Les premières études physiologiques du sphincter d’Oddi ont été
réalisées lors de chirurgies biliaires, ou en postopératoire, par voie
transcystique ou transduodénale.
Ces méthodes ont été totalement
remplacées, dès l’avènement de la cholangiopancréatographie
rétrograde endoscopique (CPRE), par la manométrie
perendoscopique, permettant de réaliser des enregistrements dans
des conditions plus physiologiques.
Grâce aux nombreuses études
réalisées avec cette technique, des avancées significatives ont été
faites dans la compréhension de la physiologie du sphincter d’Oddi
(régulation nerveuse, hormonale, pharmacologique).
La manométrie
est également devenue la technique de référence pour le diagnostic
de dysfonction oddienne, qui représente actuellement sa seule
indication.
Cependant, sa réalisation dans les centres d’endoscopie
digestive reste rare car le risque de pancréatite aiguë est réputé
élevé.
Pour que cette technique soit réalisée dans des conditions
optimales de sécurité, une étude grecque de Ladas et al a estimé
que le nombre minimum de manométries par centre devrait être
supérieur à 50 par an, pour 1 500 CPRE annuelles.
Réalisation de la manométrie perendoscopique
:
A -
TECHNIQUES :
1- Cathéter perfusé
:
La première technique utilisée dans l’étude de la motricité du
sphincter d’Oddi a été celle du cathéter perfusé décrite par Nebel.
Les cathéters ne possédaient initialement qu’une seule voie, mais
une amélioration a été apportée par Loguidice et al pour
permettre l’étude de la propagation des ondes phasiques au moyen
d’un cathéter à trois voies : il s’agit d’un cathéter de 5F de diamètre,
à trois lumières, dont les orifices distaux sont séparés les uns des
autres de 2 mm.
Le cathéter est relié à une pompe hydraulique,
assurant un débit continu de liquide (sérum physiologique), et à un
manomètre, permettant d’enregistrer la pression au niveau des
orifices.
Les premiers cathéters avaient comme principaux
inconvénients, d’une part une compliance variable empêchant toute
standardisation et limitant la reproductibilité des résultats, et d’autre
part, la nécessité, pour éviter une sous-estimation des mesures,
d’utiliser des débits élevés de liquide (supérieurs à 6mL/min pour
chaque cathéter).
Une amélioration a été apportée par Arndorfer et
al, grâce à l’utilisation d’une pompe hydraulique de faible compliance,
permettant de diminuer les débits d’injection jusqu’à 0,2 mL/min.
La majorité des
travaux qui ont permis de définir les valeurs normales et
pathologiques a été réalisée à l’aide d’un tel système, avec un
débit de 0,25 mL/min.
2- Capteur
électronique :
La deuxième technique est celle du capteur électronique in situ,
décrite par Vondrasek et Eberhardt. Elle utilise un cristal semiconducteur,
dont la résistance varie en fonction de la pression du
milieu dans lequel il se trouve.
Le cathéter possède deux capteurs
dont un est distal et axial, et l’autre, situé 4 cm plus haut, est
latéral.
Son intérêt réside dans l’absence d’artefacts de mesure
liés à la compliance du cathéter, dans l’absence d’injection de liquide
dans les voies biliaires et pancréatiques, et dans un moindre coût,
du fait de la possibilité de réutiliser la sonde après stérilisation.
L’appareillage est également plus simple à installer et moins
volumineux, car dépourvu du système d’injection.
Sa mise en route
au cours d’une CPRE est donc rapide, même lorsque l’examen n’est
pas programmé. Son application dans l’étude du sphincter d’Oddi a
été décrite par Tanaka et al en 1981.
Récemment, Wehrmann et al ont proposé une miniaturisation du système de mesure
facilitant son utilisation lors d’une CRPE et utilisant un cathéter de
7F.
Cette méthode permet également la réalisation de manométrie
de longue durée, en laissant le capteur en place dans le sphincter
d’Oddi, après retrait de l’endoscope.
B - DÉROULEMENT DE LA MANOMÉTRIE
:
La manométrie oddienne est classiquement réalisée au cours d’une
CPRE.
Elle est pratiquée chez un patient à jeun, en procubitus ou en
décubitus latéral gauche, à l’aide d’un duodénoscope à vision
latérale.
Cet examen nécessite une anesthésie pharyngée à la lidocaïne, et en général une neuroleptanalgésie, voire une anesthésie
générale dans certains cas.
Il faut tenir compte des facteurs
pharmacologiques influençant la motricité du sphincter d’Oddi.
En
théorie, seules les benzodiazépines (midazolam) peuvent être
utilisées, car elles n’ont aucune action sur le sphincter.
Il semble
cependant que le propofol en induction, à la dose de 50 mg, puisse
également être utilisé sans modifier la motricité oddienne.
Cet
anesthésique a l’intérêt d’offrir une sédation plus efficace et mieux
contrôlée, d’où un nombre plus élevé de procédures menées à terme
dans de bonnes conditions.
Toutefois, les travaux réalisés chez le
chien par Baron et al, ont montré que pour des doses supérieures
à 0,5 mg/kg, la pression sphinctérienne basale, l’amplitude et la
fréquence des ondes phasiques étaient significativement élevées.
Les
morphiniques et agonistes-antagonistes de la morphine
(buprénorphine) sont contre-indiqués car ils ont un effet
spasmodique sur le sphincter.
Les antispasmodiques tels que la trimébutine, et le glucagon diminuent le tonus sphinctérien, et
sont également contre-indiqués.
Avant de démarrer la mesure, le manomètre du cathéter est calibré
en faisant correspondre, pour un débit continu, le zéro avec la
pression mesurée à l’écoulement libre.
Pour le capteur électronique,
le calibrage se fait automatiquement à 38 °C en fonction de la
pression atmosphérique.
Lors de la CPRE, le cathéter (ou le capteur) est introduit à travers le
canal opérateur de l’endoscope, dans le duodénum, afin de prendre
la pression de référence (zéro), puis dans l’orifice papillaire.
L’endoscopiste doit être suffisamment expérimenté pour introduire
le cathéter dans la papille, le maintenir dans une position stable
durant tout l’enregistrement, contrôler visuellement en permanence
la position du cathéter au niveau de la papille, et exercer une
insufflation minimale.
Le cathéter est poussé jusque dans la voie biliaire, ou dans le canal
de Wirsung.
La position peut être vérifiée, si l’on utilise un cathéter
perfusé, par aspiration du liquide, afin de noter la couleur jaune
(bile) ou claire (suc pancréatique), ou, si l’on se sert d’un capteur
électronique, par visualisation du trajet biliaire ou pancréatique à la
scopie.
Les niveaux de pressions de la voie biliaire principale et du canal de
Wirsung sont stables et dépourvus d’activité phasique. Ils
présentent cependant des petites oscillations (inférieures à
1,5 mmHg) correspondant aux pulsations artérielles et aux
mouvements respiratoires.
Le cathéter est ensuite retiré
millimètre par millimètre (technique du retrait) jusqu’à ce que l’on
observe une zone de haute pression où sont superposées des ondes
dites « phasiques », correspondant au sphincter d’Oddi.
Lorsque la
pression est maximale, on enregistre sur une période de 3 minutes la pression basale ou tonus oddien, ainsi que les caractéristiques
des ondes phasiques (amplitude, durée, fréquence).
On peut
également étudier le sens de leur propagation lorsque l’on utilise un
cathéter perfusé (simultanées, antégrades, rétrogrades).
Toutes les
pressions obtenues sont recalculées après soustraction de la pression
duodénale, à partir de deux ou trois manoeuvres de retrait.
La
manométrie dure généralement une quinzaine de minutes.
Reproductibilité de la manométrie
et interprétation des résultats :
Les résultats de la manométrie chez l’individu sain sont
parfaitement reproductibles dans le temps, à court terme, et à
long terme (9 ans).
Chez les patients atteints de dysfonction oddienne, les études sont contradictoires.
Le travail de Geenen et
al montre une stabilité de la pression basale chez 12 sujets, 1 an
après la première manométrie.
En revanche, Thune et al n’ont
retrouvé que deux dyskinésies sur les quatre diagnostiquées 3 mois
auparavant.
Cette variabilité semble plus être liée à la pathologie et
à son caractère intermittent (spasme), qu’à la technique.
La
variabilité interobservateur est également faible, les opérateurs
étant suffisamment expérimentés pour limiter les facteurs
susceptibles d’influencer les résultats manométriques ainsi que les
erreurs d’interprétation des tracés.
L’influence de l’endoscopie digestive elle-même, du fait de l’étroite
relation entre la régulation nerveuse du sphincter d’Oddi et celle du
tube digestif, est à considérer en premier lieu.
Il semble que, ni les
pressions oddiennes, ni la pression duodénale ne soient modifiées
par la duodénoscopie et une insufflation modérée.
En revanche,
une insufflation plus marquée entraîne une élévation de la pression
basale et une hyperactivité duodénale, ou au contraire une
diminution transitoire des pressions oddiennes.
De même, la
réalisation d’une cholangiographie avant la manométrie, pratiquée
par certains pour éliminer une étiologie autre qu’une dysfonction,
ne modifie que la pression de la voie biliaire principale, laquelle
n’est pas retenue isolément pour décider d’une indication
thérapeutique.
Des variations de résultats en fonction du type de capteur utilisé
ont été rapportées.
Pour le cathéter perfusé, la mesure de la pression
dépend de nombreux facteurs dont la compliance du système, le
débit de perfusion, la taille et la longueur du cathéter, et la résistance
même du sphincter d’Oddi au liquide perfusé.
Des variations
significatives portant sur tous les paramètres manométriques étudiés
ont ainsi été observées par Funch-Jensen et al lorsque le diamètre
du cathéter variait.
À l’inverse, le capteur électronique a l’avantage
de n’être soumis qu’à la pression atmosphérique, et de ce fait, est
plus à même d’être standardisé.
Les changements de position du patient (de procubitus à décubitus
latéral gauche) induisent une élévation significative des pressions
basales sphinctérienne et canalaires, et doivent donc être évités.
En revanche, ils n’y a pas de données dans la littérature concernant
la recommandation de l’une ou l’autre des positions.
Une bonne connaissance de certains artefacts est requise pour
interpréter correctement les données manométriques.
Deux d’entre
eux doivent attirer l’attention car ils ne sont pas aisément
reconnaissables :
– le péristaltisme duodénal peut perturber la stabilité des pressions
basales et former des pseudocontractions.
Torsoli et al ont montré
que l’activité du sphincter d’Oddi était étroitement corrélée aux
phases interdigestives du complexe moteur migrant (CMM).
On
note en particulier une élévation de la pression biliaire lors de la
phase III du CMM, laquelle provoque une obstruction passive de la
portion intraduodénale du sphincter d’Oddi ;
– le second élément d’importance est la conséquence des
mouvements du cathéter dans le sphincter (induits par ceux de
l’endoscope et par le péristaltisme duodénal) lors de
l’enregistrement, responsables de fausses contractions.
Madacsy et al ont récemment proposé un système combiné de manométrie et
d’analyse informatique des données endoscopiques enregistrées à la
vidéo pour repérer et éliminer de tels artefacts.
Les mouvements respiratoires profonds perturbent également les
tracés, mais sont facilement reconnaissables.
Résultats de la manométrie
:
A - SUJET NORMAL
:
La plupart des études descriptives réalisées chez l’individu sain ont
été faites avec un cathéter perfusé.
Malgré l’absence de
standardisation des études manométriques publiées, on peut retenir
au moins six travaux réalisés sur un nombre minimum (> à 20) de
sujets réellement sains, pour lesquels le protocole de sédation
(midazolam ou rien), le type de cathéter, le débit de perfusion
(0,25 mL/min), et le nombre de mesures étaient similaires.
De l’analyse de ces études, on retient que la pression de la voie
biliaire (ou gradient cholédochoduodénal) est comprise entre 3 et
12,4 mmHg et que la pression dans le canal de Wirsung est en
général légèrement supérieure avec une valeur comprise entre 8 et
15,7 mmHg.
La zone de haute pression et d’activité phasique
correspondant au sphincter physiologique mesure de 4 à 9,5 mm.
Elle est légèrement inférieure à la longueur du sphincter
anatomique, et similaire à celle de la couche hypoéchogène
mesurée en échoendoscopie.
La valeur moyenne des pressions basales du sphincter d’Oddi
recueillies dans des conditions similaires est de 16,4 mmHg.
Malgré la distinction anatomique entre sphincter biliaire et
pancréatique, il n’y a pas de différence significative de pression entre
les versants biliaires et pancréatiques du sphincter d’Oddi.
L’amplitude moyenne des ondes phasiques est de 119,7 mmHg avec
des extrêmes allant de 79 à 180 mmHg.
Les moyennes de leur
fréquence et de leur durée sont respectivement de 5,7 contractions
par minute et de 4,7 secondes. Leur séquence se décompose en 53 à
60 % d’ondes simultanées, 26 à 35 % d’ondes antégrades et 9 à 14%
d’ondes rétrogrades.
Lorsque l’on utilise un capteur électronique, les valeurs de pressions
sont similaires pour la voie biliaire et le canal de Wirsung (6 et
8 mmHg respectivement), et légèrement inférieure pour la
pression basale sphinctérienne avec une valeur de 12,8 mmHg.
B - DYSFONCTION ODDIENNE
:
C’est la principale (et la seule) indication de la manométrie à l’heure
actuelle.
Le terme de dysfonction oddienne a été défini par Geenen et
Hogan pour définir les pathologies non tumorales de l’ampoule
de Vater, et regroupe la sténose papillaire, organique, et la dyskinésie oddienne, fonctionnelle.
Ces deux éléments étant rarement
dissociables, les deux auteurs ont proposé une classification dite de
« Milwaukee », internationalement reconnue, fondée sur des
éléments cliniques, biologiques et radiologiques.
Classiquement, la dysfonction oddienne se rencontre chez la femme
de 30 à 50 ans, avec des symptômes apparus généralement 5 ans
après une cholécystectomie.
On distingue le groupe biliaire, où
l’on retrouve des douleurs de l’hypocondre droit et des épisodes
d’angiocholite, et le groupe pancréatique présentant des pancréatites
aiguës récidivantes.
Ce tableau décrit la dysfonction oddienne
secondaire, qui est la plus fréquente, mais qui ne doit pas faire
oublier que des oddipathies primitives, en dehors de tout contexte
de lithiase et de cholécystectomie, ont été décrites par Caroli.
1- Critères analysés
:
Dans les études manométriques, cinq critères ont été proposés pour
le diagnostic de dysfonction oddienne.
Le premier est l’élévation de la pression basale du sphincter d’Oddi,
traduisant l’hyperpression sphinctérienne.
C’est certainement le
critère le plus constamment retrouvé, et qui a la meilleure spécificité.
Par ailleurs, c’est le seul critère ayant fait l’objet d’études
comparatives pour déterminer sa capacité à prédire une réponse
thérapeutique.
Avec la technique du cathéter perfusé, la valeur
critique au-delà de laquelle on parle de dysfonction oddienne, est
de 35 à 41 mmHg. Cette valeur représente la valeur
moyenne de la pression basale chez les individus sains, plus trois
déviations standards.
Ce critère est bien corrélé avec la
symptomatologie clinique, que ce soit une sténose ou une
dyskinésie.
La pression de la voie biliaire principale a également été rapportée
comme un bon indicateur de la pression basale dans la dysfonction oddienne.
Kalloo et al ont en effet montré, chez 54 patients avec
hypertonie basale oddienne, une élévation significative de la
pression cholédocienne (19,6 versus 8,8 mmHg ; p < 0,001).
Cette
corrélation était également retrouvée chez les patients non cholécystectomisés avec dysfonction oddienne contrairement à ce
qu’ont rapporté Tanaka et al, pour qui la présence de la vésicule
empêche, tel un réservoir, l’élévation de la pression dans le
cholédoque lors d’un spasme du sphincter d’Oddi.
Ainsi, la constatation d’une pression cholédocienne élevée, chez un
patient cholécystectomisé, traduit automatiquement une dysfonction
sous-jacente du sphincter d’Oddi, et l’on peut se limiter à l’étude de
ce seul paramètre.
L’avantage est que la zone de mesure est plus
facile d’accès, plus étendue, et la position du capteur y est plus
stable.
À l’inverse, une pression cholédocienne normale impose
d’analyser la pression basale.
Cependant, la valeur limite de cette pression utilisable pour faire le
diagnostic de dysfonction oddienne n’est pas clairement définie dans
la littérature.
Les autres critères sont plus inconstants et moins spécifiques.
Ils sont
d’ailleurs généralement beaucoup moins pris en compte dans la
décision thérapeutique.
Ce sont :
– la réponse à l’injection de cholécystokinine (CCK) : son
administration au cours d’une manométrie se traduit par une
relaxation du sphincter d’Oddi chez le sujet normal et dans la
majorité des dyskinésies oddiennes des groupes II et III, alors que le
tonus oddien reste stable en cas de sténose (groupe I).
En revanche, Hogan et Toouli ont observé une élévation paradoxale de la
pression basale sphinctérienne et une tachy-oddie chez certains
patients atteints de dysfonction oddienne.
Ce phénomène est
également observé après dénervation expérimentale du sphincter
d’Oddi, ce qui permet d’apporter un élément de régulation nerveuse
dans la physiopathologie de la dysfonction oddienne.
L’injection de CCK pourrait ainsi permettre de réaliser un test provocatif
intéressant dans la dysfonction oddienne du fait de son caractère
intermittent ;
– la tachy-oddie : lorsque la fréquence des ondes phasiques est
supérieure à 7 à 10/min, soit 34 % des dysfonctions oddiennes ;
– l’augmentation du pourcentage d’ondes rétrogrades (supérieur à
50 %), observée dans 37,5 % des dysfonctions oddiennes.
Cependant, ce dernier critère a également été retrouvé dans l’étude
de Toouli et al chez des patients porteurs d’une lithiase de la voie
biliaire principale alors qu’il n’y avait pas d’élévation de la pression
basale.
2- Indications et résultats de la manométrie
dans la dysfonction oddienne :
En pratique, la manométrie est indiquée dans les groupes biliaires
et pancréatiques II et III de la classification de Hogan et Geenen afin
de rechercher une hyperpression oddienne.
Dans le groupe I, la prise
en compte de tous les critères est suffisante pour affirmer l’existence
d’une sténose oddienne, et justifie une sphinctérotomie d’emblée.
Dans le groupe biliaire, Sherman et al dans une étude non
contrôlée portant sur 115 patients suspects de dysfonction oddienne,
retrouvaient une pression basale supérieure à 40 mmHg chez 85,7 %
des groupes I, 55 % des groupes II et 28 % des groupes III.
L’incidence de ce même critère chez des patients de groupe I et II,
dans une étude contrôlée de Toouli et al, était de 32 %.
On relevait
également 34 % de tachy-oddies, 37,5 % de patients ayant plus de
50 % d’ondes rétrogrades, et 31 % d’anomalies de réponse à la CCK.
Dans le groupe pancréatique, Sherman et al, dans la même étude,
ont évalué 168 patients suspects de dysfonction oddienne.
Ils ont
retrouvé une pression basale supérieure à 40 mmHg chez 92,3 % de
patients du groupe I, 58,2 % du groupe II et 35,1 % du groupe III.
Deux travaux contrôlés retrouvaient une pression basale
anormale chez 23 et 57 % des patients présentant des pancréatites
aiguës récidivantes que l’on peut rattacher à des groupes I et II.
Toouli et al, retrouvaient également dans 32 % des cas une tachyoddie,
dans 45 % des cas plus de 50 % d’ondes rétrogrades, et dans
7 % des cas une réponse anormale à la CCK.
Il faut noter que dans
ces études, on ne recherchait pas de causes génétiques à ces
pancréatites idiopathiques, ce qui pourrait entraîner une sousévaluation
de la fréquence réelle de cette pathologie oddienne.
Bien qu’il soit impossible de donner des chiffres précis, en raison
notamment de la petite taille des populations étudiées, il est admis
que la spécificité de la manométrie est élevée : on ne retrouve pas
(ou rarement) en effet, dans la littérature, d’hyperpression oddienne
parmi les patients des populations contrôles.
Dans l’étude de Geenen et al, des patients appartenant au groupe II biliaire étaient randomisés pour avoir une vraie ou une fausse
sphinctérotomie.
Quatre-vingt-onze pour cent des patients ayant une
pression basale anormale (> à 40 mmHg) étaient guéris après sphinctérotomie, alors que seulement 25 % de ceux qui avaient une
pression normale l’étaient (sur un suivi de 4 ans).
À partir de ces
données, l’équipe de Milwaukee a proposé une estimation de la
sensibilité et de la spécificité de la manométrie dans les dysfonctions
biliaires, en corrélant la pression basale anormale et la guérison
après sphinctérotomie endoscopique.
Selon eux, la sensibilité et la
spécificité de la manométrie, dans ce groupe, sont de 71 et de 89 %
respectivement, alors que dans le groupe III, la sensibilité n’est plus
que de 50 %.
D’un point de vue plus pratique, il faut savoir répéter
une manométrie, si les résultats obtenus sont normaux alors que la
suspicion clinique de dysfonction oddienne est forte.
D’autre part,
la présence d’une pression basale élevée mais inférieure au seuil
pathologique, associée ou non à une tachy-oddie ou des ondes
rétrogrades fréquentes peut justifier de donner un traitement
médical au lieu de réaliser une sphinctérotomie (dérivés nitrés).
Contrairement à l’individu sain, dont la pression est similaire entre
les deux versants du sphincter d’Oddi, des différences sont
rapportées lorsqu’il y a une dysfonction oddienne.
Dans les
dysfonctions oddiennes biliaires, l’hyperpression touchant
simultanément les deux sphincters est rapportée dans 29 à 51 % des
cas.
L’atteinte isolée du sphincter biliaire est observée
dans 11,4 à 62 %, et celle du sphincter pancréatique dans 18
à 32 % des cas.
La conséquence pratique d’une atteinte mixte
est que, en cas d’impossibilité de cathétériser sélectivement la voie
biliaire, on peut retenir le diagnostic de dysfonction biliaire si la
pression sphinctérienne pancréatique est élevée.
En revanche, dans
les dysfonctions oddiennes pancréatiques, l’atteinte mixte semble
plus rare (28 %), que l’atteinte isolée du versant pancréatique
(72 %).
De l’étude de Aymerich et al, on retient qu’une hyperpression
sphinctérienne biliaire seule a une sensibilité de 63 % dans le
diagnostic de dysfonction oddienne, et qu’une pression normale a
une valeur prédictive négative de 42 % (83 et 58 % respectivement
dans le cas de la pression pancréatique).
C - LITHIASE BILIAIRE
:
Des travaux ont porté sur des patients ayant des calculs de la voie
biliaire principale sans élévation de la pression basale, donc sans
dysfonction oddienne.
Czendes et Toouli ont, dans ce cas, pu
montrer que la pression cholédocienne, l’amplitude et la fréquence
des ondes phasiques n’étaient pas significativement différentes de
celles des sujets normaux.
En revanche, Toouli, et al, retrouvaient
une augmentation du pourcentage d’ondes rétrogrades
(53 ± 9 versus 14 ± 4 %, p < 0,005).
Ce résultat a été confirmé dans
une autre étude de Ugljesic et al, incluant 45 patients cholécystectomisés avec
et sans lithiase de la voie biliaire principale, et fait supposer un
rôle potentiel de ces ondes rétrogrades dans la formation de
calculs.
En utilisant un
capteur électronique, Tanaka et al n’ont pas retrouvé de différence de pression biliaire entre des
patients porteurs de calculs vésiculaires, cholédociens, ou intrahépatiques,
et ceux porteurs d’une simple dilatation cholédocienne,
ou ayant été cholécystectomisés.
Cependant, il n’y avait dans ce
travail ni étude de la pression basale du sphincter, ni population
contrôle.
D - PANCRÉATITE CHRONIQUE CALCIFIANTE
:
L’intérêt de la manométrie oddienne dans la pancréatite chronique
calcifiante (PCC) a été d’apporter des éléments de physiopathologie
sur l’hyperpression canalaire pancréatique observée lors d’études
chirurgicales.
Elle devait également permettre de savoir si un
trouble de la motricité du sphincter d’Oddi pouvait être associé à
cette hyperpression et enfin d’étudier le rapport entre ce facteur et
la douleur pancréatique.
Les résultats des études contrôlées sont contradictoires.
Deux
travaux ne retrouvent pas de différence de pression basale entre
patients et contrôles.
À l’inverse, deux études d’une même
équipe utilisant un capteur électronique, ont montré que dans
la PCC sans sténose papillaire, la pression canalaire pancréatique
était significativement élevée (42,5 à 54,5 versus 16,2 %).
Cette
élévation n’était pas liée à une augmentation de la pression basale
sphinctérienne, qui était similaire à celle de la population contrôle,
ni n’était corrélée de façon linéaire à la viscosité du suc.
En revanche,
ces travaux ont permis de montrer que la pression pancréatique était
plus élevée chez les malades ayant des douleurs, que chez ceux qui
ne souffraient pas (49,9 versus 21,3 mmHg ; p < 0,01).
Enfin,
l’élévation de la pression pancréatique apparaissait chez des sujets
en début de maladie n’ayant pas encore d’insuffisance pancréatique
ou de dilatation canalaire, ce qui en fait, pour Okazaki et al, un
test diagnostique utile.
Cette association est retrouvée dans trois
travaux différents, où 17,6, 29 et 53,1 % des patients suspects
de dysfonction oddienne, avaient une élévation anormale de la
pression basale sphinctérienne pancréatique en rapport avec une
pancréatite chronique débutante, diagnostiquée à la CPRE.
Enfin, nous avons retrouvé, chez 19 patients avec PCC, une élévation
significative de la pression canalaire pancréatique et chez 13 patients
avec une PCC débutante, une élévation de la pression basale.
Pancréatite aiguë postmanométrie
:
La pancréatite aiguë est la seule complication décrite après
manométrie, mais elle pèse considérablement sur son indication.
Face à la controverse qui pèse actuellement sur cette technique, il
importe de déterminer, d’une part la fréquence des pancréatites
aiguës postmanométrie (PAPM) dues à la seule manométrie, et
d’autre part la responsabilité de la manométrie dans la pancréatite
aiguë postsphinctérotomie des dysfonctions oddiennes.
La fréquence de la PAPM est difficile à étudier car peu de travaux
ont analysé ce seul événement et ont réalisé des manométries sans
CPRE ni sphinctérotomie.
Jusqu’en 1985, on considérait d’ailleurs
que la manométrie n’était pas ou exceptionnellement compliquée.
Depuis, trois travaux ont analysé distinctement la fréquence de cette
complication, toujours rétrospectivement.
Les conditions techniques
étant relativement standardisées (cathéter perfusé de faible compliance, débit de 0,25 mL/min, pas de CPRE ni sphinctérotomie
simultanée), on retient une fréquence de 6 à 9,3 % de PAPM.
Dans
ces études, la gravité constatée est toujours évaluée comme modérée
selon la classification de Ranson ou le système d’évaluation des
complications postprocédures de Cotton.
Seulement, deux PAPM
sévères ont été décrites dans la littérature.
Quoi qu’il en soit, la
fréquence de la PAPM dans le cadre des dysfonctions oddiennes
reste supérieure à celle de la CPRE seule.
Les mécanismes physiopathologiques sont obscurs et plusieurs
facteurs ont été incriminés. Le débit de perfusion des cathéters est
suspect d’induire une hyperpression et une distension canalaire.
Cet
argument est renforcé par le fait que l’utilisation d’un système
d’aspiration du liquide injecté, développé par Sherman et al, permet
de faire diminuer significativement le risque de PAPM.
Cependant, le débit de perfusion utilisé dans la plupart des études
représente 5 à 10mL au total, avec une pression induite ne
dépassant pas 5 mmHg, ce qui est largement inférieur à ce qui est
pratiqué lors d’une simple CPRE (10 à 20 mL, 90 à 110 mmHg).
La
nature du soluté, hypo- (eau) ou hyperosmolaire (sérum salé), ne
modifie pas le risque de PAPM.
Trois autres facteurs semblent augmenter le risque de PAPM dans la
littérature anglo-saxonne : la pancréatite chronique, la réalisation
dans le même temps d’une CPRE (avec ou sans sphinctérotomie), et
le cathétérisme pancréatique.
Dans la série de Rolny et al, 58 % des PAPM étaient des
pancréatites chroniques.
Dans notre expérience, la PCC, telle qu’elle
est définie en Europe, est au contraire un puissant facteur
protecteur par rapport au risque de PAPM.
L’association CPRE/manométrie lors du même examen, est significativement plus
compliquée que la manométrie seule (30 et 26,1 % de PAPM versus
9 et 9,3 % dans les séries de King et Maldonado, ce qui inciterait
à réaliser les deux gestes lors de deux examens différents.
Enfin, si
l’on compare les PAPM après manométrie exclusivement biliaire ou pancréatique, on observe des fréquences de 0 à 1%, versus 11 à
38 %, respectivement.
Il est cependant difficile de savoir si le
risque est étendu à tous les cathétérismes pancréatiques, ou bien
limité à ceux qui présentent une hyperpression sphinctérienne
pancréatique.
Tanarsky et al ont en effet montré que dans ce cas de
figure, le risque relatif de pancréatite aiguë post-CPRE était de 10,3
par rapport aux cas où la pression sphinctérienne était normale.
Le second problème est de savoir si la manométrie peut aggraver le
risque déjà élevé de la sphinctérotomie dans la dysfonction
oddienne.
On rappelle que dans l’étude de Sherman et al le risque
de pancréatite aiguë dans la dysfonction oddienne après
sphinctérotomie était de 10,8 %, et de 37,5 % lorsque le diamètre de
la voie biliaire était inférieur à 5 mm.
Freeman et al, dans une
étude multicentrique prospective récente, ont montré que chez des
patients suspects de dysfonction oddienne, la manométrie n’était pas
un facteur de risque indépendant de pancréatite aiguë, confirmant
ainsi les données de leur étude rétrospective.
Dans ce précédent
travail, les auteurs montraient également que le risque de
pancréatite aiguë dans le groupe de patients ayant une sphinctérotomie empirique pour suspicion de dysfonction oddienne
était égal à celui de la sphinctérotomie précédée d’une manométrie
(20 et 18 % respectivement).
Enfin, aucun travail n’a étudié l’incidence de cette complication avec
un capteur électronique, dont l’utilisation nous semble devoir être
préférée à celle d’un capteur perfusé, du fait du faible pourcentage
de pancréatite aiguë (jamais grave) observé dans notre expérience
personnelle.
D’autres méthodes diagnostiques ont été évaluées pour tenter de
remplacer la manométrie dans la dysfonction oddienne.
La seule qui
puisse représenter une alternative intéressante est la scintigraphie
biliaire.
Cette technique, décrite par Zeman en 1985, utilise un
dérivé de l’acide iminoacétique marqué au technétium 99, et une
gamma-caméra.
Le critère le plus reproductible dans cette
pathologie est le temps de transit hile-duodénum (TTHD). Un temps
supérieur à 11 minutes est considéré comme pathologique.
Sa
sensibilité et sa spécificité sont de 100 et 83 % respectivement dans
les études utilisant la manométrie comme méthode diagnostique de
référence et le seuil de 40 mmHg comme valeur de pression basale
anormale.
Cependant, les patients ayant une pression inférieure à
40 mmHg ont les mêmes résultats scintigraphiques que les sujets
contrôles.
Conclusion
:
La manométrie oddienne perendoscopique, lorsqu’elle est pratiquée par
un endoscopiste expérimenté, permet de faire un diagnostic de
dysfonction oddienne dans 70 % des cas.
Son indication est limitée aux
groupes II et III biliaires et pancréatiques, de la classification de
Milwaukee, pour lesquels la mise en évidence d’une hyperpression
oddienne doit faire pratiquer une sphinctérotomie endoscopique.
Pour
les patients du groupe I, une sphinctérotomie est indiquée sans
manométrie.
Le risque de pancréatite aiguë associé à la manométrie doit
être reconsidéré en fonction de l’évolution des techniques (capteur
électronique), ainsi que des données récentes de la littérature, où cette
technique n’apparaît pas comme facteur de risque indépendant de
pancréatite aiguë postsphinctérotomie.
Il importe également que la
manométrie soit réalisée dans des centres correctement équipés, et
spécialisés dans la pathologie biliopancréatique.
Enfin, l’alternative à
cette technique pourrait être la scintigraphie biliaire, mais de nouvelles
études sont nécessaires pour mieux en définir le bénéfice.