nombre de paramètres :
– préférer des médicaments relativement bien connus dénués
d’effets indésirables rapportés, de demi-vie intermédiaire et pouvant
être administrés en prise unique, le soir (ce qui permet de remplacer
la tétée nocturne par un allaitement artificiel) ;
– ne pas exposer des sujets « à risque » : prématurés, enfants
souffrant de troubles cardiaques ou neurologiques.
4- Neuroleptiques :
Une vingtaine de couples mère-enfant ont été suivis en ce qui
concerne les phénothiazines (chlorpromazine, trifluopérazine…).
Parmi eux, un cas de léthargie a été décrit chez un nouveau-né ;
l’imputabilité de la chlorpromazine dans cette observation reste
controversée.
Les phénothiazines passent dans le lait mais les concentrations
retrouvées restent faibles, voire non détectables.
Pour la
chlorpromazine, l’importance de l’excrétion est discutée : les
rapports L/P ont été considérés comme inférieurs à 0,5.
Puis
d’autres observations ont montré qu’une accumulation dans le lait
était possible et des taux allant jusqu’à plus de 500 ng/mL ont été
mesurés.
Onze observations concernent l’halopéridol excrété dans le lait avec
un rapport L/P variant énormément en fonction des auteurs et des
méthodes utilisées (de 0,4 à 8).
La dose ingérée par les enfants
correspondrait dans la plupart des cas à environ 3 % de la dose
journalière maternelle et les quantités retrouvées dans le plasma ou
les urines des nouveau-nés s’avèrent très faibles.
Trois observations
concernent des enfants exposés à une association chlorpromazine et
halopéridol suivis jusqu’à 12 ou 18 mois, pour lesquels le score de Bayley s’est révélé aux limites inférieures des valeurs normales à cet
âge (score normal entre 1 et 4 mois).
La clozapine (Leponex) passe dans le lait avec un rapport L/P égal
à 2,8, ce qui correspond à une concentration lactée voisine de
115 ng/mL.
Dans cette unique observation dans l’espèce humaine,
la mère n’a pas allaité son bébé.
Finalement, malgré l’ancienneté de certains de ces
médicaments, les données restent très limitées.
Les concentrations mesurées dans le lait sont faibles
et paraissent sans conséquences immédiates pour le nouveau-né.
Aucune étude n’évalue les conséquences à long terme.
L’allaitement au sein après exposition in utero
paraît réduire le risque de survenue du syndrome de sevrage chez le
nouveau-né, mais il semble prudent de déconseiller l’allaitement en
cas de traitement par de fortes doses ou par des associations.
Dans tous les cas, si l’allaitement maternel est
choisi, il convient d’effectuer une surveillance minutieuse de
l’enfant (vigilance, prise de poids, développement neurologique…).
5- Normothymiques :
*
Lithium
:
L’Académie américaine de pédiatrie considère dans ses
recommandations que le lithium n’est pas compatible avec
l’allaitement.
Dans la littérature, six publications ont rapporté 10 cas
d’exposition au lithium pendant l’allaitement.
Dans huit cas, le
lithium est retrouvé chez l’enfant à des concentrations variant entre
0,03 et 1,4 mEq/L, ce qui correspond à des valeurs allant de 0,05 à
deux fois les taux sériques maternels (ces taux importants ont été
atteints lors d’une infection respiratoire de l’enfant à l’âge de
2 mois).
Les rapports L/P varient entre 30 et 72 %. Pour deux
nourrissons, des effets indésirables ont été décrits : cyanose,
léthargie, inversion de l’onde T à l’électrocardiogramme.
Le lithium passe donc largement dans le lait maternel et les lithiémies de l’enfant peuvent atteindre les taux maternels, voire les
dépasser en cas d’infection.
L’allaitement est donc généralement
contre-indiqué chez les mères traitées par le lithium, bien qu’un
certain nombre de données permettent de penser que cette attitude
puisse être revue au cas par cas.
En cas d’allaitement, une
surveillance clinique et biologique de l’enfant est recommandée.
On
veille en particulier aux risques d’interaction médicamenteuse chez
mère et enfant (anti-inflammatoires non stéroïdiens…).
Le risque de
l’exposition à long terme n’est pas évalué.
* Carbamazépine :
Parmi les 11 publications étudiant les effets de la carbamazépine sur
le nouveau-né allaité, seules deux d’entre elles (deux cas) concernent
l’utilisation de ce médicament en tant que normothymique.
Les
données globales sont résumées dans le chapitre « antiépileptiques ».